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Montségur et la croisade albigeoise : le contexte social et féodal du Languedoc médiéval (2)

croisade_cathare_albigeois_languedoc_inquisition_montsegur_moyen-age_centralSujet :  cathares, catharisme, faydits, languedoc médiéval,  Montségur, siège, Albigeois, croisade. monde  féodal,  monde médiéval,culture, langue  d’Oc, Occitan, faits culturels , faits sociaux
Lieu : Languedoc
Période :  moyen-âge central,  XIIe, XIIIe siècle.

Voir article précédent :
La croisade albigeoise : Montsegur, haut lieu du Catharisme  (1)


« L’enfer est vide. Tous les diables sont ici-bas. »
William Shakespeare  (Hell is empty All the devils are here)


Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous poursuivons aujourd’hui notre article au sujet de la croisade albigeoise et du siège de Montségur. La dernière fois, nous en étions restés à la population qui occupe le château à partir des années 1230, moment où le seigneur des lieux Raymond de Péreille en fait le haut lieu du catharisme sur la demande de l’évêque cathare  Guilhabert de Castres,  ce même religieux qui, avant que la croisade ne soit déclarée en l’an 1207, avait débattu avec deco_cathare_monde_medieval_moyen-age_croisade_albigeois_inquisition_histoire_feodal_languedocl’homme qui allait devenir bientôt Saint-Dominique, sans que ce dernier parvienne à le persuader de reculer sur ses croyances. Au moment où cette demande est faite au Seigneur Raymond de Péreille, une communauté cathare se tient déjà à Montségur depuis plus de vingt ans (1210). Il est probable qu’elle vivait jusque là, hors de son enceinte ou au pied du Pog et il est alors question de pouvoir l’abriter au sein la deuxième ligne de remparts du château, tout autant que de permettre à plus de cathares de s’y abriter.

Comme nous l’avions vu, à partir de la fin officielle de la croisade militaire et des accords de Meaux, la forteresse de Montségur, située à trente kilomètres au sud est de Foix et prise dans les contreforts des Pyrénées, reste alors relativement éloignée des grands foyers de tension. A l’abri de son piton de calcaire de plus de 1200 mètres de haut, elle deviendra un refuge pour un certain nombre de cathares, autant que pour une partie des chevaliers faydits languedociens, menée par .

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Dans l’article précédent, nous avions terminé sur le faidiment et sur ces seigneurs du sud de la France qui, au sortir de l’année 1229, se retrouvaient privés de leurs fiefs et de leurs titres sur ordonnance royale. Une partie d’entre eux en avait même été dépossédée dès les premières opérations  militaires menées par Simon de Montfort, et même s’ils avaient, entre temps, pu reprendre leur château, le pouvoir royal, associé à l’église, les en avait privé à nouveau au sortir de la croisade militaire, achevant de les frustrer et signant aussi clairement sa volonté de garder la main sur la province du Languedoc. Pierre-Roger de Mirepoix  était dans ce cas, et le seigneur de Montségur, lui offrit donc l’asile et même, plus tard, sa fille en mariage, tout en lui confiant l’organisation militaire de la place forte. Le faidiment n’étant pas une mesure définitive, on pouvait se poser la question de savoir pourquoi les seigneurs du Languedoc ne s’étaient tout simplement pas désolidarisés des cathares, avant ou même pendant la croisade, acceptant de marcher contre eux. Au fond, la grand majorité de ces nobles était restée chrétienne et ne s’était pas convertie. Pourquoi ne s’étaient-ils pas ralliés au vue de Rome?

Plusieurs raisons peuvent l’expliquer mais avant d’aborder ces questions qui touchent à la classe des nobles languedociens, nous allons, dans cette article, faire un  détour pour tenter d’approcher le contexte politique et historique du pays d’Oc au moment des faits.

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A gauche le pape Innocent III excommunie des cathares tandis qu’à droite la croisade est lancée avec à sa tête Simon de Montfort. Chronique de Saint Denis, British Library, Manuscrit Royal 16 G VI, (entre 1332 & 1350 )

Catharisme aujourd’hui : du symbole culturel multi-facette au  revival « évangélisateur »

On ne peut s’avancer sur l’étude de l’épisode Cathare et la croisade contre les albigeois sans ignorer que ces sujets cristallisent encore aujourd’hui sur les terres du Languedoc et même au delà, un ensemble de représentations complexes. Plus qu’un triste épisode de l’Histoire politico-religieuse du moyen-âge, le catharisme – où plutôt les courants et les différentes réalités qu’il regroupait – est devenu, en effet, un véritable symbole multiples facettes.

Après qu’il ait été instrumentalisé par l’église et le pouvoir royal pour prendre possession des terres du Languedoc au niveau politique, économique, autant qu’en assurer la domination confessionnelle, le catharisme s’est retrouvé souvent lié, huit cents ans plus tard, à d’autres problématiques « identitaires » régionales qu’il est parfois difficile de démêler: symbole d’une période qui consacra la perte de l’indépendance des terres du Sud contre celles du Nord, d’une lutte pour la liberté de culture et de conscience, d’une certaine forme de résistance et/ou encore du martyre collectif de pratiquants d’une religion  dans laquelle on lit tous les possibles. En bref, cette pratique religieuse médiévale en marge s’est retrouve intriquée dans une problématique culturelle provinciale identitaire dont il est devenu, quelquefois un  symbole élevé au rang d’un véritable mythe.

deco_cathare_monde_medieval_moyen-age_croisade_albigeois_inquisition_histoire_feodal_languedocOn alléguera peut-être, avec Michel Roquebert, (voir article) que ces problématiques sont quelque peu dépassées et que le Languedoc a fait, depuis les écrits des premiers « provincialistes », son deuil de certaines confusions de genre. Il ne fait pas de doute que cela soit le cas chez les historiens régionalistes et il serait outrecuidant de mettre en question leur objectivité simplement parce qu’ils proviennent de leur propre champ d’observation, même si l’on peut concevoir que cette proximité de leur objet d’étude ait pu quelquefois les conduire à prendre certaines positions affectives sur le sujet du catharisme. Pour l’anecdote, je me souviens d’un ami sénégalais, sur les bancs de la faculté d’anthropologie, qui voulait s’en aller étudier des pratiques culturelles et ethniques en Casamance et auquel l’anthropologue Jean Métral avait répondu qu’il ferait mieux de profiter de sa venue en France pour aller se confronter à l’altérité des campagnes françaises, plutôt que de céder à la facilité et au biais possible d’une étude sur son propre terrain de naissance. Ce clin d’œil amical étant fait à l’observateur participatif et la déformation possible de son champ d’observation (qui est une donnée épistémologique avec laquelle tout chercheur en sciences humaines doit composer), qu’il suffise de lire un peu à la ronde pour se rendre compte que du côté des credo populaires, les choses n’ont pas tellement changé. Et comme il y a toujours un temps de retard entre l’Histoire telle qu’on la pratique dans les laboratoires et les représentations du grand public, de nombreux sites web se font encore aujourd’hui l’écho de certaines idées déjà un brin obsolètes quand elles ne sont pas simplement biaisées.  Classiquement, il s’y mêle tout à la fois, régionalisme, défense de la langue et « pro-catharisme » (nommons-le ainsi pour bien le distinguer). Nous pourrions même citer ici une liste longue comme le bras sur ces questions :  de sites web gentiment partisans à de petits jugements placés, ici ou là, de la part de certains historiens du cru,  la frontière demeure toujours ténue de l’interprétation historique au jugement de valeur ou à la petite note affective.

Pour donner la mesure de cette actualité, au hasard de nos recherches, nous sommes tombés sur un  petit groupe de  croyants animés de la ferme intention de recréer une église cathare, au sein même de la ville de Carcassonne.  Dans un autre registre, nous avons encore pu croiser l’interview d’un philosophe passionné ayant fait une thèse très sérieuse sur le sujet et fin connaisseur de  l’évangile de Saint-Paul. Pour lui, un peu de catharisme, pris comme une distanciation avec le matérialisme, serait rendu deco_cathare_monde_medieval_moyen-age_croisade_albigeois_inquisition_histoire_feodal_languedocpresque nécessaire  dans notre monde moderne.  A l’heure où les monastères catholiques continuent de se vider autant que les églises, il y aurait un donc « modernisme » du catharisme. Et on passe même parfois allègrement le cap de l’intérêt historique ou de « l’idéalisation » pour aller jusqu’à une certaine volonté « d’évangélisation » : en un mot, on voudrait faire vraiment renaître le catharisme de ses cendres et plus seulement sur des dépliants touristiques.

Du symbole culturel « provincialiste » au revival, il y a donc aujourd’hui une idéologie « pro-cathare » ou « pro-cathariste ». Mon propos n’est pas ici de polémiquer sur la liberté de culte, mais simplement de mentionner ces faits pour faire comprendre à quel point le thème est d’actualité dans certains esprits. Autant le dire,  près de huit cents ans après les faits, ceux qui entendent faire de l’hérésie albigeoise un idéal religieux pour notre temps restent extrêmement marginaux et ils sont loin de  l’Histoire actuelle tel qu’elle s’écrit dans les académies et les laboratoires de recherche. Pour toutes ces raisons et même si cela déborde ici de notre propos, le catharisme et ses représentations actuelles pourraient bien être devenus pour l’ethnologue ou pour le sociologue un sujet d’étude tout aussi passionnant que le catharisme d’hier ne l’est ou ne l’a été pour l’historien.

