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L’Exemple XXIII du comte Lucanor : de ce que font les fourmis pour vivre

Sujet : auteur médiéval, conte moral, Espagne médiévale, littérature médiévale, valeurs chevaleresques, Europe médiévale, oisiveté, code de conduite, mentalités médiévales
Période  : Moyen Âge central ( XIVe siècle)
Auteur  :   Don Juan Manuel (1282-1348)
Ouvrage : Le comte Lucanor traduit par  Adolphe-Louis de Puibusque (1854)

Bonjour à tous,

ans l’Espagne des XIIIe et XIVe siècles, Don Juan Manuel est une figure marquante, au destin digne d’un personnage du Trône de Fer. D’abord, il est de sang royal par son père, Manuel de Castilla, frère d’ Alphonse X le sage et dernier des fils de Fernando III de Castille. Ensuite, Don Juan Manuel est un stratège, doublé d’un grand combattant, Sa carrière est constellée de hauts faits et on le vit guerroyer dès son plus jeune âge.

Du point de vue nobiliaire, ses titres sont tout aussi impressionnants : Duc et Prince de Villena, Seigneur d’Escalona , de Peñafiel , de Cartagena et de plus de 7 autres localités. Il a également servi comme majordome sous Ferdinand IV et sous Alphonse XI dont il fut même le tuteur. Plus tard, des complots s’ourdiront entre ce dernier devenu jeune souverain et Don Juan Manuel. Les tensions entre les deux hommes dureront pendant de longues décennies. On y trouvera tous les ingrédients d’un roman d’aventure : princesse captive (sa propre fille), pièges et tentatives d’assassinat, mensonges, trahisons, conseillers perfides,… A ce sujet, nous vous invitons à consulter notre biographie détaillée de Don Juan Manuel.

Un auteur et un lettré

Don Juan Manuel n’est pas seulement un grand seigneur de guerre et il n’est pas de la même branche familiale qu’Alphonse X le savant pour rien. Lettré et cultivé, il sut démontrer ses talents de plume à de nombreuses occasions : livre de chasse, livre du chevalier et de l’écuyer, livres des états, … D’entre tous ses écrits, celui qui a résisté le mieux à la postérité auprès du public est aussi le plus accessible. Il s’agit de l’ouvrage : Le comte Lucanor.

Le principe en est simple : seigneur et noble lui-même, le comte Lucanor, sorte de double littéraire de Don Juan Manuel, se pose des questions à tout propos : gouvernance, morale, stratégie, alliance, amitié, conduite de vie, etc… Pour l’éclairer, il peut compter, à chaque fois, sur son proche conseiller Patronio qu’il ne manque jamais de questionner. Sollicité par le noble, ce dernier use de métaphores, de paraboles et d’exemples pour guider, du mieux qu’il le peut, son seigneur ; ce dernier finit toujours par se ranger aux arguments du sage Patronio et cela donne lieu à une morale en vers à la fin de chaque conte.

De nos jours, cet ouvrage médiéval est encore lu et diffusé en Espagne et dans les pays de langue espagnole et ce, à l’attention de tout public. De notre côté, sur moyenagepassion, nous œuvrons modestement à mieux le faire connaître aux passionnés de littérature médiévale francophones en publiant, de temps à autre, quelques-uns de ces contes moraux. L’exercice permet de mieux appréhender les mentalités de l’Espagne médiévale autant que de faire certains liens entre les différentes cultures de l’Europe du Moyen Âge. Pour la traduction française, pour une fois elle n’est pas de notre fait. Nous nous appuyons sur les travaux d’un homme de lettres du XIXe siècle, auteur et spécialiste de littérature espagnole  Adolphe-Louis de Puibusque. Il existe des traductions plus récentes du Comte Lucanor mais nous nous servons aussi des sources anciennes et plus récentes en Espagnol pour comparer la version française de Puibusque (datée de 1854). Pour l’instant, nous nous en contentons.

Sources manuscrites et conte du jour

Le comte Lucanor, manuscrit médiéval du XVe siècle, Bibliothèque d'Espagne.

Aujourd’hui, le conte que nous vous proposons est l’Exemple XXIII du comte Lucanor. Il nous entraînera dans une parabole et une leçon sur les dangers de rester oisifs, en dilapidant ses avoirs. Comme il y sera question de fourmis industrieuses, ce texte ne manquera pas de rappeler à certains d’entre vous les fables de Jean de La Fontaine, ou plus près du Moyen Âge celles de Marie de France. Au début du XIIIe siècle et, près de cent ans avant Don Juan Manuel, cette dernière rendait déjà hommage, en effet, avec son Grillon et sa fourmi (D’un Gresillon e d’un Fromi) à la sauterelle et la fourmi du vieil Esope.

« El Conde Lucanor » est connu à travers diverses sources manuscrites anciennes. Cinq en tout. Sur l’image ci-contre, vous pourrez retrouver le feuillet correspondant à l’Exemple du jour dans le manuscrit Mss. 4236 de la Bibliothèque Nationale d’Espagne. Ce manuscrit médiéval, daté de la fin du XVe siècle, est consultable sur le site de la Bibliothèque virtuelle Miguel Cervantes. Sur le feuillet, on peut voir apparaître la fin du conte XXII que nous avions déjà étudié, par ailleurs, et sa morale (voir Amitié contre mauvais conseillers, l’exemple XXII du Comte Lucanor). Au passage, c’est le même feuillet que nous avons utilisée sur l’image en-tête d’article, en arrière plan de la fourmi.

Exemple XXIII, « de ce que font les fourmis… »
du Comte Lucanor de Don Juan Manuel

Le comte Lucanor s’entretenait un jour avec son conseiller : « Patronio, lui dit-il, grâce à Dieu je suis passablement riche : aussi, de plusieurs côtés, on m’invite à me donner du temps : « Puisque vous le pouvez, me répète-t-on sans cesse, ne pensez qu’à mener joyeuse vie, buvez, mangez, dormez, amusez-vous tout à votre aise ; qu’avez-vous à craindre ? N’êtes-vous pas toujours sûr de laisser à vos enfants un bel héritage ? » En vérité, cela me sourit beaucoup ; avant, toutefois, de suivre le conseil qu’on me donne, je veux avoir votre avis.

— Seigneur comte, répondit Patronio, c’est une douce chose très certainement que l’oisiveté et le plaisir, mais souffrez que je vous fasse connaître toutes les peines que prend la fourmi pour assurer sa subsistance et vous saurez ensuite ce que vous devez faire.
— Volontiers, dit le comte et Patronio poursuivit ainsi :
— Quand on considère combien la fourmi est chétive, on ne se douterait pas qu’il pût loger une grande prévoyance dans une si petite tête, et pourtant voyez : dès que le temps de la moisson arrive, cette ménagère diligente se rend aux aires, en rapporte autant de grains qu’elle peut en traîner et les emmagasine. Ce n’est pas tout : la première fois qu’il pleut, le blé est mis dehors ; on dit que c’est pour qu’il sèche, mais c’est là une erreur que repousse le bon sens : s’il fallait exposer ainsi le froment chaque fois qu’il est mouillé, le pauvre insecte aurait une rude besogne, et d’ailleurs où pourrait-il le faire sécher ? Le soleil luit rarement pendant l’hiver. Un autre motif explique la conduite de la fourmi : après avoir déposé dans ses greniers tout le blé qu’elle a ramassé et avoir grossi ses approvisionnements autant qu’il lui est possible, elle profite de la première pluie pour sortir une partie de son blé, parce que s’il germait dans l’intérieur de la fourmilière, il se gâterait, et pourrait même l’étouffer au lieu de la nourrir ; les grains mis dehors ne sont pas perdus, la fourmi mange ceux qui sont sains, et attend, pour faire usage des autres, qu’ils aient cessé de germer, car cette fermentation n’a qu’un temps limité, et il n’y a plus rien à craindre ensuite.

La fourmi pousse la prévoyance encore plus loin ; lors même qu’elle a des provisions suffisantes, elle ne manque pas, chaque fois qu’il fait beau, de charrier tout ce qu’elle rencontre, soit de peur de n’avoir pas assez, soit pour ne pas rester oisive ou pour ne rien perdre des dons du bon Dieu. Et vous seigneur comte Lucanor, que cet exemple vous instruise ! Quoi ! Une si frêle créature que la fourmi montre tant de prudence, tant d’activité, tant d’économie, uniquement pour pourvoir à ses propres besoins, et un seigneur tel que vous, maître d’un grand Etat et chargé de gouverner tant de monde, ne songerait qu’à manger son bien ! Je dis manger, et c’est le mot, car, soyez-en convaincu, on a beau être riche, un trésor ne dure guère lorsqu’on dépense chaque jour sans amasser jamais. Et d’ailleurs ne serait-il pas honteux de vivre dans la dissipation et dans la fainéantise ! Pour moi, je n’ai qu’un conseil à vous donner et le voici : prenez du repos et amusez-vous, si tel est votre bon plaisir, vous en avez le droit et le pouvoir, mais que ce ne soit aux dépens, ni de votre honneur, ni de votre état, ni de votre bien. Quelques que soient vos richesses, vous n’en aurez jamais trop si vous saisissez toutes les occasions qui pourront s’offrir d’ajouter à l’éclat de votre renommée et au bonheur de vos vassaux. »

Le comte Lucanor goûta beaucoup le conseil. Il le suivit et s’en trouva bien. Don Juan, estimant aussi que l’exemple était bon à retenir, le fit écrire dans ce livre et composa deux vers qui disent ceci :

« Ne dissipe jamais ce que le ciel te donne,
Vis, quel que soit ton bien, en honnête personne. »


A propos de la morale et de sa traduction

Comme nous l’avons vu à l’occasion de nos articles précédents, concernant la traduction du XIXe siècle, son auteur prend, parfois, quelques libertés, en particulier sur les morales versifiées qui interviennent toujours à la fin des contes de Don Juan Manuel. On ne peut guère lui en vouloir. Il n’en contredit pas nécessairement l’esprit, mais il prend souvent plus de libertés d’adaptation à ce niveau là que pour le reste de ses traductions, assez fidèles par ailleurs. Pour cet exemple XXIII, en allant chercher dans les versions originales du Comte Lucanor, dans l’espagnol ancien de son auteur, on trouve la morale suivante :

« Non comas sienpre lo que as ganado;
bive tal vida que mueras onrado. »


Autrement dit :
Ne mange jamais tout de que tu as gagné
Vis de telle façon, que tu meures honoré »

Les versions espagnoles récentes nous donnent cette traduction, également, assez proche de l’original :

No comas siempre de lo ganado
Pues en penuria no moriras honrado.

Ne mange jamais tout ce que tu as gagné
Sans quoi dans la difficulté, tu ne mourras pas honoré
.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

le comte lucanor et La parabole deS DEUX aveugleS

Sujet  : auteur médiéval, conte moral, Espagne Médiévale, littérature médiévale, sagesse, parabole des aveugles.
Période  : Moyen Âge central ( XIVe siècle)
Auteur  :   Don Juan Manuel  (1282-1348)
Titre : Exemple XXXIV de ce qu’il advint à un aveugle…
Ouvrage  :  Le comte Lucanor, traduit par Adolphe-Louis de Puibusque (1854)

Bonjour à tous,

ous partons, aujourd’hui, en direction de l’Espagne médiévale, celle de Don Juan Manuel, seigneur et chevalier des XIIIe et XIVe siècles. Et nous suivrons encore ses pas à la rencontre de son Comte Lucanor, accompagné comme il se doit de son célèbre serviteur, le sage Patronio. Un peu plus de deux siècles avant Cervantès et son Don Quichotte, ce petit ouvrage de contes moraux variés a marqué de son empreinte la littérature médiévale ibérique, et l’explorer est toujours un plaisir.

Cette fois-ci, le petit conte moral du Duc et Prince de Villena que nous avons choisi de vos présenter plaide en faveur de la prudence. Il prend un peu la forme d’un conseil en stratégie militaire et politique comme c’est souvent le cas dans l’ouvrage, mais on peut, sans problème, en élargir le champ. La morale en est simple : un aveugle n’est jamais le mieux indiqué pour en mener un autre. Et, s’il vous convie à le suivre sur un chemin hasardeux et périlleux, fût-t-il un ami de cœur ou de bonne volonté, la sagesse commanderait la défiance. Patronio ne manquera pas de nous le rappeler et on ne pourra évidemment s’empêcher de voir, dans ce conte médiéval, une référence biblique aux Evangiles.

Luc 6:39. Il leur dit aussi cette parabole : Un aveugle peut-il conduire un aveugle? Ne tomberont-ils pas tous deux dans une fosse ?

Deux siècles plus tard et autour de 1568, cette antique parabole des aveugles inspirera, à son tour, une grande toile à Pieter Brueghel l’ancien. Nous n’avons su résister à la tentation de vous en mettre une reproduction en tête d’article. Pour le reste, et sur ses aveugles qui prétendent en guider d’autres, toute ressemblance avec des personnages de l’actualité ou toute allusion au contexte politique actuel ne serait pas nécessairement fortuite.


Le comte Lucanor – Exemple XXXIV

De ce qui advint a un aveugle qui se laissa guider par un autre aveugle

Le comte Lucanor s’entretenait un jour avec son conseiller : « Patronio, lui dit-il, un de mes parents et amis, dans lequel j’ai une grande confiance, parce que je suis certain qu’il a pour moi un attachement véritable, m’engage à faire une expédition que je redoute beaucoup, et il m’assure qu’il n’y a rien à craindre, attendu qu’il périrait avant qu’il pût m’arriver le moindre mal. Dites-moi, je vous prie, ce qu’il faut que je décide.« 

—  Seigneur comte Lucanor, répondit Patronio, je vous conseillerais plus facilement si vous saviez ce qui advint à un aveugle avec un autre aveugle.


—  Et qu’est-ce que c’est ? demanda le comte.


—  Seigneur comte Lucanor, reprit Patronio, un homme qui demeurait dans un village perdit peu à peu la vue et devint tout à fait aveugle ; cet homme était pauvre. Un autre aveugle qui habitait le même endroit, vint le trouver et lui proposa d’aller de compagnie dans un village voisin, où ils demanderaient l’aumône pour l’amour de Dieu, et où ils auraient de quoi vivre à leur aise. Celui-ci répondit que sur la route qu’ils avaient à parcourir il y avait de très mauvais pas, et que celui lui faisait grand peur. Sur quoi l’aveugle répliqua qu’il ne fallait pas qu’il eût la moindre crainte, parce qu’il serait avec lui et le guiderait sûrement. Il lui donna tant de belles paroles et lui monta si bien la tête que le départ fut résolu et que tous deux se mirent en route. Or, quand ils furent arrivés aux passages difficiles et aux fondrières, l’aveugle qui marchait le premier tomba dans un abîme et entraina avec lui l’aveugle qui avait hésité à le suivre.
Et vous, seigneur comte Lucanor, si vous avez des raisons de croire qu’il y a des chances périlleuses dans ce qu’on vous propose, ne vous aventurez pas sur la route du danger, par cela seul que votre parent ou ami vous assure qu’il perdra la vie avant que vous ayez le moindre mal ; car sa mort ne vous dédommagerait guère, si vous deviez recevoir quelque mauvais coup ou mourir aussi. »

Le comte approuva les conseil ; il le suivit et s’en trouva bien. Don Juan Manuel, estimant que l’exemple était utile à retenir, le fit écrire dans ce livre avec deux vers qui disent ceci :

« Sur la foi d’un ami qui s’expose à périr,
Ne cours pas au danger lorsque tu peux le fuir »


Sur la morale de ce conte et sa traduction

Si nous suivons fidèlement les pas de Adolphe Louis de Puibusque pour la retranscription de cet « Exemple » du comte Lucanor, nous nous permettrons, une nouvelle fois, de chercher quelques alternatives à la traduction très libre que l’auteur du XIXe siècle fait de sa morale. Avant d’avancer dans cette direction, empressons nous de dire que les tournures de AL Puibusque ne manquent pas d’humour et font aussi pleinement le charme de son ouvrage. Il s’agit donc plus d’un jeu, un exercice de style, que d’un élan critique. Ainsi, pour l’exemple du jour et dans l’ouvrage original, l’espagnol ancien nous donne :

« Nunca te metas o puedas aver mal andança
Aunque tu amigo te faga segurança »

Dans certaines versions plus récentes, en Espagnol moderne, du même ouvrage, on trouve cette morale ainsi traduite :

« Nunca te metas donde corras peligro
Aunque te asista un verdadero amigo »

Mal andança, mauvais pas, mauvaise marche, danger, péril : à quelques siècles d’intervalles, les deux versions espagnoles sont assez proches avec, en plus, dans la version moderne, l’idée d’un ami « véritable », sans doute là pour allonger un peu les pieds au risque de les faire déborder. Dans l’esprit de coller à la lettre, voici deux propositions en français moderne qui pourraient convenir. La première est sans doute une plus médiévale que l’autre par ses références.

« Ne t’aventure jamais sur la voie du danger
Même si un ami s’offre en bouclier. »

ou

« Ecarte-toi des lieux où tu risques le pire,
Quand bien même un ami offre de t’y conduire. »

Une belle journée à tous.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge  sous toutes ses formes.

Exemple XXXVIII : une critique de l’avidité dans le Comte Lucanor de Don Juan Manuel

armoirie_castille_europe_medievale_espagne_moyen-ageSujet  : auteur médiéval, conte moral, Espagne Médiévale, littérature médiévale, réalité nobiliaire, vassalisme, monde féodal, Europe médiévale.
Période  : Moyen Âge central ( XIVe siècle)
Auteur  :   Don Juan Manuel  (1282-1348)
Ouvrage  :  Le comte Lucanor, traduit par Adolphe-Louis de Puibusque (1854)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous restons ici, aujourd’hui, dans le cadre de l’Europe médiévale et plus particulièrement de l’Espagne du XIVe siècle. Nous y serons en bonne compagnie puisque c’est un grand seigneur du Moyen Âge central qui nous gratifiera de sa plume : Don Juan Manuel de Castille et de Léon, duc et prince de Villena, duc de Penafiel et d’Escalona, seigneur de Cartagena, et bien d’autres titres encore sur lesquels nous passerons.

deco_medieval_espagne_moyen-age Petit-fils du souverain Ferdinand III de Castille (1199-1252), il fût aussi neveu de Alphonse X le savant. Le goût de ce dernier pour les arts et les lettres a d’ailleurs été commun à une partie de cette lignée de hauts nobles castillans et Don Juan Manuel en a hérité. Il nous a, en effet, légué un certain nombre d’écrits : le comte Lucanor étant demeuré un des plus célèbres. Bien avant Servantes et son Don Quijote, cet ouvrage de Don Juan Manuel a été souvent mis en avant comme fondamental, pour la littérature médiévale espagnole, sinon fondateur.

Dans ces contes philosophiques et moraux assez courts et d’inspiration diverses, l’auteur met en scène un noble, le comte  Lucanor et son sage conseiller du nom de  Patronio. Leurs échanges fournissent  l’occasion de diverses leçons morales à propos de la vie politique, les stratégies de pouvoir, mais aussi, plus simplement, la conduite de vie de tout un chacun.

Valeurs  médiévales : ou quand Don Juan faisait rimer avidité avec stupidité

« L’exemple » (autrement dit, le conte) que nous vous présentons aujourd’hui a pour thème l’avidité : une  avidité telle que celui qui en sera frappé courra à sa perte, et n’écoutera même pas les conseils d’un roi pour sauver sa peau.

don-juan-manuel-le-comte-lucanor-citation-moyen-age-monde-medieval-XIVe-siecleL’Europe du Moyen Âge : garde-fous moraux contre prédation sans bornes

Charité contre convoitise, éloge de la mesure et du détachement contre obsession de l’or, sens du partage et  bonnes œuvres contre avarice, le moins qu’on puisse dire est que,  dans ses valeurs, l’Europe du Moyen Âge n’a pas plébiscité le capitalisme sauvage, pas plus que le néo-libéralisme effréné. Elle s’en est même tenue aux antipodes… Certes, à partir des XIIe et XIIIe siècles, avec ses grandes foires, ses routes commerciales, ses nouveaux centres urbains, elle se développe et croît, de manière « capitalistique » et, s’ils ne font pas l’unanimité, les banquiers lombards et autres usuriers participent déjà activement de ses développements. deco_medieval_espagne_moyen-agePourtant, dans la ligne du Nouveau Testament et des évangiles, cette Europe médiévale chrétienne ne cesse de se défier de « mammon »  et elle met constamment, au centre de ses valeurs, des garde-fous moraux contre les abus de l’avidité aveugle et sauvage : taux d’usure prohibitifs, appétit féroce de biens matériels, poursuite frénétique et à tout crin de  l’accumulation de richesses et de gains… La conscience de l’homme médiéval et son salut résident dans sa façon d’être au monde et en relation avec ses semblables, plus que dans le compte de ses avoirs.  On ne cesse, d’ailleurs de rappeler que la roue tourne et d’opposer, à  l’illusion d’une quelconque pérennité des possessions, l’impermanence  de l’homme et la réalité de sa finitude.

Ses valeurs sont promues par une Église, mais aussi des ordres monastiques, dont on sait qu’ils ne parviendront pas toujours  à échapper à la logique de l’enrichissement : l’émergence de certaines hérésies, comme la naissance des ordres mendiants, viendront leur rappeler leurs devoirs. Certains auteurs aussi, à travers satires et fabliaux ne s’en priveront pas (voir, par exemple, la bible de Guiot de Provins).  Dans le concert des valeurs contre l’avidité, Rome n’est pas la seule à faire entendre sa voix ; hors de l’institution cléricale, ces appels à la moral sont aussi relayés par une certaine forme de sagesse populaire, mais aussi par des classes sociales plus élevées d’auteurs médiévaux qui, en bons chrétiens, ont, eux aussi,  totalement intériorisés ces valeurs morales et se les sont appropriés. C’est le cas  de Don Juan manuel dans le conte du jour mais on pourrait donner des légions d’autres exemples pris dans le monde médiéval occidental.  En voici deux :

Si ne fait pas richesce riche
Celi qui en trésor la fiche :
Car sofîsance solement
Fait homme vivre richement

Citation – Le Nom de la Rose (XIIIe s) – voir extrait ici sur l’avidité

Le temps vient de purgacion
A pluseurs qui sont trop replect
De mauvaise replection,
Pour les grans excès qu’ilz ont fet.
C’est ce qui nature deffet
De trop et ce qu’en ne doit prandre ;
Pour ce les fault purgier de fect :
Qui trop prant, mourir fault ou rendre.

Citation – Eustache Deschamps (XIVe s) – Voir  la ballade entière

Sur les pas de Adolphe-Louis de Puibusque

Pour revenir à ce conte de Don Juan Manuel, nous continuons d’y suivre,  à la lettre,  les travaux de Adolphe-Louis de Puibusque datés de 1854 et sa traduction du comte de Lucanor depuis le castillan ancien. « Traduttore, traditore« , il y prend, il est vrai , certaines libertés mais, dans l’ensemble, il colle relativement aux textes.  Comme vous le verrez, pour la morale, il a choisi de traduire l’Espagnol ancien  de manière assez libre  :

« Quien por grand cobdiçia de aver se aventura,
sera maravilla que el bien muchol’ dura. »

Dans l’illustration ci-dessus, nous vous en proposons une version différente qui nous semble peut-être plus proche de l’originale :

« Qui, par avidité, sa vie jette en pâture,
Qu’il ne s’étonne pas si son trésor ne dure. »


Le Conte Lucanor – Exemple XXXVIII

De ce qu’il advint a un homme qui était chargé de choses précieuses, et qui avait une rivière à passer.

Le comte Lucanor s’entretenait un jour avec son conseiller :

— Patronio, lui dit-il, j’ai grande envie d’aller en un certain pays où l’on doit me compter une forte somme, et où j’ai en vue quelques bonnes affaires ; mais je crains, si je fais ce voyage, de m’exposer à des graves dangers, car les amis que j’ai là sont des amis très douteux : conseillez-moi donc, je vous prie.

— Seigneur comte Lucanor, répondit Patronio, permettez-moi de vous raconter ce qu’il advint à un homme qui portait une chose d’un grand prix suspendue à son col, et qui avait une rivière à passer.

—  Volontiers, dit le comte, et Patronio poursuivit ainsi :

—  Un homme courbé sous le poids d’une charge précieuse arrive au bord d’un rivière pleine de vase. Voyant qu’il n’y avait ni pont, ni bac, ni bateau pour passer d’un côté à l’autre, il ôta ses chaussures et entra dans l’eau ; mais plus il avançait , plus il s’embourbait ; le limon était si épais vers le milieu de la rivière, que lorsqu’il y parvint, il s’enfonça jusqu’au menton. Le roi et un autre homme qui se trouvaient par hasard sur la rive opposée lui crièrent que s’il ne jetait pas sa charge, il allait infailliblement se noyer. Cet insensé ne les écouta point : au lieu de réfléchir que le courant était aussi rapide que le fond était fangeux, et que s’il était emporté ou submergé, il perdrait sa charge et sa vie, il ne put se résoudre à faire le sacrifice qu’on lui conseillait ; victime de sa sotte avarice, il tomba bientôt, ne put se relever et périt.

—  Et vous, seigneur comte Lucanor, ne vous laissez pas séduire par cette grosse somme qu’on doit vous compter et par tous ces beaux projets dont votre imagination se berce. Assurément, je ne vois rien là qui soit à dédaigner ; mais quand il y  a des risques, on ne doit s’y exposer qu’à bon escient et pour les choses seules où l’honneur est intéressé. Dans ce dernier cas, il serait honteux de s’arrêter devant le péril ; dans l’autre, au contraire, il ne serait ni honorable, ni raisonnable d’aller le chercher. Tenez pour certain que l’homme qui est toujours prêt à jouer son existence dès que, par aventure, sa convoitise est excitée,  n’a pas à cœur de bien faire et d’être utile aux autres : celui qui s’estime veut être estimé et agit en conséquence. Il sent que sa vie a un prix réel et se garderait bien de la compromettre pour un vain lucre ; il la conserve avec soin pour les occasions où il peut se distinguer, et alors plus elle a de valeur à ses yeux, plus il la risque avec empressement.

Le comte goûta beaucoup le conseil de Patronio ; il le suivit et s’en trouva bien. Don Juan estimant aussi que l’exemple était utile à retenir, le fit écrire dans ce livre avec deux vers qui disent ceci :

Risque tout pour l’honneur pour l’or ne risque rien :
Qui veut trop amasser finit rarement bien.


« Barbarie » médiévale vs sauvagerie moderne

Encore une fois, au Moyen Âge, ce conte moral de Don Juan Manuel aurait trouvé bien des échos dans les pays voisins de l’Espagne. Face à ses propres développements urbains, commerciaux, économiques, et pour en contrôler les trop grands débordements, le monde médiéval  européen  n’a cessé de mettre en balance son sens moral chrétien. C’est même, certainement, une des composantes essentielles d’une  Europe des valeurs qui a prévalu durant de longs siècles, au delà même des  temps médiévaux.

deco_medieval_espagne_moyen-ageLoin de tels garde-fous et depuis une période relativement récente, nous ne cessons d’assister à des formes nouvelles de prédations économiques et financières qui finissent même, à bien y regarder, par prendre l’allure d’une guerre sans merci livrée au genre humain (1). Au cœur de ces comportements, une avidité débridée s’est développée qui s’exerce bien en deçà de tout sens moral, et bien loin même du capitalisme raisonné,  « à la papa », comme on a pu le nommer parfois : familial, aux regroupements contrôlés, aux échelles souvent plus nationales que transnationales… Contre le nanti de l’histoire de Don Juan Manuel qui traverse la rivière avec sa charge précieuse, cette avidité n’a même  plus de visage, que celui de corporations  titanesques et leurs intérêts financiers, lobbyistes et spéculatifs. Aucune éthique ici que celle de la sacro-sainte croissance et du profit : pas de coupables, plus de responsables et plus aucun frein non plus. Les États et leurs lois leur sont devenus, au pire, des obstacles à contourner, au mieux des entités à soudoyer et à corrompre ; pour ces nouveaux « idéologues » et leurs nouveaux prédateurs, plus question d’intermédiaires entre eux, leurs appétits de conquête et les consommateurs : pas de morale que les lois mécaniques du marché.

Dans ce contexte, ceux qui parlent encore « d’âges sombres » à propos des temps médiévaux, pourront se poser légitimement la question de savoir si le vrai visage de la barbarie n’est pas plutôt celui de ces formes inquiétantes de prédation moderne. C’est le visage d’un monde sans conscience et livré à lui-même, (qu’on nous présente comme idéal à défaut d’admettre qu’il n’est qu’idéologique) et, de concert avec lui, suit celui d’une Europe qui ne semble avoir pour horizon que le rêve de  s’aligner.   A-t’elle, aujourd’hui,  autre chose à   opposer à ces formes nouvelles de sauvagerie que la complaisance de ses technocrates et l’entrain de ses lobbyistes, dans le silence (ou pire le sommeil) de peuples et de cultures qu’elle ne rêve que de déconstruire ? Pardon de le dire, mais si l’on en doutait encore, cette Europe qui cède sans grande retenue à toutes les logiques de prédations, n’est ni l’Europe historique, ni l’Europe culturelle, et ni l’Europe morale, de sorte qu’à l’évidence, cette construction là n’est sans doute pas du tout l’Europe et n’en mérite même pas le nom.

Une belle journée à tous.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge  sous toutes ses formes.

(1) Si vous en voulez quelques exemples. 1/ Pensez aux effets de la spéculation et à l’opération orchestrée depuis les plus hautes sphères financières    sur la dette de la Grèce et ses conséquences dévastatrices sur l’état économique de ce pays : des millions de chômeurs dans la rue pour une crise sans précédent. 2/Souvenez-vous aussi de la phrase du PDG de Nestlé qui nous expliquait, il y a quelque temps, ne pas considérer que « le droit d’accéder à l’eau potable soit nécessairement un droit humain » alors que  son groupe achète, à compte privé, depuis des années, tous les lacs, sources, rivières, nappes d’eau potables qu’il peut à travers le monde.  3/Ayez, avec nous, une autre pensée  pour le Rana Plaza au Bangladesh : cet immeuble insalubre et précaire s’est écroulé, en 2013, en voyant périr des centaines de travailleurs, dont une grande majorité de femmes, payés une misère et œuvrant dans des conditions déplorables, pour confectionner, à forte marge, des vêtements de prêt-à-porter occidentaux pour des marques connues. 4/Souvenez-vous enfin des opérations de spéculations régulières, orchestrées par les marchés et  leurs cohortes de financiers sur les prix de denrées premières alimentaires comme le maïs, le blé ou le riz. Ces pratiques ont déjà eu pour conséquences directes et silencieuses le décès  de millions d’humains, en particulier dans les pays du Sud (Afrique, Amérique , …)  privés d’accès à ces ressources pour des hausses de prix purement spéculatives. Nous  vous passerons ici, les exemples de pressions   de lobby et de stratégies spéculatives dans le domaine direct de la santé… Ceux qui suivent un peu les   événements  récents  ont déjà pu s’en faire une idée.  

Amitié contre mauvais conseillers : une fable médiévale de Don Juan Manuel

Don-juan-manuel-lucanor-contes-moraux-moyen-age-espagne-medievaleSujet  : auteur médiéval, conte moral, Espagne Médiévale, citation médiévale, monde féodal, Europe médiévale,  devoirs des princes, fable
Période  : Moyen Âge central ( XIVe siècle)
Auteur : Don Juan Manuel (1282-1348)
Titreex XXII, De ce qu’il advint au lion et au taureau
Ouvrage  :   Le comte Lucanor, traduit par  Adolphe-Louis de Puibusque  (1854)


« Ne laisse pas  les dires de  perfides menteurs,
Briser ton amitié avec  gens  de valeur. »

Don Juan Manuel   –  Le comte Lucanor,

« Por dichos y por obras de algunos mentirosos,
no rompas tu amistad con hombres provechosos
(1)«  
 Don Juan Manuel  –  El conde Lucanor

(1) provechosos  : bons, serviables, loyaux


Bonjour à tous,

R_lettrine_moyen_age_passionetournements, alliances, trahisons, au Moyen Âge central, les conseillers perfides et manipulateurs  semblent, souvent, plus redoutés encore que les   princes  dotés d’une mauvaise nature. La dimension divine conférée au pouvoir monarchique a  sans doute contribué, dans certains cas, à   mettre les souverains à l’abri de ce genre de soupçons mais peut-être aussi que la prudence a joué. Aux temps médiévaux,  quand l’injure se double du blasphème, l’exercice de la critique  directe envers les plus grands  peut s’avérer périlleux, d’autant que ce pouvoir personnifié n’hésite pas, au besoin, à punir durement l’outrecuidant jusque dans sa chair (on pourra, à ce sujet, relire utilement quelques pages   du   Surveiller et punir de Michel Foucault   )  .

Quoiqu’il en soit, au Moyen Âge, le mauvais conseiller est invoqué plus qu’à son tour, contre le « mauvais » roi, prince ou même encore  le « mauvais » Pape et si, par mésaventure, ces très grands puissants de l’Europe médiévale se fourvoient dans l’exercice de leur pouvoir politique,  il est à supposer qu’ils sont  mal conseillés ou, même plus perfidement encore,   manipulés.

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 Un conte  politique sur fond  de vécu

Pour revenir à la citation en tête de cet article et à notre auteur du jour, sans doute le grand seigneur et chevalier Don Juan Manuel    ne pouvait-il s’empêcher,  en écrivant ces lignes dans le courant du XIVe siècle, de songer à son propre vécu. Passé de protecteur de la famille royale et même tuteur  du jeune dauphin  Alphonse XI, il finit, en effet, par en devenir l’un des pires ennemis pendant de longues années. Sous la pression de la couronne, les tensions et conflits entre les deux hommes entraînèrent d’ailleurs d’autres mésalliances et trahisons dans l’entourage proche du duc et prince de Villena.

Aujourd’hui, les spécialistes de l’Espagne médiévale hésitent à mettre cette  histoire incroyable faite de pièges, de meurtres et de retournements au compte de la personnalité d’un roi qui aurait été terrible et cruel « par nature ». On trouve même plutôt des thèses qui penchent en faveur de la perfidie de conseillers ayant su tirer partie du jeune âge du roi pour comte-lucanor-europe-medievale-don-juan-manuel-contes-moraux-politiques-moyen-agetirer leur épingle du jeu.

Du côté des sources historiques, on pourra retrouver la fable dont cette citation est extraite dans le comte Lucanor du manuscrit Ms 6376, conservé à la Bibliothèque Nationale d’Espagne. De datation  imprécise (entre 1300 et 1500), cet ouvrage  ancien ne contient que les œuvres  de Juan  Manuel (consulter ici).

Une fable sur l’alliance du lion et  du taureau

Dans l’histoire de Don Juan Manuel, le noble comte Lucanor interroge son conseiller Patronio sur le revirement apparent et soudain de  l’amitié d’un autre puissant à son encontre. Qu’elle pourrait bien en être la cause ? Le sage Patronio lui conte alors l’histoire d’une alliance  que  le  lion et le taureau avaient faite ensemble, asseyant ainsi leur domination sur  les prédateurs comme sur les herbivores. Or, il advint que certains animaux désireux d’échapper à  ce puissant pouvoir fomentèrent un complot pour rompre leur amitié, en les dressant l’un contre l’autre.

« Il  n’y  aura de sûreté  pour nous, se dirent-ils entre eux, que lorsque nous aurons divisé nos deux  oppresseurs  ; il faut que leurs favoris le renard et le mouton mettent tout en oeuvre pour les brouiller. »

taureau-fable-medievale-espagne-moyen-age-conte-morale-politiqueSur l’avis du renard, on décida de faire intervenir l’ours. Le prédateur redoutable, second après le lion, fut chargé d’aller convaincre ce dernier que le taureau ourdissait quelques complots dans son dos. Le cheval, prestigieux herbivore d’entre les herbivores, se chargea, quant à lui, de conter un mensonge semblable au Taureau : qu’il   reste  vigilant, le lion voulait sa peau.

Devant la puissance des délateurs,   les deux amis ne furent pas dupes. Pourtant la graine du doute avait était semée, les poussant, chacun, à consulter leur proche favori  ;  le renard pour le lion, le  mouton pour le taureau. Il ne restait plus qu’à prendre soin de faire éclore et fructifier cette semence empoisonnée : il n’y a pas de fumée sans feu, Sire, si vous ne cessez d’y penser, c’est peut-être vrai. Les deux conseillers perfides manœuvrèrent finement et patiemment, en continuant d’instiller le doute dans l’esprit des deux puissant.  Les animaux en ligue se joignirent aussi à la cohue, tant et si bien qu’à la fin les deux amis finirent par se haïr. Isolés et fragilisés, leur alliance déchue, il fut alors facile pour les autres bêtes, montées en rébellion, de s’en emparer  et de les mettre tous deux à mort. Et Patronio de conclure :

« Et vous, Seigneur comte Lucanor, que cet exemple vous éclaire ! Examinez bien si les gens qui cherchent à rendre votre ami suspect à vos yeux agissent dans le même but que les animaux à l’égard du taureau et deco_medieval_espagne_moyen-agedu lion. Cela vérifié, si vous reconnaissez que votre ami et un homme loyal et que sa conduite  est toujours droite, fiez-vous à lui comme à un bon fils ou à un bon frère. »

En suivant les pas de A  de Puibusque (opus cité), cette  histoire, qui s’apparente, en tout point, à une fable,   trouve quelques-unes de ses inspirations directes dans un ouvrage sanskrit datant du IIIe siècle avant notre être : Le Pantcha Tantra ou les 5 ruses  de  Vishnusharman. Enfin,  pour ce qui est de la morale de cet « exemple XXII » du comte Lucanor, le biographe et auteur français l’adaptera ainsi, très librement  mais de belle manière :

« Repousse les soupçons qui te viennent d’un traître,
Bien plus que l’amitié la haine est prompte à naître. »


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En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
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