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« Ballade contre les Mesdisans » ou quand Villon, le mauvais sujet, défendait l’honneur français

Francois_villon_poesie_litterature_medievale_ballade_menu_propos_analyseSujet  : poésie médiévale, ballade médiévale, moyen-français,  poésie réaliste,   Honneur français.
Auteur : François Villon    (1431-?1463)
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle.
Titre  : Ballade contre les Mesdisans de la France
Ouvrage  :  François Villon, nouvelle édition revue corrigée et mise en ordre, avec des notes historiques et littéraires par P.L Jacob  (1854)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous avons le plaisir de revenir à  la poésie de  François Villon et ce plaisir est d’autant plus grand que nous le faisons à travers une pièce  assez particulière de son oeuvre.    On lui a donné des titres divers : Ballade contre les Mesdisans de la  France,   Ballade de l’honneur françois, ou encore  Ballade contre les ennemis de France. Dans le refrain de sa ballade, son auteur l’adresse, quant à lui, à ceux ou  celui   « qui mal vouldroit au royaume de France ».  On le voit,  quelque soit le titre qu’on lui donne, le thème est assez explicite.

Une Ballade de l’honneur français

Quand nous disons que cette poésie est particulière, il  est vrai qu’elle pourrait détoner avec des images plus anti-conformistes  qu’on a quelquefois été tenté de former sur  Villon et qui sont, finalement, plus proches d’une vision contemporaine que de la réalité historique et médiévale. Nous faisons notamment référence à une sorte d’archétype moderne   du « poète maudit »  : « Villon l’éternel brigand, le mauvais garçon, amoral à tous points de vue, contre et contre tous, un peu anarchiste, peut-être même nihiliste, et pourquoi pas, non-croyant, apatride, individualiste »… Bref un type qui aurait rejeté un peu tout en bloc. Or, pas tant que ça, on le verra encore ici.

Sources et  attributions

La  Ballade de l’honneur françois  est acceptée assez communément dans le corpus du poète médiéval par ses premiers biographes et même comme étant de sa plume. Elle le demeure encore à ce jour, auprès de la majorité des  spécialistes de littérature médiévale et de Villon.

Villon-poesie-medievale-ennemis-france-jason-toison-or-mythologie-Taureaux-ColchideJason, la toison d’or et les Taureaux de Colchide
(voir expo BnF)

Du point de vue des sources, un manuscrit en attribue explicitement la paternité à Villon : le MS Français 12490 de la BnF. D’autres codex d’époque font état de cette poésie sans lui attribuer.  Dans un article de la revue Romania, daté de 1892, l’historien archiviste suisse  Arthur Piaget,  commentant une édition des œuvres de Villon  par Auguste Longnon,   monta au créneau pour contester la paternité de  l’auteur médiéval  sur un certain nombre de pièces présentes dans l’ouvrage. La   Ballade contre les Mesdisans de la  France  en faisait partie. Piaget l’écartait sans étayer tellement son propos et finalement plus sur la foi d’un rejet  de  la légitimité  du Manuscrit  12490 que sur des éléments de fond ou de style (rejet du manuscrit mis en avant par ailleurs par W. G. C. Bijvanck,   spécimen d’un essai critique  sur les oeuvres de François Villon ;  1882)    .

« Deux-plumes n’est pas de cet avis », disait Edward Sapir en réfléchissant  à la définition de « culture » et de champ culturel.  Dans le monde des œuvres et des corpus médiévaux, c’est devenu presque une règle. Les deux-plumes y sont légions. Ce n’est d’ailleurs pas qu’une question « d’avis » mais de construction théorique et une hypothèse chasse l’autre. On ne peut donc qu’acter la présence de contradicteurs. Nous concernant, nous nous rangerons, pour l’instant,  du côté   de l’attribution possible à Villon. Nous y trouverons d’ailleurs quelques  pistes du côté de ceux qui en sont d’accord.

Eléments de Contexte

Villon a-t-il écrit cette ballade, qui met clairement en exergue ses sentiments d’appartenance au royaume de France, après sa grâce royale ? Certains auteurs ont avancé qu’il avait pu le faire après ses tristes mésaventures de Meung sur Loire. Il aurait, ainsi, voulu remercier le roi français à qui il devait sa liberté nouvelle et inespérée.   Au fond, pourquoi pas ?  Du point de vue de la période, on aurait peu de mal à admettre que cette ballade se situe plus dans la
dernière partie de la vie connue de Villon que dans son jeune âge.

deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_siècleEgalement, on ne peut s’empêcher de penser, en lisant cette ballade « Villonesque », à certains accents poétiques de Charles d’Orléans dont Villon a côtoyé brièvement la cour : les  « Combien certes que grand bien me faisoit de voir France que mon cœur aimer doit »  du prince    ou encore  son « très  chrétien franc royaume de France »   dont, longtemps prisonnier, il avait appelé la grandeur de ses vœux. Son éloignement du trône et du royaume avait ouvert la voie à une poésie qui chantait de manière inspirée, les honneurs de la France. Au delà de l’influence directe du prince sur sa cour et sur les cercles d’auteurs qui la côtoient, cette idée d’une grandeur  française est, du reste, loin d’être incongrue chez les poètes du XVe siècle.