Innocent III, excommuniant des Albigeois.
Innocent III, excommuniant des Albigeois. (manuscrit cité plus haut)

Du spécifique au générique:
un sujet polémique

Si on pourrait admettre, à la rigueur, que l’événement de la croisade albigeoise et la violence auquel il a donné lieu, aient pu être pour un certain « inconscient collectif » le vecteur d’un traumatisme qui perdure,  il semble tout de même, du point de vue de certains historiens qu’il fut quelque peu ré-attiser au prisme déformant des représentations modernes: aux idéaux identitaires d’un certain provincialisme ou régionalisme « militant », comme nous le disions plus haut, et encore d’une certaine littérature ou poésie qui ont souvent revisité le sujet du catharisme avec une bonne dose de « romantisme » ou « d’idéalisation », viennent encore s’ajouter aujourd’hui les enjeux d’une industrie touristique qui nourrit et c’est bien légitime sa propre mythologie, ce qui rend l’objet d’autant plus sensible à approcher.

deco_cathare_monde_medieval_moyen-age_croisade_albigeois_inquisition_histoire_feodal_languedocIl faut l’admettre, l’Histoire du catharisme  contient tous les ingrédients du drame puisqu’au delà de toute guerre de chiffres, victimes il y a eu. En gardant la tête froide pourtant,  en plus d’être économique et régionaliste, le vent qui souffle dans le dos du catharisme pourrait bien aussi être favorisé par un certain anticléricalisme de principe, partiellement hérité du siècle des lumières et que le XXe siècle post soixante-huitard a largement repris à son compte. C’est un peu plus de la bande dessinée ou de la presse à sensation que de l’histoire, mais l’archétype est séduisant qui met en présence la figure des bonshommes et des bonnes femmes, sans armes et sans dents, hors de tous enjeux sociaux, économiques et politiques de leur temps, opposée à la force coercitive, rapace et sans pitié  d’une Eglise catholique médiévale représentée comme une corporation ivre de pouvoir et d’ambition, exempte de toute spiritualité avec un monstre calculateur et sanguinaire à sa tête (en l’occurrence  Innocent III). N’étant rattaché nous-même à aucune église, il n’est pas question ici de dédouaner ou de juger qui que ce soit. Disons que  comme tout narratif simpliste, cet archétype a tendance à nous rendre intellectuellement méfiant ; il s’agit là d’approcher une réalité sociale complexe et quand l’histoire devient un peu trop les bons contre les méchants et se rapproche d’un western  hollywoodien,  il convient, toujours,   de    prendre deux pas de recul.

Historiographie, quand tu nous tiens…

Au delà des frontières du Languedoc, l’affaire est donc encore mise en exergue, pour ne pas dire instrumentalisée de bien des façons pour mettre en opposition: régionalisme et nationalisme, monarchisme et république, spiritualité et anticléricalisme, athéisme et religion, etc. N’étant pas non plus immunisés contre les idéologies de leur temps, les historiens eux-même (régionalistes ou non) n’y ont pas toujours échappé et les ont même souvent alimentés. Il y a d’ailleurs, jusqu’à récemment encore, une véritable guerre ouverte qui a pu prendre même parfois des contours totalement navrants, quand, à la faveur d’hypothèses mettant en doute l’authenticité de certains documents fondateurs de l’hérésie par l’église catholique, une partie des historiens du catharisme sont venus à en prendre fortement le contre-pied en dérangeant le vocabulaire de la seconde guerre mondiale pour venir traiter leurs confrères rien moins que  de négationnistes ou de révisionnistes! Entre encenser le catharisme ou le dissoudre totalement, il y a sans doute  un juste milieu, et gageons qu’avec le temps la vérité se fasse jour. Certains historiens sérieux ont d’ailleurs déjà mis quelques guillemets à leur certitudes au vue des nouvelles théories sur l’hérésie dont Jean-Louis Biget s’est fait en grande partie, la tête de file. Après ses travaux, la notion de pratique dissidente chrétienne n’est aujourd’hui plus tout à fait un gros mot et l’on admet que la dose d’exotisme du catharisme n’est peut-être pas à rechercher si loin que cela.

deco_cathare_monde_medieval_moyen-age_croisade_albigeois_inquisition_histoire_feodal_languedocPour conclure rapidement sur ces aspects, dont on ne peut faire l’économie en abordant la question du catharisme, l’historiographie doit encore ici venir au secours de l’Histoire pour nous permettre d’avoir une vision « claire » non de la sacro-sainte « vérité historique » sinon de l’histoire reconstruite par les interprétations des historiens. Il y aura décidément toujours de l’humain dans les sciences humaines. Fort heureusement, malgré les quelques emportements  entre experts auxquels nous faisions llusion plus haut, nous sommes tout de même en présence de fins intellectuels et théoriciens qui ont à l’appui de leurs arguments des faits autant que leur bonne foi. Pour faire bonne mesure, je conseillerai donc  la lecture à la fois d’un Jean-louis Biget comme d’un Michel Roquebert sur ses problématiques pour s’en faire une idée.

Quoiqu’il en soit, vous l’aurez compris, la croisade contre les albigeois est un sujet épineux qui divise et sur lequel se tenir à une certaine distance, hors des analyses lapidaires, archétypales ou partisanes, peut même encore aujourd’hui se présenter comme un exercice délicat, au milieu des échauffourées. N’ayant rien à y gagner et rien à y perdre, nous nous situons quant à nous sur une ligne dépassionnée avec l’unique préoccupation d’approcher le contexte social, culturel et historique du Languedoc médiéval autour de ces événements, ainsi que les forces en présence. en évitant, autant que faire se peut, de nous chausser de la loupe déformante des idéologies ou des vues de tous bords, qu’elles soient de coeur, de foi ou d’intention.

Lecture culturelle et lecture sociale
du Languedoc médiéval

Au XIe siècle, c’est un fait acquis, le pays d’Oc est une province à part, avec sa propre langue, ses us et sa culture. De nombreux historiens se sont pourtant souvent sentis obligés de pondérer quelque peu l’importance de ce que l’on peut nommer aujourd’hui « un sentiment identitaire ou culturel provincial fort » pour mieux replacer cette notion dans son contexte médiéval et pour mieux comprendre la réalité des forces et des enjeux en présence autour de la croisade des albigeois. Ils l’ont fait, principalement, en réaction à certaines formes modernes de représentations ou de régionalisme qui, se tournant vers le Languedoc médiéval pouvaient être tentées, parfois, d’y projeter des valeurs qu’elles portaient ou auxquelles elles aspiraient et nous rejoignons là inévitablement les éléments approchés dans notre introduction. C’est, cela dit, une tendance fréquente contre laquelle les historiens nous mettent toujours en garde, et croyez-moi, j’ai beau ne pas être normand, je sais de quoi je parle.

Il s’agit donc ici de re-contextualiser pour mieux les délimiter les frontières entre un Languedoc historique quelquefois idéalisé au vue des représentations modernes, et un Languedoc historique dans sa réalité médiévale. L’analyse a le mérite de permettre de mieux replacer le catharisme dans son contexte social et culturel, autant que dans sa réalité historique.

Romantisme culturel contre réalités féodales:
vers une analyse sociologique de classes

S’il ne faut pas préjuger de l’absence de barbarie de notre monde moderne, le monde médiéval et la féodalité n’offrent pas non plus  l’image d’une société harmonieuse et idyllique où toutes les couches de la société se seraient retrouvées unies autour de valeurs culturelles partagées au coin du feu, dans une douce indolence et un bonheur sans faille, le tableau fusse-t-il complété par les doux chants d’amour courtois des troubadours d’alors. Pour le dire autrement, s’il y a indéniablement un socle culturel commun, des particularismes et des typicités sur les terres du sud de la France médiévale et dans le Languedoc des XIIe et XIIIe siècles, ces éléments ne suffisent pas à assurer une cohésion susceptible de transcender ou de gommer la force des réalités sociales et féodales.

deco_cathare_monde_medieval_moyen-age_croisade_albigeois_inquisition_histoire_feodal_languedocAu niveau sociologique et même s’il existe certains particularismes d’une province à l’autre, l’organisation de la société féodale nous met, en effet, face à l’image d’une fracture entre les différentes classes. La classe militaire et noble qui tient le pouvoir y règne et domine celle des paysans: vilains comme serfs (ces derniers étant les plus nombreux en Languedoc). Cette classe de travailleurs de la terre forme la grande majorité du reste et se trouve fortement exploitée dans le cadre du système féodal. Dans les villes, qui sont en expansion à la faveur de l’essor commercial – et c’est le cas de Toulouse qui se développe fortement dans les courants des XI et XIIe siècle, au point de devenir l’une des plus grandes cités d’Europe – on trouve encore de petits artisans et des petites gens, aux côtés d’une classe intermédiaire plus fortunée qui tire son épingle du jeu et qui est représentée par la classe des marchands, des usuriers, et encore par certaines corporations d’artisans puissants tels que les tisserands. Cette classe intermédiaire forme une classe bourgeoise qui prend de l’importance et trouve des alliances auprès des nobles. Hors de son succès économique qui l’a déjà distanciée des classes populaires, elle cherche pourtant encore sa place et les moyens de son élévation entre les classes aristocratiques au pouvoir et les classes religieuses qui ne lui ouvrent pas encore leurs portes.

De son côté, la classe religieuse catholique d’alors recrute principalement ses chanoines et le personnel de son épiscopat dans les classes aristocratiques. Ce XIIe siècle est aussi le siècle d’or des cisterciens. L’ordre des moines blancs y forme une élite issue de l’aristocratie qui, par son origine, son organisation, son ingéniosité, et sans nul doute encore par le charisme de son fondateur, pèse fortement sur l’économie, sur le pouvoir politique et même sur l’église. En 1145, Bernard de Clairvaux tentera d’ailleurs, sans rencontrer de vif succès, de prêcher pour le retour des cathares dans le giron de l’église et on prêtera, par la suite, un grand rôle aux cisterciens auprès de Rome, dans toute l’affaire albigeoise et sa répression par la croisade.

