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Lectures audio et règles suivies pour la prononciation du vieux français

lecture-audio-textes-medievaux-moyen-age-litterature-vieux-français-oilSujet    : poésie médiévale, lectures audio, langue d’oïl, vieux français, moyen français, prononciation, textes anciens, littérature médiévale, fabliaux
Période  : du XIIe  au  Moyen Âge tardif
Auteurs    :   divers auteurs médiévaux  Jean Bodel,  Rutebeuf, Eustache Deschamps, François Villon, etc…

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous sommes très heureux de constater que nos lectures audio en vieux français et en moyen-français continuent de susciter un intérêt  véritable  sur youtube, autant que des questions et des commentaires réguliers.

Qui aurait pu présager que des textes datés de plus de 700 ans pour certains et devenus, en grande partie, incompréhensibles à l’oreille, puissent rallier autant d’auditeurs ?   C’est, en tout cas, toujours  un grand plaisir de voir que ces pièces de littérature médiévale pique la curiosité des francophones d’ici et d’ailleurs, mais aussi de certains amateurs de langue française de par le monde.


Le français  et la francophonie dans le monde

infographie-ministere-français-langue-monde-francophonieGageons que cet intérêt pour l’histoire du français ne se tarira pas.  A en juger à de récentes projections, la langue française se porte plutôt bien dans le monde. Son devenir semble même largement assuré au niveau de la francophonie et d’ici 2050, elle pourrait bien être la première langue parlée dans le monde.

Pour donner quelques chiffres supplémentaire, aujourd’hui, le français se classe encore  dans le Top 3 des secondes langues les plus apprises dans le monde avec plus de 100  millions d’apprenants. Elle est aussi la 2ème langue la plus traduite sur le globe. Enfin, elle tire encore son épingle du jeu dans le monde des affaires  en étant la 3ème langue la plus utilisée  dans ce domaine,  après l’anglais et le chinois. Présente dans un grand nombre de pays, il faut dire qu’elle partage avec l’anglais l’avantage d’être une des seules  langues à être parlée sur cinq  continents.  Cette parenthèse faite, revenons à nos moutons, soit nos lectures audio en français ancien.


Lectures audio en langue d’oïl :
le Moyen Âge central  en vedette

A date, nous avons  mis en boite sur notre chaîne youtube, un peu plus d’une quinzaine    de lectures audio en langue d’oïl et en français ancien.  La chaîne cumule autour 330 000 vues  mais sur ces seuls médias  nous en sommes à plus  80000 visionnages. Perfectible ? Sans doute, mais plutôt pas mal  pour un sujet  aussi pointu et spécialisé.

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A la vue des chiffres, c’est le vieux français du Moyen Âge central qui  emporte la vedette. Pour l’instant, il attire bien plus la curiosité que le  français  du  Moyen Âge tardif d’un  François Villon ou d’un   Eustache Deschamps .

Grand favori,  Rutebeuf et sa Pauvreté continuent de tenir le haut du pavé avec 39 000 vues ;  la chanson de Léo Ferré n’y est sans doute pas pour rien et c’est aussi le premier fichier du genre que nous avions publié.  Avec le temps, d’autres  lectures (notamment de fabliaux) ont cumulé elles aussi, plusieurs milliers de vues : c’est le cas  de    Brunain ou la vache au prêtre de Jean Bodel , du    Testament de l’âne de Rutebeuf,  ou encore de  la housse partie  du trouvère Bernier.

Règles suivies pour la prononciation
du vieux  français et de  la langue d’oïl

Comme toutes ces lectures audio suscitent régulièrement des commentaires et des questions (dont une ce matin même d’une personne originaire de Russie que j’en profite pour saluer au passage), nous avons pensé qu’il pourrait être judicieux  de mettre à plat certaines règles que nous y avons appliquées en matière de prononciation du vieux français.

Sur la prononciation des R

Depuis les premiers balbutiements de la langue d’oïl, en passant par le Moyen Âge central et tardif et même bien plus tard encore, le R est censé être roulé en français.  Dans les lectures, je le roule « à l’italienne », en le modulant plus ou moins. Il s’agit donc du R latin, appelé  R apical  qui se roule  avec le vibrato de la langue pour l’appuyer (voir  explication audio sur la différence entre les différents type de  R).

Après le XVIIe siècle,  en français « standard » (Paris – île de France), le R deviendra graduellement uvulaire ou grasseyé. Il sera alors roulé plus sur la gorge et sur le haut du palais que sur la langue. Effet de coquetterie ? Peut-être. Quoiqu’il en soit, ce R grasseyé finira également par disparaître du français moderne standard et, en métropole, on ne le trouvera plus roulé que dans nos campagnes et dans certaines formes de français dialectal. Il sera encore longtemps roulé (R uvulaire) dans de nombreux pays de la Francophonie (Quebec, Afrique, Belgique).

Disparition tardive  des R  roulés

deco-medieval-micro-lectures-audio-vieux-francaisCertains se souviendront peut-être que le R non roulé n’a conquis que très tardivement certaines régions de France : jusqu’à la deuxième partie du XXe siècle, dans le sud notamment, on le roulait encore. Pour vous convaincre de cette disparition tardive, vous pouvez réécouter des chansons françaises de l’entre deux-guerre  ou  de l’après-guerre : Berthe Sylva, Alibert, Maurice Chevalier,  Edith  Piaf, etc… En tendant l’oreille chez les chanteurs de cette période,  vous  trouverez de nombreuses traces de R apical ou même uvulaire. Vous pouvez aussi revoir quelques films des années 30 et 50 avec Fernandel ou autour de l’œuvre de Marcel Pagnol. Vous y trouverez toujours quelques personnages hauts en couleur ou quelques gendarmes pour faire chanter les R.

Précisons que, à l’image du mouvement général d’évolution de la langue française amorcé depuis le Moyen Âge central, cette disparition du R roulé est certainement parti du berceau parisien du français standard pour s’étendre progressivement  sur le reste du territoire (voir notes et réflexions en bas de page sur ces questions). Le siège du pouvoir donne souvent le La en matière de norme linguistique et l’influence culturelle de la capitale sur le français standard a été  très tôt reconnue par de grands poètes médiévaux de langue d’oïl. Jean Clopinel nous en parlait déjà dans le Roman de la Rose :

« Si m’excuse de mon langage – Rude, malotru et sauvage, – Car né ne suis pas de Paris. »     Jean Clopinel, dit Jean de Meung, (1250-1305)

Sur les diphtongues

Nous prononçons oi ou oie, oit de façon moderne soit « oa » ou « wa ». Nous avons fait ce choix principalement pour des raisons  de compréhension  mais pas uniquement. Au XIIe et XIIIe siècles, les diphtongues sont  réputées plus appuyées que dans les siècles suivants. Autrement dit, les lettres qui les composent auraient été plus distinctement détachées à la prononciation et donc à l’écoute. Suivant ce précepte, les  « oi »  des premiers temps du Moyen Âge central devaient sans doute être plus prononcés ohi, voir uhi.

De oi à wa sans passer par le oé

D’après certaines de nos premières lectures, les oi, oie et autres oit ne seraient prononcés « oé » (« Vive le roé ») qu’à partir du Moyen Âge tardif (XIVe, XVe siècle). Peut-être l’étaient-ils localement avant cela (accents ou usages régionaux locaux ayant pu influencé, plus tard, le standard) ? L’hypothèse d’une évolution des usages allant à l’économie (loi du moindre effort) ne semble pas tellement applicable mais j’avoue n’avoir pas cherché d’éléments pour expliquer ce glissement progressif du « ohi » vers le « ohé » (adoucissement, régionalisme ou centralisme ayant influencé les usages, naissance d’un usage de classe ?). Dans le sens inverse de ces usages, ce « oui » qui se change quelquefois en « ouais » (qui n’est pas tout à fait un wé) dans certaines formes argotiques, est assez amusant à relever.

A noter que des lectures ultérieures sur ces sujets semblaient dater plus résolument l’amorce de cette diphtongue (de « oi » -> « ohi » vers « oé » « ohé ») du milieu du XIIe siècle. Selon cette hypothèse, elle devrait donc être établie au temps de Rutebeuf durant laquelle elle aurait même fini par prendre la forme d’un « wé ».

Pour des raisons de compréhension autant que d’esthétique, je dois pourtant avouer que je continue de trouver plus de grâce dans la version modernisée de ces oi en wa contre les oé ou wé de la deuxième hypothèse.  Pour le dire de manière triviale, quand on suit ces derniers à la lettre, on finit par en avoir, à ce point, plein la bouche qu’ils donnent quelquefois l’impression de tout recouvrir d’une sorte de « folklorisme rural » (en référence à nos patois et nos accents régionaux du XXe s qui ne sont pas si loin). Or, il nous a semblé que ce tour un peu envahissant, qu’on peut trouver charmant ou, selon, mâtiné d’une certaine drôlerie, grève, quelquefois, en plus de la compréhension, l’intérêt qui peut se dégager, par ailleurs, du reste de ces textes.

Pour apporter de l’eau à notre moulin, ajoutons que pour la transition postérieure, celle du « oé » vers le « oa » [Wa] moderne, certaines hypothèses émettent que le « oi » [Wa] était utilisé par les classes populaires dès le XIIIe siècle et qu’il triomphera à la révolution française  (voir article Cefan Université de Laval, Canada),  ce qui tendrait à démontrer que, dans certains cas, le parler populaire emporte la partie et devient celui qui s’impose aux autres classes dans une sorte de conquête ascendante du pouvoir linguistique. Selon cette hypothèse, le [Wa] moderne de mes lectures pourrait être pris comme un Wa populaire du XIIIe siècle, ce qui, je l’avoue, n’est pas pour me déplaire. Quoiqu’il en soit, si quelques linguistes ou spécialistes avertis de littérature médiévale ont des éléments d’éclairage supplémentaires sur ces questions, je  serais  toujours très heureux de  les  lire.

Pour les autres diphtongues, même si je tends à les marquer plus, je traîne, peut-être, un peu moins sur certaines d’entre elles qu’on ne le faisait pendant les XIIe et XIIIe siècles. Par exemple,  dans la lecture de l’extrait du fabliau la housse partie, sur  le « Biaux très cher fils », j’aurais tendance à avaler le « i-a-u » pour en faire un io voir un iho. C’était, en réalité, une triphtongue comme en trouve quelques autres dans le français ancien et il est possible que la prononciation ait été alors plus traînante avec un marquage plus nette de toutes les lettres : « bihaho ». Ce sont, par contre, des choses subtiles qui se jouent sur des micro-fractions de temps… Il n’est pas non plus question de faire traîner une diphtongue sur des durées indécentes, simplement de mieux détacher les lettres. Au delà du style, et sauf recherche d’effets comiques ou particuliers ou de prononciation de classe très marquée, la notion d’efficacité semble tout de même et le plus souvent l’emporter en matière  oral.

Sur les consonnes muettes,  les liaisons et  le fond

Pour le reste et pour combler les vides, avec la naissance de ce français vernaculaire et partant du principe que nous sommes encore relativement proches dans le temps du  latin d’origine, je me suis, en partie, inspiré du catalan ou de l’italien. Ces deux langues, comme l’Espagnol du reste, prononcent la plupart de leurs lettres écrites et ne connaissent pas de muettes. Pour information, dans l’exercice, je n’ai pas conservé la musicalité de l’italien (langue paroxytonique avec accentuation importante, par défaut,  sur l’avant-dernière syllabe). La musicalité et les rythmes choisis restent donc plus proches du français actuel.

deco-medieval-micro-lectures-audio-vieux-francaisLe catalan m’a interpellé parce qu’il a la particularité d’avoir une conformation assez similaire au français, par endroits. Il possède, notamment  un nombre important de vocables qui se ne terminent pas, systématiquement, par des voyelles. Or, le français est, de son côté, bourré de consonnes muettes en fin de mots ou même au sein des mots. Concernant celles de fin de mots, dans les lectures, j’ai appliqué la règle des liaisons telles qu’elles se présentent en français moderne. Autrement dit, les consonnes (en principe déjà muettes en fin de mot au XIIIe siècle pour une partie d’entre elles au moins), peuvent se faire entendre, au sein d’un phrase, quand les mots qui les suivent commencent par une voyelle et qu’aucune ponctuation ne les sépare. Le catalan, comme le français moderne, appliquent, de leur côté, une règle similaire sur les liaisons et il m’a semblé logique de les suivre sur ce terrain.

Le  S  muet

Pour ce qui est du S  (avant une consonne ou en fin de mots), il est  également devenu muet en français. Devant une consonne, sa prononciation s’est amenuisée progressivement entre les XIe et XII siècles.  En fin de vocable, c’est, semble-t-il, à la fin du XIIIe qu’il finira par devenir totalement muet. On imagine assez bien une période de transition où il s’éteint petit à petit et  je le traite, quant à moi,  de façon parfois totalement muette, parfois esquissé (demi-muet).

Interprétations

J’applique aussi quelques règles qui me semblent logiques sur certaines autres consonnes muettes. Par exemple, dans les mots où nous continuons de le prononcer, jusqu’à ce jour, je ne l’ai pas rendu muet, ce qui encore un fois paraît logique :  biaux très cher  « fils » et pas  « fil ».

Autre exemple, dans « or me faut chascun de créance » de la Pauvreté Rutebeuf, je prononce le t à la fin de faut. Je le fais pour une raison de compréhension et parce qu’il me parait intéressant qu’on l’entende. Dans les faits, il semble être devenu muet progressivement pour s’éteindre dans la plupart des cas, jusqu’à la fin du XIIIe . Dans le cas présent, il me semble justifier de le marquer pour la raison suivante : en espagnol, le verbe « faltar »  qui  vient de la même racine latine a évolué pour prendre le sens de « faire défaut », « manquer ».  En français « fauter » a plutôt pris le sens de faire une « faute », commettre une erreur, un manquement. Quant au verbe « falloir », il a conservé une idée de nécessité. Or, dans cette phrase de Rutebeuf, le sens de ce « faut » rejoint le sens  de faire défaut :  personne ne veut plus lui prêter. C’est encore le même sens qu’on retrouve dans  l’adage populaire  « Faute de grives, on mange sur merle« .

Rapprochements  vs hermétisme

Voilà à peu près  pour les seules règles suivies dans ces lectures. Je ne suis pas allé plus loin pour l’instant et on peut même dire que, la plupart du temps, je « lisse » souvent le reste (par exemple « mon cuer » devient ainsi souvent « mon cœur » et pas « cuèr », ou « cu-eur », ou encore  consonnes affriquées j -> dj ch ->tch, etc…). Il y a aussi, comme dans l’exemple du dessus, un certain nombre de  cas de figure où je m’inspire d’autres langues latines  pour  me guider.

Si notre chaîne youtube est, à ce jour et à ma connaissance, l’une des seules qui s’adonne à la lecture, dans le texte, d’extraits de littérature médiévale, je dois préciser qu’il n’y a dans tout cela aucune prétention d’absolu. Il s’agit plutôt d’une tentative de deco-medieval-micro-lectures-audio-vieux-francaisrapprochement. La partie interprétation est présente et il s’agit de trouver une équilibre entre compréhension et restitution : montrer plutôt les parentés et les similitudes, éveiller la curiosité.   L’idée n’est pas non plus de se réfugier derrière des « trucs » pour arriver à des lectures incompréhensibles ou hermétiques. Nous sommes, au moins autant interpelé par la recherche de ce qui nous distingue que de ce qui nous unit : du français ancien au français moderne, du français aux autres langues romanes et latines).  Cela dit, peut-être serait-il pertinent de  complexifier l’exercice, au futur, pour présenter quelques lectures plus proches encore des sources, en opérant de sérieux recoupements entre  toutes les hypothèses et les incertitudes ou en se servant de références différentes.

Pour aller plus loin

Nous n’avons pas abordé ici  les formes du français  du Moyen Âge tardif que nos proposons dans nos lectures. Elles se rapprochent de notre français et, en fonction des lectures, nous appliquons quelquefois ce fameux oi en oé que tout le monde semble avoir associé au français ancien quelque soit le siècle et semble tellement tenir à voir appliquer.  Quant aux R, je les module, ils restent roulés mais peuvent parfois tendre vers l’uvulaire.

Une base audio académique et scientifique ?

Un autre visiteur de ces lectures  audio se  posait la question de savoir s’il existait des travaux académiques (audio) précis sur le sujet. Il faisait allusion à des lectures de textes anciens réalisés par des érudits, pour chaque siècle, avec les nuances exactes entre chaque période et entre chaque « français ». Pour l’instant, nous n’avons pas trouvé, de notre côté, une telle base de données audio académique.

Elle supposerait d’avoir opéré des recoupements en vue d’établir des règles précises et tracer des frontières, dans le temps et dans les espaces géographiques, entre les différentes formes de français ancien ou à défaut de se servir comme référence d’un auteur unique qui fasse autorité.  Là encore, si des universitaires éclairés avaient connaissance de quelques travaux audios en ce ce sens, nous serions demandeurs. C’est peut-être, cela dit, beaucoup en  demander. La langue est une affaire vivante, mouvante et complexe : localisée, sujette à des régionalismes, des accents, des influences exogènes, des habitus de classes. En matière de poésie ou de chansons, vient  s’ajouter  une certaine souplesse que s’autorisent les auteurs eux-mêmes dans la  prononciation orale de leurs œuvres pour des effets de style ou de rimes, etc… Bien sûr, toute l’affaire est aussi largement compliquée par  l’absence de traces sonores.

Autres sources utiles

deco-medieval-micro-lectures-audio-vieux-francaisPour ceux que ces sujets intéressent, nous conseillerions assez la lecture et l’écoute de  chansons du répertoire médiéval reprises par de véritables passionnées de Moyen Âge et de musiques anciennes. En ethnomusicologie, les plus sérieux d’entre eux ont fini par se pencher sur la prononciation du vieux français d’oïl et il est toujours intéressant de comparer leurs interprétation. Vous trouverez des centaines  d’articles sur ce sujet dans notre rubrique Musiques, poésies et chansons médiévales.

Egalement, dans les incontournables,  ne manquez pas sur France Inter, les podcasts d’une émission réalisée, il y a quelque temps, en compagnie de Michel Zink. Daté de 2014, ce programme avait pour titre « Bienvenue au Moyen Âge et le grand académicien nous y gratifiait, par endroits, de quelques lectures de textes anciens.

Tout cela étant dit, merci  à tous de votre intérêt et de votre fidélité  ici et sur notre chaîne youtube.

Vous pouvez retrouver  nos lectures audio ici

 En vous souhaitant une  excellente journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes sur la propagation des formes linguistiques standards

Si les accents continuent de subsister en français, de même que les particularismes régionaux, l’urbanisation galopante et l’hyper médiatisation ( arrivée massive de la télévision, du cinéma) ont  sans doute contribué à répandre ou imposer une version plus homogène  de la prononciation du français standard, à partir du dernier tiers du XXe siècle.

Hors des moyens de diffusion d’une certaine culture centralisée (Paris) sur le reste du territoire, on notera aussi qu’en matière de prononciation orale et d’accent,  pour qu’un standard s’impose, il a presque toujours tendance à être véhiculé par ceux qui en acquièrent la maîtrise avec une certaine charge « normative ». Autrement dit, sa maîtrise n’est pas seulement une affaire de sonorités. C’est, d’une certaine manière, un outil de pouvoir ou de destitution. Cette maîtrise se trouve ainsi associée à des promesses de socialisation (passe-partout, invisibilité voire même érudition, charisme, etc… ) mais, à l’inverse, l’incapacité de s’y soustraire peut finir par être présentée comme « ostracisante » ou chargée négativement : moquerie, stigmatisation sociale, parler paysan, campagnard, rustre, etc… Au fur et à mesure de son expansion, le standard linguistique semble donc avancer, armé d’une certaine charge morale  :    il est porteur de civilisation, de modernité, et celui qui veut  entrer dans la marche de cette dernière, doit  finir par s’y adapter.

Au delà de la médiatisation et de la promotion par un pouvoir centralisé d’une langue officielle normalisée, il semble pertinent d’avancer que ces phénomènes se jouent aussi dans les interactions.  Il n’est de meilleur norme que celle intériorisée et que les individus s’imposent plus ou moins subtilement, les uns au autres. Une partie importante de mimétisme semble également intervenir dans tous ces processus, soit qu’ils surviennent naturellement et en situation,  soit qu’ils dénotent d’une volonté d’adaptation et de se fondre dans une certaine norme. De ce point de vue, la formation de grandes métropoles et l’éducation de masse (école, universités, …) a forcément contribué à un certain nivellement.

Chaîne youtube moyenagepassion : bientôt 300 000 vues !

Bonjour  à tous,

U_lettrine_moyen_age_passionne petite mention pour vous remercier de votre fidélité et de vos vues, à l’approche des 300 000 visionnages sur notre chaîne Youtube.

Entre vidéos sur les mottes castrales,  chaine_youtube_coup_de_coeur_monde_medieval_histoire_musique_ancienne_moyen_agelectures audio  de poésies et textes en vieux français, mais aussi quelques autres surprises maison, la chaîne finit par faire son bonhomme de chemin sur la toile.   Nous en sommes d’autant plus fiers que vous n’y verrez pas que des âneries même si, rassurez-vous, vous en trouverez aussi.

Tout est là :   visitez notre chaîne youtube sur le Moyen Âge

En vous remerciant encore chaleureusement !

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Lecture audio, poésie satirique : au coeur du XVe siècle, la ballade de l’Appel de Villon

Francois_villon_poesie_litterature_medievale_ballade_menu_propos_analyseSujet    : poésie médiévale, ballade médiéval, moyen-français, poésie réaliste, poésie satirique
Auteur    :   François Villon (1431-?1463)
Période  : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Titre : « La ballade de l’Appel de Villon
ou question au clerc du guichet»
Média : lecture audio

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans la foulée de notre analyse de la ballade de l’Appel de François Villon, en voici une petite lecture audio. Du point de vue de la prononciation, à l’arrivée du XVe siècle et du moyen-français, les « oi » deviennent des « Oué ». Les R sont, semble-t-il, toujours roulés.

NB : vous pourrez trouver dans certaines autres versions de cette poésie : « estoit-il lors temps de moi taire ? » en lieu de « estoit-il lors temps de me taire? » nous avons, quant à nous, choisi cette dernière version, conforme à de nombreuses transcriptions de l’oeuvre de VIllon..

Pour plus de détails sur cette ballade médiévale et quelques clés de vocabulaire, n’hésitez pas à vous reporter à notre article précédent la concernant.

En espérant que cette lecture audio vous agrée.

Une belle journée à tous.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ces formes.

Le comte Lucanor de Don Juan Manuel : contenu, détail, sources et une lecture audio

armoirie_castille_europe_medievale_espagne_moyen-ageSujet  : auteur médiéval, conte moral, morale politique,  Espagne Médiévale, fable médiévale, littérature médiévale, lecture audio,
Période  : Moyen-âge central ( XIVe siècle)
Auteur  :  Don Juan Manuel (1282-1348)
Ouvrage  :  Le comte  Lucanor, traduit par  Adolphe-Louis de Puibusque (1854)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous avons le plaisir de revenir, aujourd’hui, sur  Don Juan Manuel de Castille et de León, prince de Villena, duc de Peñafiel et d’Escalona, grand chevalier et seigneur de l’Espagne médiévale des XIIIe et XIVe siècles.

Cette fois-ci, c’est à travers l’étude concrète d’un des plus célèbres de ses écrits  que nous approcherons cette noble figure du moyen-âge européen. En plus de son épopée digne de plus belles fictions, contre le souverain  Alphonse XI,  qui se conclut, longtemps après, par leur alliance, contre l’envahisseur sarrasin, Don Juan Manuel a laissé à la postérité un ouvrage qui compte pour beaucoup dans la littérature médiévale espagnole  :   Le Comte Lucanor.

Le comte Lucanor :
contenu, sources et inspirations

D’un style épuré et très accessible, l’ouvrage présente une cinquantaine de  « ejemplos » (exemples) qui sont, en fait, des contes assez courts, tous construits sur le même modèle : pris de doutes, le comte Lucanor (personnage fictionnel) interroge son conseiller du nom de Patronio sur un point  particulier : stratégie militaire, politique, économique ou simplement code de morale et de conduite. L’homme lui répond de manière avisée et son intervention donne lieu à l’approbation du noble qui, à son tour, fait quelques vers pour résumer l’enseignement et en tirer une morale.

Manuscrits anciens

comte-lucanor_manuscrit-ancien_don-juan-manuel_litterature_Espagne-medievale_moyen-age_sLe premier manuscrit du Comte Lucanor fut redécouvert à la fin du XVIe siècle, au couvent des frères prêcheurs de Saint-Paul de  Pañafiel, par l’écrivain et historien Gonzalo Argote de Molina  qui le fit imprimer et redécouvrir aux lecteurs espagnols d’alors. Dans le courant du XIVe, le manuscrit original avait été légué aux dominicains du monastère de l’endroit (détruit depuis) que Don Juan Manuel avait lui-même fondé.

Du point de vue des sources, il ne demeure que trois copies du Comte Lucanor, toutes partielles, conservées à Madrid. Par la grâce des nouvelles technologies et le travail de la Bibliothèque Nationale d’Espagne, on peut, de nos jours, consulter deux de ces manuscrits anciens en ligne :  le MSS 6376 daté des XIVe, XVIe siècles (photo ci-dessus) et le MSS 18415 daté du XVIe (photo plus bas dans l’article)

Aux origines du Comte Lucanor

Concernant les sources d’inspiration de l’ouvrage, elles sont d’origines assez diverses même si on lui reconnaît, en général, certaines influences orientales ou indiennes. Certains de ces contes puisent également dans des anecdotes inspirées directement de l’Histoire médiévale pré-contemporaine de l’auteur et notamment de l’Estoria de España, engagée sous le règne d’Alphonse X et à son initiative.

Les métaphores employées dans ces « exemples » peuvent être occasionnellement animalières et versées du côté de la fable.  L’inspiration vient alors d’Esope ou de Phèdre, mais elle ne se conforme pas toujours à la narration ou aux morales des auteurs originels. C’est d’ailleurs le cas du conte du jour ; comme dans une fable d’Esope (reprise également par La Fontaine), il met en scène un Coq perché sur un arbre et un renard désireux de lui régler son compte,  mais lors que le coq du fabuliste grec s’en tirait par une ruse, en invoquant la venue de chiens imaginaires à son secours, le volatile de basse-cour connaîtra un sort moins enviable, sous la plume du noble espagnol.

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Enfin, toujours au titre des inspirations ayant présidé à la rédaction du Comte Lucanor, pour qui s’est un peu penché sur la vie mouvementée de Don Juan Manuel, on ne peut évidemment s’empêcher de faire des ponts entre les préoccupations réelles de gouvernance de ce dernier ou encore la convoitise ou les menaces réelles représentées par ses voisins, et celles qui sont exprimées dans ce livre. A ce sujet et pour en posséder quelques clés, nous vous invitons à redécouvrir l’article biographique que nous avions fait sur l’auteur  :  Don Juan Manuel, portrait d’un noble seigneur dans l’Espagne déchirée du XIVe siècle .

Lecture audio & retranscription de l’exemple XII

Pour avancer plus concrètement dans la découverte de cet ouvrage médiéval, nous vous proposons de découvrir de deux façons et à votre préférence,  l’exemple XII, De ce qui advint à un renard avec un coq  : la première est une lecture audio réalisée par nos soins, la seconde  est une recopie littérale de la version traduite du Comte Lucanor par Aldophe-Louis Puibusque (1801-1863) en 1854.

Lecture audio : le comte Lucanor, exemple XII. du coq et du renard

Exemple XII
De ce qui advint à un renard avec un coq

L_lettrine_moyen_age_passion_citatione comte Lucanor s’entretenait un jour avec son conseiller : « Patronio, lui dit-il, vous connaissez l’Etat que j’ai reçu du Ciel ; quoique vaste, il n’est pas d’un seul tenant ; j’ai des villes très-fortes, d’autres qui le sont moins, et il en est plusieurs où je croirais n’avoir rien à redouter de personne si elles n’étaient pas trop éloignées les unes des autres ; or, quand j’ai maille à partir avec les seigneurs mes vassaux ou avec mes voisins, ceux qui se disent mes amis ou qui veulent passer pour mes conseillers me font grand peur de cet isolement. A leur avis, je ne dois ni m’écarter du centre de mon domaine, ni sortir des meilleures forteresses ; comme votre loyauté ne m’est pas moins connue que votre expérience en pareille matière, veuillez m’indiquer, je vous prie, la conduite que je dois tenir le cas échéant.

– Seigneur comte, répondit Patronio, on l’a souvent dit, et je le répète aujourd’hui avec une conviction profonde, rien n’est plus dangereux que de donner des conseils dans les affaires graves et douteuses. Pour bien conseiller, il faudrait être certain du résultat ; et que de fois l’événement ne trompe-t-il pas notre calcul ! Ce qu’on avait jugé mauvais produit du bien, ce que l’on croyait bon produit du mal ; en outre, l’homme loyal et sincère a plus à perdre qu’à gagner en conseillant de son mieux : si, en effet, le conseil qu’il donne à d’heureuses suites, son unique récompense est d’avoir fait son devoir ; tandis que si la chance vient à tourner, on fait retomber sur lui tout le tort de la déconvenue : croyez donc que je m’abstiendrais volontiers en cette circonstance, car j’entrevois plus d’un doute et d’un danger ; mais votre prière est un ordre pour moi, et il ne me reste qu’à vous demander la permission de vous conter, avant tout, ce qui advint au coq avec le renard.

– Volontiers, dit le comte Lucanor; et Patronio poursuivit ainsi :

– Seigneur comte, un laboureur qui habitait une montagne élevait des poules et des coqs ; un jour il arriva qu’un de ces coqs s’éloigna du logis et se mit à trotter vers la plaine. Un renard l’ayant aperçu, se glissa en tapinois pour le saisir : le coq n’eut que le temps de sauter sur un arbre isolé ; le renard, d’abord confus d’avoir manqué son coup, réfléchit au moyen qu’il pourrait employer pour déloger le coq de son refuge et en faire sa proie. Il commença par le saluer amicalement, lui adressa de douces paroles, et le pria avec insistance de continuer sa promenade, lui jurant qu’il n’avait rien à craindre. Le coq refusa net ; alors le renard, changeant de ton, passa de la flatterie à la menace : « puisque tu te méfies de moi, s’écria-t-il, je saurai bien t’approcher de gré ou de force. » Le coq, qui se sentait en sûreté, se moqua de sa colère ; le renard, après avoir tenté de l’intimider par ses discours, se mit à ronger l’arbre avec ses dents et à le frapper avec sa queue ; le coq aurait dû en rire, il s’effraya, prit son vol, et alla, non sans peine, se percher sur un autre arbre. Le renard voyant son trouble ne lui laissa pas le temps de se remettre, il le poursuivit à outrance, et l’ayant ainsi débusqué d’arbre en arbre, il parvint à l’éloigner de la montagne, l’attrapa et le mangea.

Et vous, Seigneur comte Lucanor, dont la condition est de subir tant d’épreuves, évitez avec un égal soin de prendre l’alarme au premier signal d’un danger imaginaire, et de ne pas tenir assez de compte d’un danger réel. Quoiqu’il arrive, n’abandonnez pas plus la défense de vos petites villes que celle de vos grandes ; il serait insensé d’admettre qu’un homme tel que vous, avec des troupes et des vivres, ne peut tenir que derrière les murailles les plus épaisses. Si jamais, entraîné par de fausse alarmes, vous désertiez une de vos places, soyez certain qu’on vous chasserait ainsi de ville en ville, et qu’il n’y aurait plus aucun rempart asse solide pour vous, car plus vos gens se décourageraient à votre exemple, plus vos ennemis deviendraient audacieux, ils ne poseraient les armes qu’après vous avoir tout enlevé ; si, au contraire, inébranlable dès le commencement, vous tenez ferme partout, comme le coq sur le premier arbre, ou plutôt comme l’assiégé qu’on cherche à épouvanter, soit par des tranchées, soit par des échelles ou tout autre machine, vous ne courrez aucun péril sérieux. Après tout, il n’y a que deux manières de prendre les places, en escaladant les remparts ou en les renversant. Dans le premier cas, les échelles n’atteignant pas les glacis, il est clair qu’on peut les repousser si on le veut bien ; dans le second cas, il faut beaucoup de temps pour faire brèche, et la résistance est plus facile que l’attaque ; donc, quand des villes tombent au pouvoir de l’ennemi, c’est toujours parce que les assiégés ont été vaincus par quelque besoin, ou parce qu’ils se sont manqué à eux-mêmes en s’effrayant sans motif. Petit ou grand, puissant ou faible, on doit ne rien entreprendre qu’après mûre réflexion, mais ne pas reculer d’un seul pas quand on s’est porté en avant ; il est moins périlleux de regarder le danger en face que de lui tourner le dos, et la preuve, c’est que dans une déroute, il meurt plus de fuyards que de combattants : voyez ce qui se passe entre un petit chien et un gros ; si le petit ne bouge pas et montre les dents, il parvient souvent à contenir son adversaire, mais s’il fuit, c’en est fait de lui, il est étranglé, et il n’échapperait point lors même qu’il serait plus grand et plus fort. « 

Le comte Lucanor goûta beaucoup ce conseil, il le suivit et s’en trouva bien. Don Juan estimant aussi que la leçon était bonne à retenir, la fit écrire dans ce livre, et composa deux vers qui disent ceci :

« TIENS FERME  ET    DEFENDS-TOI COMME UN HOMME DE COEUR,
LE DANGER LE PLUS GRAND EST CELUI DE LA PEUR. »

Tiré de  Le comte  Lucanor, traduit de l’Espagnol ancien
par  Adolphe-Louis de Puibusque (1854)


NB : je fais ici un petit erratum par rapport à la lecture audio. En plus de la version originale de A. Puibusque réédité chez Forgotten Books, il existe  une autre traduction française de cet ouvrage sortie chez Aubier Domaine Hispanique en 1998 et rééditée en 2014:  Le livre du comte Lucanor / Don Juan Manuel ; présenté et traduit du castillan médiéval par Michel Garcia.

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
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