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Une chanson « légère et ordinaire » de giraut de bornelh

Sujet  : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, sirventès, serventois, troubadour, manuscrit médiéval, occitan, oc, trobar leu
Période   : Moyen Âge central, XIIe et XIIIe s
Auteur   :  Guiraut de Bornelh, Giraut de Borneil, Guiraut de Borneill, (?1138-?1215)
Titre : Leu chansonet’e vil

Bonjour à tous,

près avoir partagé des éléments de biographie sur le troubadour Giraud de Bornelh, nous vous présentons, aujourd’hui, une de ses chansons. Sa partition d’époque ne nous est pas parvenue, les groupes qui s’y sont essayés ont donc dû composer ou, plus souvent, s’adonner à l’art du contrafactum en plaquant sur les vers de Giraud une autre mélodie médiévale.

« Leu chansonet’e vil » : une intention de clarté

Classée comme un sirventes, cette chanson du troubadour limousin affiche, dès le départ, des intentions de légèreté et même de clarté, en se positionnant dans le registre du « trobar leu ». Pourtant, comme on le verra, la distance temporelle et linguistique, autant que le style (qui demeure largement allusif) la rendent encore difficile à saisir. Hors de son contexte médiéval, et même une fois traduite, elle ne se livre donc pas si facilement et continue de conserver quelques mystères.

Sources médiévales et manuscrits

Guiraut de Bornelh - Manuscrit médiéval Ms Français 12473

Pour les sources manuscrites, on pourra citer le Chansonnier provençal ou Chansonnier K, sous la cote (Mss Français 12473) au département des manuscrits de la BnF. On y ajoutera encore un autre chansonnier conservé, en Italie, à la Bibliothèque Universitaire d’Estense. Sous la cote alfa.r.4.4, le Canzoniere provenzale estense, connu encore comme le chansonnier D, contient lui aussi un grand nombre de chansons de troubadours occitans et provençaux (consulter en ligne ici).

Traduction et interprétation

Pour une première approche de traduction, nous nous sommes appuyés sur diverses sources avec des recherches complémentaires autour de l’occitan médiéval. A ce stade, pourtant, il nous faut bien l’admettre, quelques flottements subsistent. Aussi, nous dirons qu’il s’agit d’une première version qui gagnerait à être retravaillée. Nous vous la présentons plus bas dans cet article.

Pour son interprétation, un certain nombre de formations médiévales s’y sont attaquées, et nous avons choisi ici la version présentée par l’Ensemble médiéval Tre Fontane dans le deuxième opus de leurs travaux consacrés au Chant des Troubadours.

Un superbe version de la chanson de Giraud de Bornelh par Tre Fontane

l’Ensemble Tre Fontane :
le Chant des Troubadours Vol 2

Nous avons déjà eu l’occasion de parler, à plusieurs reprises, de l’Ensemble Tre Fontane et ses grandes qualités. Née au milieu des années 80, cette belle formation a fait du Moyen Âge et des troubadours occitan, un de ses grands répertoires d’élection (voir portrait de cette formation).

En 1993, deux ans après la sortie du volume 1 de leur Chant des Troubadours, autour des compositeurs médiévaux originaires d’Aquitaine, Tre Fontane poursuivait son exploration musicale avec les troubadours du Périgord. Le Volume 2 s’avéra tout aussi réussi que le premier. On pouvait y retrouver une sélection de 11 pièces pour 53 minutes de durée et quatre grands auteurs et poètes occitans du Moyen Âge : Arnaud de Mareuil, Bertrand de Born, Arnaud Daniel et enfin Guiraud de Bornelh.

Une version énergique et enlevée

Album de musique médiévale : chants des troubadours

Pour cette chanson de Giraud, qui clôt d’ailleurs l’album, Tre Fontane a fait un choix mélodique et instrumental plutôt enlevé ; leur version nous entraîne plein sud, aux confins de l’Andalousie, avec des influences même très directement orientales. Sur cette orchestration généreuse et rythmée, la voix puissante et bien posée de Jean-luc Madier vient faire littéralement décoller l’ensemble. Une fois de plus, l’essai est transformé et Tre Fontane parvient à faire revivre et à actualiser un monde occitan médiéval qu’on croyait disparu dans les couloirs du temps.

Sorti originellement chez Adda, l’album a déjà été réédité plusieurs fois. On peut toujours le trouver en ligne au format CD et même sous forme digitalisée. Voici un lien utile pour plus d’informations : Le chant des troubadours vol.2 : Périgord

Les membres de Tre fontane sur cet album

Chant, Jean Luc Madier. Flûtes, Chalémie, Maurice Moncozet. Flûtes, cornamuse : Hervé Berteaux. Vielle à roue, Pascal Lefeuvre. Oud, Thomas Bienabe. Daf, percussions, derbouka, Jacques Détraz.


