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« Douce dame, grez et grâces… » une chanson courtoise du trouvère Gace Brulé

enluminure médiévale troubadour

Sujet : musique médiévale, chanson médiévale,  poésie, amour courtois, trouvère, vieux-français,  fine amant, fine amor, chansonnier du Roy, manuscrit ancien
Période :  XIIe s,  XIIIe s, Moyen Âge central
Titre: Douce dame, grez et grâces vos rent 
Auteur :  Gace Brûlé  (1160/70 -1215)
Interprète :  Ensemble Gilles Binchois.
Album: Les Escholiers de Paris (Alba, 1992)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous invitons à la découverte d’une nouvelle chanson médiévale de Gace Brûlé (Gace Brulé, Gaces Brullez). Entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle, ce trouvère et chevalier a produit une œuvre abondante qui n’a pas manqué d’inspirer des auteurs de sa génération et même de la suivante, comme Thibaut de Champagne. Sa poésie s’épanouit, principalement, dans le registre de la lyrique courtoise et la pièce que nous vous proposons d’étudier, aujourd’hui, n’y déroge pas.

L’exercice de courtoisie d’un trouvère épris

Chanson annotée de Gace Brulé dans un Manuscrit médiéval

La chanson du jour annonce le thème de l’amour courtois dès ses premiers vers : Douce dame, grez et grâces vos rent. Gace chante pour obtenir un signe favorable de la belle qu’il convoite. Comme il nous l’expliquera, s’il aime cette dernière trop fort ou trop haut, il ne faut pas l’en blâmer. Le seul coupable c’est « amour », le grand maître des horloges émotionnelles et sentimentales. Et puis, comment pourrait-il en être autrement ? La dame est si belle, si gracieuse et emplie de bienfaits que le loyal amant mourrait plutôt que de s’en séparer. Il ne lui reste donc plus qu’à patienter, implorer merci et que cette dernière le prenne en pitié. C’est un classique de la lyrique courtoise.

Comme on le verra, dans les deux dernières strophes de sa chanson, Gace Brulé s’adresse à deux personnages : Gilet et Renalt qu’on retrouve, par ailleurs, mentionnés en d’autres endroits de son œuvre. Ici, il les fustige tous deux d’avoir tourné le dos à « amour » que l’on est enclin à comprendre comme l’exercice de la poésie courtoise. Si quelques érudits se sont perdus en conjectures sur l’identité réelle de ces deux hommes, rien d’évident ne semble en être ressorti. Il a pu s’agir de poètes de l’entourage du trouvère ayant délaissé la plume, peut être au profit des croisades. Selon Gaston Paris, il pourrait s’agir de Hugon et Gautier de Saint-Denis (voir Les chansons de Gace Brulé, Gédéon Huet,1902).

Sources manuscrites médiévales

On peut retrouver cette chanson du trouvère Gace Brûlé dans un nombre important de manuscrits médiévaux. Dans l’image du dessus, vous la retrouverez, avec sa partition annotée, telle qu’elle se présente dans le Ms Français 844 de la BnF, encore connu sous le nom de chansonnier ou manuscrit du roy. De manière non exhaustive, on pourrait encore citer le Français 845 (utilisé pour l’image d’en-tête), le français 20050 dit Chansonnier de Saint-Germain-des-Prés ou même encore le Chansonnier Cangé ou Ms Français 846.

Pour sa retranscription en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur l’ouvrage de Gédéon Huet (op cité). Ci-dessous, nous vous proposons de la découvrir en musique avec une version polyphonique originale de l’Ensemble Gilles de Binchois.

Gilles Binchois & Les Escholiers de Paris

En 1992, l’Ensemble Gilles Binchois, sous la houlette de Dominique Vellard, proposait au public son album : Les Escholiers de Paris, Motets, Chansons et Estampies du XIIIe siècle. Avec 20 pièces présentées, pour un peu plus de soixante minutes de durée, cette production fut largement saluée par la scène des musiques anciennes et médiévales.

Les Escholiers de Paris - Album de musique médiévale

Comme l’indique le sous-titre de cet album qui rend hommage au Paris étudiant et fourmillant du XIIIe siècle, l’ensemble médiéval et son directeur ont fait le choix d’y proposer un nombre important de motets et de pièces polyphoniques. On y trouvera des pièces anonymes du codex de Montpellier, mais aussi des chansons d’auteurs comme Thibaut de Champagne, Gillebert de Berneville, et, bien sûr, Gace Brulé. Ils y côtoient quelques danses et estampies enlevées. S’y est ajouté le parti-pris original de reprendre à plusieurs voix, quelques chansons monophoniques de cette période. C’est le cas de celle du jour, revisitée ainsi pour le plus grand plaisir du public (voir notre article précédent sur cet album).

Cet album de musique médiévale a été réédité depuis sa sortie. On peut encore le trouver chez tout bon disquaire mais aussi à la vente en ligne, au format CD comme au format mp3. Voici un lien utile pour plus d’informations : Les Escholiers de Paris, Ensemble Gilles Binchois, l’album.

Artistes ayant participé à cet album

Emmanuel Bonnardot (voix, rebec, vièle), Randall Cook (vièle, chalemie, recorder), Pierre Hamon (flute, cornemuses, percussion), Anne-Marie Lablaude (voix, percussion), Brigitte Lesne (voix, harpe, percussion), Susanne Norin (voix), Dominique Vellard (voix, cistre, direction), Willem de Waal (voix),


Douce dame, grez et grâces vos rent
en langue d’oïl avec aide à la traduction

Note sur la traduction : pour percer les mystères de la langue d’oïl de Gace Brulé, nous avons fait le choix, cette fois, de vous fournir plutôt quelques clefs de vocabulaire en français actuel. Pour le reste, ce sera donc à vous de jouer.

I
Douce dame, grez et grâces vos rent.
Quant il vos plaist que je soie envoisiez
* (content) ;
Atendu ai vostre comandement,
Si chanterai por vos joianz et liez
* (gaité),
Et, s’il vos plaist, de moi merci aiez.
En tel guise vos en praigne pitiez
Qu’il ne vos poist
* (pèse) se j’aim si hautement.

II
Je sai de voir
* (vraiment) que resons me defent
Si haute amor se vos ne l’otroiez;
Mais haut et bas sont d’un contenement
* (contenance),
Qu’amor les a a son talent jugiez;
Siens est li bas qui por li est hauciez.
Et siens li hauz qui s’en est abaissiez;
Qu’a son voloir les monte et les descent.

III
Je ne di pas que nus aint
* (aime) bassement.
Puis que d’amor est sorpris
* (désireux) et liiez* (joyeux) ,
Honorer doit la joie qu’il atent,
S’il estoit rois, et ele ert
* (de estre, était) a ses piez.
Mais je sui, las, sor toz autres puiez
* (élevé),
De hautement amer
(aimer) a mort jugiez* (condamner à mort);
Mes moût muert bel qui fait tel hardement.
(1)

IV
Par Dieu, dame, l’amors de vos m’esprent
* (éprendre, embraser),
Qui m’occira, se vos ne m’en aidiez.
El ne fait mes qu’a son comandement,
Si li ert bel se por li m’ociez
* (de occire).
Et s’endroit vos
* (quant à vous) est vaincue pitiez,
Moie ert la perte, et vostres li péchiez,
Que dou partir de vos n’i a nient.
(2)

V
Fine biauté plesant et cors très gent
* (gracieux, joli)
Vos dona Dieus, dont il soit merciez.
Nus ne porroit loer si finement
Voz granz valors con vos les mostreriez,
En touz bienfèz et en toz biens proisiez
* (de proisier : prisées, estimées);
Et s’il vos plaist honorez n’essaussiez
* (ni élever ou exhalter)
N’iert ja a droit qui d’amor ne l’atent
(3).

VI
Chantez, Renalt, ki antan amïez ;
Or m’est avis que vos en retraiez
* (retirez).
Se del partir estes apareilliez
* (vous vous apprêtez),
Ja onques Deus oan
(désormais) ne vos ament.


VII

Par Dieu, Gilet, faus amanz desloiez* (faux amant déloyal),
Qui d’amor s’est partiz
* (séparé) et esloigniez,
Vaut assez plus qu’uns autres enragiez ;
Chastoiez
en vos* (réprimandez-vous en) et l’autre dolent* (s’en afflige).

(1) Mais il meurt de fort belle manière celui qui le fait si hardiment.
(2) Car il n’y a aucun moyen de se séparer de vous
(3) Il n’est jamais juste celui qui ne l’attend de l’amour.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : Sur l’image d’en-tête, en arrière plan de la photo de Dominique Vellard, vous pourrez voir la page du manuscrit Ms Français 845 où l’on peut trouver cette même chanson de Gace Brulé. Cet ouvrage du XIIIe siècle est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF et consultable en ligne sur Gallica.

« En ceste note dirai » une chanson médiévale courtoise du très plaisant Colin Muset

poesie_litterature_medievale_realiste_satirique_moral_moyen-ageSujet  : musique, chanson médiévale, humour,  trouvère, ménestrel, jongleur, auteur médiéval, vieux-français, amour courtois, langue d’oïl, bonne chère.
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur : Colin Muset (1210-?)
Titre    « En ceste note dirai »
Ouvrage :   Les chansons de Colin Muset
(2e édition)  éditées par Joseph Bédier (1938)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous proposons, aujourd’hui, une nouvelle incursion  au  Moyen Âge central , en compagnie du trouvère Colin Muset.   Entre courtoisie et légèreté,  entre lyrisme et goûts pour les plaisirs de la table,   ce très sympathique auteur médiéval nous a laissé une œuvre courte, d’une vingtaine de pièces,  mais toujours rafraîchissante.

Une chanson courtoise
teintée de joie et de légèreté  

deco_enluminures_rossignol_poesie_medievaleLa chanson du jour  se situe  en plein dans la lyrique courtoise.   Colin Muset y campe le parfait  amant  à la merci du désir et de l’acceptation de  la belle que son cœur a élue.  Conventions obligent, pour peu on y mourrai d’amour.  Pourtant, le ton ici reste léger,  et, au sortir, cette pièce respire  bien plus la  joie,  le divertissement et l’envie  de  célébrer l’amour.

A la différence  de   nombre de ses contemporains, si un baiser de la belle damoiselle fera, à coup sûr, s’envoler le cœur de notre poète, il  sera aussi pour  les deux  amants,  la promesse d’une vie remplie de bonne chère et de  plaisirs Bacchusiens : oies grillées bien grasses et vin à profusion,  chez Colin Muset, les  joies   des banquets et leurs libations ne  sont jamais très éloignées des plaisirs de l’amour. C’est d’ailleurs bien  un   des traits qui fait tout son charme ; à  huit siècles  de  sa maîtrise de la lyrique courtoise et de ses codes,   ses clins d’œil  aux plaisirs de l’estomac comme ici, ou ailleurs à la pingrerie de ses hôtes  (voir sire cuens j’ai viélé) ou même au flirt de leurs dames, sont encore là pour nous faire sourire.

Sources  historiques et manuscrits anciens

Pour la transcription de la pièce du jour en graphie moderne, nous avons choisi  Les chansons de Colin Muset   de  Joseph Bédier. Cet ouvrage,   daté de 1938, fait toujours référence quant à l’œuvre du trouvère. On le trouve encore édité de nos jours : Les Chansons. Edite par Joseph Bedier. Deuxieme Edition Corrigee et Completee. (1938).

Pour le reste, cette chanson est présente dans  trois manuscrits médiévaux d’époque. Depuis Bédier, les nomenclatures ont totalement changé. Il faut donc faire un peu de recherches pour les retrouver. Tout trois sont consultable en ligne sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France. En voici le détail.

colin-muset-musique-chanson-medievale-trouvere-vieux-francais-moyen-age-francais-845-bnf-s  Le Français 845

On citera,  pour commencer le  MS   Français 845 (ancienne cote Regius 7222.2), désigné par Manuscrit N par Bédier. Daté de la fin du  XIIIe  siècle,  ce superbe ouvrage  contient divers chansons, jeux-partis et pastourelles de trouvères avec leur notation musicale.   La chanson de notre trouvère  y est annotée sur son premier couplet, et on peut supposer qu’elle se répète pour le reste de  la pièce.  (voir photo ci-dessus – consulter le manuscrit original sur Gallica)

colin-muset-musique-chanson-medievale-trouvere-vieux-francais-moyen-age-ms-5198-bnf-s

Le MS 5198

On ajoutera à   cela le Manuscrit médiéval désigné  sous le nom de K par Bédier et ses contemporains. On  le retrouve à la BnF sous la cote  Ms  Arsenal   5198 (photo ci-dessus). Ce véritable trésor des débuts du XIVe siècle (1300-1325), également connu sous le nom de Chansonnier de Navarre,  contient pas moins de 420 pages.   Elles sont emplies de pièces et chansons annotées musicalement, de trouvères du   XIIIe, dont, entre autre, l’oeuvre de Thibaut de Champagne.   Vous pourrez  consulter ce manuscrit ancien sur Gallica au lien suivant.

Le   Français 20050

Pour terminer ce tour des sources d’époque, on peut encore trouver cette pièce dans le  manuscrit désigné X (par J Bédier) ou même encore U par d’autres auteurs. Il fait référence au chansonnier occitan X.  A la fin du XIIIe siècle, cet ouvrage à été recopié, avec le  Chansonnier français U, dans le manuscrit référencé Français 20050  à la BnF. Nous vous avons déjà parlé,  à plusieurs reprises, de cet ouvrage médiéval célèbre, également connu sous le nom de  Chansonnier de Saint-Germain-des-Prés (consultation en ligne sur Gallica).


  » En ceste note dirai »  du vieux français
de  Colin Muset au français moderne

Traduction en français moderne

deco_enluminures_rossignol_poesie_medievaleA l’habitude, nous avons nous sommes chargé d’approcher la traduction du vieux français d’oïl de Colin Muset au français moderne. En dehors des dictionnaires et des différents supports sur lesquels nous nous sommes appuyés, nous voulons citer ici une source d’intérêt, trouvée en chemin. Il s’agit d’un site web dédié à la littérature européenne et proposé par l’Université de Rome.  Si vous parlez italien, vous y découvrirez  une véritable mine d’or avec de nombreux auteurs médiévaux approchés et traduits par des chercheurs et universitaires italiens venus d’horizons divers. Voici notamment une traduction (italienne) de la chanson du jour : Colin Muset, letteratura europea,  Università di Roma.

I.

En ceste note dirai
D’une amorete que j’ai,
Et pour li m’envoiserai
Et bauz et joianz serai:
L’en doit bien pour li chanter
Et renvoisier et jouer
Et son cors tenir plus gai
Et de robes acesmer
Et chapiau de flors porter
Ausi comme el mois de mai.

Dans cette chanson je parlerai
D’une amourette (amante) que j’ai,
Et pour elle je me divertirai   (réjouir, divertir)
Et je serai audacieux et joyeux :
On doit bien chanter pour elle
Et se réjouir et se divertir,
Et tenir son corps en joie
Et s’orner de beaux habits
Et porter un chapeau de fleurs (coiffe, couronne)
Comme durant le moi de mai.

II.

Trés l’eure que l’esgardai,
Onques puis ne l’entroubliai;
Adès i pens et penserai:
Quant la vois, ne puis durer,
Ne dormir, ne reposer.
Biau trés douz Deus, que ferai?
La paine que pour li trai,
Ne sai conment li dirai:
De ce sui en grant esmai
Oncore a dire li ai;
Quant merci n’i puis trouver
Et je muir por bien amer,
Amoreusement morrai.

Dès lors que je la vis
Jamais plus je ne l’oubliais ;
Je pense toujours à elle et toujours y penserai:
Quand je la vois, je ne peux résister,
Ni dormir, ni prendre de repos.
Bon et très doux Dieu, que vais-je faire?
La douleur que j’endure pour elle,
Je ne sais comment je lui dirai :
Cela me cause un grand émoi ( inquiet),
Car il me faut encore lui dire ;
Tant que je ne peux trouver grâce
Et que je meurs pour bien aimer
Je mourrai avec amour.

III.

Je ne cuit pas ensi morir,
S’ele mi voloit retenir
En bien amer, en biau servir;
Et du tout sui a son plesir
Ne je ne m’en qier departir,
Mès toz jorz serai ses amis.

Je ne pense pas qu’ainsi je mourrais
Si elle voulait me garder auprès    d’elle
Pour bien l’aimer et bien la servir (avec application):
Et en toute chose, je me tiens à son entière disposition
Ni ne veux m’en séparer
Mais toujours demeurer son ami.

IV.

Hé! bele et blonde et avenant,
Cortoise et sage et bien parlant,
A vous me doig, a vous me rent
Et tout sui vostres sanz faillir.
Hé! bele, un besier vous demant,
Et, se je l’ai, je vous creant
Nul mal ne m’en porroit venir.

Eh! Belle et blonde et agréable (notion de valeur, de mérite ?),
Courtoise et sage, au beau parler
A vous je me donne, à vous, je me livre
Et je suis vôtre tout entier, sans faillir.
Eh! Belle, je ne vous demande qu’un  baiser
Et si je l’obtiens,  je vous garantis (créant : de creire, croire)
Qu’aucun mal ne m’en pourrait advenir.

V.

Ma bele douce amie,
La rose est espanie;
Desouz l’ente florie
La vostre conpaignie
Mi fet mult grant aïe.
Vos serez bien servie
De crasse oe rostie
Et bevrons vin sus lie,
Si merrons bone vie.

Ma belle douce amie,
La rose s’est épanouie;
Sous la branche fleurie
Votre compagnie
Me procure un grand réconfort (aïe : aide, secours).
Vous serez bien servi
D’oie grillée bien grasse
Et nous boirons le vin sur la lie,
Et ainsi, mènerons  une bonne vie.

VI.

Bele trés douce amie,
Colin Muset vos prie
Por Deu n’obliez mie
Solaz ne compagnie,
Amors ne druerie:
Si ferez cortoisie!

Ceste note est fenie.

Belle et très douce amie,
Colin Muset vous supplie
Par Dieu n’oubliez jamais
l’amusement, ni la compagnie,
L’amour, ni les plaisirs amoureux (affection, tendresse, galanterie, gages)
Ainsi vous serez courtoise! (vous pratiquerez la courtoisie)

Cette chanson est terminée.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Colin Muset, portrait et une chanson médiévale sur les déboires du trouvère du XIIIe siècle

poesie_litterature_medievale_realiste_satirique_moral_moyen-ageSujet : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, humour,  trouvère, biographie, ménestrel, jongleur, auteur médiéval, vieux-français
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle.
Auteur ; Colin Muset (1210-?)
Titre :  « Sire Cuens, j’ai viélé »
Interprètes : Les productions Perceval (livre MM Le moyen-âge la renaissance, Editions J. M. Fuzeau, 1989

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partons aujourd’hui aux abords du XIIIe siècle pour parler d’un trouvère célèbre du nom de Colin Muset: portrait, détails sur l’homme et sur l’oeuvre donc et, bien sûr, présentation d’une de ses chansons pour compléter le tableau.

Eléments (flous) de biographie

A l’image de nombreux autres trouvères ou troubadours de son temps, quand ils n’étaient pas eux-même des seigneurs suffisamment notables pour entrer dans l’histoire,  on sait peu de chose de la vie de Colin Muset. Originaire de Lorraine ou de Champagne, il serait né au début du XIIIe siècle, autour de 1210. On ne connait pas non plus la date de son trépas mais on sait qu’entre les deux, il aurait été poète, musicien et joueur de Viole (vièle à archet).

Si l’on se fie au contenu de ses poésies, il allait de cour en cour pour proposer son art et pour subsister. Pour autant, nous ne sommes pas là face à un artiste miséreux puisque, à l’en croire toujours, il avait  une servante pour assister sa famille et il avait colin_muset_trouvere_XIIIe_poesie_chanson_musique_medievale_XIIIe_siecle_moyen-agemême encore une valet pour s’occuper de sa monture.

De fait, en son temps et sur la base des poésies du Ménestrel, Gaston Paris nous a dépeint Colin Muset comme un bon vivant, menant somme toute, une existence assez bourgeoise. Marié avec au moins un enfant, il aurait été sédentaire l’hiver et plus itinérant durant l’été. « Poète, amoureux et parasite » ainsi qu’il se voyait lui-même, sa poésie oscille entre légèreté, images bucoliques, amourettes et encore des aspirations à une vie confortable et jouisseuse, entourée de bons vins et de bonne chère.  On retrouvera sans peine quelques uns de ces traits dans la chanson que nous vous présentons aujourd’hui pour accompagner ce portrait et qui est une de ses plus célèbres.

Contemporain de Thibaut de Champagne, roi de Navarre, Colin Muset a-t-il fini par entrer au service et sous la protection de ce dernier ? Si on le trouve affirmé ça ou là, cela ne semble pas faire l’unanimité chez les nombreux auteurs  qui se sont penchés sur lui.

« Sire cuens, j’ai viélé », Ensemble Perceval

Le legs de Colin Muset : comptages, débats d’experts, corpus, etc…

Signe d’une certaine reconnaissance et popularité de cet artiste médiéval en son temps, on peut trouver les oeuvres de Colin Muset  dans de nombreux manuscrits anciens qui s’échelonnent entre le milieu du XIIIe et le début du XIVe siècle. Deux d’entre eux en contiennent le plus grand nombre, le MS  389 ou Le Chansonnier français de la Burgerbibliothek de Berne, et encore le   Chansonnier U connu encore sous le nom de Manuscrit de Saint-Germain des près (MS français 20050). Véritable mine d’or de la chanson française (et provençale) du moyen-âge central, ce dernier est en tout cas le plus ancien dans lequel on puisse trouver des pièces de Colin Muset aux côtés de 304 autres trouvères, 333 chansons et encore 29 compositions provenant de troubadours. La chanson du jour se trouve, quant à elle, dans quatre autres manuscrits  dont le manuscrit MS 5198 de l’Arsenal et encore dans le MS Français 845 dont est tirée l’image ci-dessous.

sire_cuens_manuscrit_ancien_colin_muset_chanson_poesie_medievale_trouveres_moyen-ageQuoiqu’il en soit, du XIXe siècle jusqu’à des dates encore très récentes (2007), entre poésies non signées, simplement émargées après coup par un « rubriqueur » ou un copiste, mais aussi entre approches déductives, comptage de pieds ou longues analyses stylistiques et métriques, le nombre exact de pièces attribuées à notre trouvère du jour a oscillé d’une douzaine à un peu plus d’une vingtaine. Les débats n’étant toujours pas clos sur le sujet,  au delà de la douzaine, on se retrouve en face d’un corpus aux contours flottant différemment en fonction des experts.

Au demeurant, cela reste une production plutôt chiche, si on la compare avec celle d’autres trouvères ou jongleurs contemporains du XIIIe siècle comme un Adam de la Halle ou un Rutebeuf. En dehors du fait que certaines de ses oeuvres se sont peut-être perdues, sans doute  Colin Muset chantait-il, en plus de ses propres pièces, des oeuvres empruntées à d’autres. Comme nous le montrent les manuscrits d’époque, il n’aurait eu, dans cette hypothèse, que l’embarras du choix dans le large répertoire des trouvères dont il était contemporain.

Sire Cuens, j’ai viélé

O_lettrine_moyen_age_passionn ne peut pas s’empêcher de trouver, dans cette chanson de Colin Muset sur les déboires de l’activité de trouvère,  quelques similitudes avec certaines complaintes de Rutebeuf, sur le fond au moins en tout cas. L’humour est à l’évidence présent, et il faut bien avouer que l’interprétation de la pièce du jour le renforce encore, mais au delà, le texte met en scène ce fameux « je » poétique dont nous avions déjà parlé avec Rutebeuf (voir article)  et que nous avions ré-abordé en parlant de la poésie de Michault Taillevent. (voir article sur le passe-temps de Michault).

Entre poésie goliardique, fabliaux et notes satiriques, le XIIIe se signe aussi par une forme d’émancipation de certains de ses auteurs d’avec la lyrique courtoise.  Colin Musset reste un de ceux là.

Benureau_Kaamelott_Alexandre_Astier_trouvere_moyen-age_colin_muset_complainte_chanson_medievale_XIIIe_siecle« L’ami Barde n’eut point ripaille
Parti sans pain et sans fruit
Quand chanta pour les funérailles
Du roi Loth mort dans son lit.
Niah, niah, niah, niah! »
Le Barde ( Didier Bénureau) –
Kaamelott,
Alexandre Astier

Sans parler du clin d’oeil fait par Alexandre Astier dans Kaamelott au sujet du barde mal reçu, que cette chanson de Colin Muset ne peut manquer d’évoquer pour ceux qui connaissent la série, on trouvera cette complainte sur les mauvais donneurs, reprise par d’autres chanteurs et artistes du moyen-âge. Il faut bien dire qu’un certain idéal de pauvreté, synonyme peut-être d’une forme authenticité pour certains artistes ou auteurs romantiques du XIXe n’a rien de médiéval. Les trouvères ou troubadours du moyen-âge ne se cachent pas, en effet, de vouloir gagner quelques deniers bien mérités et un bon traitement en échange de leur art.

Les paroles de « Sire Cuens, j’ai viélé »
dans le vieux-français de Colin Muset

Sire Cuens* (Comte), j’ai viélé
Devant vos, en vostre ostel :
Si ne m’avez rien doné,
Ne me gages acquités ;
C’est vilanie !
Foi que doi Sainte Marie,
Ensi ne vos sieuré je mie ;
M’aumoniere est mal garnie
Et, ma borse mal farcie !

Sire Cuens, car commandez
De moi vostre volenté ;
Sire, s’il vos vient à gré,
Un biau don car me donez
Par cortoisie !
Car talent ai, n’en dotez mie
De raler a ma mesnie* : (retourner en ma maison)
Quant g’i vois borse d’esgarnie,
Ma fame ne me rit mie,

Ainz me dit : « Sire Engelé,
En quel terre avez esté
Qui n’avez riens conquesté ?
Trop vos estes deporté 
Aval la vile !
Vez con vostre male plie :
El est bien de vant farsie !
Honi soit qui a envie
D’estre en vostre compaignie ! »

Quand je vieng a mon ostel.
Et ma fame a regardé
Derrier moi le sac enflé
Et ge, qui sui bien paré
De robe grise.
Sachiez qu’elle a tost jus mise
La quenoille ; sanz faintise
Ele me rit ; par franchise,
Ses deux braz au col me lie.

Ma fame va destrousser
Ma male sans demorer* (sans attendre) ;
Mon garçon va abuvrer
Mon cheval, et conreer* (en prendre soin, le nourrir) ;
Ma pucele* (servante, jeune fille) va tuer
Il chapons, por deporter* (célébrer)
A la janse aillie* (sauce à l’ail)
Ma fille m’aporte un pigne* (peigne)
En sa main par cortoisie…
Lors sui de mon ostel sire
A meolt grant joie, sanz ire,
Plus que nus ne porroit dire.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.