Les croisés avec à leur tête Simon de Montfort (manuscrit cité plus haut)
Les croisés avec à leur tête Simon de Montfort (manuscrit cité plus haut)

Du côté des particularismes, dans ce contexte féodal du XIIe siècle, il faut souligner que Toulouse se dote d’une organisation originale puisque les comtes y ménagent un espace afin que la ville puisse élire ses propres représentants: les Capitouls. Issus pour la plupart des milieux aristocratiques locaux, ils défendront dans l’exercice de leurs décisions leurs propres intérêts de classe, mais il semble que l’intérêt général sera également pris en considération dans certains cas, ce qui représente un progrès, mais ne remet pas fondamentalement en cause le schéma social féodal global.  Au quotidien de la vie médiévale, les classes sociales restent relativement cloisonnées et les réalités quotidiennes se passent sous le signe de cette appartenance. Cette dernière coexiste avec la réalité du rattachement au champ du social et du culturel par le fief, la ville ou le seigneur qui forme assurément au quotidien, un cercle d’identification bien moins abstrait que l’ensemble de la province et ce même si les grandes routes commerciales qui s’ouvrent alors et la multiplication des échanges, viennent raccourcir quelque peu les distances.

deco_cathare_monde_medieval_moyen-age_croisade_albigeois_inquisition_histoire_feodal_languedocDe son côté, la dissidence chrétienne albigeoise pénétrera plutôt les milieux urbains, riches et cultivés et l’élite de la province, autrement dit ses milieux bourgeois et une partie de sa noblesse. On ne trouvera pratiquement pas de paysans, ni même de petits artisans cathares, même si on trouvera une forme marginale de catharisme montagnard, (Emmanuel Leroy Ladurie; « Montaillou, village occitan de 1294 à 1324 » et « Clergés communautés et familles des montagnes d’Europe », Serge Brunet.)

Avant comme après la croisade, il ne semble donc pas que le catharisme échappe à ces enjeux de classe et c’est dans cette lecture sociale qu’il faut l’inscrire. Au moment où s’organisera la résistance, et si l’on se fie à l’historien médiéviste Jacques Le Goff, la position de chacun sur l’échiquier social et confessionnel sera confirmer dans les faits. Dans ce schéma, le catharisme ne sera alors pas considéré comme partie-prenante d’une identité culturelle forte occitane:

« La participation à la résistance des couches inférieures de la société urbaine et rurale paraît avoir été faible. Petits artisans, manœuvres, paysans endettés à l’égard de la bourgeoisie souvent hérétique ou opprimés par des seigneurs alliés à ces hérétiques ont même, semble-t-il, assez bien accueilli les croisés, puis l’administration royale. »
Jacques le Goff – Universalis – Croisade contre les albigeois.

 Encore une fois, il ne s’agit pas de nier l’importance du liant que peut représenter l’identité culturelle, mais simplement de le remettre en perspective dans son contexte politique et social médiéval, autant que de remettre le catharisme à sa juste place dans ce même contexte. Tout ceci relève, cela dit, de l’évidence. Dans le bras de fer entre forces sociales et culturelles, les premières ont tout de même tendance, la plupart du temps, à supplanter les dernières et il n’y a guère de raisons que le Languedoc médiéval échappe à cette règle. De fait, il ne semble pas qu’il y ait alors  sur le terrain,  des forces culturelles transcendantes si puissantes qu’elles aient pu gommer les différences sociales et la réalité du monde médiéval, pas d’avantage qu’elles n’ont pu entraîner un consensus culturel ou social massif autour  de la question du catharisme. Ce dernier reste alors un phénomène religieux de classe qui a rencontré un succès relatif dans le  milieu  intellectuel, élitiste et nanti ciblé. Tout cela n’exclut pas, bien sûr, qu’il y a ait pu y avoir des formes de solidarités occasionnelles aux points culminants de l’oppression des cathares, comprenons bien que les analyses sociologiques sont toujours tendancielles. Dans le même registre et à d’autres occasions, certaines villes se soulèveront d’ailleurs contre les croisés, ce sera notamment le cas de Toulouse lors de son occupation par Simon de Montfort.

La Languedoc médiéval politique : luttes intra-provinciales, alliances et mésalliances

Au niveau du contexte politique, à l’intérieur du pays d’Oc,  les tensions d’une seigneurie à l’autre ne sont pas rares. Le XIIe siècle, qui est celui du développement du catharisme (et sans d’ailleurs, qu’il y ait corrélation), est, en effet, une période émaillée de conflits entre Toulouse et les comtés voisins, mais aussi avec ses propres vassaux et vicomtes. Les alliances s’y font et croisade_cathare_albigeois_languedoc_inquisition_comte_toulouse_monde_feodal_medievals’y défont dans un  midi, qui est loin d’offrir l’image d’une région pacifiée et unie. Dans ce contexte, le comté de Toulouse peine même à se constituer comme une entité forte sous l’ambition des luttes intestines entre les provinces qui le composent, autant que sous la convoitise de celles qui l’entourent: revendications de titres  diverses et variées, alliances et mésalliances, trêves et trahisons, le tout ponctué d’habituels tentatives de mariages stratégiques pour unir les lignées et tenter de consolider la paix. Les alliances des Trencavel avec les Aragonais compliquent grandement la situation et  il faut lire l’article de Gérard Pradalié: les comtes de Toulouse et l’Aquitaine du IXe-XIIe siècles,  pour mieux approcher les problématiques de la fragilité politique de ce Languedoc médiéval.

La situation n’ira pas sans créer des tensions entre les habitants et le pouvoir comtal et, à quelques reprises, dans le courant du XIe siècle, le comte de Toulouse se verra même contester sa légitimité par les habitants de la ville, et pire, au profit de la couronne royale de France. Nous sommes alors en 1188:

deco_cathare_monde_medieval_moyen-age_croisade_albigeois_inquisition_histoire_feodal_languedoc« Comme en 1164, les toulousains menacent de lâcher le comte non au profit de l’Aquitain, mais en faveur d’un pouvoir lointain et efficace et au prestige grandissant, celui des Capétiens. Depuis 1141 et 1159-64, les Aquitains sont en effet perçus comme une menace d’autant plus grande qu’elle s’accompagne désormais d’une accusation infamante et dangereuse d’Hérésie, d’où leur rejet. »
Gérard Pradalié: les comtes de Toulouse et l’Aquitaine du IXe-XIIe siècles, sur Persée.

Pour revenir à « l’hérésie » dans ce contexte, on n’aura noté au passage dans cette citation, qu’elle se trouvait déjà instrumentalisée dans un conflit de titres et une guerre de conquête, plus d’un demi-siècle avant le déclenchement de la croisade, montrant bien comment, dans le monde médiéval, les sphères du politique et du religieux demeurent indissociables et n’ont de cesse de s’instrumentaliser mutuellement pour servir leurs propres fins.

Ajoutons que pour autant qu’ils aient leur originalité, ces états de tension n’ont, au fond, pas grand chose d’exceptionnel. Ils sont alors, peu ou prou, le lot de nombreuses provinces ou de seigneuries voisines sur une grande partie des terres de l’Europe médiévale, dans un contexte où les couronnes entendent bien, elles-aussi, se renforcer et sont de plus en plus partie-prenantes des conflits. Et d’ailleurs même si le roi de France, Philippe-Auguste, occupé à fouetter d’autres chats,  ne s’investira pas alors lui-même dans la croisade des albigeois, ses descendants ne tarderont pas à intervenir directement en Languedoc pour se l’approprier.

L’instrumentalisation politique de l’Héresie de Toulouse à Trencavel

Sur le thème du catharisme dans le cadre de ces conflits politiques, on trouve encore une utilisation par le comte de Toulouse lui-même de « l’hérésie » pour justifier sa lutte territoriale et politique contre les Trencavel, comme nous l’apprennent les travaux d’Hélène Debax, historienne qui s’est notamment signalée en montrant, à partir d’un patient travail d’étude sur les documents d’époque, que le Languedoc était, au moyen-âge, à l’image des autres provinces de France, profondément régi par la féodalité, contre certaines idées qui avaient longtemps fait l’unanimité:

« Les Trencavel se trouvent pris pour un siècle dans les revirements de cette histoire conflictuelle. Les événements prennent, cependant, une tournure périlleuse à la fin du XIIe siècle lorsque le comte de Toulouse, Raymond V, cherchant à s’assurer, par l’arme spirituelle, le contrôle de territoire que la faiblesse structurelle de son pouvoir lui avait aliéné, dénonce l’hérésie, focalisant ses attaques – l’adjectif impropre « d’albigeois » en témoigne encore – contre les terres de Trencavel. »
Hélène Débax. La féodalité languedocienne, XI-XIIe siècles.  Chastang Pierre – Persée

deco_cathare_monde_medieval_moyen-age_croisade_albigeois_inquisition_histoire_feodal_languedocPour conclure sur ces luttes provinciales internes, dans le puissant comté de Toulouse où les comtes avaient longtemps régné sans être soumis à l’autorité royale, des  faiblesses endémiques n’ont pas permis de constituer l’embryon d’un royaume fort qui aurait pu faire échec aux convoitises extérieures et les freiner, ni de contrer les événements qui allaient survenir et dont le catharisme fournirait, d’une certaine manière, le prétexte.  Les efforts pour arriver à un équilibre qui atteint son point culminant en 1208 ne pourront  pas se concrétiser plus avant. Un an après, la croisade s’abattra sur le sud.  Le revirement soudain du comte de Toulouse et ses « manoeuvres » face au danger, restera vain et ne fera que retarder quelque temps les avancées de Simon de Monfort sur Toulouse. Un peu plus avant, les tentatives des Trencavel comme de Raymond VI pour s’assujettir finiront elles aussi par rester lettres mortes; l’église ayant dès lors perdu toute confiance en la capacité du comte et ses vicomtes, autant qu’en leur réelle volonté de lutter contre l’hérésie cathare.  

L’instrumentalisation du catharisme à des fins politiques de tous bords avait pourtant commencé bien avant, même si l’ambition des nobles ou des rois sur le midi et leurs pressions sur leurs évêchés locaux ou sur l’église de Rome, n’auraient pu suffire à eux-seuls à faire déclencher la croisade par  Innocent III. Il fallut bien qu’il y ait d’autres raisons profondes fussent-elles confessionnelles, doctrinales ou politiques, ou peut-être les trois à la fois, pour que Rome décide de s’en aller en guerre contre les albigeois. 

Faits culturels, faits langagiers et place du catharisme dans le berceau occitan.

répartition du phénomène cathare dans le pays d'Oc médiéval
répartition du phénomène cathare dans le pays d’Oc médiéval

Pour revenir au catharisme comme « fait culturel » languedocien, au delà des faits culturels que le pays d’Oc produit alors, et on ne peut dire cela, sans penser au  phénomène des troubadours et à la marque que leur art unique imprimera au delà des frontières de la province et sur les siècles à venir, il y a eu, de tout temps, une réalité à la formation des sentiments d’appartenance ou d’attachement à une « culture »: la langue commune. C’est une condition nécessaire et préalable, même si elle a toujours été insuffisante, la carte des conflits humains ayant, en effet, depuis longtemps démontré qu’elle ne pouvait  être calquée sur les langages partagés. Mais il est vrai qu’alors le nord parle la langue d’Oil et les terres de Toulouse, d’Albi et du midi disent Oc pour oui. Au delà des variations  dialectales qui définissent sans doute aussi le proche et le distant, le familier et l’étranger, à l’intérieur du berceau de l’Occitan parlé, une ligne de démarcation linguistique et culturelle existe donc et deco_cathare_monde_medieval_moyen-age_croisade_albigeois_inquisition_histoire_feodal_languedocelle est bien réelle mais elle ne suffira pas, là non plus, à assurer une forte pénétration du catharisme puisque la zone couverte par la langue d’oc n’accueillera pas, tout entière, loin s’en faut, cette pratique religieuse. 

Concernant l’expansion de cette dernière, il semble d’ailleurs que l’Histoire ait encore des difficultés à expliquer pourquoi, sans parler de ses possibles formes extérieures aux frontières de la France actuelle, elle se soit retrouvée circonscrite à une petite partie du midi sans conquérir l’ensemble du berceau de la langue d’Oc qui la débordait alors largement. Du côté de la province seigneuriale, elle ne se répandra pas d’avantage à l’ensemble des territoires alors sous obédience directe ou indirecte comtale et il suffit de mettre en apposition les deux cartes produites ci-dessous pour s’en rendre compte. Relativement cantonnée au comté de Toulouse et ses environs, elle ne passera pas certaines frontières toutes proches où elle se serait pourtant retrouver en terrain allié et, dans le même temps, elle prospérera entre une terre comtale et les terres d’un de ses vicomtes qui sont pourtant en conflit ouvert (Albi et Toulouse).

Limites ou lenteurs de propagation

On alléguera peut-être que les « évangélisateurs » cathares n’en eurent pas le temps, ce qui se tient dans l’absolu, mais n’est qu’à demi-satisfaisant, si l’on songe que le catharisme était déjà relativement bien installé dans la région depuis plus de cinquante ans quand la croisade intervint. C’est un délai qui pourrait sembler suffisant pour essaimer hors du rayon qu’il occupe alors en remontant le jeu des alliances nobiliaires. Au titre des hypothèses, il est possible que sa propagation ait suivi le fil de certaines lignées familiales ou cousinages pour se propager. Il est encore possible que les nobles s’ils en étaient sympathisants pour des raisons qui restent à élucider (puissance économique des classes bourgeoises cathares? conversion de certains membres de la lignée?), n’étaient pas eux-même convertis dans leur grande majorité, ce qui semble avéré.   D’après Jean-Louis Biget, il semble hélas que des études précises sur ces questions généalogiques à grande échelle n’aient toujours pas été conduites à ce jour, ce qui pourrait sans doute nous éclairer un peu sur ces questions. Concernant ces  classes supérieures et nobiliaires toujours, il faut se souvenir, comme nous le disions plus haut, que les aristocrates forment alors la base du pouvoir politique comme du pouvoir religieux: un fils militaire préparé à exercer le pouvoir politique et un autre religieux, c’est presque une règle systématisée au  sein des mêmes lignées et des mêmes familles. La connexion du pouvoir politique au religieux passe aussi par cette proximité.

deco_cathare_monde_medieval_moyen-age_croisade_albigeois_inquisition_histoire_feodal_languedocD’autres hypothèses plus contextuelles pourraient encore expliquer la relativement lente propagation du catharisme sur un espace culturel et linguistique, et même provincial au fond bien plus large que celui qu’il a fini par occuper. Compte tenu du fait que sa pratique s’adressait, tout de même, à une frange de l’élite intellectuelle et économique, et pas aux couches populaires, compte tenu encore du fait que cette élite était déjà acquise à la religion catholique depuis plusieurs centaines d’années, et ne se trouvait pas nécessairement en but avec l’église romaine, on peut imaginer que la conversion ait pu, sans doute, échopper sur quelques obstacles. Le refus des sacrements, la défiance (et le mot est faible) envers l’église établie et certains aspects doctrinaux ont du encore représenter de fortes contraintes pour procéder aux conversions des familles déjà constituées. Comme nous l’avons vu, cette classe bourgeoise est aussi une classe résolument urbaine qui n’émerge pas encore dans les campagnes; ces dernières n’offrant que peu de prise intellectuelle autant qu’économique au catharisme.

Bien entendu, la présence de précédents et la menace que faisait clairement peser l’hérésie sur les convertis a dû aussi jouer. En dehors de premiers bûchers isolés dans les débuts du XIIe siècle en Languedoc, on a bien vu comment les pouvoirs politiques ont utilisé très tôt l’hérésie, comme fer de lance, dans le courant de ce même siècle pour appeler les soutiens des pouvoirs religieux ou des pouvoirs royaux dans leurs diverses guerres de conquête. On peut donc supposer qu’une certaine stigmatisation s’était installée dans ces mêmes classes et que certaines résistances ou réserves prudentes à se laisser « évangéliser » aient pu encore se faire jour.

La réalité chiffrée du Catharisme

De la même façon, qu’il ne n’étend pas géographiquement à l’ensemble du midi et aux endroits où l’on parle la langue d’Oc, loin s’en faut, le catharisme ne se propagera pas, nous l’avons dit, de manière transversale, à toutes les classes sociales du Languedoc médiéval. C’est une question sur laquelle les historiens modernes semblent s’entendre. Les conclusions de Jean-Louis Biget avancent que la dissidence cathare touchait alors 5 à 6% de la population globale.

«L’examen attentif des sources révèle qu’elle ne touche pas plus de 5 % de la population de la région et peut-être moins. On ne saurait donc voir en elle un fait populaire et majoritaire, pas plus qu’un « fait national occitan ». »
Jean-Louis Biget, Le poids du contexte, Editions Picard « Hérésie et inquisition dans le Midi de la France », 2007.

Michel Roquebert parlera, quant à lui, d’un maximum de 50% dans les classes concernées. A vue d’oeil, les deux données représentent tout de même des distorsions même si elles sont présentées différemment. Reste à savoir si elles se recoupent et pour le savoir il faudrait connaître le pourcentage représenté par les classes bourgeoises dans l’ensemble de la société d’alors compte tenu du fait, que c’est de ces classes dont il est question et non pas de la classe nobiliaire qui ne semble pas s’être massivement convertie.

deco_cathare_monde_medieval_moyen-age_croisade_albigeois_inquisition_histoire_feodal_languedocQuoiqu’il en soit, dans les faits, une fraction de l’élite de nobles et des bourgeois des villes, cultivés et nantis, s’est laissée séduire par cette doctrine. Sans même parler de l’assassinat du légat du pape Pierre de Castelnau en 1208, par un écuyer de Raymond VI de Toulouse, par la tiédeur et le peu d’efficacité que ce dernier, comme son prédécesseur avaient montré dans les démarches pour ramener les cathares dans le giron confessionnel de l’église romaine avant même que cette dernière ne déclenche la guerre au  catharisme, c’est bien en premier lieu le comte de Toulouse et ses vassaux, et non pas l’ensemble des populations qui se retrouvaient en porte à faux entre Rome et les croisés d’un côté, et les cathares de l’autre. Les attitudes et les revirements restent pourtant complexes et certaines positions peu claires. A la fin du XIIe siècle et avant même la croisade, on a même un peu de mal à comprendre pourquoi, si Raymond V se plaint de la propagation de l’hérésie d’Albi sur ses terres, il finit par montrer si peu d’ardeur à la combattre dans les faits. Il est alors question de prêche plus que d’expédition punitive. Joue-t-il simplement avec le feu dans sa lutte contre les Trencavel ? Dans les années qui suivront l’après-croisade, l’empathie seulement peut-elle expliquer d’accepter de tout perdre? Sans tomber dans le cynisme, c’est une vision idyllique qui ne convainc qu’à moitié.

Quoiqu’il en soit, au sortir de tout cela, le catharisme comme fait culturel et historique languedocien semble sans doute moins fort culturellement et symboliquement que ce qu’en ont fait certaines représentations modernes et, en tout cas, nous le cernons un peu mieux dans son contexte. Ce long détour étant fait nous pourrons prochainement avancer sur le siège de Montségur!

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la  découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

La croisade albigeoise : Montsegur, haut lieu du Catharisme (1)

croisade_cathare_albigeois_languedoc_inquisition_montsegur_moyen-age_centralSujet : reconstitution historique, château, Cathares, catharisme, siège, Montségur, Albigeois,
Période : moyen-âge central
Média : vidéo-documentaire, mondes 3D, Des racines et des ailes, France 3.
Production : IZIgraph Patrimoine

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, à la faveur d’une belle reconstitution 3D que nous devons à la société IZIgraph Patrimoine, nous abordons l’histoire du château de Montségur assiégé en 1243-1244 lors de la croisade contre les cathares et, du même coup, nous en profitons pour ouvrir une série d’articles sur cette croisade contre les Albigeois.