Leu chansonet’e vil de Giraud de Bornelh
avec adaptation en français moderne (V1.001)

Leu chansonet’e vil
M’auri’a obs a far
Que pogues enviar
En Alvernh’al Dalfi.
Pero, s’el drech chami
Pogues n’Eblon trobar,
Be.lh poiria mandar
Qu’eu dic qu’en l’escurzir
Non es l’afans,
Mas en l’obr’esclarzir.

Je m’attacherai à faire
Une chanson légère et ordinaire
Que je puisse envoyer
Au Dauphin, en Auvergne .
Mais si, sur le droit chemin,
Elle peut trouver Sire Eblon (1)
Elle pourrait bien lui être adressé (envoyé)
Puisque je dis que l’effort (la difficulté)

N’est pas de ‘rendre l’œuvre (le propos) obscur
Mais plutôt de l’éclaircir.

E qui de fort fozil
No vol coltel tocar,
Ja no.l cut afilar
En un mol sembeli!
Car ges aiga de vi
No fetz Deus al manjar,
Ans se volc esalzar
E fetz esdevenir
D’aiga qu’er’ans
Pois vi per melhs grazir.

Et celui qui, sur la pierre à polir (le dur fusil)
Ne veut poser son couteau
Jamais il ne pourra l’aiguiser
Avec une douce peau de zibeline.
Car en rien, Dieu ne nous fit
de l’eau à partir du vin pour nous nourrir.
Au lieu de cela, il voulut s’élever
Et transforma
L’eau qui était là
En vin afin qu’on puisse mieux lui rendre grâce.

E qui dins so cortil,
On om no.l pot forsar,
Se vana d’aiudar,
Pois no fai, mas qu’en ri,
Pro a de que.s chasti,
E qui de sol gabar
Vol sos clameus paiar,
Ja Deus re can dezir
Noca l’enans
Ni li lais avenir.

Et celui qui, dans sa forteresse (enclos, cour)
Où nul homme ne peut pénétrer par force
Se vante d’aider
Et puis, n’en fait rien, mais en rit
Tirerait profit à se châtier lui-même (qu’on le blâme, réprimande).
Et celui qui veut payer ses créanciers,
A coup de plaisanteries, (Et celui qui parlant seul, continue de croire qu’il est écouté ?)
Ne pourra espérer une seule chose venant de Dieu
Jamais il ne le put
Et il ne le pourra par la suite.

Per qu’eu d’ome sotil
Que sap so melhs triar
No.m met a chastiar
Ni fort no.m n’atai!
Mas un pauc me desvi,
Car non o posc mudar-
Tan m’es greu a portar-
Qui no sap eissernir
Cans d’entre tans
Ni cui com al partir.

C’est pour cette raison que l’homme subtil
Qui sait discerner ce qui est bien pour lui
Ne me blâme jamais
Pas plus que le fort ne m’inquiète (me cause de tort) !
Mais je me suis un peu égaré
,
Je ne peux m’en empêcher –
Tant cela m’est lourd à porter –
Celui qui ne sait pas discerner
Une chanson d’une dispute (entre toutes les autres?)
Ne peut savoir comment les départager (séparer, répartir)
.

E si.lh fach son gentil
A la valor levar,
Aissi.s fan a guidar
C’om s’en sen, a la fi!
Que lo savis me di
Que ges al mech tensar
No dei ome lauzar
Per so ben escremir
Ni per colps grans,
Que.l pretz pen al fenir.

Et si les faits sont bons (gracieux favorables)
Pour hausser la valeur (d’un homme)
Ainsi ils nous guideront
Comme on pourra le voir, à la fin !
Puisque les sages me disent
Qu’au milieu d’un conflit,
Je ne dois louer un homme,
Pour ses qualités à combattre,
Ni pour les grands coups
(qu’il donne ?),
Puisque la valeur (le mérite) véritable n’est connue qu’à la fin.


E qui ja per un fil
Pen pretz, c’om sol amar,
Greu poira pois trobar,
Si.s romp, qui ferm lo li!
C’a pauc en un trai
No son li ric avar,
C’aissi, co.s degr’alzar
Per els e revenir
Pretz e bobans
E jois, l’en fan fugir.

Et si par un fil
Sont suspendues les valeurs, que nous avons l’habitude de priser,
Il sera encore plus dur de trouver
S’il se brise, qui pourra le lier solidement à nouveau !
Car peu nombreux
Sont les riches qui ne soient pas avares,
De telle sorte que quand ils devraient augmenter (monter d’un cran leurs dépenses, leurs valeurs ?)
Pour faire revenir (ramener, restaurer)
Les mérites, les fastes
Et la joie. Ils les font fuir.

Mas eu tri un de mil,
Pero no l’aus nomnar
Per paor d’encuzar
Que.lh dreisses lo coissi!
C’oi del ser al mati
No pot re melhurar
Ni ja apres sopar
No l’auziretz re dir,
Qu’eis lo mazans
No n’esch’apres dormir.

Moi j’en choisis un entre mille
Mais je n’ose le nommer
De peur qu’on me reproche
De redresser ses oreillers !
(de le soigner, le flatter inconsidérément)
Puisqu’aujourd’hui, du soir au matin,
Rien ne peux s’améliorer,
Ni même après souper,
Je n’entends dire un mot
Dont le bruit tapageur
Ne naisse qu’une fois endormi (après dormir).

Era.m torn en umil
Vas mo Bel-Senhor char!
Ren als no.lh sai comtar
Mas que s’amors m’auci.
Ai, plus mal assesi
Noca.m saup envirar
Qu’era no posc pauzar!
Ans trebalh e consir
Si que mos chans
Es ja pres del delir.

E deuria.l mandar
Mo Sobre-Totz e dir
Que.l maier dans
Er seus, si.m fai falhir.

Maintenant, je me tourne avec humilité
Vers ma chère Bel Senhor (2)
Il n’est rien que je sache lui conter
Si ce n’est que son amour me tue.
Ah, jamais pire assassin,
Je n’aurais pu espérer trouver
Puisque désormais, je ne trouve aucun repos !
Au contraire, les tourments et les soucis font
Que mon chant
Est déjà sur le point de s’effacer.

Et je devrais l’envoyer
A mon Sobre-Totz (3) et dire
Quel grand dommage serait le sien,
S’il me faisait défaut (abandonner).


Notes

(1) Eblon : sire Eble II de Ventadour (1086-1155) (voir article sur Guillaume d’Aquitaine) ? S’il s’agissait de lui, il s’agirait d’une allégorie puisque il y a peu de chance qu’il soit encore vivant au moment où Giraut de Borneil écrit ces lignes.

(2) C’est ainsi qu’il nomme sa dame peut-être la fille ainée de Raimon II, vicomte de Turenne ( The Cansos and Sirventes of the Troubadour, Giraut de Borneil, A critical Edition, Ruth Verity Sharman, Ed Cambridge 1989).

(3) Un des razos nous dit qu’il s’agit de Raimon-Bernard de Rovinha (Rouvenac).

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Marcabru : « L’autrier, a l’issida d’abriu », un départ de pastourelle pour une poésie satirique

troubadour_moyen-age-central_musique_chanson_poesie_medieval_occitan_oc_occitanie_MarcabruSujet  : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson, musique médiévale,  chant de croisade. poésie satirique, occitan
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur :   Marcabru   (1110-1150)
Titre  :  « L’autrier, a l’issida d’abriu»
Interprète : Ensemble Tre Fontane
Album
Le Chant des Troubadours v1 (1992)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, aujourd’hui, pour le pays d’Oc médiéval et ses premiers troubadours, avec une nouvelle chanson de Marcabru (Marcabrun). Au menu, sa traduction de l’occitan vers le français moderne, quelques réflexions sur son contenu, et sa belle interprétation par l’Ensemble Tre Fontane.

Quelques réflexions
sur la chanson médiévale du jour

« L’autrier, a l’issida d’abriu » est une pièce satirique qui débute de manière « conventionnelle », entendez courtoise, avec même de claires allures de pastourelle. Aux portes du printemps, le poète occitan se tient en pleine nature et un chant d’oiseau va l’inspirer. Il croise ainsi une jeune fille, tente de la séduire, mais bientôt les vers de cette dernière se font satiriques et désabusés. La demoiselle se détourne de lui, son cœur est ailleurs, lui dit-elle : prix, jeunesse et joie déchoient. A qui se fier dans un siècle où les nobles valeurs se perdent ? Même les puissants seigneurs s’y associent aux pires goujats. Croyant éviter les trahisons adultérines en confiant à ces derniers la garde de leurs épouses, ils se fourvoient grandement et sont deux fois trahis.

marcabru_poesie-satirique-chanson-medievale_manuscrit-medieval-ancien-français-12473-s« L’autrier, a l’issida d’abriu » de Marcabru, Chansonnier K, Chansonnier provençal ou Français 12473, de la BnF    (consultez sur Gallica)

Au delà d’une première approche de traduction, peut-être faut -il renoncer à comprendre totalement la poésie de Marcabru pour la goûter pleinement ? Cette question n’en finit pas d’être posée à travers les vers tout en allusion de ce troubadour qui semblent, si souvent, se référer à des réalités connues, seules, de ses contemporains, quand ce n’est pas seulement de lui-même.

Le texte du jour n’échappe pas à la règle. Avec cette image de l’épouse cadenassée et sous bonne garde, Marcabru fait-il référence, sans le nommer, au cas d’un noble en particulier, en prenant soin, au passage, de le noyer dans une catégorie : celles des « hommes puissants et des barons » ? Le phénomène est-il si généralisé qu’il a l’air de le dire ?  N’est-ce là qu’un prétexte fourni au grand maître de cette forme de poésie hermétique qu’est le trobar clus, pour critiquer indirectement la toile de fond courtoise et ses fréquents appels à l’adultère ? On le sait, les valeurs qu’affectionne le poète occitan sont chrétiennes et les amours cachées et interdites mises en exergue par la courtoisie ne sont pas pour lui, ni de son goût « moral ».

« L’autrier, a l’issida d’abriu » Marcabru par l’Ensemble Tre Fontane

Le Chant des Troubadours d’Aquitaine
par l’Ensemble Tre Fontane

Nous avons déjà mentionné ce bel ensemble médiéval qui a dédié une large partie de sa longue carrière à l’interprétation des chansons de troubadours occitans du Moyen-âge central. A cette occasion, nous avions même détaillé la production dont est issue la pièce du jour aussi nous vous invitons à vous y reporter: Marcabru, « Dirai vos senes duptansa» : la chanson médiévale désabusée d’un troubadour loin de la Fine Amorchanson-musique-medievale-troubadours-occitan-medieval-tre-fontane

L’album en question est toujours édité et disponible à la vente  en ligne. Voici un lien utile pour en savoir plus : Le chant des troubadours volume 1 par l’Ensemble Tre-Fontane.


« L’autrier, a l’issida d’abriu »,
de l’occitan médiéval au français moderne

Pour la traduction nous avons suivi partiellement celle de JML Dejeanne (Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909). Le reste est le fruit de croisements et de recherches personnelles.

I
L’autrier, a l’issida d’abriu,
En uns pasturaus lonc un riu,
Et ab lo comens d’un chantiu
Que fant l’auzeill per alegrar,
Auzi la votz d’un pastoriu
Ab una mancipa chantar.

L’autre jour, au sortir d’avril,
Dans  des pâturages, au long d’un ruisseau,
Et, alors (la chanson) commence un (d’)chant
Que font les oiseaux pour se réjouir,
J’entendis la voix d’un pastoureau
Qui chantait avec une jeune fille.

II
Trobei la sotz un fau ombriu
 « Bella, fich m’ieu, pois Jois reviu
…………………………………………..
Ben nos devem apareillar. »
—  « Non devem, don, que d’als pensiu
Ai mon coratg’ e mon affar. »

Je la trouvais sous un hêtre ombreux.
— « Belle, lui dis-je, puisque Joie revit.
……………………………………………..
Nous devrions bien nous mettre ensemble.»
— « Nous ne le devons pas, Sire, car ailleurs
Sont tournés mon coeur et mes préoccupations.» (« pensées & désirs ». Dejeanne) 

III
— « Digatz, bella, del pens cum vai
On vostre coratges estai? »
—  « A ma fe, don, ieu vos dirai,
S’aisi es vers cum aug comtar,
Pretz e Jovens e Jois dechai
C’om en autre no’is pot fiar.

— « Dites-moi, belle, de ses pensées qui ainsi,
occupent votre cœur? »
— « Par ma foi, sire, je vous dirai,
S’il est vrai comme je t’entends conter,
Prix, Joie et Jeunesse déchoient,
De sorte qu’on ne peut se fier à personne.

IV
D’autra manieira cogossos,
Hi a ries homes e baros
Qui las enserron dinz maios
Qu’estrains non i posca intrar
E tenon guirbautz als tisos
Cui las comandon a gardar.

D’autre façon (dans un autre registre) sont cocufiés les maris.
Et il est des hommes puissants et barons
Qui enferment leurs femmes dans les maisons,
Afin que les étrangers ne puissent y entrer,
Et qui tiennent des goujats aux tisons
Auxquels ils donnent ordre de les garder.

V
E segon que ditz Salamos,
Non podon cill pejors lairos
Acuillir d’aquels compaignos
Qui fant la noirim cogular,
Et aplanon los guirbaudos
E cujon lor fills piadar. »

Et selon ce que dit Salomon,
Ceux-là ne peuvent accueillir de pires larrons
Que ces compagnons
qui abâtardissent les rejetons (1),.
Et ils caressent les  goujats
En s’imaginant ainsi couvrir leurs propres fils d’affection.»  (2)

(1) La traduction que nous avons utilisée ici de « noirim » comme bouture, rejeton, nourrain  provient du Lexique roman ou Dictionnaire de la langue des troubadours: comparée avec les autres langues de l’Europe latine, P Raynouard (1811) De son côté JML Dejeanne (Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909)  traduit : « abâtardissent la race ».  Pour information, on trouve le même terme traduit comme « nourriture » dans le Dictionnaire d’Occitan Médiéval en ligne.

(2) Raynouard : rendre leur fils plus affectueux


En vous souhaitant une agréable journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.

Marcabru, « Dirai vos senes duptansa» : la chanson médiévale désabusée d’un troubadour loin de la Fine amor

Sujet : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson,  musique médiévale,  poésie satirique, sirvantes, sirvantois, occitan
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur  : Marcabru   (1110-1150)
Titre  :  « Dirai vos senes duptansa»
Interprètes :  Ensemble Tre Fontane
Album :   
Nuits Occitanes (2014)

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passiona chanson médiévale du jour nous ramène vers l’un des premiers troubadours qui se trouve être aussi , sans doute, l’un des plus fascinants d’entre eux pour sa poésie hermétique si difficilement saisissable et son style unique.

A des lieues de la lyrique courtoise

Contrairement à nombre d’artistes, musiciens et poètes occitans contemporains de  Marcabru et qui s’affairaient déjà à codifier la poésie en « l’enchâssant » dans la lyrique courtoise, au point quelquefois de l’y noyer entièrement, notre auteur médiéval du jour n’a pas chanté la fine amor (fin’amor). Il en a même plus volontiers  pris le total contre pied. Ecole idéaliste et courtoise contre école réaliste, dont Marcabru se serait fait un brillant chef de file (1) ? Les choses sont dans les faits un peu plus nuancés, mais en tout cas, sur bien des thèmes et le concernant, sa poésie se tient dans l’invective et la satire et l’amour n’y échappe pas (sauf à l’exception qu’il soit de nature divine). A ce sujet, les manuscrits anciens contenant les vidas des troubadours enfonceront d’ailleurs le clou :

« Trobaire fo dels premiers q’om se recort. De caitivetz vers e de
caitivetz sirventes fez ; e dis mal de las femnas e d’amor. »
Le Parnasse occitanien.   S.° Palaye. Manuscrit de Saibante. (1819)

« Il fut l’un des premiers troubadours dont on se souvient. Il fit des vers misérables* et de misérables serventois : et il médit des femmes et de l’amour. »  (misérable  n’adresse sans doute pas tant ici le style que l’état  d’esprit ou la condition du poète).

« Dirai vos senes duptansa », de Marcabru par l’Ensemble Tre Fontane

Le Marcabru  de l’Ensemble Tre Fontane

L’interprétation du jour nous offre le grand plaisir de recroiser la route de l’excellent Ensemble médiéval Tre Fontane dont nous avons parlé dans un article récent. Loin des rivages du chant lyrique qui couvre une partie importante du répertoire médiéval, cette version très « terrienne » et pleine d’une émotion bien plantée de Jean-Luc Madier, semble vraiment faire écho à celui qui disait dans ses vers et de sa propre voix qu’elle était « rude » ou rauque.

Les troubadours Aquitains
Le chant des Troubadours – Vol. 1

La chanson Dirai vos senes duptansa  est tirée d’un album de 1991 de la formation aquitaine et française. On y retrouve onze pièces occitanes issues du répertoire des tous premiers troubadours du moyen-âge central. Marcabru y côtoie Jaufrey Rudel mais aussi Guillaume de Poitiers,  IXe Duc d’Aquitaine (Guillaume le Troubadour).

chanson_medievale_poesie_marcabru_troubadour_occitan_moyen_age_album_ensemble_tre_FontaneCette production a le grand intérêt de rassembler la totalité des mélodies qui nous sont parvenues de ces trois auteurs. On pourra encore y trouver trois autres compositions de la même période : une de Guilhelm de Figueira, une autre de  Gausbert Amiel et enfin une dernière demeurée anonyme.  L’album ne semble pas réédité pour l’instant mais on en trouve encore quelques exemplaires d’occasion en ligne. Voici un lien utile (à date) pour les dénicher : Tre Fontane – Le chant des Troubadours Vol 1/ Les Troubadours Aquitains

Dirai vos senes duptansa

Comme nous le disions plus haut, il ne faut pas attendre de  Marcabru qu’il se coule dans la peau du fine amant fébrile qui se « muir d’amourette ». C’est bien plutôt dans celle du désabusé et de celui qui se défie d’aimer qu’il faut le chercher. Dans cette chanson qu’il entend nous livrer « sans hésitation », il vient même nous conter dans le détail, tout ce qu’il pense des tortueux sentiers et des pièges de l’Amour. Tout cela n’est, à l’évidence, pas pour lui et il se fait même un devoir d’interpeller son public dans chacune de ses strophes pour mieux l’éveiller et le mettre en garde:  « Ecoutez ! »

Comme pour les autres traductions que nous vous avons déjà proposées de cet auteur, nous nous appuyons largement ici sur celles du Docteur et écrivain Jean-Marie Lucien Dejeanne dans son ouvrage intitulé Poésies complètes du troubadour Marcabru  (1909). Mais comme on ne se refait pas, nous les combinons tout de même avec des sources supplémentaires (dictionnaires, autres traductions, etc…). Au final, elles n’ont pas la prétention d’être parfaites et pourraient même sans doute prêter le flanc à l’argumentation mais, encore une fois, le propos est d’approcher la poésie de cet auteur.

Dirai vos senes duptansa
les Paroles en occitan & leur traduction

I
Dirai vos senes duptansa
D’aquest vers la comensansa
Li mot fan de ver semblansa;
– Escoutatz ! –
Qui ves Proeza balansa
Semblansa fai de malvatz.

 Je vous dirai sans hésitation
de ce vers, le commencement
Les mots ont du vrai, la semblance (l’apparence de la vérité) !
Écoutez !
Celui qui, face  à l’excellence (bonne parole, prouesse, exploit), hésite
me fait l’effet  d’un méchant (un mauvais, un scélérat).

II
Jovens faill e fraing e brisa,
Et Amors es d’aital guisa
De totz cessais a ces prisa,
– Escoutatz ! –
Chascus en pren sa devisa,
Ja pois no’n sera cuitatz.

Jeunesse déchoit, tombe et se brise.
Et Amour est de telle sorte
Qu’à tous ceux qu’il soumet, il prélève le cens (une redevance, un tribut)
Écoutez !
Chacun en doit sa part (Que chacun se le tienne pour dit ? )
Jamais plus, après cela, il n’en sera quitte (dispensé).

III
Amors vai com la belluja
Que coa-l fuec en la suja
Art lo fust e la festuja,
– Escoutatz ! –
E non sap vas quai part fuja
Cel qui del fuec es gastatz.

L’Amour est comme l’étincelle
Qui couve le feu dans la suie,
puis brûle le bois et la paille,
Écoutez !
Et  il ne sait plus de quel côté fuir,
Celui qui est dévoré par le feu.

IV
Dirai vos d’Amor com signa;
De sai guarda, de lai guigna,
Sai baiza, de lai rechigna,
– Escoutatz ! –
Plus sera dreicha que ligna
Quand ieu serai sos privatz.

Je vous dirai comment  Amour s’y prend
D’un côté, il regarde, de l’autre il  fait des clins d’œil ;
D’un côté, il donne des baisers, de l’autre, il grimace. —
Écoutez !
Il sera plus droit qu’une  ligne
Quand je serai son familier.

V
Amors soli’ esser drecha,
Mas er’es torta e brecha
Et a coillida tal decha
– Escoutatz ! –
Lai ou non pot mordre, lecha
Plus aspramens no fai chatz.

Amour jadis avait coutume d’être droit,
mais aujourd’hui il est tordu et ébréché,
et il a pris cette habitude (ce défaut )
Écoutez !
Là où il ne peut mordre, il lèche,
Avec un langue plus âpre que celle du chat.

VI
Greu sera mais Amors vera
Pos del mel triet la céra
Anz sap si pelar la pera
– Escoutatz ! –
Doussa’us er com chans de lera
Si sol la coa-l troncatz.

Difficilement Amour sera désormais sincère
Depuis le jour il put séparer la cire du miel ;
C’est pour lui-même qu’il pèle la poire.
Écoutez !
Il sera doux pour vous  comme le chant de la lyre
Si seulement vous lui coupez la queue.

VII
Ab diables pren barata
Qui fals’ Amor acoata,
No·il cal c’autra verga·l bata ;
– Escoutatz ! –
Plus non sent que cel qui’s grata
Tro que s’es vius escorjatz.

Il passe un marché avec le diable, 
Celui qui s’unit à Fausse Amour;
Point n’est besoin qu’une autre verge le batte ;
Écoutez !
Il ne sent pas plus que celui qui se gratte
jusqu’à ce qu’il se soit écorché vif.

VIII
Amors es mout de mal avi
Mil homes a mortz ses glavi,
Dieus non fetz tant fort gramavi;
– Escoutatz ! –
Que tot nesci del plus savi
Non fassa, si’l ten al latz.

Amour est de très mauvais lignage ;
Mille hommes il a tué sans glaive .
Dieu n’a pas créé de plus terrible enchanteur (savant, beau parleur),
Écoutez !
Qui, du plus sage, un sot (fou)
Ne fasse, s’il le tient  dans ses lacs.

IX
Amors a uzatge d’ega
Que tot jorn vol c’om la sega
E ditz que no’l dara trega
– Escoutatz ! –
Mas que puej de leg’en lega,
Sia dejus o disnatz.

Amour se conduit comme la jument
Qui, tout le jour, veut qu’on la suive
Et dit qu’elle n’accordera aucune trêve,
Écoutez !
Mais qui vous fait monter, lieue après lieue,
Que vous soyez à jeun ou repu.

X
Cujatz vos qu’ieu non conosca
D’Amor s’es orba o losca?
Sos digz aplan’et entosca,
– Escoutatz ! –
Plus suau poing qu’una mosca
Mas plus greu n’es hom sanatz.

Croyez-vous que je ne sache point
Si Amour est aveugle ou borgne ?
Ses paroles caressent et empoisonnent, 
Écoutez !
Sa piqûre est plus douce que celle de l’abeille,
Mais on en guérit plus difficilement.

XI
Qui per sen de femna reigna
Dreitz es que mals li-n aveigna,
Si cum la letra·ns enseigna;
– Escoutatz ! –
Malaventura·us en veigna
Si tuich no vos en gardatz !

Celui qui se laisse conduire  par la raison d’une femme
Il est juste que le mal lui advienne, 
Comme  l’Écriture nous l’enseigne :
 Écoutez !
Malheur vous en viendra
Si vous ne vous en gardez !

XII
Marcabrus, fills Marcabruna,
Fo engenratz en tal luna
Qu’el sap d’Amor cum degruna,
– Escoutatz ! –
Quez anc non amet neguna,
Ni d’autra non fo amatz.

Marcabru, fils de Marcabrune,
Fut engendré sous telle étoile
Qu’il sait comment Amour s’égrène;
Écoutez !
Jamais il n’aima nulle femme,
Ni d’aucune ne fut aimé.

En vous souhaitant une agréable journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.

(1)  Voir la première génération des troubadours d’Alfred Jeanroy persée

Amors, tençon et bataille, une chanson lyrique médiévale de Chrétien de Troyes

chretien_de_troyes_chanson_medievale_amor_tenson_batailleSujet  : trouvère, langue d’oïl, vieux français, poésie, chanson médiévale,  lyrique courtoise
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur  :  Chrétien de Troyes  (1135-1185)
Titre  :  « Amors, tençon et bataille»
Interprète :  Ensemble Tre Fontane
Album
Musiques  à la Cour d’Aliénor d’Aquitaine
 (2007)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons aujourd’hui au XIIe siècle vers les premières trouvères de la France médiévale et même vers l’un des plus célèbres d’entre eux bien qu’il doive sa renommée à d’autres talents qu’ à ses chansons lyriques. Eclipsé par le caractère « monumental » de ses romans arthuriens, on en oublierait presque, en effet, que Chrétien de Troyes  compte aussi parmi des premiers à avoir transposé les codes de la lyrique courtoise d’Oc dans cette langue d’Oïl qui allait donner naissance, à travers le temps, au français moderne (voir conférence de Richard Trachsler  pour mieux cerner cette notion de célébrité).

Il faut dire aussi que l’auteur du célèbre Conte de Graal, du Chevalier au Lion ou encore du Lancelot, chevalier de la charrette pour ne citer que ceux-là,  ne nous a pas laissé quantité de chansons et il demeure encore plus vrai que les quelques unes qu’on pensait devoir lui attribuer ont été longtemps sujettes à caution. Si on l’avait, en effet, crédité d’une demi dizaine de pièces, du côté des médiévistes et experts de ces questions, il semble qu’on soit enclin à ne désormais à n’en retenir que deux pour certaines.

On doit cette clarification aux analyses de la philologue et romaniste Marie-Claire Zai dans son ouvrage Les chansons courtoises de Chrétien de Troyes,  daté de 1974. Jusqu’à nouvel ordre et selon son expertise, il nous reste donc deux chansons lyriques de Chrétien de Troyes à nous mettre sous la dent: D’Amors, qui m’a tolu a moi, pièce sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir plus tard dans le temps, et celle du jour Amors, tençon et bataille.

Amors, tençon et bataille
dans les manuscrits anciens

On ne retrouve pas cette chanson de Chrétien dans quantité de manuscrits mais seulement dans deux d’entre eux.

L’un est conservé à la BnF. Il s’agit du MS Français 20050 (photo ci-dessous). Connu encore sous le nom de Chansonnier français de Saint-Germain des Prés, ce manuscrit, écrit à plusieurs mains, comprend 173 feuillets et on peut y trouver des chansons, romances et pastourelles du moyen-âge central. Il est daté du XIIIe siècle.

chrétien_de_troyes_poesie_medievale_amor_tenson_bataille_manuscrit_fr_20050_chansonnier_saint-germain-des-pres_moyen-age_480
Amors, tençon et bataille, de Chrétien de Troyes, MS Français 20050; Bnf, departement des Manuscrits.

Le second ouvrage est conservé en Suisse à la Bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne (Burgerbibliothek). Nomenclaturé Manuscrit  de Berne 389 (Cod 389) ou encore   Chansonnier Français C ou trouvère C.  Il est également daté du XIIIe siècle mais est largement plus étoffé que le précédent puisqu’il contient 249 feuillets. On y trouve des chansons de trouvères (anonymes ou attribuées) et il présente. en tout, la bagatelle de 524 pièces médiévales dont un grand nombre n’existe que dans cette source, c’est dire s’il est précieux. Vous pourrez chretien_de_troyes_poesie_lyrique_medievale_amour_tenson_bataille_manuscrit_ancien_bern_389_moyne-age_480trouver plus d’articles à son sujet ici.

La chanson médiévale de Chrétien de Troyes « Amors, tençon et bataille » dans le Manuscrit de Berne 389 ou chansonnier Français C

Par les miracles de la technologie moderne et surtout grâce à la conscience des grands conservateurs de ce monde, en l’occurrence ceux de notre chère  BnF et ceux de la bibliothèque de Bern, on peut trouver ces deux ouvrages en ligne aux liens suivants : le Manuscrit Français 20050 sur le site de la BnF  – le Chansonnier trouvère C sur le site e-codices.

 Amors,tençon et bataille, Chrétien de Troyes par l’Ensemble Tre fortuna

L’Ensemble Tre Fontane
A l’exploration de l’Art de « trobar »

Fondé en 1985 par trois musiciens français originaires d’Aquitaine, l’Ensemble médiéval Tre Fontane s’est donné pour objectif, dès sa création, d’explorer le répertoire des troubadours et trouveurs du Moyen-âge central. Chants sacrés, chansons profanes, depuis plus de 30 ans, la formation a continué sur sa lancée en proposant concerts, spectacles, animations mais aussi stages et ateliers.

ensemble_medieval_tre_fontane_troubadours_musique_medievale_aquitaine_occitanie

Au titre de sa longue carrière, Tre Fontane a produit près d’une douzaine d’albums sous différents labels :  contes du moyen-âge, art des jongleurs, chants de troubadours, …  Pour l’instant, on peut retrouver facilement en ligne quatre d’entre eux parmi les plus récents. L’un est dédié au troubadour Jaufre Rudel  (2011), un autre propose la découverte des chants de l’Andalousie et de l’Occitanie médiévales en collaboration avec le célèbre musicien espagnol Eduardo Paniaga et son ensemble (1998), un troisième celle du Codex cistercien de las Huelgas, monastère célèbre du Moyen-âge, sur la route de Compostelle (1997) et enfin un quatrième dont est tiré la pièce du jour.

Musiques  à la Cour d’Aliénor D’Aquitaine 

En 2007, l’Ensemble nous gratifiait donc d’un album très inspiré, ayant pour titre Musiques à la Cour D’Aliénor D’Aquitaine. On pouvait y retrouver 12 pièces représentatives de ce bouillonnement et de ce carrefour culturel qui tint place à la cour de cette grande dame du Moyen-âge. Et ce n’est sans doute pas par hasard que celle qui fut Reine de France et d’Angleterre. mais aussi la petite fille de Guillaume IX d’Aquitaine, le premier des troubadours, favorisa les rencontres entre les cultures de la France du Sud en Oc,  du Nord en Oïl mais encore avec celle de l’Angleterre médiévale. Cette dynamique se prolongera jusqu’à la cour de Marie de Champagne, fille d’Aliénor, dont Chrétien de Troyes fut contemporain et même encore deux générations plus tard, à travers le petit fils de cette dernière, Thibaut de Champagne.

chanson_medievale_trouvere_cour_aquitaine_moyen_age_ensemble_tre_FontaneAinsi, dans cet album, c’est un peu de ces trois influences culturelles que l’on retrouve : de Guillaume le troubadour à son arrière petit-fils Richard Coeur  de Lyon et sa célèbre complainte, en passante par Thibaut de champagne, l’incontournable Bernard de Ventadorn et encore d’autres noms célèbres, aux côtés de pièces non signées de ces XIIe et XIIIe siècles.  Cette production étant toujours édité, comme nous le disions plus haut, voici un lien utile pour en écouter des extraits ou l’acquérir au format CD ou MP3 :  Album Musiques a la cour d’Aliénor d’Aquitaine [Explicit]

Pour le reste, vous pouvez retrouver l’Ensemble Tre Fontane sur FB  ou sur  Myspace.


Amors, Tençon et Bataille
de Chrétien de Troyes

I.
Amors tençon et bataille
Vers son champion a prise,
Qui por li tant se travaille
Q’a desrainier sa franchise
A tote s’entente mise.
S’est droiz q’a merci li vaille,
Mais ele tant ne lo prise
Que de s’aïe li chaille.

II.
Qui qe por Amor m’asaille,
Senz loier et sanz faintise
Prez sui q’a l’estor m’en aille,
Qe bien ai la peine aprise.
Mais je criem q’en mon servise
Guerre et [aïne] li faille:
Ne quier estre en nule guise
Si frans q’en moi n’ait sa taille.

III.
Fols cuers legiers ne volages
Ne puet  d’amors rien aprendre.
Tels n’est pas li miens corages,
Qui sert senz merci atendre.
Ainz que m’i cudasse prendre,
Fu vers li durs et salvages;
Or me plaist, senz raison rendre,
K’en son prou soit mes damages.

IV.
Nuns, s’il n’est cortois et sages,
Ne puet d’Amors riens aprendre;
Mais tels en est li usages,
Dont nus ne se seit deffendre,
Q’ele vuet l’entree vandre.
Et quels en est li passages?
Raison li covient despandre
Et mettre mesure en gages.

V.
Molt m’a chier Amors vendue
S’anor et sa seignorie,
K’a l’entreie ai despendue
Mesure et raison guerpie.
Lor consalz ne lor aïe
Ne me soit jamais rendue!
Je lor fail de compaignie:
N’i aient nule atendue.

VI.
D’Amors ne sai nule issue,
Ne ja nus ne la me die!
Muër puet en ceste mue
Ma plume tote ma vie,
Mes cuers n’i muerat mie;
S’ai g’en celi m’atendue
Qe je dout qi ne m’ocie,
Ne por ceu cuers ne remue.

VII.
Se merciz ne m’en aïe
Et pitiez, qi est perdue,
Tart iert la guerre fenie
Que j’ai lonc tens maintenue!


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes