Marcabru, « Dirai vos senes duptansa» : la chanson médiévale désabusée d’un troubadour loin de la Fine amor

Sujet : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson,  musique médiévale,  poésie satirique, sirvantes, sirvantois, occitan
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur  : Marcabru   (1110-1150)
Titre  :  « Dirai vos senes duptansa»
Interprètes :  Ensemble Tre Fontane
Album :   
Nuits Occitanes (2014)

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passiona chanson médiévale du jour nous ramène vers l’un des premiers troubadours qui se trouve être aussi , sans doute, l’un des plus fascinants d’entre eux pour sa poésie hermétique si difficilement saisissable et son style unique.

A des lieues de la lyrique courtoise

Contrairement à nombre d’artistes, musiciens et poètes occitans contemporains de  Marcabru et qui s’affairaient déjà à codifier la poésie en « l’enchâssant » dans la lyrique courtoise, au point quelquefois de l’y noyer entièrement, notre auteur médiéval du jour n’a pas chanté la fine amor (fin’amor). Il en a même plus volontiers  pris le total contre pied. Ecole idéaliste et courtoise contre école réaliste, dont Marcabru se serait fait un brillant chef de file (1) ? Les choses sont dans les faits un peu plus nuancés, mais en tout cas, sur bien des thèmes et le concernant, sa poésie se tient dans l’invective et la satire et l’amour n’y échappe pas (sauf à l’exception qu’il soit de nature divine). A ce sujet, les manuscrits anciens contenant les vidas des troubadours enfonceront d’ailleurs le clou :

« Trobaire fo dels premiers q’om se recort. De caitivetz vers e de
caitivetz sirventes fez ; e dis mal de las femnas e d’amor. »
Le Parnasse occitanien.   S.° Palaye. Manuscrit de Saibante. (1819)

« Il fut l’un des premiers troubadours dont on se souvient. Il fit des vers misérables* et de misérables serventois : et il médit des femmes et de l’amour. »  (misérable  n’adresse sans doute pas tant ici le style que l’état  d’esprit ou la condition du poète).

« Dirai vos senes duptansa », de Marcabru par l’Ensemble Tre Fontane

Le Marcabru  de l’Ensemble Tre Fontane

L’interprétation du jour nous offre le grand plaisir de recroiser la route de l’excellent Ensemble médiéval Tre Fontane dont nous avons parlé dans un article récent. Loin des rivages du chant lyrique qui couvre une partie importante du répertoire médiéval, cette version très « terrienne » et pleine d’une émotion bien plantée de Jean-Luc Madier, semble vraiment faire écho à celui qui disait dans ses vers et de sa propre voix qu’elle était « rude » ou rauque.

Les troubadours Aquitains
Le chant des Troubadours – Vol. 1

La chanson Dirai vos senes duptansa  est tirée d’un album de 1991 de la formation aquitaine et française. On y retrouve onze pièces occitanes issues du répertoire des tous premiers troubadours du moyen-âge central. Marcabru y côtoie Jaufrey Rudel mais aussi Guillaume de Poitiers,  IXe Duc d’Aquitaine (Guillaume le Troubadour).

chanson_medievale_poesie_marcabru_troubadour_occitan_moyen_age_album_ensemble_tre_FontaneCette production a le grand intérêt de rassembler la totalité des mélodies qui nous sont parvenues de ces trois auteurs. On pourra encore y trouver trois autres compositions de la même période : une de Guilhelm de Figueira, une autre de  Gausbert Amiel et enfin une dernière demeurée anonyme.  L’album ne semble pas réédité pour l’instant mais on en trouve encore quelques exemplaires d’occasion en ligne. Voici un lien utile (à date) pour les dénicher : Tre Fontane – Le chant des Troubadours Vol 1/ Les Troubadours Aquitains

Dirai vos senes duptansa

Comme nous le disions plus haut, il ne faut pas attendre de  Marcabru qu’il se coule dans la peau du fine amant fébrile qui se « muir d’amourette ». C’est bien plutôt dans celle du désabusé et de celui qui se défie d’aimer qu’il faut le chercher. Dans cette chanson qu’il entend nous livrer « sans hésitation », il vient même nous conter dans le détail, tout ce qu’il pense des tortueux sentiers et des pièges de l’Amour. Tout cela n’est, à l’évidence, pas pour lui et il se fait même un devoir d’interpeller son public dans chacune de ses strophes pour mieux l’éveiller et le mettre en garde:  « Ecoutez ! »

Comme pour les autres traductions que nous vous avons déjà proposées de cet auteur, nous nous appuyons largement ici sur celles du Docteur et écrivain Jean-Marie Lucien Dejeanne dans son ouvrage intitulé Poésies complètes du troubadour Marcabru  (1909). Mais comme on ne se refait pas, nous les combinons tout de même avec des sources supplémentaires (dictionnaires, autres traductions, etc…). Au final, elles n’ont pas la prétention d’être parfaites et pourraient même sans doute prêter le flanc à l’argumentation mais, encore une fois, le propos est d’approcher la poésie de cet auteur.

Dirai vos senes duptansa
les Paroles en occitan & leur traduction

I
Dirai vos senes duptansa
D’aquest vers la comensansa
Li mot fan de ver semblansa;
– Escoutatz ! –
Qui ves Proeza balansa
Semblansa fai de malvatz.

 Je vous dirai sans hésitation
de ce vers, le commencement
Les mots ont du vrai, la semblance (l’apparence de la vérité) !
Écoutez !
Celui qui, face  à l’excellence (bonne parole, prouesse, exploit), hésite
me fait l’effet  d’un méchant (un mauvais, un scélérat).

II
Jovens faill e fraing e brisa,
Et Amors es d’aital guisa
De totz cessais a ces prisa,
– Escoutatz ! –
Chascus en pren sa devisa,
Ja pois no’n sera cuitatz.

Jeunesse déchoit, tombe et se brise.
Et Amour est de telle sorte
Qu’à tous ceux qu’il soumet, il prélève le cens (une redevance, un tribut)
Écoutez !
Chacun en doit sa part (Que chacun se le tienne pour dit ? )
Jamais plus, après cela, il n’en sera quitte (dispensé).

III
Amors vai com la belluja
Que coa-l fuec en la suja
Art lo fust e la festuja,
– Escoutatz ! –
E non sap vas quai part fuja
Cel qui del fuec es gastatz.

L’Amour est comme l’étincelle
Qui couve le feu dans la suie,
puis brûle le bois et la paille,
Écoutez !
Et  il ne sait plus de quel côté fuir,
Celui qui est dévoré par le feu.

IV
Dirai vos d’Amor com signa;
De sai guarda, de lai guigna,
Sai baiza, de lai rechigna,
– Escoutatz ! –
Plus sera dreicha que ligna
Quand ieu serai sos privatz.

Je vous dirai comment  Amour s’y prend
D’un côté, il regarde, de l’autre il  fait des clins d’œil ;
D’un côté, il donne des baisers, de l’autre, il grimace. —
Écoutez !
Il sera plus droit qu’une  ligne
Quand je serai son familier.

V
Amors soli’ esser drecha,
Mas er’es torta e brecha
Et a coillida tal decha
– Escoutatz ! –
Lai ou non pot mordre, lecha
Plus aspramens no fai chatz.

Amour jadis avait coutume d’être droit,
mais aujourd’hui il est tordu et ébréché,
et il a pris cette habitude (ce défaut )
Écoutez !
Là où il ne peut mordre, il lèche,
Avec un langue plus âpre que celle du chat.

VI
Greu sera mais Amors vera
Pos del mel triet la céra
Anz sap si pelar la pera
– Escoutatz ! –
Doussa’us er com chans de lera
Si sol la coa-l troncatz.

Difficilement Amour sera désormais sincère
Depuis le jour il put séparer la cire du miel ;
C’est pour lui-même qu’il pèle la poire.
Écoutez !
Il sera doux pour vous  comme le chant de la lyre
Si seulement vous lui coupez la queue.

VII
Ab diables pren barata
Qui fals’ Amor acoata,
No·il cal c’autra verga·l bata ;
– Escoutatz ! –
Plus non sent que cel qui’s grata
Tro que s’es vius escorjatz.

Il passe un marché avec le diable, 
Celui qui s’unit à Fausse Amour;
Point n’est besoin qu’une autre verge le batte ;
Écoutez !
Il ne sent pas plus que celui qui se gratte
jusqu’à ce qu’il se soit écorché vif.

VIII
Amors es mout de mal avi
Mil homes a mortz ses glavi,
Dieus non fetz tant fort gramavi;
– Escoutatz ! –
Que tot nesci del plus savi
Non fassa, si’l ten al latz.

Amour est de très mauvais lignage ;
Mille hommes il a tué sans glaive .
Dieu n’a pas créé de plus terrible enchanteur (savant, beau parleur),
Écoutez !
Qui, du plus sage, un sot (fou)
Ne fasse, s’il le tient  dans ses lacs.

IX
Amors a uzatge d’ega
Que tot jorn vol c’om la sega
E ditz que no’l dara trega
– Escoutatz ! –
Mas que puej de leg’en lega,
Sia dejus o disnatz.

Amour se conduit comme la jument
Qui, tout le jour, veut qu’on la suive
Et dit qu’elle n’accordera aucune trêve,
Écoutez !
Mais qui vous fait monter, lieue après lieue,
Que vous soyez à jeun ou repu.

X
Cujatz vos qu’ieu non conosca
D’Amor s’es orba o losca?
Sos digz aplan’et entosca,
– Escoutatz ! –
Plus suau poing qu’una mosca
Mas plus greu n’es hom sanatz.

Croyez-vous que je ne sache point
Si Amour est aveugle ou borgne ?
Ses paroles caressent et empoisonnent, 
Écoutez !
Sa piqûre est plus douce que celle de l’abeille,
Mais on en guérit plus difficilement.

XI
Qui per sen de femna reigna
Dreitz es que mals li-n aveigna,
Si cum la letra·ns enseigna;
– Escoutatz ! –
Malaventura·us en veigna
Si tuich no vos en gardatz !

Celui qui se laisse conduire  par la raison d’une femme
Il est juste que le mal lui advienne, 
Comme  l’Écriture nous l’enseigne :
 Écoutez !
Malheur vous en viendra
Si vous ne vous en gardez !

XII
Marcabrus, fills Marcabruna,
Fo engenratz en tal luna
Qu’el sap d’Amor cum degruna,
– Escoutatz ! –
Quez anc non amet neguna,
Ni d’autra non fo amatz.

Marcabru, fils de Marcabrune,
Fut engendré sous telle étoile
Qu’il sait comment Amour s’égrène;
Écoutez !
Jamais il n’aima nulle femme,
Ni d’aucune ne fut aimé.

En vous souhaitant une agréable journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.

(1)  Voir la première génération des troubadours d’Alfred Jeanroy persée

Agenda médiéval : Merville au XIVe et Dinan sans ses fous

Sujet : agenda médiéval, fêtes historiques, animations  médiévales. camp médiéval.
Période  : moyen-âge tardif, XVe siècle
Evénement  : La 5e médiévale du Labyrinthe de Merville
Lieu : Merville,  Haute-Garonne,
Occitanie.
Date : les 20 et  21  octobre 2018

Bonjour à tous,

S_lettrine_moyen_age_passionur l’agenda du week-end et avant que n’arrivent bientôt les premiers marchés de Noël, il reste encore quelques vaillants médiévistes pour célébrer le Moyen-âge.

Pas de  « Fous d’Histoire »  à Dinan

Point n’en voyons, en revanche, cette année et comme à l’habitude, en Bretagne, pour les Fous d’Histoire de Dinan. L’événement a été, en effet, annulé par un communiqué officiel paru il y a un peu plus d’un mois,  faute d’un nombre suffisant d’artisans et de compagnies pour venir l’animer.

Il faut dire qu’en plus d’intervenir après le gros d’une saison médiévale qui propose de plus en plus d’événements et sous un climat que l’on pouvait peut-être anticiper comme peu engageant, la cité de Dinan a aussi célébré, il y a à peine quatre mois,  sa Grande fête des remparts. Aux dernières nouvelles, les organisateurs se posent donc encore des questions qu’ils semblent ne pas encore avoir tranchées sur l’opportunité de la reprogrammation de son salon médiévale et grand marché d’octobre pour 2019. Nous aurons, quoiqu’il en soit, largement le temps de vous en reparler mais en tout cas pour 2018,  les Fous d’histoire Dinan, c’est râpé.

Pour rester dans le concept et éviter toute confusion, l’événement « Fous d’Histoire »  de Margny les Compiègne est quant à lui,  pour l’instant, bel et bien maintenu. Ils se tiendra, comme chaque année, en novembre et nous aurons l’occasion de vous en reparler à son approche.

Mais des médiévistes à Merville

fetes_animations_camp_medieval_chateau_merville_occitanieAinsi donc, pas de médiévistes en vue à Dinan ce week end mais vous pourrez en revanche en débusquer du côté de l’Occitanie et en Haute Garonne, au labyrinthe du château de Merville (à ne pas confondre avec la Merville-Franceville normande de Cidre et Dragon).

Au sein d’un bel espace vert, La Mesnie de Barbazan y aura en effet dressée un camp et vous attendra de pied ferme pour la 5eme édition de l’événement. Côté période, il est ici question de revenir au milieu du XIVe siècle dont cette compagnie de nobles reconstituteurs a fait sa spécialité. Au programme, ils vous proposeront tout au long du week-end, un lot d’animations médiévales choisies: ateliers d’époque (cuisine, cottes de maille, couture, etc … ), visite du camp et découverte de la vie de ses chevaliers,  mais aussi démonstrations de combats en armure à la façon médiévale, et même d’armes de jets (arc, arbalète).

Voir le Facebook de l’événement – Site de l’organisateur

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Amors, tençon et bataille, une chanson lyrique médiévale de Chrétien de Troyes

chretien_de_troyes_chanson_medievale_amor_tenson_batailleSujet  : trouvère, langue d’oïl, vieux français, poésie, chanson médiévale,  lyrique courtoise
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur  :  Chrétien de Troyes  (1135-1185)
Titre  :  « Amors, tençon et bataille»
Interprète :  Ensemble Tre Fontane
Album
Musiques  à la Cour d’Aliénor d’Aquitaine
 (2007)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons aujourd’hui au XIIe siècle vers les premières trouvères de la France médiévale et même vers l’un des plus célèbres d’entre eux bien qu’il doive sa renommée à d’autres talents qu’ à ses chansons lyriques. Eclipsé par le caractère « monumental » de ses romans arthuriens, on en oublierait presque, en effet, que Chrétien de Troyes  compte aussi parmi des premiers à avoir transposé les codes de la lyrique courtoise d’Oc dans cette langue d’Oïl qui allait donner naissance, à travers le temps, au français moderne (voir conférence de Richard Trachsler  pour mieux cerner cette notion de célébrité).

Il faut dire aussi que l’auteur du célèbre Conte de Graal, du Chevalier au Lion ou encore du Lancelot, chevalier de la charrette pour ne citer que ceux-là,  ne nous a pas laissé quantité de chansons et il demeure encore plus vrai que les quelques unes qu’on pensait devoir lui attribuer ont été longtemps sujettes à caution. Si on l’avait, en effet, crédité d’une demi dizaine de pièces, du côté des médiévistes et experts de ces questions, il semble qu’on soit enclin à ne désormais à n’en retenir que deux pour certaines.

On doit cette clarification aux analyses de la philologue et romaniste Marie-Claire Zai dans son ouvrage Les chansons courtoises de Chrétien de Troyes,  daté de 1974. Jusqu’à nouvel ordre et selon son expertise, il nous reste donc deux chansons lyriques de Chrétien de Troyes à nous mettre sous la dent: D’Amors, qui m’a tolu a moi, pièce sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir plus tard dans le temps, et celle du jour Amors, tençon et bataille.

Amors, tençon et bataille
dans les manuscrits anciens

On ne retrouve pas cette chanson de Chrétien dans quantité de manuscrits mais seulement dans deux d’entre eux.

L’un est conservé à la BnF. Il s’agit du MS Français 20050 (photo ci-dessous). Connu encore sous le nom de Chansonnier français de Saint-Germain des Prés, ce manuscrit, écrit à plusieurs mains, comprend 173 feuillets et on peut y trouver des chansons, romances et pastourelles du moyen-âge central. Il est daté du XIIIe siècle.

chrétien_de_troyes_poesie_medievale_amor_tenson_bataille_manuscrit_fr_20050_chansonnier_saint-germain-des-pres_moyen-age_480
Amors, tençon et bataille, de Chrétien de Troyes, MS Français 20050; Bnf, departement des Manuscrits.

Le second ouvrage est conservé en Suisse à la Bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne (Burgerbibliothek). Nomenclaturé Manuscrit  de Berne 389 (Cod 389) ou encore   Chansonnier Français C ou trouvère C.  Il est également daté du XIIIe siècle mais est largement plus étoffé que le précédent puisqu’il contient 249 feuillets. On y trouve des chansons de trouvères (anonymes ou attribuées) et il présente. en tout, la bagatelle de 524 pièces médiévales dont un grand nombre n’existe que dans cette source, c’est dire s’il est précieux. Vous pourrez chretien_de_troyes_poesie_lyrique_medievale_amour_tenson_bataille_manuscrit_ancien_bern_389_moyne-age_480trouver plus d’articles à son sujet ici.

La chanson médiévale de Chrétien de Troyes « Amors, tençon et bataille » dans le Manuscrit de Berne 389 ou chansonnier Français C

Par les miracles de la technologie moderne et surtout grâce à la conscience des grands conservateurs de ce monde, en l’occurrence ceux de notre chère  BnF et ceux de la bibliothèque de Bern, on peut trouver ces deux ouvrages en ligne aux liens suivants : le Manuscrit Français 20050 sur le site de la BnF  – le Chansonnier trouvère C sur le site e-codices.

 Amors,tençon et bataille, Chrétien de Troyes par l’Ensemble Tre fortuna

L’Ensemble Tre Fontane
A l’exploration de l’Art de « trobar »

Fondé en 1985 par trois musiciens français originaires d’Aquitaine, l’Ensemble médiéval Tre Fontane s’est donné pour objectif, dès sa création, d’explorer le répertoire des troubadours et trouveurs du Moyen-âge central. Chants sacrés, chansons profanes, depuis plus de 30 ans, la formation a continué sur sa lancée en proposant concerts, spectacles, animations mais aussi stages et ateliers.

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Au titre de sa longue carrière, Tre Fontane a produit près d’une douzaine d’albums sous différents labels :  contes du moyen-âge, art des jongleurs, chants de troubadours, …  Pour l’instant, on peut retrouver facilement en ligne quatre d’entre eux parmi les plus récents. L’un est dédié au troubadour Jaufre Rudel  (2011), un autre propose la découverte des chants de l’Andalousie et de l’Occitanie médiévales en collaboration avec le célèbre musicien espagnol Eduardo Paniaga et son ensemble (1998), un troisième celle du Codex cistercien de las Huelgas, monastère célèbre du Moyen-âge, sur la route de Compostelle (1997) et enfin un quatrième dont est tiré la pièce du jour.

Musiques  à la Cour d’Aliénor D’Aquitaine 

En 2007, l’Ensemble nous gratifiait donc d’un album très inspiré, ayant pour titre Musiques à la Cour D’Aliénor D’Aquitaine. On pouvait y retrouver 12 pièces représentatives de ce bouillonnement et de ce carrefour culturel qui tint place à la cour de cette grande dame du Moyen-âge. Et ce n’est sans doute pas par hasard que celle qui fut Reine de France et d’Angleterre. mais aussi la petite fille de Guillaume IX d’Aquitaine, le premier des troubadours, favorisa les rencontres entre les cultures de la France du Sud en Oc,  du Nord en Oïl mais encore avec celle de l’Angleterre médiévale. Cette dynamique se prolongera jusqu’à la cour de Marie de Champagne, fille d’Aliénor, dont Chrétien de Troyes fut contemporain et même encore deux générations plus tard, à travers le petit fils de cette dernière, Thibaut de Champagne.

chanson_medievale_trouvere_cour_aquitaine_moyen_age_ensemble_tre_FontaneAinsi, dans cet album, c’est un peu de ces trois influences culturelles que l’on retrouve : de Guillaume le troubadour à son arrière petit-fils Richard Coeur  de Lyon et sa célèbre complainte, en passante par Thibaut de champagne, l’incontournable Bernard de Ventadorn et encore d’autres noms célèbres, aux côtés de pièces non signées de ces XIIe et XIIIe siècles.  Cette production étant toujours édité, comme nous le disions plus haut, voici un lien utile pour en écouter des extraits ou l’acquérir au format CD ou MP3 :  Album Musiques a la cour d’Aliénor d’Aquitaine [Explicit]

Pour le reste, vous pouvez retrouver l’Ensemble Tre Fontane sur FB  ou sur  Myspace.


Amors, Tençon et Bataille
de Chrétien de Troyes

I.
Amors tençon et bataille
Vers son champion a prise,
Qui por li tant se travaille
Q’a desrainier sa franchise
A tote s’entente mise.
S’est droiz q’a merci li vaille,
Mais ele tant ne lo prise
Que de s’aïe li chaille.

II.
Qui qe por Amor m’asaille,
Senz loier et sanz faintise
Prez sui q’a l’estor m’en aille,
Qe bien ai la peine aprise.
Mais je criem q’en mon servise
Guerre et [aïne] li faille:
Ne quier estre en nule guise
Si frans q’en moi n’ait sa taille.

III.
Fols cuers legiers ne volages
Ne puet  d’amors rien aprendre.
Tels n’est pas li miens corages,
Qui sert senz merci atendre.
Ainz que m’i cudasse prendre,
Fu vers li durs et salvages;
Or me plaist, senz raison rendre,
K’en son prou soit mes damages.

IV.
Nuns, s’il n’est cortois et sages,
Ne puet d’Amors riens aprendre;
Mais tels en est li usages,
Dont nus ne se seit deffendre,
Q’ele vuet l’entree vandre.
Et quels en est li passages?
Raison li covient despandre
Et mettre mesure en gages.

V.
Molt m’a chier Amors vendue
S’anor et sa seignorie,
K’a l’entreie ai despendue
Mesure et raison guerpie.
Lor consalz ne lor aïe
Ne me soit jamais rendue!
Je lor fail de compaignie:
N’i aient nule atendue.

VI.
D’Amors ne sai nule issue,
Ne ja nus ne la me die!
Muër puet en ceste mue
Ma plume tote ma vie,
Mes cuers n’i muerat mie;
S’ai g’en celi m’atendue
Qe je dout qi ne m’ocie,
Ne por ceu cuers ne remue.

VII.
Se merciz ne m’en aïe
Et pitiez, qi est perdue,
Tart iert la guerre fenie
Que j’ai lonc tens maintenue!


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes

Grand Art, Jean-Pierre Joblin, Bruno Daraquy, François Villon en scène et en chanson : spectacle vivant

françois_villon_piece_recital_chanson_poesie_medievale_moyen-ageSujet : poésie médiévale, poésie, chansons, spectacle vivant, livre, exposition
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Auteur : François Villon (1431-?1463)
Parolier, illustrateur : Jean-Pierre Joblin Interprète : Bruno Daraquy.
Evénement : « François Villon, Corps à coeur »   Lieu : Théâtre de la Closerie, Etais la Sauvin Yonne, Bourgogne-Franche-Comté
Dates : Samedi 13 octobre  à 20h30, Dimanche 14 octobre à 16h00 et 20h00

Bonjour à tous,

Q_lettrine_moyen_age_passionue les amateurs de François Villon le rebelle, le truculent, le marginal, le supplicié et encore l’angoissé qui se trouve du côté de l’Yonne, cette fin de semaine, ne passent pas à côté de ce bel événement consacré au poète médiéval. Ce samedi et ce dimanche à Etais la Sauvin, on pourra, en effet, assister tout à la fois à un spectacle-vivant de chansons, poésies, repris ou inspirée de Villon ainsi qu’à une exposition d’illustrations sur l’auteur médiéval.

Si les deux aspects sont mêlés c’est qu’ils sont d’abord le fruit d’une rencontre : celle de l’auteur, illustrateur, parolier Jean-Pierre Joblin et celle du chanteur Bruno Daraquy. Partis d’une idée de evenement_francois_Villon_spectacle_vivant_chansons_poesies_auteur_medieval_moyen-age_tardifcollaboration autour d’un récital  de chansons sur Villon, les deux artistes ont bientôt été rejoints par un musicien compositeur Malto, suivi, un peu plus tard, de quelques autres excellents musiciens et d’un regard extérieur éclairé sur la mise en scène (Maurice Galland).

Jouée pour la première fois au Théâtre Libre de Saint-Etienne en 2012, cette pièce-récital plusieurs fois saluée par la presse, continue de tourner depuis. Elle a notamment été présentée au Printemps de Bourges en Avril dernier et c’est donc celle que vous aurez le plaisir de retrouver ce week-end à quelques encablures au sud d’Auxerre pour trois représentations.

Depuis sa création, l’aventure ne s’est pas arrêtée à ce seul spectacle puisqu’elle a fini par donner le jour, un peu plus tard dans le temps, à une oeuvre totalement originale. Sorti en Janvier 2017, ce livre-CD est enrichi de belles illustrations réalisées de la main même de Jean-Pierre Joblin qui double son talent d’auteur-parolier avec celui d’illustrateur. Les images présentes dans cet article ne vous en donneront qu’un très bref aperçu.

La voix, la chair et le verbe :
Villon à Fleur de peau et de plume

bruno_daraquy_spectacle_villon_poesie_medievale_recital_chansonDu côté du récital, qui est émaillé de textes, de « dits », de mots, de « cris », comme ceux de Léo Ferré pouvaient en contenir, il propose 16 chansons auxquelles Bruno Daraquy prête son talent, et même au delà, son cœur, sa chair et sa peau. Incarne-t-il Villon ou, par un étrange tour de passe-passe médiumnique, le poète médiéval serait-il revenu, le temps d’un spectacle, se rêver dans la peau du chanteur-conteur ? La voix, les intonations, le ton, la révolte, la gouaille, tout est là. Fermez les yeux, Villon est sur les planches et le trouble est entier, et si ce n’est pas lui, sans doute n’aurait-il pu songer à un meilleur tribut, une meilleure incarnation.

Illustration de Jean-Pierre Joblin tirée de l'ouvrage François Villon, Corps à Coeur
Illustration de Jean-Pierre Joblin tirée de l’ouvrage François Villon, Corps à Coeur

Quant au verbe, qui vient au commencement, voilà ce que l’auteur lui-même nous en dit, en guise de préface dans le livre CD illustré dont nous parlions plus haut :

« Soucieux d’épargner au lecteur contemporain l’écueil du « vieil langage françois » je me suis employé à développer un style qui mêle le plus « gustativement » possible la saveur des mots actuels à celles des tournures médiévales » Jean-Pierre Joblin

spectacle_villon_poesie_medievale_recital_chanson_joblin_jean-pierre_album_cdEt si c’est toujours une gageure de se frotter à Villon et un pari sans doute encore plus grand que de décider de ne pas le suivre à la lettre, le défi est là aussi brillamment relevé. Avec une dose copieuse d’argot, (d’aucun diront, à ne pas mettre entre toutes les oreilles, âmes sensibles s’abstenir donc, mais il en est encore ainsi pour les plus chastes, de certains textes de Villon), le verbe du parolier a fait totalement corps avec celui de l’auteur médiéval, dans un processus, là encore, étrangement fusionnel.

La hantise de Villon et le terrible gibet de Montfaucon sous la plume de Jean-Pierre Joblin.

Jean-Pierre Joblin a dû, nous dit-il s’immerger tout entier dans tout ce qui faisait François Villon, dans tout ce qui tournait autour de l’homme, dans l’oeuvre de ses biographes, des plus anciens aux plus modernes : a-t-il  hérité au passage de la  fascination d’un Clément Marot pour le style de l’auteur du Testament ou suivi les pas curieux  d’un Pierre Champion sur la piste du poète, dans le Paris du XVe siècle, ses tavernes et ses quartiers?  Qu’on ne s’y trompe pas pourtant, pour un tel exercice lire ne suffit pas et il a fallu une passion dévorante et une véritable plume pour que la magie opère vraiment et pour que Jean-Pierre Joblin  fasse de Villon sien.

Agenda, informations et Livre-CD

Pour ne pas le manquer  s’il passe près de chez vous. retrouvez plus d’informations sur ce beau projet et son agenda au lien suivant :

françois_villon_album_cd_illustration_chanson_poesie_medievale_moyen-age_XVePour plus d’informations sur le livre CD et pour l’acquérir, voici le lien.

Pour le reste et pour rappel, si vous êtes dans l’Yonne le spectacle, l’exposition, les dédicaces et la rencontre des artistes en vrai, c’est à  Etais la Sauvin, ce samedi  et ce dimanche.

En vous souhaitant une  belle journée et un excellent week end.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge  sous toutes ses formes