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Pour qui s’est déjà rendu sur place pour visiter les ruines de ce qui reste de Montségur,  la hauteur à laquelle est bâtie la forteresse sur son piton rocheux (ou son pog en bon languedocien) ne peut que faire forte impression. Ses murailles ou ce qu’il en reste, qui sont en réalité les vestiges d’un château construit postérieurement à celui qui subit le terrible siège des années 1240, plafonnent, en effet, à près de 1 200 mètres d’altitude sur un dôme de calcaire qui, un peu à l’image des hauteurs du château de Foix, semble avoir été planté là, depuis des temps immémoriaux, dans l’attente qu’on y juche une forteresse.

Arrivé au pied de cet étonnant relief, on ne se surprend pas que ce mythique château de Montsegur, dernier bastion d’une communauté cathare alors encore significative en nombre ait pu donner tant de fil à retordre aux armées des croisés chrétiens qui, avec la bénédiction des papes et des rois avaient  entrepris, au milieu du XIIIe siècle, de mettre fin à une hérésie, elle-même chrétienne. Au moment du siège de Montségur en 1243, une grande majorité des cathares a abjuré, a été décimée ou bannie des terres du Languedoc ou a même fui pour se réfugier vers la Catalogne ou vers l’Italie et la Lombardie notamment),

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Une expédition à l’assaut de l’Histoire

O_lettrine_moyen_age_passionn se gare en bas du piton rocheux et on grimpe à l’assaut de la forteresse de Montségur par un petit sentier étroit qui serpente entre la végétation et les arbres et qui semble n’en plus finir. Une fois arrivé en haut, on découvre bien vite qu’il ne reste plus que quelques ruines du château qui fut construit postérieurement au siège de Montségur, mais cela n’importe peu car nous sommes bien sur les terres du drame et les guides très dynamiques et enthousiastes qui vous attendent, au sommet de ce pog, ont tôt fait de vous transporter à travers ses heures les plus glorieuses et les plus sombres.

croisade_cathare_albigeois_languedoc_inquisition_siege_visite_montsegur_moyen-age_centralSe tenant au milieu de sa cour trapézoïdale, la surface laissée semble si petite que l’on peine même à imaginer qu’ici durant près de quarante ans vivaient en moyenne entre 500 et 800 personnes. D’après les sources archéologiques, un véritable village s’y tenait. On avance même que lors du siège de Montségur, quelques mille cathares, fuyant l’inquisition qui sévissait alors dans la plaine du Languedoc, y avaient trouvé refuge. En réalité, outre le fait que les notions d’espace sont quelques fois trompeuses et qu’il est difficile de se les représenter édifiées quand elles sont à nues, la cour du Castrum était loin d’être la seule occupée sur cette montagne. Les quelques murs encore debout ne sont que les vestiges du centre de la place forte. Les autres remparts ont été totalement détruits après coup, ainsi que les autres édifices qui se trouvaient sur les hauts de Montségur et cette excellente reconstitution 3D a le grand avantage de nous permettre de mieux se les représenter, tout en donnant quelques éléments sur le siège que connut le château entre 1243 et 1244.

M_lettrine_moyen_age_passionême si le treizième siècle avait vu les armées s’aguerrir de l’expérience des croisades successives en terre lointaine, par la nature même de son site,  le pog de Montségur a donc été le théâtre d’un des plus longs sièges de l’histoire de la croisade contre les albigeois. Pas moins de dix mois furent, en effet, nécessaires pour faire tomber la forteresse où s’étaient réfugiés non pas les derniers, mais les « presque » derniers cathares.

Quand, en ce début d’année 1243, les quelques cinq mille hommes de l’armée du Sénéchal de Carcassonne Hugues des Arcis, accompagnés de l’archevêque de Narbonne, Pierre Amiel, se regroupent au pied du piton de calcaire en vue de l’assiéger, c’est, en réalité un château et un seigneur chrétien auxquels ils font face, même si ce lieu est devenu, depuis plus de dix ans déjà, un haut lieu du catharisme. Le seigneur auquel la forteresse appartient, un noble occitan du nom de Raymond de Péreille, a, en effet, concédé, en 1230, à l’évêque cathare Guilhabert de Castres de faire de Montségur  la tête de pont et le siège de l’église cathare.

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croisade_cathare_albigeois_languedoc_inquisition_montsegur_reconstitution_3D_chateau_fort_002  croisade_cathare_albigeois_languedoc_inquisition_montsegur_reconstitution_3D_chateau_fort_005

1230 Montségur haut lieu du catharisme

L_lettrine_moyen_age_passione traité de Meaux-Paris a été signé un an auparavant, consacrant la paix entre Paris et Toulouse et ce qui sera le premier pas vers l’annexion définitive de la région par la couronne française moins d’un demi-siècle plus tard. L’inquisition n’est alors pas encore créée, elle ne le sera qu’en 1233 par le pape Grégoire IX, désireux d’en terminer avec le catharisme tout en créant un cadre permettant d’établir des procédures et d’éviter, dit-on aussi, les abus des justices civiles.

Même si cette idée peut faire grincer des dents, certains historiens et juristes avancent en effet que la création de l’inquisition et l’instauration d’une démarche inquisitoriale représentèrent un « progrès » en terme de procédure par rapport à la situation précédente. Si on la compare avec les abus et les massacres auquel la croisade avait donné lieu – on se souvient du siège de Béziers et du passage par le fer de populations entières, sans aucune forme de procès – il ne fait pas tellement de doute que ce fut le cas. D’après les sources historiques, on sait aujourd’hui encore que les inquisiteurs trouvaient bien plus de satisfactions dans l’abjuration par les cathares de leur foi et dans leur retour dans le troupeau des brebis catholiques que dans leur crémation. Or, il semble que, de son côté, la justice civile en faisait moins de cas, étant de nature plus expéditive dans son croisade_cathare_albigeois_languedoc_inquisition_montsegur_pape_gregoire_IXapplication des lois, des consignes et des sentences. Pour illustrer cela, nous citons ici Jean Louis Biget, Historien spécialiste de ces questions:

« L’Inquisition substitue à la procédure accusatoire publique une procédure d’office totalement secrète, à huis clos et sans avocat. Malgré ses aspects arbitraires, elle offre autant de garanties que les justices traditionnelles, qui soumettent les accusés à une présomption de culpabilité et les obligent à subir l’épreuve, fort aléatoire, du fer rouge, ou d’autres de même style, pour prouver leur innocence. Les enquêtes fouillées et exhaustives des inquisiteurs laissent ses chances à l’accusé, s’il n’est pas coupable, et les faux témoins encourent la prison perpétuelle. L’Inquisition prononce cependant des châtiments sévères : la remise au bras séculier – c’est-à-dire le bûcher –, la prison, qu’elle instaure comme peine afflictive, le port de signes infamants – des croix, homologues à la rouelle des juifs. Elle recourt à des techniques modernes : elle se constitue une mémoire écrite, fortement structurée, avec des répertoires commodes, révolution analogue à celle de l’informatique. »
jean-Louis Biget : Catharisme et Cathares en Languedoc

Du reste, comme l’église ne pouvait pas mettre en oeuvre les sentences d’ordre punitives, c’est bien sur la justice civile que les inquisiteurs allaient s’appuyer pour faire avaliser leurs décisions. Si cette dernière ne s’y était pas pliée, aucun bûcher n’aurait sans doute été allumé, ni aucun cathare emmuré mais l’Europe médiévale est politico-religieuse, comme les couronnes le sont, et il est alors difficile de tracer clairement les frontières entre les deux. Disant tout cela, on comprend bien qu’il n’est pas question ici de justifier quoique ce soit, mais simplement d’être réaliste sur les motivations et les forces en présence, au vue du contexte historique et politique du XIIIe siècle. Bien sûr, pour beaucoup, il aurait été plus simple que l’appel à la croisade n’ait pas été lancé, que l’inquisition n’ait pas été créée, que l’église en reste là avec le catharisme, mais la machine était lancée et il semble bien que rien n’aurait pu alors la faire reculer. Il ne s’agissait plus depuis longtemps pour Rome, de laisser courir l’hérésie cathare mais de l’éradiquer.

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croisade_cathare_albigeois_languedoc_inquisition_montsegur_reconstitution_3D_chateau_fort_006    croisade_cathare_albigeois_languedoc_inquisition_montsegur_reconstitution_3D_chateau_fort_008

Un climat d’occupation

S_lettrine_moyen_age_passionur les terres languedociennes, une fois le traité de Meaux-Paris signé, en 1229 et une paix relative retrouvée entre la couronne royale et du comté de Toulouse en la défaveur de cette dernière, la croisade militaire était donc officiellement terminée. De nombreux seigneurs languedociens dépossédés de leurs terres et leurs fiefs, on installa dans leur château des seigneurs français et, sur le terrain, des officiers royaux, baillis et autres viguiers, qui se chargeaient d’encadrer la situation. Cette dernière fut rapidement vécue par les languedociens comme une occupation et c’est compréhensible, puisque techniquement c’en était une. Avant tout cela, la province était autonome et ne faisait pas partie de la couronne française. Le climat est d’autant plus délicat que les abus de la part de ces officiers royaux sont, dit-on, alors nombreux et vont graduellement achever d’exaspérer les populations.

De son côté, la victoire politique étant une chose, Grégoire IX entreprit de continuer la traque des cathares par ses propres représentants. Alléguant  que les évêques étaient trop occupés pour conduire cette tâche, il confia l’inquisition à l’ordre mendiant des dominicains qui s’étaient signalés, un peu avant, dans le Languedoc par leur démarche de prêche et de prédications, moins fastueuse et plus dépouillée que celle des autres représentants de l’église d’alors. Lordre monastique était d’ailleurs né, en grande partie, de l’expérience et des tentatives de son fondateur, Dominique de Guzmán (Saint-Dominique) pour rallier les adeptes du catharisme à une foi chrétienne plus proche des origines.  Quoiqu’il en soit, par cette inquisition, Rome acheva d’ajouter à l’humiliation des seigneurs du pays d’Oc et au climat de tension et de peur qu’avaient généré les croisades autant que l’intrusion des seigneurs et des gens du nord sur les terres languedociennes, en créant sur la durée un climat de persécution et de délation au sein des populations.

L’organisation de Montségur après 1230:
Eglise cathare et chevaliers faydits

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour revenir à 1230, la trêve étant signée et l’inquisition pas encore créée, dans cet entre-deux peut-être le seigneur de Montségur a-t-il alors pensé que les conflits étaient derrière eux? Toujours est-il qu’il finira par céder à la requête de l’évêque cathare et ne reviendra pas dessus, à aucun moment, dans les années qui suivront. Montsegur deviendra donc le haut lieu officiel  du catharisme. Les cathares aideront à financer la garnison permettant d’assurer la protection du château, et, peu de temps après, Raymond de Péreille confiera l’organisation de sa défense à un homme qui est son cousin et deviendra bientôt son gendre puisqu’il lui donnera sa fille en épousailles: Pierre-Roger de Mirepoix. Ce dernier jouera un rôle majeur dans la défense de Montségur lors du siège mais aussi dans le déclenchement de l’opération militaire d’envergure qui signera la destruction de la forteresse dans sa forme cathareblason_chateau_montsegur_pays_cathare_albigeois_reconstitution_3D_monde_medieval. Au moment de l’attaque du château, cela dit, le site est déjà largement repéré, dénoncé et regardé de biais, depuis longtemps par l’Eglise romaine et on peut imaginer que face aux enjeux et aux forces en présence, Montségur allait bien devoir, tôt ou tard,  tomber.

A l’image de la garnison qui se trouve alors sur place et des hommes dont il s’est entouré, Pierre-Roger de Mirepoix est un chevalier et seigneur languedocien « faydit ». Il s’est vu confisquer ses biens et ses possessions en 1209 par Simont de Monfort, soit le château de Mirepoix, pour son implication aux côtés des albigeois dans les conflits. Il le reprendra en 1223 pour le perdre à nouveau sur l’ordonnance royale de 1229. Dépossédé de tout par deux fois, si l’on admet que cette croisade fut en réalité une guerre de conquête tout à la fois géo-stratégique, politique, économique et religieuse et on ne peut guère faire autrement au vue de ses conséquences historiques concrètes sur le terrain, du point de vue languedocien, l’homme deviendra un résistant.

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A propos du faidiment 
Sans être soi-même cathare, il suffisait alors de s’en déclarer protecteur ou de ne pas vouloir participer volontairement à la croisade ordonnée par Rome pour tomber sous le coup du faidiment et de nombreux nobles languedociens étaient de fait tombés sous le coup de cette mesure. Elle n’était pas définitive et pour récupérer ses terres, il « suffisait » en passant par les instances de Rome ou en s’adressant directement au pape, d’abjurer si l’on était cathare et, dans tous les cas de figure, de rejoindre les rangs de la croisade pour lutter activement contre l’hérésie. Facile à dire mais sans doute plus difficile à faire au vue du contexte. Pourquoi?

Nous aborderons toutes ces questions dans l’article suivant. En attendant je vous souhaite une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Histoire des châteaux-forts & techniques de siège médiévales 5

Index des autres articles sur le sujet :
1. Naissance des châteaux-forts
2. Du bois vers la pierre
3. Mottes, forteresses de bois et techniques de siège
4. L’âge d’or des châteaux-forts

 5. L’AUTOMNE DES CHÂTEAUX FORTS

N_lettrine_moyen_age_passionous voici arrivé au dernier article de cette modeste série sur l’Histoire des châteaux médiévaux: des premières mottes castrales jusqu’aux derniers châteaux-forts. Après l’âge d’or, c’est maintenant de l’automne et de la fin des châteaux forts qu’il nous faut parler. Que l’on conserve bien à l’esprit ici, comme nous l’avons fait tout du long de cette série, que pour autant que nous puissions faire des chronologies, ou décider que tel ou tel château n’est plus un château-fort mais un château d’agrément, la réalité est toujours plus fine que cela: ce sont des phénomènes qui s’étalent dans le temps, les transitions ne sont jamais brutales, les définitions sont plus complexes, et les disparités commandent aussi. histoire_medievale_moyen-age_chateaux_forts_disparition
L’Histoire n’observe, bien souvent, que des vérités tendancielles qu’il est toujours difficile de figer dans des chronologies simplistes. (ci-contre le château de Lassay, Loire, XVe siècle).

Tout ceci en tête, on s’entend généralement sur le fait que deux grands phénomènes marqueront la fin progressive de l’ère des châteaux forts: le premier vient des progrès de l’artillerie, le second des mouvements dans les équilibres et les jeux de pouvoir; en l’occurrence pour ce dernier phénomène, nous faisons référence à la domination progressive du pouvoir royal sur celui des seigneurs et des vassaux. De fait, quand les châteaux forts entreront dans leur automne et même leur hiver, la féodalité y entrera avec eux.

L’avènement de la poudre à canon et de l’artillerie lourde

Détail de la Bataille de Constantinople, 1453, monastère de Moldovita, Moldavie, XVIe, Fresque de Toma de Suceava
Détail de la Bataille de Constantinople, 1453, monastère de Moldovita, Moldavie, XVIe, Fresque de Toma de Suceava

A_lettrine_moyen_age_passionu début du XIVe siècle, l’avènement de la poudre à canon et des engins de guerre utilisant cette dernière ne compliquera que de manière très relative la tâche de l’architecture médiévale défensive. Comme on l’a vu dans l’article précédent, l’usage de plus en plus fréquent, à partir du milieu du XIIe siècle, d’engins de siège titanesques tels que les trébuchets ou les mangonneaux, n’a pas suffi à empêcher que soient encore construits de nouveaux châteaux. Il en sera de même pour l’arrivée de la poudre: elle ne sera pas dans un premier temps une raison suffisante pour freiner l’élévation de tels édifices et il y aura même encore des avancées de l’architecture médiévale pour y surseoir. Du point de vue des dispositifs d’attaque, cette poudre aura encore quelques progrès à faire avant de menacer histoire_medievale_poliorcetique_chateaux_forts_artillerie_canons_primitifvéritablement les châteaux et les premières bouche de feu du XIVe ne déclasseront pas d’avantage les engins de siège mécaniques qui seront encore utilisés lors des sièges.

Du point de vue de l’architecture défensive, les architectures arrondies offrant moins de prise aux projectiles de tout type, se généraliseront. Du côté des remparts et des fortifications, pour contrer les premiers canons, on ménagera encore en lieu et même souvent en plus des archères, des trous à canons. Un certain nombre de châteaux se verra également construit de manière plus « ramassé » pour que l’ensemble des remparts et tours fassent front plus efficacement aux gros engins de siège comme aux premiers canons.

histoire_medievale_poliorcetique_chateaux_forts_artillerie_canonsConcernant le XIVe siècle et même dans une certaine mesure une grande partie du XVe siècle, il faut aussi noter qu’en dehors même des engins de siège si gros soient-ils et au delà encore du blocus des routes de la forteresse pour affamer et en démoraliser ses occupants, une des stratégies de siège majeure restera encore le travail de sape ou de mines. Or, l’Histoire nous apprend que le travail des sapeurs et ingénieurs de sape qui s’approchent des murailles ou creusent en dessous pour les détruire, continuera durant les XIVe et XVe siècle sur les bases des siècles précédents. Concernant ces techniques, l’usage d’engins explosifs pour détruire les remparts ne se généralisera pas avant le XVIe siècle (voir universalis. Histoire de l’Artillerie).

Oh le boulet…

Mons Meg, château d'Edimbourg. Canon construit en 1449 par Philippe le Bon, et donné en cadeau au roi Jacques II d'Écosse, portée 2 miles (3 km!)
Mons Meg, château d’Edimbourg. Canon construit en 1449 par Philippe le Bon, et donné en cadeau au roi Jacques II d’Écosse, portée 2 miles (3 km!)

M_lettrine_moyen_age_passionême si ce ne sera pas le seul facteur et nous verrons plus loin pourquoi, les progrès du boulet de fonte et son pouvoir dévastateur ainsi que la puissante grandissante des canons atermoieront quelque peu cette idée du château comme moyen privilégié, sinon unique, d’assurer la défense efficace des territoires, mais il faudra attendre pour cela la fin du XVe siècle. Voici une citation de Jean Delmas pour étayer ces dires ;

« L’introduction de la poudre en Occident n’entraîne pas de changements immédiats dans l’architecture militaire. Les boulets de pierre que lancent les premières bouches à feu n’entament pas l’escarpe d’Orléans (1428), n’ébrèchent que légèrement celle de Constantinople (1453). Mais le boulet de fonte triomphe de toutes les fortifications existantes. L’artillerie de Charles VIII en fait une brutale démonstration pendant la campagne d’Italie (1493). Les ingénieurs italiens, ainsi qu’Albert Durer en Allemagne, sont convaincus de la nécessité d’innover. »
Jean DELMAS, Histoire des Fortifications. Universalis.

Et même dans ce contexte, la confiance dans les édifices de pierre continuera d’avoir la vie dure. Dans les exemples de châteaux-forts les plus tardifs de la fin du XVe siècle, on tentera encore notamment « d’enfouir » en partie les châteaux pour éviter que des tirs répétés d’artillerie ne puissent ouvrir des brèches à la base de leurs murailles. La forteresse de Salses (Roussillon) construite entre la fin du XIVe siècle et le début du XVe par les rois espagnols pour contrer les avancées et l’occupation française, en est un célèbre témoin.

Les derniers châteaux-forts après les perfectionnements de l'artillerie à poudre, Salses, Forteresse du XVIe siècle
Les derniers châteaux-forts après les perfectionnements de l’artillerie à poudre, Salses, Forteresse du XVIe siècle

La recentralisation des pouvoirs militaires  autour des rois et la naissance des nations

P_lettrine_moyen_age_passion copiaparallèlement à tout cela, la centralisation progressive du pouvoir s’organisera de plus en plus autour de la couronne et du royaume. C’est en réalité une lente évolution que l’on fait souvent débuter sous le règne de Philippe Auguste et se poursuivre avec Saint-Louis, mais qui touche bien d’autres pays que la France en Europe.

C’est un fait qui semble s’affirmer depuis le XIIe siècle et ne cesse de se voir confirmer dans les siècles suivants: la féodalité dérange le pouvoir central au fur et à mesure qu’il se réaffirme ce qu’il n’a de cesse de faire. Les pouvoirs économiques, politiques ou militaires qu’ont acquis au fil du temps les plus grands vassaux, autant que les trahisons ou manoeuvres de certains d’entre eux, menacent la couronne et la position des souverains. Tout cela a conduit naturellement ces derniers à vouloir y mettre le hola, quand ce n’est pas tout simplement un terme. Qu’on se souvienne, entre autres choses, des stratégies de Philippe-Auguste pendant que le Duc de Normandie et roi d’Angleterre, Richard Coeur de Lion était encore à la croisade et que le roi de France en était revenu, prématurément et sans lui. C’est un temps de reconquête du territoire, autant que du pouvoir royal sur ses propres terres,, et peut-être avec tout cela, l’affirmation de la naissance d’un nation. Il y a encore et bien sûr la victoire aussi réelle que symbolique du roi de France à la bataille de Bouvines qui l’opposait alors à de puissants princes et vassaux français, menés par Jean Santerre, et soutenus par l’empereur du Saint-Empire Otton IV. Comme Saint Louis le fera après lui, Philippe-Auguste édictera également de nombreuses lois pour réaffirmer le pouvoir royal.

La Bataille de Bouvines, 1214, Tableau d'Horace Vernet, XIXe siècle, gallerie de Versailles
La Bataille de Bouvines, 1214, Tableau d’Horace Vernet, XIXe siècle, gallerie de Versailles

D_lettrine_moyen_age_passionans ce phénomène de reconquête du pouvoir par les rois sur l’ensemble de leur territoire, il n’y a au fond, de leur part, que des stratégies visant à récupérer ce que, graduellement, la féodalité leur avaient confisqué, A cette volonté marquée, qui se traduit dans les lois comme dans les faits, il faudra encore ajouter le fait que les croisades auront contribué à décimer les seigneurs et à affaiblir la féodalité. Ces derniers en sont revenus, en effet, souvent ruinés et dépendants du trésor de la couronne pour subsister, quand ce n’est pas simplement les pieds devant. Tout cela fait, à certains endroits, le jeu des rois. A cet effet collatéral des croisades sur les politiques intérieurs et l’équilibre des pouvoirs, viendra encore s’ajouter un autre événement marquant du moyen-âge central qui secouera encore les seigneuries locales: la guerre de cent ans. Outre les pertes qu’occasionnera chez les nobles, ce conflit qui semble ne jamais devoir finir, même s’il est entrecoupé de trêves, la guerre de cent ans entraînera encore, à sa suite, les compagnies de routiers, restes de l’Ost anglais ou de mercenaires de provenance variés et leurs exactions incessantes sur certaines parties du territoire. Il faudra bien alors que l’on se rende compte du soutien que peuvent apporter les rois ou les princes de la couronne pour y mettre fin.chateaux_architecture_medievale_philippienne_philippe_auguste_moyen-age_passion Avec tout cela, le pouvoir royal autant que l’ost du roi se fortifieront et dans les esprits c’est aussi  l’idée de nation qui commencera alors à se forger. Qui pourra alors mieux que le roi la personnifier et comment pourrait-il souffrir quelques concurrences locales dans ce contexte?
(portrait de Philippe Auguste)

Dans les facteurs d’affaiblissement de cette féodalité et pour le mentionner ici par parenthèse, il faut encore ajouter les épidémies de peste noire qui, autant que la guerre de cent ans, décimèrent les populations et changèrent la donne en faveur de la main d’oeuvre restante; une forme de rééquilibrage des forces qui finalement jouera en faveur du petit peuple et en défaveur des seigneurs. A n’en pas douter, le monde féodal se porte de plus en plus mal et les souverains tirent leur épingle du jeu. Dans ce contexte politique et économique, la construction de châteaux (re)deviendra aussi et de plus en plus, le privilège du roi; le pouvoir dont les seigneurs locaux avaient hérité quelques siècles auparavant à la faveur du contexte historique, diminuera graduellement. Le système féodal cédera, peu à peu, la place à la monarchie centralisée.

Château de Sarzay, XVe, XVIe, Indre. témoin de la guerre de cent ans
Château de Sarzay, XVe, XVIe, Indre. témoin de la guerre de cent ans

Le château redevient le fait du prince

O_lettrine_moyen_age_passionutre le fait qu’un des inconvénients du château pour la défense du territoire reste qu’il est difficile d’en déloger des ennemis aux mains desquels l’édifice serait éventuellement tombé à l’issu d’un siège, avec cette centralisation progressive du pouvoir royal, des volontés se sont donc faites jour, du côté des différentes royaumes d’Europe, de François 1er et Chambordfreiner la possibilité pour des nobles ou des seigneurs d’acquérir un peu trop de pouvoir défensif et militaire, et peut-être encore de prestige, par l’intermédiaire de la construction de châteaux. La féodalité finit aussi, à travers cela, par payer le prix de ses abus sur le fait du prince; en dehors du fait que des châteaux s’étaient construits sans toujours attendre l’autorisation des rois (cf Michel Bur) l’expérience aura aussi enseigné aux souverains que par le jeu compliqué des familles et des alliances, les vassaux et les seigneurs n’étaient pas toujours prompts à faire allégeance à leur propre couronne. Ils pouvaient même parfois se retourner contre elle. Se retranchant alors derrière les hauts murs de leurs forteresses, ils se trouvaient alors à faire la nique à leur propre souverain; or, faire ployer le genou à un noble qui possède en château reste toujours et forcément un peu plus délicat que s’il n’en possède pas (voir l’article sur le siège de château Montbrun en 1424).

Et même si l’on s’accorde généralement sur le fait que le lancement par François Ier (1515-1547) (portrait ci-dessus) du château de Chambord, véritable palace de prestige et « d’agrément », qu’il fait ériger à sa gloire marque la fin définitive des châteaux forts, on trouvera encore sous le règne Henri IVd’Henri IV (1553-1610, portrait ci-contre), ces signes forts de la volonté qu’eurent les rois, même encore bien après Philippe Auguste et Saint Louis, de centraliser autour d’eux la défense du territoire et de ne plus laisser quelques nobles locaux mettre leur pouvoir en péril. Henri IV prendra, en effet, la décision de faire détruire ou démanteler de nombreux châteaux et forteresses afin d’éviter « qu’elles ne servent de repaires aux ennemis de l’autorité royale »; signe des temps amorcé des siècles auparavant sous Philippe Auguste, poursuivi sous Saint Louis et qui raisonnera encore jusqu’au début du XVIIe siècle. Léger paradoxe aussi puisqu’au vue des progrès de l’artillerie, le château, sous Henri IV, n’est plus tout à fait indestructible, ni imprenable, mais on le voit il reste encore, à l’évidence, d’une efficacité suffisamment établie pour qu’on le craigne au point de vouloir le détruire. Dans les siècles suivants, on retrouvera jusque dans les révolutions du XVIIIe siècle, notamment en Angleterre, cette même idée puisqu’on détruira alors, sur ordre du parlement, certains châteaux-forts, non seulement pour le symbole de classe qu’il représente mais aussi de peur que quelques ennemis de la nation n’y trouvent refuge. Et à travers tout cela, c’est encore et finalement à l’efficacité défensive des châteaux-forts que l’on rendra hommage, même, entre temps les innovations de l’armement et de l’artillerie seront venues la nuancer.

Murs de chair et contre murs de pierre 

Le siège d'Orléans, 1429, Enluminure, Manuscrit Martial, d'Auvergne, 1493
Le siège d’Orléans, 1429, Enluminure, Manuscrit Martial, d’Auvergne, 1493

Q_lettrine_moyen_age_passionuoiqu’il en soit, tout facteur combiné et les progrès de l’artillerie à poudre inclus, à partir du XVe siècle, les guerres commenceront à changer défini-tivement de visage. La conception de la défense du territoire par les châteaux et par les nobles qui les occupent ne fera plus recette. Bien sûr, toutes les batailles du moyen-âge, du Xe au XVe siècles sont loin de s’être toutes jouées autour de forteresses assiégés mais on commencera alors, de manière plus systématique, à opposer aux armées d’invasion ou aux assaillants les « murs de chair » de l’armée du Roi, contre les « murs de histoire_medievale_la_fin_de_la_chevalerie_don_quichotte_picassopierre » des nobles et des seigneurs qui les avaient précédés. A noter que l’artillerie y prendra aussi sa part active puisque l’usage du canon et autres armes à feu portables ne se limiteront désormais plus à l’assaut des murailles des forteresses.

Ce sera encore, avec tout cela, la fin de l’ère de la chevalerie et des chevaliers. les archers anglais l’avait déjà mise à mal au début du XVe siècle, lors de la bataille d’Azincourt, mais avec ce nouveau type d’armes, la voilà encore bien compromise; même si on continuera encore longtemps de jouter, son rôle durant les batailles autant que les légendes qui entouraient les chevaliers, seront en recul. Bien sûr il y aura encore quelques charges à la lance et aussi l’héroïsme légendaire du chevalier Bayard, mais à quelques temps de là et à un peu plus d’un siècle de là, la chevalerie et ses valeurs auront changé de visage; Cervantes pourra même s’en rire, avec un brin de nostalgie poétique et son Don Quichotte n’aura plus alors que quelques moulins à défier (ci dessus le Don Quichotte de Picasso, XXe siècle).

Les châteaux-forts continueront d’être, pour nous de merveilleux fleurons de l’architecture médiévale comme le sont les cathédrales, mais sur le terrain et dans les faits, à leur rôle défensif, se substituera peu à peu l’édifice qui marque le prestige, celui du seigneur encore, mais surtout du roi qui les fera construire; l’esthétique et le faste primeront alors sur la nature militaire des édifices. Bien sûr, les bâtiments ne seront pas totalement dénués de dispositifs défensifs, mais on s’accorde alors pour dire qu’ils seront devenus plus « palais » ou même « châteaux » tout courts, plutôt que châteaux-forts. Pour nuancer cette question, je vous conseille un article très pertinent d’Hubert Damisch sur Persée, même s’il date déjà un peu : Histoire et Typologie de l’Architecture : le problème du château.

Aller plus loin sur les châteaux

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour conclure sur tous ces aspects et sur l’histoire médiévale des châteaux et des techniques de siège, nous voulons encore insister sur le fait que cette série d’articles n’est qu’un survol de la question et n’a d’autres ambitions d’ailleurs. Comme nous le disions, l’analyse des discontinuités, des faits marquants ou des ruptures ne sont jamais si simples en Histoire, à moins que l’on veuille fixer dans les esprits quelques étapes et quelques dates utiles. Nous ne sommes pas entrés dans tous le détail des débats de spécialistes sur ce sujet, et ils sont nombreux, mais nous espérons, au moins, en avoir effleuré quelques uns.

histoire_medievale_chateaux_forts_bibliographie_auteursPour plus d’information et de réflexion critique sur ce sujet de l’Histoire médiévale châteaux-forts, je vous enjoins à consulter les références qui suivent. Je m’y suis appuyé tout au long de ces articles sans forcément les citer toujours explicitement; c’est la liberté et le privilège que donne « l’essai » sur le devoir rendu à l’université qui, lui, exige toujours qu’une bibliographie soit exhaustive et pointue. Appelons donc cela des pistes pour ceux qui veulent creuser:  le dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle d’Eugène Viollet le Duc, les écrits de Michel Bür, de Michel Bouard et du colloque de Caen, les ouvrages de Jean Mesqui, les recherches récentes en archéologie sur ces sujets, l’excellent site persée.fr et ses précieuses sources, le fond documentaire merveilleux de la Bibliothèque Nationale de France et le site Gallica.fr, l’encyclopédie universalis encore pour le sérieux de ces auteurs et de ces articles. Et pourquoi pas encore certains articles de wikipédia quand ils sont bons, même s’ils méritent toujours d’être recroisés avec d’autres sources: les références ou les ouvrages qu’ils citent fournissent, en tout cas souvent, d’excellents points de départ pour aller chercher les informations soi-même sur toutes ces problématiques.

Merci encore de votre lecture et de votre présence!

En vous souhaitant une excellente journée, peut-être à l’ombre d’un vieux mur de pierre ou dans le songe évanescent d’une forteresse qui émerge du brouillard, par un matin blanc d’hiver. Longue vie!

Frédéric EFFE.
pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes

Documentaire médiéval : une commanderie des templiers reconstituée et un mot sur l’ordre du temple

ecu_templier_ordre_commanderie_histoire_monde_medievalSujet : Templiers, reconstitution historique d’une commanderie, troisième croisade, fortifications médiévales, ferme fortifiée
Période : XIIe, XIIIe moyen-âge central,
Média : vidéo documentaire en 3D, 2012
Réalisation : Conseil général de l’Aube, Okénite Animation et de nombreux experts en archéologie médiévale.

Bonjour à tous,

« Au mois de mars 1139, le pape Innocent II confirme l’institution des moines combattants par sa bulle Omne datum optimum. Cette confirmation favorisa le développement temporel de l’ordre, auquel s’ajoutèrent de nombreux privilèges et exemptions. Il en résulta, aussi bien en Orient qu’en Occident, un accroissement considérable des biens et du nombre des frères. »
Laurent DAILLIEZ, « Templiers », (Universalis.fr)

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoilà un vidéo-documentaire sur le moyen-âge comme on n’aimerait en voir plus souvent et qui nous plonge au coeur du XIIe siècle, sous le règne de Philippe-Auguste et dans le contexte de la troisième croisade. Il nous présente une commanderie des templiers en Champagne: la commanderie de Payns, du nom d’un des chevaliers hugues_de_payns_fondateur_ordre_templiers_histoire_medievalequi créa l’ordre des Pauvres Chevaliers du Christ en 1119, ordre qui sera rebaptisé, quelques temps après, l’ordre du temple. Proposée par le conseil général de l’Aube, cette belle reconstitution historique a été réalisée par une équipe d’experts, à l’aide de sources très sérieuses: un sondage archéologique sur le site de Payns, datant de 1998, et les sites d’Aubois de Fresnoy et d’Avalleur pour la modélisation des bâtiments,  (ci-contre portrait de Hugues de Payns (Payens)1070–1136, fondateur historique de l’ordre du temple, XIXe siècle, Musée de Versailles)

Fondée en 1127 et occupant un vaste site de 2,5 hectares, la commanderie de Payns, est une des douze infrastructures de ce type que l’on dénombrera en Champagne à la fin du XIIe siècle. Le documentaire est concis mais nous permet d’avoir une vision réaliste de l’économie et de l’activité autour de ce type d’installation durant cette période. Les templiers n’y manquent ni de moyens, ni de richesses,  privilégiés par le prélèvement de la dîme autant que par les nombreuses donations que les évêques et les seigneurs leur font alors, mais on sait aussi y faire fructifier la terre. En plus d’être des moines guerriers, les templiers avaient encore de véritables compétences de gestionnaires et savaient allier agriculture, commerce et développement économique. Pour s’en convaincre, il suffit de voir les différents élevages et la variété des productions que l’on retrouve dans cette commanderie du moyen âge central: laine, miel, vin, ovins, maraîchage, plantes médicinales. En plus des templiers, ce sont encore plus de cent paysans qui gravitent autour de ce véritable centre social, économique et religieux et son infrastructure n’est pas sans rappeler ce  que l’on peut rencontrer aux mêmes époques, dans les abbayes cisterciennes ou autour de leurs granges.

Les templiers en Terre Sainte, illustration d'Angus Mc Bride
Les templiers en Terre Sainte, illustration d’Angus Mc Bride

Nous sommes avec ce documentaire à l’aube de l’ordre du temple et l’ordre du temple bénéficie alors de tout le respect et la confiance de l’Eglise et même des princes pour aider à financer et à mener les croisades en terre sainte. Son règne durera jusqu’à début du XIVe siècle, le 13 octobre 1307 précisément, date à laquelle, Philippe IV, dit Philippe le Bel, onzième roi de la dynastie capétienne, y mettra fin (portrait ci-dessous). Les templiers lui philippe_le_bel_ordre_templier_archeologie_histoire_monde_medievalavaient refusé l’ordination, et se trouvant en plus dans la nécessité de renflouer  les caisses de l’Etat, le souverain leur portera un coup fatal en les faisant tous arrêter.  Le souverain récupérera bien sûr au passage leurs richesses mettant ainsi fin à un ordre des moines-chevaliers légendaires qui avait duré près de trois cent ans. Revenus en terre de France après l’effondrement de l’empire chrétien d’Orient, fait dont on considérait les templiers à demi-responsables, la fin de cet ordre dont la puissance devenait gênante pour le pouvoir royal, mais aussi peut-être pour l’Eglise – le maître du temple jacques de Molay, ayant refusé, peu avant, d’unir son ordre à celui des Hospitaliers – s’écrira dans le sang avec la complicité passive de la papauté qui les avait consacré et fortement soutenu depuis leur naissance et qui s’en détourna à ce moment là.

La fin des templiers et l'exécution du dernier grand maître de l'ordre Jacques de Molay
La fin des templiers et l’exécution du dernier grand maître de l’ordre Jacques de Molay

« Les cent quarante templiers de Paris subirent les pires tortures de la part des inquisiteurs dominicains, qui usèrent de tous les moyens en leur pouvoir (ruse, mensonge, chevalet, bûcher). Cent trente-sept d’entre eux avouèrent des ignominies incroyables ; mais, par la suite, plusieurs se rétractèrent. L’Angleterre, l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne, l’Écosse reconnurent l’innocence du Temple et de ses membres. De son côté, le pape Clément V, faible et lâche, circonvenu par Philippe le Bel, fit lire à l’ouverture de la deuxième session du concile de Vienne, le 3 avril 1312, la bulle Vox clamantis qui portait la suppression par provision de l’ordre en attendant le jugement définitif d’un prochain concile ; celui-ci ne devait jamais se réunir. Il fut décidé qu’en attendant la réunion d’une assemblée tous ceux qui porteraient le costume et continueraient à se faire appeler templiers seraient excommuniés. Le soir du 18 mars 1314, le maître Jacques de Molay et le commandeur de Normandie furent brûlés vifs dans l’île aux Juifs. »
Laurent DAILLIEZ, « Templiers », (Universalis.fr)

Leur arrestation brutale par le roi de France pour des raisons souvent présentées comme uniquement vénales, autant que les aveux choquants qui ont suivi leur arrestation, même s’ils avaient été soutirés sous d’affreuses tortures ont marqué les mémoires et n’ont pas encore fini de susciter de polémiques. Malgré cela ou peut-être même du fait de cela, la légende a traversé les siècles et avec elle, le trésor des templiers autant que l’aura de mystère et de puissance qui a entouré leur ordre. Elle continue de s’écrire dans notre monde moderne jusque dans des romans de littérature contemporaine et inspire même encore nombre d’objets à leur effigie, comme on peut le voir ici. En bref, l’affaire des ordre_templier_histoire_medievale_commanderie_de_payns_champagnetempliers, autant que leur histoire est un sujet qu’un seul article ne saurait épuiser mais en voilà au moins un premier, à la faveur de cette reconstitution de la commanderie de Payns.

Un très belle journée à tous.
Fred
pour moyenagepassion.com
« A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »