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L’importance de la poésie au Moyen Âge, avec Régine Pernoud

Sujet  :   citations, Moyen Âge,  historien, médiéviste, valeurs médiévales, valeurs actuelles, poésie médiévale, littérature médiévale, culture orale.
Auteur : Régine Pernoud (1909-1998)
Ouvrage : Lumière du Moyen Âge (1946)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous revenons aux réalités du monde médiéval avec une citation de l’historienne Régine Pernoud. Elle est extraite de son ouvrage Lumière du Moyen Âge. Sorti en 1946, cet essai prenait le contrepied d’une foule d’idées reçues sur le Moyen Âge.

Contre les idées reçues sur le monde médiéval

"Lumière du Moyen Âge" de Régine Pernoud

Bien que situé dans les premières publications de Régine Pernoud, Lumière du Moyen Âge semble préfigurer son œuvre toute entière. Dès lors, la médiéviste n’a cessé de combattre les préjugés à l’égard du Moyen Âge. Place des femmes, structure du pouvoir, rôle de l’Eglise, vie rurale et urbaine, « nouveauté » du Moyen Âge, particularités médiévales, peu de sujets ont échappé à sa sagacité.

A 80 ans de la sortie de ce livre, de nombreux médiévistes ont repris, depuis, ce même effort de déconstruction des préjugés à l’encontre du Moyen Âge. Aujourd’hui encore, cet ouvrage de Regine Pernoud reste, cependant, un classique facile d’accès et agréable à lire. On peut donc le recommander à tous ceux qui veulent appréhender, de manière plus juste et nuancée, la période médiévale.

Une citation de Régine Pernoud sur la poésie médiévale et sa place dans la vie de l'homme médiéval

Le goût du Moyen Âge pour la poésie

Dans la citation du jour, il est question de la poésie médiévale et de sa place dans la vie de l’homme du Moyen Âge. Régine Pernoud lui portait là un vibrant hommage. Elle parvenait même à nous la faire sentir de manière palpable dans le quotidien de l’homme médiéval, toutes classes confondues.

Nos lecteurs le savent, ce thème ne peut que nous parler. Depuis 2016, nous avons, en effet, mis en ligne plus de 560 textes issus de la littérature médiévale. Entre poésies, chansons, extraits divers, ces productions nous on permis de vous présenter, à date, plus de 80 auteurs médiévaux.

Pour les rendre accessibles, tous ces textes ont été traduits depuis leur langue d’origine (langue d’oïl, langue d’oc, anglo-normand, galaïco-portugais, …) en français actuel. Il nous est même arrivé de faire quelques incursions vers l’Italien, l’Anglais ou l’Espagnol anciens. Finalement, toutes ces langues reflètent la variété des langages de la France d’alors mais aussi d’une partie de l’Europe médiévale.

En matière de thème, les textes approchés portent sur l’amour courtois, la poésie morale et satirique, les fables, ou la vie médiévale. Toutefois, la prose y occupe une place bien moindre que la poésie et les formes versifiées. La citation du jour ne pouvait donc que nous ravir. C’est une évidence, le Moyen Âge a particulièrement aimé et célébrer ses langues et leurs richesses, à travers la poésie.


La poésie dans le monde médiéval, Régine Pernoud

« Jaillie tout entière de notre sol, la littérature médiévale en reproduit fidèlement les moindres contours, les moindres nuances ; Toutes les classes sociales, tous les événements historiques, tous les traits de l’âme française y revivent, en une fresque éblouissante. C’est que la poésie a été la grande affaire du Moyen Âge, et l’une de ses passions les plus vives. Elle régnait partout, à l’Eglise, au château, dans les fêtes et sur les places publiques : il n’y avait pas de festin sans elle, pas de réjouissances où elle ne joua pas son rôle, pas de société, université, association ou confrérie où elle n’eut accès.

(…) Dire des vers ou en écouter apparaissait (au Moyen Âge) comme un besoin inhérent à l’homme. On ne verrait guère, de nos jours, un poète s’installer sur des tréteaux, devant une barraque de foire, pour y déclamer ses œuvres : spectacle qui était alors commun. Un paysan s’arrachait à son labour, un artisan à sa boutique, un seigneur à ses faucons, pour aller entendre un trouvère ou un jongleur. Jamais peut-être, sauf aux plus beaux jours de la Grèce ancienne, ne se manifesta un tel appétit de rythme, de cadence et de beau langage. »

Régine Pernoud (1909-1998) – Lumière du Moyen-âge (1946).


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous  toutes ses formes

Contre le Moyen Âge, l’éternel retour du moyenâgeux

Sujet  :   citations, Moyen Âge,  historien, médiéviste , livres, préjugés, idées reçues, pouvoir politique
Auteur : Régine Pernoud (1909-1998)
Ouvrage : Pour en finir avec le Moyen Age, Seuil (1977)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous sommes heureux de partager un extrait de « Pour en Finir avec le Moyen Âge« , un des plus célèbres ouvrages de Régine Pernoud. Elle le rédigea plus de 30 ans après son premier ouvrage « Lumière du Moyen Âge » daté de 1946. De l’un à l’autre, le combat restait pourtant le même : lever le voile sur le Moyen Âge historique et le remettre à sa place, au milieu d’un océan de préjugés et de vents contraires.


« C’est assez dire que le Français moyen, aujourd’hui, n’accepte plus qu’on qualifie de « gauches et maladroites » les sculptures d’un portail roman, ou de « criardes » les couleurs des vitraux de Chartres. Son sens artistique est suffisamment éveillé pour que des jugements qu’on n’aurait même pas discutés il y a trente ans, lui paraissent, à lui, définitivement périmés. Cependant il reste un certain décalage, qui, peut-être, vient surtout d’habitudes d’esprit ou de vocabulaire, entre le Moyen Age qu’il admire toutes les fois qu’il en a l’occasion, et ce que recouvre pour lui ce terme de Moyen Age. (…) Moyen Age signifie toujours : époque d’ignorance, d’abrutissement, de sous-développement généralisé, même si ce fut la seule époque de sous-développement pendant laquelle on ait bâti des cathédrales ! Cela parce que les recherches d’érudition faites depuis cent cinquante ans et davantage n’ont pas encore, dans l’ensemble, atteint le grand public. »

Régine PERNOUD – Pour en Finir avec le Moyen Âge (1977)

Une citation de Régine Pernoud sur le Moyen Âge en Image

L’actualité du combat de Régine Pernoud
pour le Moyen Âge

Dans la citation du jour, la médiéviste faisait remonter à 150 ans avant elle, et au début du XIXe siècle, les premières déconstructions sérieuses du Moyen Âge à l’égard des visions caricaturales qui les avaient précédées. Et pourtant… Aujourd’hui, de nombreux spécialistes de cette période historique continueraient sans doute de s’accorder avec elle quand elle écrivait, dans ce même livre de 1977 : « …Or le médiéviste, s’il s’est mis en tête de composer un sottisier sur le sujet, se trouve comblé par la vie quotidienne. Pas de jour où il n’entende quelque réflexion dans le genre : « Nous ne sommes plus au Moyen Age », ou « C’est un retour au Moyen Age », ou « C’est une mentalité médiévale ».

Pour en finir avec le Moyen Âge, essai de Régine Pernoud

Force est de constater, en effet, que l’actualité des petites phrases ou d’articles vus ici ou là, comme certaines énormités issues de productions cinématographiques récentes, ne cessent de lui donner raison. A presque 200 ans de son point de référence, certains préjugés perdurent à l’encontre des temps médiévaux et c’est au point qu’on a du mal à croire qu’il puisse s’agir d’un simple phénomène passif ou d’ignorance communément partagée. Même si le chemin peut, quelquefois, être long du savoir académique et des laboratoires au grand public, le fait que les relais se soient aussi peu effectués en deux siècles semble aller un peu au-delà d’un simple défaut circonstanciel du système éducatif ou d’une « négligence » des programmes. Il faut bien qu’il y ait, tout de même, quelques volontés à l’œuvre pour expliquer tout cela (voir Moyen Âge, idées reçues et Révolution des machines). Et si, on peut, tout de même, espérer que les choses se soient un peu améliorées grâce à l’œuvre de la médiéviste du XXème siècle et de quelques autres vulgarisateurs après elle, un phénomène complexe de cristallisation semble être à l’œuvre ici qui condamne le public à ne jamais pouvoir entrer, tout à fait, en contact avec le Moyen Âge historique, comme certaines de ses valeurs et richesses. Pour en dire un mot, ce phénomène nous semble à la fois historique, langagier et idéologique. Si vous voulez vous frottez à quelques réflexions le concernant, nous vous invitons à télécharger cet article « Contre le Moyen Âge, l’éternel retour du Moyenâgeux« .

Hors de l’historiquement correct

Si Régine Pernoud a été souvent décriée par certains de ses confrères — en partie pour ses convictions et sa marginalité académique, mais peut-être aussi pour ses efforts de vulgarisation couronnés de succès auprès du public — on peut constater que ses détracteurs n’ont pas toujours réussi à remettre à l’heure les pendules du Moyen Âge, pas d’avantage qu’à soulever les mêmes montagnes qu’elle (1). De fait, en 1977, l’historienne constatait déjà les prémices d’un regain d’intérêt pour la période médiévale et ses monuments, soutenus entre autre par la télévision et ses programmes éducatifs (où sont-ils ? ). Pourtant, elle n’a pas fait qu’observer ce mouvement. Par son œuvre impressionnante — pas moins de 60 ouvrages d’une grande accessibilité — elle y aura aussi contribué. En touchant un très large public, les ouvrages de Régine Pernoud ont participé de cet engouement pour le Moyen Âge que n’ont pu que constater (comme elle ou après elle) des Jacques le Goff (qui parlait de « mode du Moyen Âge ») et d’autres médiévistes. Cet intérêt pour le monde médiéval perdure encore, même s’il a pris entre-temps d’autres formes et que sont venues s’y greffer d’autres influences exogènes et d’autres représentations.

Quoi qu’il en soit, même si elle ne s’est guère préoccupée de verser dans « l’historiquement correct » et n’en déplaise à ces opposants, on lit encore Régine Pernoud aujourd’hui, et on l’apprécie toujours plus de 20 ans après sa disparition. Jugez-en simplement par les commentaires élogieux sur ses ouvrages qui constellent le web. Et si on peut admettre que les années ont un peu passé sur certains d’entre eux, leurs vérités ont loin d’avoir été emportées par le flot du temps. Les sujets traités sont riches, son œuvre exhaustive. Durant sa longue carrière, Régine Pernoud n’a pas fait que réconcilier le Moyen Âge avec les femmes et le pouvoir féminin même si elle y a grandement contribué. Elle a éclairé toute cette période de sa sagacité, avec une volonté sincère de la faire partager au plus grand nombre et de transmettre. Avec un sens véritable de la pédagogie, nul ne pourrait dire, aujourd’hui, qu’elle n’y est pas parvenu.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous  toutes ses formes

(1) Au sujet des détracteurs de Régine Pernoud, tout autant que de son legs, lire le riche article « Défendre le Moyen Âge, les combats de Régine Pernoud » de Jean-Louis Benoît, issu de l’ouvrage collectif Le Savant dans les lettres, paru en 2014, aux Presses universitaires de Rennes.

NB : sur l’image d’en-tête, en arrière plan de la photo de Régine Pernoud, l’enluminure et ses bâtisseurs de cathédrales sont tirés du manuscrit de la BnF Latin 4915 : le Mare historiarum ou la Chronique universelle de la Création à 1250 du Frère dominicain et chroniqueur italien Giovanni Colonna.

La terre n’était pas plate au moyen âge mais elle est en train de le redevenir

podcast médiéval

Sujet : terre plate, terre ronde, science, histoire médiévale, idées reçues, préjugés, actualité.
Période : Moyen Âge.
Média  : podcast décembre 2021
Titre : La terre était-elle plate au Moyen âge ?
Intervenants : Christophe Dickès, Violaine Giacomotto-Charra, Sylvie Nony.

Bonjour à tous,

ous avions été contacté, il y a quelques années, par un auteur illustrateur. Assez sympathique, il nous avait dit faire des petits cahiers ludiques pour les enfants et pour une petite maison d’édition. L’un deux, déjà paru, portait sur le Moyen Âge. Il espérait que nous soyons intéressés et puissions en parler dans nos pages. Très honnêtement, l’idée nous a ravi. Hélas, en consultant le document, assez bien illustré, nous avons trouvé de nombreuses idées fausses sur le monde médiéval entre lesquelles la suivante, énoncée laconiquement : « Au Moyen Âge, l’Eglise et les gens pensaient que la terre était plate « . La messe était dite…

Actualité de la terre plate

Aujourd’hui encore, ce préjugé est, sans doute, celui qui résume le mieux les idées reçues sur le monde médiéval et ses mentalités. Il fait encore sourire, voir pouffer, d’un air entendu. « La Terre était considérée comme plate au Moyen Âge« . Si les médiévistes ne pouffent pas, de nouveaux publics se joignent, désormais, à eux pour des raisons différentes. À l’heure d’internet, tout devient possible et depuis quelque temps, les affirmations autour de la terre plate reviennent, en effet, au goût du jour. Cela fait lever les yeux au ciel à tous les astronomes, scientifiques, physiciens, astronomes amateurs, de la terre entière et même quelques milliards d’autres personnes. Pourtant, en janvier 2018, un sondage de l’IFOP établissait que près de 9% des français pensaient cette théorie possible : 2% en étaient totalement convaincus, 7% la jugeaient probables. C’est un peu plus qu’une sorte de « pourquoi pas ? » face à l’idée. Beaucoup de regards se sont alors tournés vers l’éducation et certains ont pu avoir une pensée émue pour la crédibilité accordée aux enseignements scolaires, autant que pour l’éducation scientifique.

À date, une brève requête faite sur google en langue française vous fera apparaître près de 46 200 000 résultats sur « terre plate ». Si vous la tentez en anglais (« flat earth »), le nombre vertigineux de 1 230 000 000 résultats s’affichera. Sur youtube, les vidéos sur le sujet sont également innombrables même si (rappelons-le) pour y poster, il ne faut pas nécessairement un doctorat en physique, ni même des études poussées en Astronomie ; une webcam et un soft de montage vidéo suffisent. En dehors de quelques pédagogues qui s’escriment à réhabiliter le bon vieux globe terrestre, si le courage vous en dit (personnellement, j’ai un peu passé mon tour), vous assisterez aux échafaudages les plus hardis visant à démontrer la platitude de notre bonne vieille « Plan-ète » .

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est deco-terre-plate-.jpg.

La plupart ne tiendrait sans doute pas 5 minutes face à un Hubert Reeves. Ils n’auraient pas, non plus, été approuvés par un regretté Haroun Tazieff ni un Albert Einstein et même votre prof de physique de collège pourrait les démonter, mais qui sont tous ces prétendus experts après tout ? Quelle légitimité réelle pourraient-ils bien avoir face à des millions d’opinions et de bouches grandes ouvertes en ligne ? Deux ou trois voix de plus dans l’arène, d’où qu’elles viennent, ne font pas une vérité, pas vrai ? Je plaisante à demi. La nouvelle barbarie dont Alessandro Baricco nous avait dit un mot est dans la place. À chacun sa vérité et sa panoplie d’experts. Le plus étonnant reste, sans doute, le niveau d’élaboration de certains de ces contenus et les efforts qui peuvent y être portés. Au final, tout ça viendra allégrement alimenter la définition de la complosphère et jeter le discrédit sur tout ce qu’on peut trouver en ligne. Les vrais lanceurs d’alerte noyés dans une mer où surnagent toutes les vérités et leur exact contraire. Pas terrible…

Points de vue et motivations

Illustration d'une théorie de la terre plate

Pour revenir à la terre plate, nous aurait-on menti ? Vivons-nous, sans le savoir sur un plan, un monde plus plat que la Belgique de la chanson de Brel ? Une sorte de théâtre à la Trueman show ? Certains se posent la question, d’autres s’en laissent convaincre. Nous n’allons pas passer en revue ici toutes les théories qui mettent du baume au cœur des « platistes », ni même nous aventurer à juger ces derniers. Pourtant, il est permis de se demander comment des allégations venues contredire des siècles, et même des millénaires de cosmologie, peuvent parvenir à se propager au XXIe siècle ? (même si cela reste très relativement, n’exagérons rien). À l’heure des stations spatiales, des satellites, de Hubble, des exoplanètes, de l’exploration martienne, comment le niveau de connaissances que nous avons atteint sur l’univers peut-il laisser la place à de telles affirmations ?

S’il y a de quoi se frotter les mains pour ceux qui voient un complotiste derrière chaque arbre, on se demande sur quel terrain ces croyances peuvent bien faire leur nid. Au delà des certitudes qu’a pu nous laisser (ou non, la preuve !) l’éducation scientifique, faut-il simplement y voir un besoin de poésie, d’excitation, de rêve ? Le philosophe physicien Etienne Klein bondirait peut-être sur sa chaise en lisant ces lignes, lui qui prêche « le goût du vrai » et ne cache pas ses inquiétudes sur le peu de place fait à la science dans l’information. Si vous avez eu l’occasion de voir certaines de ses conférences sur youtube (justement), notamment celle sur la définition d’ultracrépidarianisme, vous savez déjà qu’il plaide pour un retour des véritables experts scientifiques dans le champ médiatique. Quant au goût du rêve, les amoureux de science ne sont pas souvent pas obtus, ni même scientistes. Certains d’entre eux vous affirmeront que l’univers et le cosmos tels que la science actuelle conservent, même ainsi, leur charge de mystère et de poésie.

Croire, ne pas croire ? Débattre ou non ? Dans un autre registre, interrogé, il y a quelques années, sur un complot possible au sujet de l’alunissage des américains en 1969, Alexandre Astier auteur du spectacle l’Exoconférence (2014) répondait simplement : « je n’ai pas besoin de ça« . En un mot, s’il faisait le constat que ce type de choses parlait à certains et pouvait même, peut-être, correspondre à un certain besoin pour eux, il n’entrait simplement pas dans le débat. « Je n’ai pas besoin de ça ». Pas de jugement, juste un constat pour lui-même. C’est sans doute la meilleure attitude. On ne peut pas être en croisade sur tous les sujets et laisser justement cela aux experts et enseignants des domaines concernés. Connaissant la goût de l’auteur de Kaamelott pour l’astronomie, il serait, toutefois, intéressant de connaître sa position au sujet de cette théorie de la terre plate qui demeure, quand de même, d’un autre niveau que l’alunissage américain.

Tout cela étant dit, la question des causes et des motivations reste ouverte. Nous n’avons pas, ici, la prétention de la trancher. Au moment de ces lignes et en regardant de près ce résultat google, une chose demeure troublante, pourtant. Certains défenseurs de cette théorie de la terre plate sont en train d’acheter de la publicité sur le moteur de recherche pour la propager. La publicité redirige sur un site qui parle uniquement de ce sujet. On y plaide même la renaissance d’une certaine foi « contre les mensonges de la laïcité ». Plutôt étonnant comme croisade. On se demande franchement à qui elle profite et qui peut investir ses deniers pour la mener.

L’homme médiéval face à la terre plate

Ces quelques réflexions posées sur cette étrange théorie de la terre plate au XXIe siècle, revenons sur la croyance supposée que cette idée était commune et admise durant le Moyen Âge. Précisons que nous avions déjà abordé ce sujet, il y a quelques années, avec le support d’une conférence de Jean-Marc Mandosio, enseignant à l’École pratique des hautes études (EPHE). Ce dernier établissait clairement que ce préjugé de terre plane aux temps médiévaux avait été faussement colporté durant des siècles.

un podcast de Storia Voce

Livre : La terre plate par une scientifique et une médiéviste

Preuve que ce thème est encore d’actualité, tout récemment encore, deux éminentes chercheuses et enseignantes universitaires, l’une historienne, Violaine Giacomotto-Charra, l’autre physicienne Sylvie Nony se sont penchées, elles-aussi, sur le sujet. Leur collaboration a donné lieu à l’ouvrage « La terre plate, généalogie d’une idée fausse » paru aux Belles Lettres en 2021.

À cette occasion, les deux auteurs ont été également les invitées d’un podcast de StoriaVoce. Cela va nous fournir enfin l’opportunité de vous dire un mot de cette excellente radio web. Très orientée sur l’histoire et son enseignement, ce média est présenté et animé par l’historien et journaliste Christophe Dickès. Depuis sa création en 2016, il y passe en revue de nombreux sujets historiques entourés de nombreux et prestigieux invités. Les programmes de Storia Voce couvrent toutes les périodes et sont d’un niveau soutenu. Ils sont aussi très variés avec une fréquence de 6 à 8 podcasts mensuels depuis 5 ans,

Comme on le verra dans ce très complet programme audio, non seulement le Moyen Âge ne croyait pas en la terre plate mais la science et les grecs avaient affirmé, bien longtemps avant lui, que la terre était ronde. On la pensait immobile et statique, au centre de l’univers, mais elle était déjà considérée comme un globe. On y découvrira encore qu’après Voltaire, elle a même continué d’être propagée dans certains manuels scolaires jusqu’après le milieu du XXe siècle ! C’est dire toute la considération des éditeurs de manuel d’histoire pour le Moyen Âge et toute la rigueur de certains rédacteurs d’alors.

En vous souhaitant une bonne écoute et une très belle journée.
Fred F
Pour moyenagepassion.com
À la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

NB : sur l’image d’en-tête, il s’agit d’une gravure publiée en 1888 par Camille Flammarion. Cette illustration du XIXe siècle représente un homme regardant par delà le bord du ciel ou l’atmosphère pour essayer d’y découvrir l’espace profond. Ouvrage de référence : L’atmosphère: météorologie populaire.

L’appétit & le goût du savoir au Moyen Âge, Régine Pernoud

Sujet  :   citations, Moyen Âge,  historien, médiéviste, valeurs médiévales, valeurs actuelles, savoir, livres, proverbe médiéval, préjugés.
Auteur : Régine Pernoud (1909-1998)
Ouvrage : Lumière du Moyen Âge (1946)


Citation illustrée de Régine Pernoud : lire au Moyen Âge

« Tout ce qui touche au savoir est ainsi honoré au Moyen Âge : « À déshonneur meurt à bon droit qui n’aime un livre », disait un proverbe ; et il suffit de se pencher sur les textes pour retrouver trace des mesures par lesquelles tout appétit de sciences était encouragé et alimenté. »

Lumière du Moyen Age, Régine Pernoud, Editions Grasset (1946),


Déconstruire les préjugés sur le Moyen Âge

En 1946, Régine Pernoud publiait son premier ouvrage chez Grasset. Avec pour titre édifiant : Lumière du Moyen Âge, la médiéviste se proposait d’y prendre le contrepied d’un certain nombre d’idées reçues à l’encontre de cette période historique, comme elle n’allait cesser de le faire, par la suite, tout au long de sa carrière.

Livre sur le Moyen Âge de Régine Pernoud

Pour chasser les préjugés bien ancrés et, avec eux, la vision surfaite d’un monde médiéval barbare et obscurantiste (l’éternel retour de l’âge des ténèbres), l’historienne choisissait de souligner, sur les quelques 270 pages de ce livre, l’éclat du Moyen Âge. Les domaines abordés y sont aussi divers que le commerce, les arts, la littérature mais aussi la science ou la médecine. Elle portait aussi son attention sur des aspects liés aux droits des femmes dans les sociétés médiévales, à l’importance de la structure familiale ou encore à certains raffinements de la vie quotidienne. Pour être l’une des premières parutions d’importance de Régine Pernoud, l’ouvrage traçait déjà un bon nombre des pistes qu’on lui verrait reprendre et détailler dans l’ensemble de son œuvre.

Lumière du Moyen Âge a été réédité de nombreuses fois jusque dans les années 80. Aujourd’hui, on en trouve encore quelques exemplaires papier à la vente. L’éditeur a également eu la bonne idée de proposer l’ouvrage au format Kindle à petit prix. Voici un lien utile pour plus d’informations sur toutes ces options : Lumière du Moyen Age, Régine Pernoud

Les idées reçues à 75 ans de ce livre

L’ignorance a la vie dure. À plus de 75 ans de cette Lumière du Moyen Age de Régine Pernoud, de nombreux préjugés demeurent au sujet du monde médiéval. L’historienne du XXe siècle n’a pourtant pas été l’unique médiéviste à lutter contre eux, loin de là (voir Moyen Âge, idées reçues et révolution des machines). Si une partie du public semble y rester sourd, on en vient légitimement à se demander pourquoi. La légèreté de l’enseignement et des programmes ne sont, sans doute, pas les seuls à expliquer ce déficit de réalisme ou de sens historique. Et même si la renaissance, le siècle des lumières ou, encore, la révolution française (régicide et fondatrice de la république) ont été longtemps avancées pour expliquer la mise en place de certains préjugés, après plus de 150 ans d’une science historique et médiévale relativement mature, cet habituel trio peine un peu à continuer à servir, seul, d’explications.

De notre côté, nous serions plutôt tentés de poser que certaines forces antagonistes récentes ont continué de s’y ajouter pour souffler sur les braises de certaines idées reçues. Dans cette hypothèse, un certain dénigrement du Moyen Âge aurait pu permettre d’enterrer plus vite son importance, à la fois, sur les racines historiques de notre civilisation (et partant sur la légitimité de certaines de ses valeurs et de leur perdurance) comme sur certains de ses aspects éclairés et civilisationnels.

Des forces antagonistes ?

Mais alors quoi ? La spiritualité et certaines des valeurs humanistes chrétiennes du Moyen Âge, ses fortes structures familiales, ses freins moraux au libéralisme débridé, son système politique régalien, ses lumières culturelles et son legs : pour quelles idéologies récentes tout cela pourrait-il être autant d’ennemis désignés ? Au matérialisme scientifique et à la république auraient pu venir s’ajouter, bien plus tard, le capitalisme libertaire, son individualisme consumériste et sa guerre déclarée à une certaine France des traditions et des croyances. Plus près de nous, la financiarisation et la haute spéculation contre la valeur travail n’ont certes plus grand chose de médiéval. Dans cette liste, on pourrait ranger encore le néo-libéralisme et, pour nous tourner vers des éléments plus récents, certaines formes de progressisme transhumaniste.

Encore une fois, sans nécessairement œuvrer activement contre le Moyen Âge, on voit bien comment tous ces courants modernes sont à l’opposé éthique total de nombreuses valeurs portées par cette période. Dans le même ordre d’idées, on pourrait se demander à quel point, certaines formes extrêmes d’européisme fédératif ou impérialiste, dans leur volonté affichée d’annihiler les nations, peuvent travailler à l’encontre d’un certain roman national et historique : dans un vidéo récente, une technocrate allemande à Bruxelles parlait de la nécessité de « déconstruire les peuples ». Rien que ça… C’est une affirmation qui revient souvent dans la bouche de certains de ces idéologues, férus d’ingénierie sociale et souvent, il faut l’avouer, légèrement mégalomanes.

Si toutes ces forces existent bien, sont elles actives, activistes, ou simplement antagonistes ? Leur présence peut elle expliquer que certaines réalités médiévales et historiques puissent être maintenues sous cloche (voire revisitées) ? Ce n’est pas impossible même si, pour vérifier une telle hypothèse, il faudrait conduire des recherches qui déborderaient largement le cadre de cet article. Sans parler d’obstruction active, on peut supposer que les choix de financement de productions grand public, ou même d’aide à la culture et à l’éducation ne sont pas tout à fait enclins à se porter vers ces sujets ou certaines manières de les traiter. Ce qu’on peut, en revanche, constater, c’est que de nombreux préjugés sont entretenus pour que le Moyen Âge reste l’âge des rois tyrans, de la bêtise, de la saleté, des méchants croisés, du fanatisme religieux, des légions de bûchers à perte de vue (voir la légende noire de l’inquisition)… Mieux encore, avec un brin de condescendance, on se plaira à le décrire comme cette sorte d’enfance touchante, maladroite et révolue de notre civilisation, comme on avait pu considérer, aux siècles passées, les peuples traditionnels comme de gentils arriérés.

Avec l’ouvrage de Régine Pernoud, nous sommes, fort heureusement, à des lieues d’un Moyen Âge historique pétri d’ignorance crasse dans lequel, non contents d’y patauger, des hommes médiévaux ignares, sales et méchants, auraient eu à cœur de se complaire. La citation du jour nous permettra même de découvrir qu’au contraire, le goût du savoir et des livres y était encouragé et prisé. Pour abonder dans ce sens et pour n’en donner qu’une autre illustration, on pourra se reporter à cette ballade d’eustache Deschamps : Des plaisirs de l’étude et des sciences.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous  toutes ses formes