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La Ballade des menus propos de maître François Villon et l’analyse littéraire de Gert Pinkernell

françois_villon_poesie_francais_moyen_ageSujet : poésie, littérature médiévale, réaliste, satirique, ballade, auteur médiéval, analyse littéraire.
Période : moyen-âge tardif
Titre :  « Ballade des menus propos »
Auteur :  François Villon (1431- ?1463)

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passionégèreté et profondeur, de la mouche à la mort, peut-être ne sont-ils pas au fond si menus ces propos de François Villon sur la connaissance du monde et des choses, opposée à la difficulté  ou l’impossibilité dérisoire de se connaitre soi-même.

Dans cette ballade  dont le  titre même semble nous inviter à ne pas la prendre au sérieux, cette litanie de celui qui connaît tout mieux qui lui-même qui revient comme une ronde, vient trancher comme un couperet  dans la légèreté du propos. A quelques exceptions, voilà donc une grande liste de connaissances finalement assez peu savantes, pour un narrateur poète  qui, pour finir, confesse se connaître lui-même encore moins.

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Avec cette pirouette ironique, Villon se rit-il seulement de lui-même ou fait-il encore  une allusion  ( narquoise ?)  à un genre poétique connu de son temps et dont on retrouve la trace aussi dans le lointain XIIe siècle, notamment dans la poésie du duc d’Aquitaine , Guillaume IX (1071-1126)  ?

Ieu conosc ben sen et folhor,
E conosc anta et honor,
Et ai ardimen e paor…

Je connais  bien sens et folie
Je connais  la honte et l’honneur
J’ai connu l’audace et la peur

Guillaume IX d’Aquitaine
Ben vuelh que sapchan li pulzor

Une hypothèse plus pragmatique
sur la ballade des menu propos de Villon

D_lettrine_moyen_age_passionans une approche plus pragmatique et plus « factuelle » de la poésie de François Villon et notamment sur la période  qui couvre les années 1457 à 1461, le romaniste et professeur de littérature française allemand Gert Pinkernell (1937-2017) a émis l’hypothèse qu’à l’image de la ballade des proverbes, cette ballade des menus propos  pouvait être une tentative du poète médiéval  pour se réconcilier avec son protecteur Charles d’Orléans. Toujours selon Gert Pinkernell, au moment de l’écrire, Villon avait été chassé de Blois, suite à une querelle entre poètes de cour; le bon Villon aurait pu en effet y égratigné quelque peu un dénommé  Fredet, poète alors en faveur du seigneur d’Orléans. Ce dernier, ainsi que son écuyer, en aurait d’ailleurs  blâmé François Villon par poésie interposée qui, humilié, aurait alors décidé de déserter la cour.

Toujours suivant l’hypothèse de l’auteur allemand, cette  ballade des menus propos prendrait donc plutôt l’allure d’un plaidoyer de Villon sur sa propre ignorance, animé de  la volonté très pratique de se remettre dans les faveurs du noble. Le poète médiéval  y relaierait encore dans un jeu de miroir,  un plaidoyer fait peu avant par Charles d’Orléans pour la défense de Jean d’Alençon et dans lequel  le prince reprenait notamment la phrase suivante empruntée à Saint-Bernard :   « plusieurs congnoissent plusieurs choses et ne se congnoissent pas eulx mesmes »    et  plus loin: « …congnoissant que je ne suis ne sage, ne bon clerc… »

Encore une fois, il est difficile d’être totalement affirmatif sur tout cela et Gert Pinkernell  lui-même prend de grandes précautions  jusque la fin de son propos:  « il pense avoir démontré qu’il est vraisemblable que… » Son approche suscite d’ailleurs quelques polémiques en d’autres endroits, parce que toute théorique et finalement absolument invérifiable même si elle se fonde sur l’ analyse minutieuse des textes, et des rapprochements  et renvois aussi précis que troublants d’une poésie à l’autre.  Au demeurant, ses efforts pour ancrer  les ballades de François  Villon dans le contexte réel de ses relations avec Charles d’Orleans  et la cour restent tout à fait Francois_villon_poesie_litterature_medievale_ballade_menu_propos_analyselouables et pour tout dire, sans aucunement les déprécier, plutôt plaisants à suivre.  On y trouve, bien sûr, de nombreux : « Villon a pu » « a dû », « a certainement », mais  on suit avec plaisir les investigations littéraires de G Pinkernell pour mettre à jour les intrigues relationnelles possiblement cachées derrière la  poésie  de Villon, dans le but de la ré-éclairer d’une autre manière. Il faut ajouter que pour un peu, en le lisant, on assisterait presque à une répétition des querelles entre poètes de cour et des règlements de compte par poésies interposées au milieu desquels Clément Marot se retrouvera pris,  un peu moins d’un siècle plus tard.

Si le sujet vous intéresse,  vous trouverez plus de détails sur la  question dans l’ouvrage  du :  François Villon et Charles d’Orléans (1457 à 1461) de Gert Pinkernell. Plus accessible encore, vous pourrez consulter  sur Persée un article détaillé du même auteur, paru en 1983 dans lequel il développe déjà largement cette hypothèse :  une nouvelle date dans  la vie et dans l’oeuvre de François Villon :  4 octobre 1458.

La ballade des menus propos

Je connois bien mouches en lait,
Je connois à la robe l’homme,
Je connois le beau temps du laid,
Je connois au pommier la pomme,
Je connois l’arbre à voir la gomme,
Je connois quand tout est de mêmes,
Je connois qui besogne ou chomme,
Je connois tout, fors que moi-mêmes.

Je connois pourpoint au collet,
Je connois le moine à la gonne,
Je connois le maître au valet,
Je connois au voile la nonne,
Je connois quand pipeur jargonne,
Je connois fous nourris de crèmes,*
Je connois le vin à la tonne,
Je connois tout, fors que moi-mêmes.

Je connois cheval et mulet,
Je connois leur charge et leur somme,
Je connois Biatris et Belet,
Je connois jet qui nombre et somme,
Je connois vision et somme,
Je connois la faute des Boemes,
Je connois le pouvoir de Rome,
Je connois tout, fors que moi-mêmes.

Prince, je connois tout en somme,
Je connois coulourés et blêmes,
Je connois mort qui tout consomme,
Je connois tout, fors que moi-mêmes.

* Sur ces fous nourris de crème, c’est encore un article de Persée qui vient à notre secours pour tenter de les expliquer : Note sur la Ballade des menus propos. Gertrude Schoepperle.  Deux hypothèses existent sur l’interprétation de cette expression. La première  y verrait plutôt comme sens que les fous  sont bien nourris à l’inverse des sages et des poètes, La deuxième hypothèse, développée dans cet article,  souligne l’association  fréquente à l’époque du fou et du fromage.

Un  excellente journée à tous !

Frédéric EFFE.
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François Villon chanté par Monique Morelli: Ballade des menus propos

françois_villon_poesie_francais_moyen_ageSujet : poésie, littérature médiévale, réaliste,  ballade,  Villon chanté, chanson.
Période : moyen-âge tardif
Titre :  « Ballade des menus propos »
Auteur :  François Villon (1431- ?1463)
Interprètes :  Monique Morelli
Album  : François Villon (1974)

C_lettrine_moyen_age_passion‘est une voix surgie du passé qui entonne ici la ballade des menus propos de François Villon, celle d’une chanteuse populaire dans la veine d’une Piaf qui, dans les années soixante-dix chantaient  les poètes.

Pour ceux qui  se souviennent de la série télévisée Mandrin, Monique Morelli (1923-1993) y incarnait encore  le rôle de  La monique_morelli_francois_villon_poesie_medievale_moyen-age_tardifCarline et c’est elle qui prêtait aussi sa voix puissante au chant de Mandrin et à toutes les variations narratives chantées qui ponctuaient la série.  Sans doute fut-elle une des dernières et dignes représentantes d’une certaine façon de chanter.

A partir de  1962, son cabaret parisien  Chez Ubu fut un espace de création et d’expression pour de nombreux artistes et ce n’est pas par hasard si l’on peut encore entrevoir une parenté entre elle et la très  créative Brigitte Fontaine, dans l’ambition littéraire et poétique au moins, même si leur style vocal diffère. Quoiqu’il en soit, à l’image de Léo Ferré, le récital de Monique Morelli est resté ambitieux et elle  a contribué  à faire connaître de nombreux poètes en les chantant.

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Pour le reste, hormis les troubadours ou trouvères occitans, les poètes médiévaux de langue d’oil sont relativement peu chantés dans le texte original et elle a sans doute été une de celle qui a le plus exploré le fait de mettre en chanson la poésie de  Villon en lui dédiant un album complet.

En vous souhaitant une belle journée!

Fred
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L’épitaphe de François Villon par Georges Brassens

françois_villon_poesie_francais_moyen_ageSujet : poésie, littérature médiévale, réaliste, satirique, épitaphe, auteur médiéval, testament,  rondeau.
Période : moyen-âge tardif
Titre :  « épitaphe et rondeau »
Oeuvre : le grand testament
Auteur :  François Villon (1431- ?1463)
Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoilà un peu de la poésie médiévale de Maître François Villon  en forme d’épitaphe, avec un extrait poesie_realiste_litterature_medievale_auteur_francois_villon_rondeau_epitaphe_moyen-agede cet entêtant testament qui résonne encore jusqu’à nous. C’est la poésie  de celui qui attend dans sa geôle une mort et une pendaison qu’il pense déjà certaines. Cette Camarde, il l’a tellement apprivoisée dans la solitude désespérée de sa prison  qu’il s’est projeté dans son au-delà. Et ce testament, presque déjà post-mortem et qui semble quelquefois être celui d’un revenant, c’est encore un chant de détresse et de rédemption : Villon déjà mort, déjà pendu, déjà oublié,  sacrifié sur l’autel de ses misères et de ses erreurs, priant pour que son âme soit sauvée et avec la sienne, les nôtres aussi un peu.  Il sera relâché pourtant, pour disparaître peu après avec ses mystères sans que l’on ait jamais su ce qu’il était advenu de lui, en nous  laissant, avant de partir comme un grand cri, ce testament, qui a marqué depuis la poésie au fer rouge.

Épitaphe et rondeau

Ci gît et dort en ce solier,
Qu’amour occit de son raillon,
Un pauvre petit écolier
Qui fut nommé François Villon.
Oncques de terre n’eut sillon.
Il donna tout, chacun le sait :
Table, tréteaux, pain, corbillon.
Pour Dieu, dites-en ce verset :

Repos éternel donne à cil,
Sire, et clarté perpétuelle,
Qui vaillant plat ni écuelle
N’eut oncques, n’un brin de persil.

Il fut rés, chef, barbe et sourcils,
Comme un navet qu’on ret ou pèle.
Repos éternel donne à cil.

Rigueur le transmit en exil
Et lui frappa au cul la pelle,
Nonobstant qu’il dît :  » J’en appelle ! « 
Qui n’est pas terme trop subtil.
Repos éternel donne à cil.
François Villon – Epitaphe et rondeau

Improvisation a Cappella de G. Brassens
sur l’épitaphe de Villon.

C_lettrine_moyen_age_passion‘est un document rare que nous partageons ici, une petite improvisation de Georges Brassens, à la faveur d’un interview, sur cet épitaphe de Villon. C’est encore une référence et un tribut de plus à ajouter  au compte du grand chanteur anarchiste  et non conformiste sétois du XXe,  envers  celui dont  on fit son maître et qu’il finit par adopter.  Tous les articles sur la poésie de  Villon chez Brassens sont ici.

En vous souhaitant une belle journée!

Fred
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Une Epigramme de Clément Marot et quelques mots sur son édition de l’oeuvre de François Villon

poesie_medievaleSujet :  poésie médiévale,  François Villon, poète, épigramme, poésies courtes,  édition Villon.
Période : fin du moyen-âge, début renaissance
Auteur :  Clément Marot (1496-1544)
Titre : « Epigramme à Francois 1er sur Villon »

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionvec  l’arrivée du  mois de Mars, il sera bientôt temps de reprendre le chemin des événements et des fêtes médiévales qui nous reviennent déjà avec la promesse des beaux jours, mais comme il est encore un peu tôt pour le faire, nous publions  aujourd’hui,  une nouvelle épigramme de Clément Marot de Cahors que voici :

« Si, en Villon on treuve encore à dire,
S’il n’est reduict ainsi qu’ay pretendu,
A moy tout seul en soit le blasme (Sire)
Qui plus y ay travaillé qu’entendu :
Et s’il est mieulx en son ordre estendu
Que paravant, de sorte qu’on l’en prise,
Le gré à vous en doyt estre rendu,
Qui fustes seul cause de l’entreprise. »
Clément MAROT, (1496-1544)
Epigramme au Roy François Ier, sur  Françoys Villon (1532).

C’est cette fois-ci une poésie  qui, d’une certaine manière, réunit trois poètes:  l’auteur de l’épigramme Clément Marot lui-même, l’hommage qu’il rend au Roi François 1er,  mécène, grand amateur d’art et poète à ses heures, pour lui avoir demandé de réimprimer et rééditer François Villon, et enfin l’hommage qu’il fait directement dans ses lignes à Villon lui-même.  Le roi, Marot lui-même nous l’apprend, était un grand amateur de Villon. Qu’on ne pense pas pourtant que le grand Maistre de poésie médiévale ait dû  attendre si longtemps poesie_litterature_medievale_clement_marot_oeuvres_francois_villon_edition_ancienne_1533_renaissancepour être révélé. De la plus ancienne édition connue de l’oeuvre de Villon parue en 1489, à celle de Marot, datant de 1533, on retrouve, en effet, ce dernier publié dans plus de neuf autres éditions, en l’espace de ces quelques quarante années.

Si la popularité de ce dernier était alors indéniable, l’édition de Marot « les oeuvres de François Villon de Paris, revues et remises en leur entier par Clément Marot, Valet de chambre du Roy » est  pourtant reconnue comme la première à rendre véritablement justice au poète médiéval, en publiant son oeuvre dans son intégralité, Plus loin, Marot fera également un  véritable travail de fond pour restituer le texte de l’auteur au plus proche du verbe original, fustigeant au passage les imprimeurs pour leur négligence dans le traitement de l’oeuvre originale de Villon : coquilles variées, libertés prises avec le texte, et par dessus tout,  attribution à l’auteur médiéval de poésies dont il n’est pas l’auteur, ce que Marot résumera  au début de son ouvrage avec ses deux simples vers qui disent bien son ambition:

« Peu de Villons en bon savoir
Trop de Villons pour decevoir »
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C’est donc tout à la fois avec son expérience d’éditeur (il a publié quelques années auparavant le roman de rose), et toute l’exigence  et la rigueur de l’auteur et poète qu’il est lui-même que Clément Marot se posera en véritable défenseur du verbe de Villon et de son oeuvre originale. Il y mettra même, sans doute, plus d’exigence que Villon en avait lui-même projeté de son vivant, déjà conscient qu’il était que son oeuvre serait galvaudée, élargie ou même modifiée. Faut-il voir là deux conceptions de la notion d’oeuvre et d’auteur? L’une médiévale finissante qui n’a pas encore tout à fait mis en place une définition stricte du statut d’auteur et qui considère même poesie_litterature_medievale_clement_marot_oeuvres_francois_villon_edition_ancienne_1533_renaissance_2l’oeuvre comme quelque chose de vivant et « d’élastique », une sorte de patrimoine « collectif » dans un monde qui privilégie encore de manière forte l’oralité, et l’autre plus résolument renaissante qui entend cerner déjà plus précisément les contours de l’auteur, pour  le séparer de  ce que l’on pourrait nommer « un corpus ». Certains historiens le pensent et l’avancent.

Quoiqu’il en soit, le public saura reconnaître la qualité du précieux travail de Marot puisque son édition rencontrera un franc succès et sera republiée dix fois, de sa première parution à l’année 1542. Elle fera longtemps autorité et il faudra même attendre le XIXe siècle pour la voir remise en question et critiquée à la faveur des nouvelles méthodologies dont se sera alors dotée l’Histoire: datation, authentification des sources et également accès à un nombre plus large de documents anciens sur l’oeuvre de Villon.

Quelques articles complémentaires utiles
sur l’édition de  Marot :

Si vous souhaitez creuser un peu plus le sujet, voici quelques sources très utiles  comme point de départ :

L’édition des Œuvres de Villon annotée par Clément Marot, ou comment l’autorité vient au texte, de Pascale Chiron

Clément Marot éditeur et lecteur de Villon, de  Madeleine Lazard , sur Persée.

Les oeuvres de Françoys Villon, de Paris, par Clément Marot, le manuscrit original, sur Gallica, site de la Bnf

En vous souhaitant un belle journée.

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