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Saint Augustin : vaine gloire, monde médiéval et modernité

moyen-age_chretien_saint_augustin_philosophie_monde_medievalSujet :  philosophie, raison, citations, théologie, mystique chrétien médiévale, moyen-âge chrétien, Saint Chrétien, gloire, vaine gloire.
Auteur : Saint-Augustin d’Hippone (354-430)
Période :  aube du moyen-âge, fin de l’antiquité
Ouvrage : les confessions,

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“Les paroles de notre bouche, nos actions qui se produisent à la connaissance des hommes, amènent la plus dangereuse tentation, cet amour de la louange, qui recrute, au profit de certaine qualité personnelle, des suffrages mendiés, et trouve encore à me séduire par les reproches mêmes que je me fais. Souvent l’homme tire une vanité nouvelle du mépris même de la vaine gloire; et la vaine gloire rentre en lui par ce mépris dont il se glorifie.”

Saint Augustin (354-430)  – Les confessions, Vaine gloire, poison subtil.

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Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour se situer un peu avant l’aube du moyen-âge, les écrits autant que l’approche théologique et philosophique de Saint-Augustin habiteront longtemps le monde médiéval et l’esprit de ses hommes. Sur certains aspects au moins, l’influence du philosophe et mystique chrétien d’Afrique perdurera même au delà de cette période,  en connaissant encore quelques temps forts au XVIIe siècle et en se frayant même un chemin jusqu’à notre modernité.

deco_medieval_moyen-age_chretienA classer parmi les premiers écrits auto-biographiques célèbres, ses confessions sont bien plus que la simple histoire d’une conversion. Introspectif et vibrant de sincérité, Saint-Augustin y projette son propre itinéraire pour le transcender et toucher l’homme universel. Plus qu’une simple confession, ce livre du grand questionnement : des passions, de la raison, de la foi, entre autres grands thèmes, a traversé le temps. On en trouve, d’ailleurs, tout récemment une traduction en français moderne qui a été largement saluée, la version de Frédéric Boyer, appelée les aveux et datée de 2008.

Aujourd’hui, nous publions simplement un court extrait des confessions du Saint d’Hippone, en forme de citation sur la poursuite de la « vaine gloire », poison  dont il nous souligne bien ici la subtilité puisque, dans ses méandres insidieuses et si l’on y prend garde, ce dernier peut venir se glisser jusque dans son propre rejet et on se glorifie alors, en quelque sorte, de ne pas rechercher la gloire.

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Le portrait de Saint Augustin utilisé dans ce visuel est attribué au peintre italien Caravaggio (autour de 1600)

Pour les mettre en miroir, sur le même propos de Saint-Augustin, que nous livrons ici (traduction de 1864 par M Moreau), Frédéric Boyer traduira de son côté :

« Mais chacun de nos discours et chacune de nos actions publiques représentent un test très dangereux : notre amour-propre, qui nous fait aimer l’admiration des autres, nous pousse à collectionner et à mendier leurs suffrages. »
Saint Augustin, Les Aveux, Frédéric Boyer.

Gloire et désir de vaine gloire chez les auteurs du moyen-âge central

De Saint-Augustin à Thomas d’Aquin, et jusqu’à la fin du moyen-âge, on retrouvera cette notion de vaine gloire montrée du doigt par les auteurs médiévaux chrétiens. Même si l’on admet qu’il peut exister une « vraie gloire », Saint-Augustin lui-même en admet la possibilité, même si on ne retrouve déjà plus tout à fait chez lui, la marque de l’amour de la gloire loué par les auteurs classiques.

Après lui et chez les théologiens chrétiens du moyen-âge central, la gloire sera bordée et on s’en défiera même; au delà de la flagornerie, l’amour ou la recherche de son propre reflet (flatteur) dans le regard de l’autre, quand ce monde n’est qu’un passage vers un autre et qu’il convient si peu de s’y attacher ne peut aller de soi dans une perspective chrétienne. Au delà des différentes nuances qu’on pourra lui prêter, la gloire restera donc définie de manière relativement étroite et sa poursuite, pour elle-même, la vaine gloire, sera quoiqu’il en soit condamnée. Thomas d’Aquin en fera d’ailleurs un vice capital.

deco_medieval_moyen-age_chretienLa « gloire » véritable, est, en général, le résultat de l’exercice de vertus ou d’actions nobles et véritables, autrement dit, la conséquence désintéressée de conduites vertueuses et pas la poursuite d’une fin en soi. Du reste, obtenue ou reconnue sans que l’intéressé l’ait recherché par des valeurs ou des mérites éprouvés par l’action, elle ne saurait être héritée de possessions, de biens matériels ou même encore d’une lignée prestigieuse.

« Mais ès mondaines cours souvent, 
Promesses y volent au vent,
Vaine gloire y est grant maistresse
Et couvoitise y est princesse… »
Jean Froissart, Poésies

Hors des théologiens, pour nombre d’auteurs du XIIIe siècle, s’ils admettent une gloire chevaleresque, fondée sur l’exercice des vertus chrétiennes, la recherche de la gloire sera, presque  par nature vaine et même trompeuse, puisque indissociable de Fortune, qui tourne et change et peut la détruire à tout moment.  Totalement illusoire et présomptueux, le désir de vaine gloire met donc, tout le monde d’accord. Entre autres auteurs (Froissart, Gervais du Bus et son roman de Fauvel, Eustache Deschamps, Guillaume de Machaut, etc… ), Jean de Meung, dont on connait par ailleurs la plume acerbe n’hésitera pas  à s’y attaquer dans le Roman de la Rose. Là encore, l’ombre et le pouvoir de fortune serviront de cadre général et de repoussoir aux désirs ou aux illusions attachés à la vaine gloire.

« Si font devins qui vont par terre
Quant ils preschent pour loz aquerre,
Honneurs, ou graces ou richesses:
Ils ont les cueurs en grans détresses,
Ceulx ne vivent pas loyaulment,
Mais sur tous especiaument,
Ceux qui pour vaine gloire tracent
La mort de leurs ames pourchassent. »
Le roman de la rose – Jean de Meung.

Plus tard, dans le courant du XIVe siècle, les conflits et luttes des pouvoirs politiques, autant que les tensions à l’intérieur de l’église et les luttes d’ambition qui y tiendront place, ne manqueront pas de susciter invariablement le rappel de cette notion et de cet écueil, aidant même encore à repréciser les définitions (1).  Enfin, jusqu’à la fin du moyen-âge et dans les siècles suivants, la recherche de la vaine gloire continuera de rallier le consensus général, elle le fait toujours du reste.

deco_medieval_moyen-age_chretienPour en avoir une vision juste,  concernant les notions de gloire et de désir de gloire (invariablement vain par nature) autant que leur ligne de démarcation, il faut aussi bien se souvenir que, de la définition idéale à la pratique, la position de nombre d’auteurs médiévaux ne peut que demeurer ambiguë puisque, finalement, ils sont souvent, par leur situation personnelle et leur dépendance à des protecteurs ou commanditaires, autant que par leurs écrits, ceux qui glorifient et qui louent, ou même encore ceux qui font les légendes et qui consignent les hauts faits et les mérites de leur temps. En dehors même des « commandes » ou des « louanges au kilomètres », la gloire demeure une valeur sûre et assez « vendeuse » à tout le moins difficilement contournable dans le champ littéraire, et on imagine peu de vrais héros sans elle. A cela il faut encore ajouter que les auteurs eux-même peuvent certainement  nourrir, au moins quelquefois, et même si le statut d’auteur est alors, sans aucune commune mesure, avec ce qu’il deviendra par la suite, certaines ambitions de reconnaissance.

(1) Pour creuser tous ces aspects, je ne peux que vous conseiller l’article suivant sur Persée :  La notion de « vaine gloire » de Simund de Freine à Martin le FrancFrançoise Joukovsky-Micha.

Modernité de Saint-Augustin :
de la vaine gloire à la gloriole.

Q_lettrine_moyen_age_passionuant à la question de savoir si ces quelques lignes de Saint-Augustin peuvent encore nous être de quelque utilité ou même nous servir de guide au sein de notre modernité, à l’ère médiatique et télévisuelle, qui est aussi celle du tous « people », quand les rayons de librairie n’ont jamais autant croulé sous les autobiographies de « machin bidule, vu à la télé » ou pire « ex ou fils de machin bidule, vu à la télé », quand la télé réalité, encore, a fait de « passer à la télé » une fin en soi, quelque qu’en soit le prix, et quand , enfin, sur les réseaux sociaux et dans les mondes virtuels, l’individu ne s’est jamais autant rendu public auprès de presque parfaits inconnus, dans une frénésie qui va du simple besoin de se sentir exister, à une quête de reconnaissance ou de gloriole qui pourrait parfois donner le vertige, il faut bien s’efforcer de répondre que oui. L’écueil que le philosophe d’Hippone pointait du doigt, il y a 1600 ans, est sans doute plus d’actualité que jamais.

Et que l’on ne se méprenne pas, il ne s’agit pas là de morale chrétienne, ni même de morale tout court, pas d’avantage que le propos ne se résume à la mise en exergue d’une humilité, toute chrétienne aussi et bien que cette valeur puisse avoir son intérêt. Au delà même de la profession de foi, il s’agit aussi d’un guide pour l’action et d’un rappel utile sur la vacuité et l’illusion du paraître deco_medieval_moyen-age_chretiencontre la vérité de l’être. Sans aller chercher bien loin, si nous sommes bien souvent séduits par des phrases du type « Faire de sa vie un art » ou « Vivre est un art », l’artiste, comme le mystique, cherche toujours et d’abord sa voie dans l’introspection et dans sa propre vérité intérieure ou si l’on préfère son propre « matériel » ontologique. Ce que les autres en feront, une fois le résultat produit ou rendu public, si tenté qu’il le rende public ce qui n’est pas toujours le cas, ne lui appartient plus et, sauf à prendre le risque de se dévoyer, la recherche de reconnaissance ou de vaine gloire n’est jamais son propos. Dès l’instant où il y cède, en ne créant que pour plaire, il entre en effet dans le clientélisme et dans la séduction. Or, sur le chemin de la connaissance de soi comme de la créativité, pour s’oublier et se perdre soi-même, l’amour des louanges est sans doute un des pires leurres, autant que l’un des le plus communs. Les modes passent, quelques chiens aboient, le véritable artiste est déjà loin, mais peut-être n’est-il d’ailleurs jamais passé par là.

En vous souhaitant une belle journée !
Fred
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Saint-Augustin d’Hippone, naissance d’une philosophie chrétienne à l’aube du moyen-âge

moyen-age_chretien_saint_augustin_philosophie_monde_medievalSujet :  réflexions, philosophie, raison, citations médiévales, Saint chrétien, moyen-âge chrétien, théologie. mystique chrétienne.
Auteur : Saint-Augustin d’Hippone (354-430)
Période :  aube du moyen-âge, fin de l’antiquité
Ouvrages : les confessions, la cité de Dieu, De la trinité.

“Les hommes s’en vont admirer la cime des montagnes, les vagues énormes de la mer, le large cours des fleuves, les côtes de l’océan, les révolutions et les astres, et ils se détournent d’eux-mêmes.”
Saint-Augustin d’Hippone (354-430) – Les confessions

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiahilosophe, théologien, brillant orateur, auteur confirmé  et grand mystique chrétien de la toute fin de l’antiquité, par les réflexions et les nombreux écrits qu’il léguera, Saint-Augustin influencera de manière profonde le moyen-âge chrétien. Au delà du monde médiéval, il restera même, jusqu’à nos jours, un grand auteur de référence de la théologie chrétienne et de son enseignement, même si les conceptions de Saint Thomas d’Aquin viendront à partir du XIIIe siècle quelque peu atténuer l’influence augustinienne. Sans prétendre faire ici l’hagiographie d’Augustin d’Hippone,  l’oeuvre, l’homme autant que son influence ne pouvant être traités  dans le cadre d’un seul article,  il est tout de même important d’en dire quelques premiers mots,

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Eléments de biographie

Une vie de bonheur, n’est-ce pas la chose que tout le monde veut et quepersonne au monde ne refuse? Mais où l’a-t-on connue pour la vouloir tant? Où l’a-t-on vue pour en être si épris?
Saint-Augustin d’Hippone (354-430) – Les confessions

Issu d’une famille de petits propriétaires fonciers romains, Saint Augustin naît en 354, près de la fin de l’Antiquité, dans  la ville de  Souk-Ahras  sur le territoire de l’Algérie actuelle, appelée alors Thagaste. Il  mourra 76 ans plus tard, en 430 à Annaba, l’Hippone d’alors. Durant les années de sa vie et notamment durant son ministère, Rome connaîtra de nombreuses crises sous l’impulsion des incursions medieval_frisure_decoration_ornement_moyen-age_passionbarbares et bien que se tenant en Afrique, Augustin se tiendra toujours proche et  à l’écoute des problématiques de l’Eglise Romaine.

Dans un IVe siècle  qui voit triompher et s’officialiser la religion chrétienne comme religion unique de l’Empire romain, les écoles de pensée philosophiques et  les débats théologiques essaiment, et avec eux, l’interprétation des textes et les grandes questions qu’elle soulève: manichéisme, néo-platonisme, pélagianisme, donatisme, arianisme. Au fil de sa vie,  la pensée de Saint-Augustin se définira par ses propres expériences personnelles et par les écoles philosophiques l’ayant influencées, autant que par les détracteurs de l’Eglise catholique ou les différents schismes auxquels sa charge d’évêque le conduira à faire face. Ces tensions dogmatiques et philosophiques lui permettront d’affiner sa propre vision de la conversion, autant que de se prononcer sur la place de l’homme  face au divin et face au monde, dans sa solitude comme dans ses cités.

Portrait de Saint-Augustin d’Hippone attribué à Caravaggio début XVIIe siècle (1600)

Les questionnements de l’homme et du divin

« Cependant, si faible que soit l’esprit humain, vicié par le péché, l’âme humaine, toujours raisonnable et intelligente… parce qu’elle a été faite à l’image de Dieu, peut, à l’aide de la raison et de l’intelligence, comprendre et voir Dieu »
Saint-Augustin d’Hippone (354-430) – De la trinité

A la frontière de la philosophie et de la théologie, on glose alors, durant ces IVe, Ve siècles autour de la relation de l’homme au divin, mais aussi de l’homme au monde et les questions sont multiples.

Elles touchent la philosophie, comme la spiritualité : comment articuler foi et raison?  Quel est la part de Dieu dans l’homme? Peut-il  être saisi par l’esprit? Fait de chair et de matière (impure?) l’homme est-il condamné à contenir le mal en lui ou en être  le foyer, contre la perfection divine de l’univers, comme les manichéens le pensent alors? Peut-il s’élever vers le divin sans renoncer totalement au monde ou se mortifier? Quelle est la place du choix dans le processus et le long chemin qui conduit à  la pureté? En tant que créature de Dieu, ne la contient-il pas?   Son libre arbitre seul peut-il suffire à le faire adhérer au bien et à l’affranchir du  mal? Et finalement, à travers tout cela, on s’interroge sur la manière dont l’homme peut s’inscrire dans le dessein divin et y prendre sa place.

Saint-Augustin d'Hippone, vu par Sandro Boticelli (1445-1510)
Saint-Augustin d’Hippone, vu par Sandro Boticelli (1445-1510)

Tout au long de son ministère et à toutes les questions posées par la philosophie mais aussi par des théologiens menaçant l’église de leurs interprétations et donnant lieu aux premières hérésies, Saint-Augustin apportera la contradiction  et, avec elle, la vision d’une conversion et d’une élévation faite d’une mélange entre psychologie, raison et œuvre divine, Sans démystifier l’importance des desseins et de la grâce divine à l’œuvre dans la conversion et tout en leur laissant leur part d’insaisissable et de mystère, il brossera le portrait d’une alchimie divine qui opérera le bien à travers l’homme, pour peu que ce dernier l’appel de ses vœux et soit persévérant.  Se faisant, ce grand penseur, que l’on a souvent à juste titre désigné comme l’un des premiers philosophes chrétiens, se prononcera sur l’importance de l’homme,  de sa raison et de ses choix au sein du destin divin.

Au delà de tous ces questionnements, Saint-Augustin introduira encore l’idée de Dieu dans la gestion de la cité et la politique et  jettera les bases d’une théocratie qui entendra soumettre le pouvoir medieval_frisure_decoration_ornement_moyen-age_passionpolitique au divin et à ses représentants sur terre, comprenez l’Eglise et les  papes.

“Ne t’en vas pas au dehors, rentre en toi-même; au cœur de la créature habite la vérité”
Saint-Augustin d’Hippone (354-430) –  Du maître.

Relations entre grâce et Salut, questionnement sur la liberté humaine et affirmation de la nécessité de recherches introspectives articulant foi et raison pour retrouver  le chemin qui mène au divin dans une incessante quête de pureté, cité de Dieu contre cité des hommes, et tant d’autres thèmes encore,  ce qui deviendra  après Saint-Augustin l’augustinisme sera longtemps enseigné comme base de la philosophie. Et jusqu’à la redécouverte d’Aristote et les réflexions de Thomas d’Aquin au XIIIe siècle, les écrits  et les pensées de l’évêque d’Hippone influenceront grandement le moyen-âge chrétien et la manière de penser la relation de l’homme au divin.  Plus tard, dans le courant du XVIe siècle, ses pensées auront encore une grande influence sur le luthéranisme et la naissance du protestantisme. A ce jour, il demeure encore par son leg et ses œuvres une source d’inspiration et de réflexion pour les pères de l’église comme pour les philosophes chrétiens ou non d’ailleurs.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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« Nécessité fait gens méprendre »: aux sources d’une citation de François Villon

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet: citation, poésie médiévale, poésie réaliste, maître de poésie, auteur, poète médiéval, citations expliquées, adaptation.
Période: moyen-âge tardif,
Auteur: François Villon (1431-1463)
Titre: Le testament (extrait)


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« Nécessité faict gens mesprendre Et faim saillir le loup des boys. »
François Villon –  maître de poésie médiévale.   Extrait du Testament.


Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoici une « citation » extraite du testament de Villon. Pour la remettre dans son contexte, elle fait suite à un passage où François Villon cite l’anecdote du corsaire Diomedés qu’Alexandre le Grand avait décidé d’interroger avant de le faire condamner. Sommer de répondre de ses crimes face à l’empereur, le pirate répondit, en substance,  que s’il en avait eu les moyens, il aurait été lui-même empereur. Au fond, tout n’était peut-être qu’une question d’échelle.  Devant sa répartie, non seulement Alexandre le Grand gracia le corsaire mais décida encore de faire sa fortune.  Dans sa poésie, Villon fera ajouter au corsaire que son infortune et sa misère seules expliquaient ou justifiaient ses actes :

« Et saichiez qu’en grant poverté,
Ce mot se dit communement,
Ne gist pas grande loyaulté. « 

L’Histoire de  l’anecdote sur Alexandre le Grand et le pirate Diomedés

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L’histoire d’Alexandre le Grand et du corsaire à la source d’inspiration de François Villon, Manuscrit “Schachzabelbuch”, Konrad von Ammenhausen, Stuttgart, 1467

Cette anecdote, connue surtout par Saint-Augustin qui la mentionne dans la Cité de Dieu pour illustrer le fait que les empires sans justice ne sont que des entreprises de brigandage, est tirée originellement de la République de Cicéron :

« Alexandre demandait à un pirate par quel attentat il osait infester la mer avec un misérable brigantin. Par le même droit, dit-il, qui vous fait ravager le monde »    Cicéron – La république – Livre III.

Voici l’extrait de Saint-Augustin :

« Que sont les empires sans la justice, sinon de grandes bandes de brigands ? De même, une bande de brigands est-elle autre chose qu’un petit empire, puisqu’elle forme une espèce de société gouvernée par un chef, liée par un contrat, et où le partage du butin se fait suivant citation_poesie_medievale_francois_villon_saint_augustin_alexandre_le_grand_ciceron_moyen-age_tardifcertaines règles convenues? Que cette troupe malfaisante vienne à augmenter en se recrutant d’hommes perdus, qu’elle s’empare de places pour y fixer sa domination, qu’elle prenne des villes, qu’elle subjugue des peuples, la voilà qui reçoit le nom de royaume, non parce qu’elle a dépouillé sa cupidité, mais parce qu’elle a su accroître son impunité. C’est ce qu’un pirate, tombé au pouvoir d’Alexandre le Grand, sut fort bien lui dire avec beaucoup de raison et d’esprit. Le roi lui ayant demandé pourquoi il troublait ainsi la mer, il lui repartit fièrement « Du même droit que tu troubles la terre. Mais comme je n’ai qu’un petit navire, on m’appelle pirate, et parce que tu as une grande flotte, on t’appelle conquérant ».
Saint Augustin – La cité de Dieu

poesie_medievale_epitaphe_villon_ballade_pendu_erik_satie_lecture_audioUtilisant l’anecdote dans le testament pour plaider en faveur de ses propres déboires et de ses inconduites, voilà ce que Villon conclut :

« Se Dieu m’eust donné rencontrer
Ung autre pitieux Alixandre
Qui m’eust fait en bon coeur entrer,
Et lors qui m’eust veu condescendre
A mal, estre ars et mis en cendre
Jugié me feusse de ma voys.
Necessité fait gens mesprendre
Et fain saillir le loup du boys. »
Francois Villon – Le testament

Ce qui très librement adapté en français moderne donne :

Si Dieu m’eut donné de rencontrer
Un être aussi compréhensif que le fut Alexandre
Qui m’eut  permis de vivre en honnête homme
Et que l’on m’eut alors surpris à m’abaisser à faire le mal
Je me serai jugé moi-même
Bon à être brûlé et mis en cendres
Nécessité fait gens mesprendre
Et faim saillir le loup du bois.


L’extrait complet de la poésie
dans la langue de maître  François Villon 

Après l’explication et la synthèse et pour varier un peu, voilà l’extrait complet de Villon dont est tirée cette citation :

Au temps qu’Alixandre regna,
Ungs homs nommé Dïomedés
Devant lui on lui admena,
Engrillonnné pousses et detz
Comme larron, car il fut des
Escumeurs que voyons courir;
S y fut mis devant ce cadés
Pour estre jugiez a mourir.

L’empereur si l’araisonna:
 » Pourquoy es tu laron en mer? »
L’autre responce lui donna:
 » Pourquoy laron me faiz clamer?
Pour ce qu’on me voit escumer
En une petïote fuste?
Se comme toy me peusse armer,
Comme toy empereur je feusse.

Mais que veulx tu! de ma fortune,
Contre qui ne puis bonnement,
Qui si faulcement me fortune,
Me vient tout ce gouvernement.
Excusez moy aucunement
Et saichiez qu’en grant poverté,
Ce mot se dit communement,
Ne gist pas grande loyaulté. « 

Quant l’empereur ot remiré
De Dïomedés tout le dit:
 » Ta fortune je te mueray
Mauvaise en bonne « , ce lui dist.
Si fist il; onc puis ne mesdit
A personne, mais fut vray homme;
Valere pour vray le bauldit
Qui fut nommé le Grant a Romme

Se Dieu m’eust donné rencontrer
Ung autre pitieux Alixandre
Qui m’eust fait en bon eur entrer,
Et lors qui m’eust veu condescendre
A mal, estre ars et mis en cendre
Jugié me feusse de ma voys.
Necessité fait gens mesprendre
Et fain saillir le loup du boys.

Voir tous les autres articles sur la poésie de François Villon.

Une belle journée à tous!
Fred
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La passion selon Saint-Augustin d’Hippone

“Celui qui se perd dans sa passion perd moins que celui qui perd sa passion.”
Citation de Saint Augustin ou Augustin d’Hippone (354-430),
Philosophe, théologien, brillant orateur et grand mystique chrétien aux portes du haut moyen-âge et à la fin de l’Antiquité.