Alors, Villon a-t-il eu besoin, nécessairement, d’exprimer sa gratitude ou de chercher une gratification pour écrire cette ballade ?  On ne voit pas très bien pourquoi il aurait eu à se forcer, sauf à projeter sur lui a posteriori une sorte de nature antagoniste de principe et vis à vis de tout, y compris de sa patrie.  Outre le fait que cela  ne semble pas tellement d’époque (hors de certains pactes avec l’Anglois que la guerre de cent ans avait favorisés) et ce même pour un esprit libre et marginal comme Villon, ce dernier a toujours désigné ses ennemis nominativement et la France n’en a jamais fait partie.  D’autres textes montrent également qu’il se reconnait dans  ses valeurs de défense du royaume (on pourra citer, en exemple, sa Ballade des Dames du temps jadis  et  sa « Jehanne, la bonne Lorraine qu’Anglais brûlèrent à Rouen« ).

Villon et sa défense des armes de France
chez François Rabelais

Pour  abonder dans le sens d’un Villon, défenseur de l’honneur français, au siècle suivant, Rabelais avancera à son tour et non sans humour, dans cette direction (voir   Œuvres  de Maître  François Rabelais publié sous le titre de Faits et  Dits du géant Gargantua et de son fils Pantagruel,   T4 , 1711).    Il  nous contera, en effet, un échange  entre Villon et “Edouar le quin”, roi d’Angleterre (au vue des dates, il aurait deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_siècleplutôt dû s’agir Edouard IV). Selon Rabelais, après son bannissement,  Villon se serait réfugié en Angleterre. Il aurait alors eu l’occasion d’y faire la rencontre du souverain.

Dans une scène fictionnelle haute en couleurs, Rabelais nous dépeint un Villon prenant vertement la défense des « armes de France » (au sens d’armoiries)  devant le roi anglais. Le poète se  moque même,  largement de ce dernier et de la terreur que pourrait lui inspirer la vue de telles armes au point qu’il pourrait se faire dessus, sans retenue et de multiples fois, à leur seule vue :  rabelaisien, humoristique et patriotique. Si la guerre de cent ans est finie sous Rabelais, le roi d’Angleterre peut encore y  faire figure d’ennemi historique tout désigné du royaume de France et on ne peut s’empêcher de voir, peut-être là, une allusion à notre Ballade contre les Mesdisans.   Rabelais abonde en tout cas dans ce sens : on peut être Villon, être mauvais garçon et pour autant,  se reconnaître comme un enfant du royaume, au point d’en prendre la défense.

Des représailles vitriolées à l’encontre
des médisants  et des ennemis du royaume

Pour revenir au contenu de notre ballade du jour, entre antiquité grecque, histoire romaine et références bibliques, Villon y adresse une série de bravades à l’attention de ceux qui pourraient être tenté de porter atteinte, en paroles ou en actes, au Royaume de France.  Contre  l’image du mauvais garçon, du  polisson ou même du repenti, très auto-centré sur son expérience personnelle (à laquelle son Testament nous avait habitué), Villon s’abstrait ici du propos pour dresser une liste de  représailles vitriolées auxquelles il  voue tous ses détracteurs.

S’il ne laisse aucune équivoque sur le côté où il se range, il ne désigne pourtant pas ces ennemis nominativement ; au fond, l’impression générale qui ressort de la lecture est qu’il  s’agit même  d’ennemis  intemporels :  adversaires ou médisants de  son temps, mais aussi ceux qui viendront, bien après lui, du dehors comme du dedans.  Comme son épitaphe ( plus connu  encore comme  la Ballade des pendus )  c’est encore un texte qui  s’inscrit dans une forme d’éternité des valeurs.

butor-enluminure-bestiaire-monde-medieval-moyen-ageBestiaire médiéval : le butor, échassier   ambivalent, qui s’enfouit dans la vase durant l’hiver  –  Bibliothèque du Pays-bas 

Précisons que pour rendre cette poésie, plutôt ardue, accessible à tous, nous avons suivi   PL Jacob (op cité) dans son approche  très annotée de l’oeuvre de Villon.  Ici, les références sont denses et nombreuses et, sans le recours aux notes, leur grand nombre pourrait même rendre difficile la compréhension.   En suivant le fil des supplices que le poète destine à tous les détracteurs du royaume, vous croiserez, tour à tour,  des traîtres, des orgueilleux, d’autres que la convoitise ou la rapacité avaient aveuglés, d’autres encore pleins d’eux-même et jusqu’à ceux-là capables de vendre  la chair de leurs enfants aux dieux pour qu’elle soit dévoré.  Mais encore une fois,  ne nous y trompons pas, cette ballade s’intéresse plus aux représailles à l’attention des ennemis potentiels de la France qu’à celles subies par les personnages mythiques ou historiques invoqués.

Pour finir, on notera encore que si François Villon leur réserve à tous les pires  supplices, le procédé stylistique utilisé  ici et sa redondance  ne sont  pas sans évoquer d’autres de ses poésies. Dans un autre registre, on pense, par exemple, à sa ballade des taverniers « brouilleurs de vin » qu’il vouait aux pires tortures, dans une longue litanie. Ici, l’univers est tout autre et l’humour est absent. Sous la force des références antiques, bibliques, et hautement symboliques, les ennemis du royaume seront tous condamnés par Villon à  être punis pour l’éternité et même devant Dieu.  Pour peu, cette ballade qu’on dirait, aujourd’hui, patriotique et qui vient d’un côté où on l’attendait moins, reléguerait la future Marseillaise de Rouget de Lisle (1792) au rang d’hymne plutôt gentillet.


La Ballade de l’Honneur François
de Villon commentée et annotée

Rencontré soit de bestes feu gectans ,
Que Jason vit, quérant la Toison d’or (1);
Ou transmué d’homme en beste, sept ans.
Ainsi que fut Nabugodonosor (2);
Ou bien ait perte aussi griefve et villaine
Que les Troyens pour la prinse d’Héleine ;
Ou avallé soit avec Penthalus (3) ;
Ou, plus que Job, soit en griefve souffrance,
Tenant prison avecque Dédalus (4),
Qui mal vouldroit au royaume de France !

Quatre mois soit en un vivier chantant,
La teste au fons, ainsi que le butor (5);
Ou, au Grant-Turc, vendu argent contant,
Pour estre mis au harnois com’ bug for (comme un bœuf  de trait);
Ou trente ans soit, comme la Magdelaine (6),
Sans vestir drap de linge, ne de laine ;
Ou noyé soit, comme fut Narcisus ;
Ou aux cheveux, comme Absalon (7), pendus
Ou comme fut Judas, par despérance (se pendit par désespoir);
Ou puist mourir, comme Simon Magus  (8) :
Qui mal vouldroit au royaume de France !

D’Octovien puisse venir le temps :
C’est qu’on luy coule au ventre son trésor (9);
Ou qu’il soit mis, entre meules flotans ,
En un moulin, comme fut saint Victor  (10);
Ou transgloutis en la mer, sans haleine,
Pis que Jonas au corps de la baleine;
Ou soit banny de la clarté Phoebus (Apollon, le radieux, le dieux Soleil),
Des biens Juno, et du soûlas Vénus (11);
Et du grant Dieu, soit mauldit à oultrance (sans espoir de pardon),
Ainsi que fut roy Sardanapalus   (12)
Qui mal vouldroit au royaume de France !

Envoi.

Prince, porté soit ès désers Eolus (de Eole, dieu des vents),
En la forest où domine Glaucus (Glaucos : dieu marin, fils de Poséidon)
Ou privé soit de paix et d’espérance :
Car digne n’est de possesser vertus,
Qui mal vouldroit au royaume de France.


NOTES

(1)    » Bestes feu gectans  »  :  les Taureaux de Colchide sont des automates faits de bronze, crées par Héphaestos (dieu du feu, des volcans et de la forge). De la taille d’un éléphant, ils ont la propriété de cracher du feu tel un dragon. Dans la mythologie, Jason devra les affronter et réussir à les dompter pour pouvoir récupérer la toison d’or.

(2) Nabuchodonosor II roi de Babylone (605-562 av JC) également mentionné dont l’ancien testament dans lequel on nous conte qu’il fut condamné à être changé en bête durant 7 ans  :
Daniel 4:25 “22. On te chassera du milieu des humains et tu vivras parmi les bêtes des champs. On te nourrira d’herbe comme les bœufs et tu seras trempé de la rosée du ciel. Tu seras dans cet état durant sept temps, jusqu’à ce que tu reconnaisses que le Très-Haut est le maître de toute royauté humaine et qu’il accorde la royauté à qui il lui plaît. « 

(3)  Penthalus : en accord avec PL Jacob, il faut sans doute lire ici Tentalus ou Tentale, condamné   par les dieux à passer l’éternité à souffrir les affres de la faim et la soif pour leur avoir présentés un banquet fait de chair humaine : celle de son propre fils Pélops. Quant à Job, il s’agit  du supplicié biblique, mis à l’épreuve par le malin et condamné, en plus de subir la maladie, à perdre richesse, famille et amis.

(4)  Dédalus : dans la mythologie grecque, Dédale, architecte et inventeur de génie, fut entre autre, le constructeur du labyrinthe du terrible Minotaure (qu’il a d’une certaine façon contribué à faire naître). Le roi Minos, fils de Zeus et d’Europe, finira par enfermer Dédale dans son propre piège, suite à  de multiples trahisons. Ce dernier tentera de s’en échapper avec son fils Icare en fabricant des paires d’ailes. On connait les suites funestes de cette tentative d’évasion.

(5) Au Moyen Âge, le butor, petit   oiseau échassier, est perçu comme un animal ambivalent, souvent associé au Malin. PL Jacob nous dit également de lui qu’à cette même époque, on pensait qu’il hibernait en s’enfouissant sous la vase.

(6) La Magdelaine. Il s’agit, bien sûr, de Marie-Madeleine ou Marie la Magdaléenne du nouveau testament (aujourd’hui objet de toutes les spéculations et  controverses). Certaines écritures nous conte qu’elle se retira de longues années pour faire pénitence dans le désert, dans la misère et le dénuement le plus total.

(7) Narcisus et Absalom : On connait bien ce Narcisse de la mythologie grecque, fils du fleuve Céphise et d’une nymphe, Liriope. D’une grande beauté, il était aussi orgueilleux  et plein de lui-même. Ce fut au point que, tombé amoureux de son propre reflet dans l’eau, il s’abîma dans sa propre contemplation jusqu’à se laisser surprendre par la mort.
Absalom est, quant à lui, un personnage biblique de l’Ancien testament. Troisième fils du roi David, il avait vengé sa sœur d’un viol en tuant Amnon, son beau-frère, l’agresseur de cette dernière. Conspué, il s’enfuit du royaume pour fomenter une révolte quelques années plus tard.  Ses troupes seront mises en déroute par celle du roi.  A l’occasion d’une dernière bataille, dans la forêt d’Éphraïm, au moment de sa fuite, il se prendra la chevelure dans les branches d’un arbre. Incapable de se défendre, il sera alors exécuté par Joab, général du Roi David, contre les instructions de ce dernier qui avait formé le projet de l’épargner.

(8) Simon Magus ou Simon le mage. Ce personnage qu’on trouve aussi dans les écritures (Actes des apôtres) était connu pour ses prodiges dans la région de Samarie (ancienne capitale d’Israël en Cisjordanie). Il fut condamné à l’Hérésie pour avoir tenté de monnayer à Pierre ses pouvoirs miraculeux contre de l’argent. Une autre version explique qu’il avait requis l’aide de démons pour s’élever dans le ciel. Il entendait ainsi  prouver aux romains qu’il possédait des pouvoirs divins, mais il finit par tomber et se rompre les jambes.

(9) Octavien Caius Octavius,    fils adoptif de Jules César  qui deviendra Auguste (14-63 av JC).  La référence est-elle dans le second triumvirat ou y a-t-il une erreur de chronologie de Villon, comme le pense PL Jacob en suivant son prédécesseur Prompsault ? En tout état de cause, on retrouve à plusieurs reprises dans l’histoire de l’empire romain (et quelquefois contre lui), ce supplice de l’or fondu versé dans la bouche d’un condamné pour sa cupidité. Un peu avant le règne d’Octavien, (autour de 53 av JC) le général Marcus Licinius Crassus en fut victime pour sa cupidité.  

(10) Saint-Victor (autour de 200-300 ap JC) : Victor de Marseille, dans les hagiographies et la vie des saints.  Ce militaire romain et officier de l’empereur refusa de faire des offrandes aux Dieux Romains et fut condamné à être écrasé sous le meule d’un moulin pour avoir refusé de renier sa foi chrétienne et son dieu unique.

(11) Des biens Juno et du soûlas Vénus “ :    des biens de Junon ou des plaisirs  de Venus. Autrement dit, qu’il soit exclus des bienfaits, des richesses et des honneurs de la déesse Junon mais aussi des plaisirs et des joies de l’amour prodigués par Vénus.

(12) Sardanapalus : Selon Prompsault, là encore suivi par PL Jacob, il y aurait une confusion de Villon entre  Sardanapale ou  Sardanapalos, connu encore sous le nom de Assurbanipal, roi assyrien (669 – 626 av JC) et  Antiochus le Furieux, roi de Syrie, qui nous dit-il “périt misérablement sous l’anathème du Dieu d’Israël”.  Ce n’est, il est vrai, pas le cas de Sardanapale. Il ne fut pas maudit  et  la bible, en tout cas, ne le mentionne pas de manière défavorable. Il ne semble pas non plus que les événements autour de la mort aient été particulièrement notables.

On notera, toutefois, que dans d’autres versions de la même ballade de Villon, on trouve  en lieu du « grand dieu » le vers suivant : « Et du   dieu Mars  soit pugny a oultrance Ainsi que fut roy Sardanapalus ». (Voir The   Drama  of the Text : Proceedings of the Conference Held at St. Hilda’s College   Oxford, Michael FreemanJane H. M. Taylor, 1996 ). Or, cela change un peu les choses, en ce cas, puisque, d’un point de vue historique, le règne de Sardanapale se fit sous le signe de nombreuses guerres (Dieu Mars) même s’il en sortit plutôt victorieux. 

La mort de Sardanapale par Delacroix (1827)
La mort de Sardanapale par Delacroix (1827)

Plus intéressant encore, durant l’antiquité, certains chroniqueurs grecs  présentèrent  Sardanapale  comme un roi oiseux, débauché, plongé constamment dans la luxure et ne quittant jamais son palais. Plus tard, sur cette lancée, d’autres historiens romains, dont Justin (IIIe-IVe s ap JC), avancèrent que ce goût pour la débauche, doublée d’une nature sexuelle assez atypique pour un souverain d’alors,  aurait même valu à ce dernier de s’attirer la violence des siens et les foudres du Dieu Mars (symbole de la guerre, mais aussi d’une certaine virilité et fertilité). Dans cette version des faits, le règne  de Sardanapale s’acheva même   de manière tragique puisque, face à l’adversité,  il aurait préféré se soustraire en incendiant ses gens, ses  biens et ses richesses ainsi  que sa propre personne (voir  ci-dessus « la mort de Sardanapale », le chef d’œuvre de Eugène Delacroix ).  Une fin qui, dès lors, pourrait peut-être mieux coller à la référence de la ballade de Villon ?  Ce n’est, bien sûr, qu’une hypothèse qui demanderait à être creusée. Voici en tout cas un extrait des écrits de l’historien Justin sur cette   « punition » de Sardanapale par le Dieu Mars :    

« … Il (un de ses préfets) découvrit Sardanapale entouré d’une foule de concubines, et dans l’habillement d’une femme, enroulant de la laine pourpre avec une quenouille, et distribuant des tâches aux filles mais les surpassant toutes en féminité et en dévergondage. Après avoir vu cela, et indigné que tant d’hommes fussent soumis à une telle femme, et que des gens qui avaient des armes de fer obéissent à une fileuse de laine, il partit rejoindre ses compagnons, leur racontant ce qu’il a vu, et leur disant qu’il ne pouvait obéir à un cinède préférant être une femme plutôt qu’un homme. Une conspiration fût formée, et la guerre éclata contre Sardanapale, … Étant défait dans la bataille, il se retira dans son palais et ayant dressé une pile de combustible à laquelle il mit le feu, s’y jeta avec ses richesses, agissant pour la première fois comme un homme.. »
Justin,   Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée, Paris, Belles Lettres, 

 En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Lectures audio et règles suivies pour la prononciation du vieux français

lecture-audio-textes-medievaux-moyen-age-litterature-vieux-français-oilSujet    : poésie médiévale, lectures audio, langue d’oïl, vieux français, moyen français, prononciation, textes anciens, littérature médiévale, fabliaux
Période  : du XIIe  au  Moyen Âge tardif
Auteurs    :   divers auteurs médiévaux  Jean Bodel,  Rutebeuf, Eustache Deschamps, François Villon, etc…

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous sommes très heureux de constater que nos lectures audio en vieux français et en moyen-français continuent de susciter un intérêt  véritable  sur youtube, autant que des questions et des commentaires réguliers.

Qui aurait pu présager que des textes datés de plus de 700 ans pour certains et devenus, en grande partie, incompréhensibles à l’oreille, puissent rallier autant d’auditeurs ?   C’est, en tout cas, toujours  un grand plaisir de voir que ces pièces de littérature médiévale pique la curiosité des francophones d’ici et d’ailleurs, mais aussi de certains amateurs de langue française de par le monde.


Le français  et la francophonie dans le monde

infographie-ministere-français-langue-monde-francophonieGageons que cet intérêt pour l’histoire du français ne se tarira pas.  A en juger à de récentes projections, la langue française se porte plutôt bien dans le monde. Son devenir semble même largement assuré au niveau de la francophonie et d’ici 2050, elle pourrait bien être la première langue parlée dans le monde.

Pour donner quelques chiffres supplémentaire, aujourd’hui, le français se classe encore  dans le Top 3 des secondes langues les plus apprises dans le monde avec plus de 100  millions d’apprenants. Elle est aussi la 2ème langue la plus traduite sur le globe. Enfin, elle tire encore son épingle du jeu dans le monde des affaires  en étant la 3ème langue la plus utilisée  dans ce domaine,  après l’anglais et le chinois. Présente dans un grand nombre de pays, il faut dire qu’elle partage avec l’anglais l’avantage d’être une des seules  langues à être parlée sur cinq  continents.  Cette parenthèse faite, revenons à nos moutons, soit nos lectures audio en français ancien.


Lectures audio en langue d’oïl :
le Moyen Âge central  en vedette

A date, nous avons  mis en boite sur notre chaîne youtube, un peu plus d’une quinzaine    de lectures audio en langue d’oïl et en français ancien.  La chaîne cumule autour 330 000 vues  mais sur ces seuls médias  nous en sommes à plus  80000 visionnages. Perfectible ? Sans doute, mais plutôt pas mal  pour un sujet  aussi pointu et spécialisé.

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A la vue des chiffres, c’est le vieux français du Moyen Âge central qui  emporte la vedette. Pour l’instant, il attire bien plus la curiosité que le  français  du  Moyen Âge tardif d’un  François Villon ou d’un   Eustache Deschamps .

Grand favori,  Rutebeuf et sa Pauvreté continuent de tenir le haut du pavé avec 39 000 vues ;  la chanson de Léo Ferré n’y est sans doute pas pour rien et c’est aussi le premier fichier du genre que nous avions publié.  Avec le temps, d’autres  lectures (notamment de fabliaux) ont cumulé elles aussi, plusieurs milliers de vues : c’est le cas  de    Brunain ou la vache au prêtre de Jean Bodel , du    Testament de l’âne de Rutebeuf,  ou encore de  la housse partie  du trouvère Bernier.

Règles suivies pour la prononciation
du vieux  français et de  la langue d’oïl

Comme toutes ces lectures audio suscitent régulièrement des commentaires et des questions (dont une ce matin même d’une personne originaire de Russie que j’en profite pour saluer au passage), nous avons pensé qu’il pourrait être judicieux  de mettre à plat certaines règles que nous y avons appliquées en matière de prononciation du vieux français.

Sur la prononciation des R

Depuis les premiers balbutiements de la langue d’oïl, en passant par le Moyen Âge central et tardif et même bien plus tard encore, le R est censé être roulé en français.  Dans les lectures, je le roule « à l’italienne », en le modulant plus ou moins. Il s’agit donc du R latin, appelé  R apical  qui se roule  avec le vibrato de la langue pour l’appuyer (voir  explication audio sur la différence entre les différents type de  R).

Après le XVIIe siècle,  en français « standard » (Paris – île de France), le R deviendra graduellement uvulaire ou grasseyé. Il sera alors roulé plus sur la gorge et sur le haut du palais que sur la langue. Effet de coquetterie ? Peut-être. Quoiqu’il en soit, ce R grasseyé finira également par disparaître du français moderne standard et, en métropole, on ne le trouvera plus roulé que dans nos campagnes et dans certaines formes de français dialectal. Il sera encore longtemps roulé (R uvulaire) dans de nombreux pays de la Francophonie (Quebec, Afrique, Belgique).

Disparition tardive  des R  roulés

deco-medieval-micro-lectures-audio-vieux-francaisCertains se souviendront peut-être que le R non roulé n’a conquis que très tardivement certaines régions de France : jusqu’à la deuxième partie du XXe siècle, dans le sud notamment, on le roulait encore. Pour vous convaincre de cette disparition tardive, vous pouvez réécouter des chansons françaises de l’entre deux-guerre  ou  de l’après-guerre : Berthe Sylva, Alibert, Maurice Chevalier,  Edith  Piaf, etc… En tendant l’oreille chez les chanteurs de cette période,  vous  trouverez de nombreuses traces de R apical ou même uvulaire. Vous pouvez aussi revoir quelques films des années 30 et 50 avec Fernandel ou autour de l’œuvre de Marcel Pagnol. Vous y trouverez toujours quelques personnages hauts en couleur ou quelques gendarmes pour faire chanter les R.

Précisons que, à l’image du mouvement général d’évolution de la langue française amorcé depuis le Moyen Âge central, cette disparition du R roulé est certainement parti du berceau parisien du français standard pour s’étendre progressivement  sur le reste du territoire (voir notes et réflexions en bas de page sur ces questions). Le siège du pouvoir donne souvent le La en matière de norme linguistique et l’influence culturelle de la capitale sur le français standard a été  très tôt reconnue par de grands poètes médiévaux de langue d’oïl. Jean Clopinel nous en parlait déjà dans le Roman de la Rose :

« Si m’excuse de mon langage – Rude, malotru et sauvage, – Car né ne suis pas de Paris. »     Jean Clopinel, dit Jean de Meung, (1250-1305)

Sur les diphtongues

Nous prononçons oi ou oie, oit de façon moderne soit « oa » ou « wa ». Nous avons fait ce choix principalement pour des raisons  de compréhension  mais pas uniquement. Au XIIe et XIIIe siècles, les diphtongues sont  réputées plus appuyées que dans les siècles suivants. Autrement dit, les lettres qui les composent auraient été plus distinctement détachées à la prononciation et donc à l’écoute. Suivant ce précepte, les  « oi »  des premiers temps du Moyen Âge central devaient sans doute être plus prononcés ohi, voir uhi.

De oi à wa sans passer par le oé

D’après certaines de nos premières lectures, les oi, oie et autres oit ne seraient prononcés « oé » (« Vive le roé ») qu’à partir du Moyen Âge tardif (XIVe, XVe siècle). Peut-être l’étaient-ils localement avant cela (accents ou usages régionaux locaux ayant pu influencé, plus tard, le standard) ? L’hypothèse d’une évolution des usages allant à l’économie (loi du moindre effort) ne semble pas tellement applicable mais j’avoue n’avoir pas cherché d’éléments pour expliquer ce glissement progressif du « ohi » vers le « ohé » (adoucissement, régionalisme ou centralisme ayant influencé les usages, naissance d’un usage de classe ?). Dans le sens inverse de ces usages, ce « oui » qui se change quelquefois en « ouais » (qui n’est pas tout à fait un wé) dans certaines formes argotiques, est assez amusant à relever.

A noter que des lectures ultérieures sur ces sujets semblaient dater plus résolument l’amorce de cette diphtongue (de « oi » -> « ohi » vers « oé » « ohé ») du milieu du XIIe siècle. Selon cette hypothèse, elle devrait donc être établie au temps de Rutebeuf durant laquelle elle aurait même fini par prendre la forme d’un « wé ».

Pour des raisons de compréhension autant que d’esthétique, je dois pourtant avouer que je continue de trouver plus de grâce dans la version modernisée de ces oi en wa contre les oé ou wé de la deuxième hypothèse.  Pour le dire de manière triviale, quand on suit ces derniers à la lettre, on finit par en avoir, à ce point, plein la bouche qu’ils donnent quelquefois l’impression de tout recouvrir d’une sorte de « folklorisme rural » (en référence à nos patois et nos accents régionaux du XXe s qui ne sont pas si loin). Or, il nous a semblé que ce tour un peu envahissant, qu’on peut trouver charmant ou, selon, mâtiné d’une certaine drôlerie, grève, quelquefois, en plus de la compréhension, l’intérêt qui peut se dégager, par ailleurs, du reste de ces textes.

Pour apporter de l’eau à notre moulin, ajoutons que pour la transition postérieure, celle du « oé » vers le « oa » [Wa] moderne, certaines hypothèses émettent que le « oi » [Wa] était utilisé par les classes populaires dès le XIIIe siècle et qu’il triomphera à la révolution française  (voir article Cefan Université de Laval, Canada),  ce qui tendrait à démontrer que, dans certains cas, le parler populaire emporte la partie et devient celui qui s’impose aux autres classes dans une sorte de conquête ascendante du pouvoir linguistique. Selon cette hypothèse, le [Wa] moderne de mes lectures pourrait être pris comme un Wa populaire du XIIIe siècle, ce qui, je l’avoue, n’est pas pour me déplaire. Quoiqu’il en soit, si quelques linguistes ou spécialistes avertis de littérature médiévale ont des éléments d’éclairage supplémentaires sur ces questions, je  serais  toujours très heureux de  les  lire.

Pour les autres diphtongues, même si je tends à les marquer plus, je traîne, peut-être, un peu moins sur certaines d’entre elles qu’on ne le faisait pendant les XIIe et XIIIe siècles. Par exemple,  dans la lecture de l’extrait du fabliau la housse partie, sur  le « Biaux très cher fils », j’aurais tendance à avaler le « i-a-u » pour en faire un io voir un iho. C’était, en réalité, une triphtongue comme en trouve quelques autres dans le français ancien et il est possible que la prononciation ait été alors plus traînante avec un marquage plus nette de toutes les lettres : « bihaho ». Ce sont, par contre, des choses subtiles qui se jouent sur des micro-fractions de temps… Il n’est pas non plus question de faire traîner une diphtongue sur des durées indécentes, simplement de mieux détacher les lettres. Au delà du style, et sauf recherche d’effets comiques ou particuliers ou de prononciation de classe très marquée, la notion d’efficacité semble tout de même et le plus souvent l’emporter en matière  oral.

Sur les consonnes muettes,  les liaisons et  le fond

Pour le reste et pour combler les vides, avec la naissance de ce français vernaculaire et partant du principe que nous sommes encore relativement proches dans le temps du  latin d’origine, je me suis, en partie, inspiré du catalan ou de l’italien. Ces deux langues, comme l’Espagnol du reste, prononcent la plupart de leurs lettres écrites et ne connaissent pas de muettes. Pour information, dans l’exercice, je n’ai pas conservé la musicalité de l’italien (langue paroxytonique avec accentuation importante, par défaut,  sur l’avant-dernière syllabe). La musicalité et les rythmes choisis restent donc plus proches du français actuel.

deco-medieval-micro-lectures-audio-vieux-francaisLe catalan m’a interpellé parce qu’il a la particularité d’avoir une conformation assez similaire au français, par endroits. Il possède, notamment  un nombre important de vocables qui se ne terminent pas, systématiquement, par des voyelles. Or, le français est, de son côté, bourré de consonnes muettes en fin de mots ou même au sein des mots. Concernant celles de fin de mots, dans les lectures, j’ai appliqué la règle des liaisons telles qu’elles se présentent en français moderne. Autrement dit, les consonnes (en principe déjà muettes en fin de mot au XIIIe siècle pour une partie d’entre elles au moins), peuvent se faire entendre, au sein d’un phrase, quand les mots qui les suivent commencent par une voyelle et qu’aucune ponctuation ne les sépare. Le catalan, comme le français moderne, appliquent, de leur côté, une règle similaire sur les liaisons et il m’a semblé logique de les suivre sur ce terrain.

Le  S  muet

Pour ce qui est du S  (avant une consonne ou en fin de mots), il est  également devenu muet en français. Devant une consonne, sa prononciation s’est amenuisée progressivement entre les XIe et XII siècles.  En fin de vocable, c’est, semble-t-il, à la fin du XIIIe qu’il finira par devenir totalement muet. On imagine assez bien une période de transition où il s’éteint petit à petit et  je le traite, quant à moi,  de façon parfois totalement muette, parfois esquissé (demi-muet).

Interprétations

J’applique aussi quelques règles qui me semblent logiques sur certaines autres consonnes muettes. Par exemple, dans les mots où nous continuons de le prononcer, jusqu’à ce jour, je ne l’ai pas rendu muet, ce qui encore un fois paraît logique :  biaux très cher  « fils » et pas  « fil ».

Autre exemple, dans « or me faut chascun de créance » de la Pauvreté Rutebeuf, je prononce le t à la fin de faut. Je le fais pour une raison de compréhension et parce qu’il me parait intéressant qu’on l’entende. Dans les faits, il semble être devenu muet progressivement pour s’éteindre dans la plupart des cas, jusqu’à la fin du XIIIe . Dans le cas présent, il me semble justifier de le marquer pour la raison suivante : en espagnol, le verbe « faltar »  qui  vient de la même racine latine a évolué pour prendre le sens de « faire défaut », « manquer ».  En français « fauter » a plutôt pris le sens de faire une « faute », commettre une erreur, un manquement. Quant au verbe « falloir », il a conservé une idée de nécessité. Or, dans cette phrase de Rutebeuf, le sens de ce « faut » rejoint le sens  de faire défaut :  personne ne veut plus lui prêter. C’est encore le même sens qu’on retrouve dans  l’adage populaire  « Faute de grives, on mange sur merle« .

Rapprochements  vs hermétisme

Voilà à peu près  pour les seules règles suivies dans ces lectures. Je ne suis pas allé plus loin pour l’instant et on peut même dire que, la plupart du temps, je « lisse » souvent le reste (par exemple « mon cuer » devient ainsi souvent « mon cœur » et pas « cuèr », ou « cu-eur », ou encore  consonnes affriquées j -> dj ch ->tch, etc…). Il y a aussi, comme dans l’exemple du dessus, un certain nombre de  cas de figure où je m’inspire d’autres langues latines  pour  me guider.

Si notre chaîne youtube est, à ce jour et à ma connaissance, l’une des seules qui s’adonne à la lecture, dans le texte, d’extraits de littérature médiévale, je dois préciser qu’il n’y a dans tout cela aucune prétention d’absolu. Il s’agit plutôt d’une tentative de deco-medieval-micro-lectures-audio-vieux-francaisrapprochement. La partie interprétation est présente et il s’agit de trouver une équilibre entre compréhension et restitution : montrer plutôt les parentés et les similitudes, éveiller la curiosité.   L’idée n’est pas non plus de se réfugier derrière des « trucs » pour arriver à des lectures incompréhensibles ou hermétiques. Nous sommes, au moins autant interpelé par la recherche de ce qui nous distingue que de ce qui nous unit : du français ancien au français moderne, du français aux autres langues romanes et latines).  Cela dit, peut-être serait-il pertinent de  complexifier l’exercice, au futur, pour présenter quelques lectures plus proches encore des sources, en opérant de sérieux recoupements entre  toutes les hypothèses et les incertitudes ou en se servant de références différentes.

Pour aller plus loin

Nous n’avons pas abordé ici  les formes du français  du Moyen Âge tardif que nos proposons dans nos lectures. Elles se rapprochent de notre français et, en fonction des lectures, nous appliquons quelquefois ce fameux oi en oé que tout le monde semble avoir associé au français ancien quelque soit le siècle et semble tellement tenir à voir appliquer.  Quant aux R, je les module, ils restent roulés mais peuvent parfois tendre vers l’uvulaire.

Une base audio académique et scientifique ?

Un autre visiteur de ces lectures  audio se  posait la question de savoir s’il existait des travaux académiques (audio) précis sur le sujet. Il faisait allusion à des lectures de textes anciens réalisés par des érudits, pour chaque siècle, avec les nuances exactes entre chaque période et entre chaque « français ». Pour l’instant, nous n’avons pas trouvé, de notre côté, une telle base de données audio académique.

Elle supposerait d’avoir opéré des recoupements en vue d’établir des règles précises et tracer des frontières, dans le temps et dans les espaces géographiques, entre les différentes formes de français ancien ou à défaut de se servir comme référence d’un auteur unique qui fasse autorité.  Là encore, si des universitaires éclairés avaient connaissance de quelques travaux audios en ce ce sens, nous serions demandeurs. C’est peut-être, cela dit, beaucoup en  demander. La langue est une affaire vivante, mouvante et complexe : localisée, sujette à des régionalismes, des accents, des influences exogènes, des habitus de classes. En matière de poésie ou de chansons, vient  s’ajouter  une certaine souplesse que s’autorisent les auteurs eux-mêmes dans la  prononciation orale de leurs œuvres pour des effets de style ou de rimes, etc… Bien sûr, toute l’affaire est aussi largement compliquée par  l’absence de traces sonores.

Autres sources utiles

deco-medieval-micro-lectures-audio-vieux-francaisPour ceux que ces sujets intéressent, nous conseillerions assez la lecture et l’écoute de  chansons du répertoire médiéval reprises par de véritables passionnées de Moyen Âge et de musiques anciennes. En ethnomusicologie, les plus sérieux d’entre eux ont fini par se pencher sur la prononciation du vieux français d’oïl et il est toujours intéressant de comparer leurs interprétation. Vous trouverez des centaines  d’articles sur ce sujet dans notre rubrique Musiques, poésies et chansons médiévales.

Egalement, dans les incontournables,  ne manquez pas sur France Inter, les podcasts d’une émission réalisée, il y a quelque temps, en compagnie de Michel Zink. Daté de 2014, ce programme avait pour titre « Bienvenue au Moyen Âge et le grand académicien nous y gratifiait, par endroits, de quelques lectures de textes anciens.

Tout cela étant dit, merci  à tous de votre intérêt et de votre fidélité  ici et sur notre chaîne youtube.

Vous pouvez retrouver  nos lectures audio ici

 En vous souhaitant une  excellente journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes sur la propagation des formes linguistiques standards

Si les accents continuent de subsister en français, de même que les particularismes régionaux, l’urbanisation galopante et l’hyper médiatisation ( arrivée massive de la télévision, du cinéma) ont  sans doute contribué à répandre ou imposer une version plus homogène  de la prononciation du français standard, à partir du dernier tiers du XXe siècle.

Hors des moyens de diffusion d’une certaine culture centralisée (Paris) sur le reste du territoire, on notera aussi qu’en matière de prononciation orale et d’accent,  pour qu’un standard s’impose, il a presque toujours tendance à être véhiculé par ceux qui en acquièrent la maîtrise avec une certaine charge « normative ». Autrement dit, sa maîtrise n’est pas seulement une affaire de sonorités. C’est, d’une certaine manière, un outil de pouvoir ou de destitution. Cette maîtrise se trouve ainsi associée à des promesses de socialisation (passe-partout, invisibilité voire même érudition, charisme, etc… ) mais, à l’inverse, l’incapacité de s’y soustraire peut finir par être présentée comme « ostracisante » ou chargée négativement : moquerie, stigmatisation sociale, parler paysan, campagnard, rustre, etc… Au fur et à mesure de son expansion, le standard linguistique semble donc avancer, armé d’une certaine charge morale  :    il est porteur de civilisation, de modernité, et celui qui veut  entrer dans la marche de cette dernière, doit  finir par s’y adapter.

Au delà de la médiatisation et de la promotion par un pouvoir centralisé d’une langue officielle normalisée, il semble pertinent d’avancer que ces phénomènes se jouent aussi dans les interactions.  Il n’est de meilleur norme que celle intériorisée et que les individus s’imposent plus ou moins subtilement, les uns au autres. Une partie importante de mimétisme semble également intervenir dans tous ces processus, soit qu’ils surviennent naturellement et en situation,  soit qu’ils dénotent d’une volonté d’adaptation et de se fondre dans une certaine norme. De ce point de vue, la formation de grandes métropoles et l’éducation de masse (école, universités, …) a forcément contribué à un certain nivellement.

Amitié contre mauvais conseillers : une fable médiévale de Don Juan Manuel

Don-juan-manuel-lucanor-contes-moraux-moyen-age-espagne-medievaleSujet  : auteur médiéval, conte moral, Espagne Médiévale, citation médiévale, monde féodal, Europe médiévale,  devoirs des princes, fable
Période  : Moyen Âge central ( XIVe siècle)
Auteur : Don Juan Manuel (1282-1348)
Titreex XXII, De ce qu’il advint au lion et au taureau
Ouvrage  :   Le comte Lucanor, traduit par  Adolphe-Louis de Puibusque  (1854)


« Ne laisse pas  les dires de  perfides menteurs,
Briser ton amitié avec  gens  de valeur. »

Don Juan Manuel   –  Le comte Lucanor,

« Por dichos y por obras de algunos mentirosos,
no rompas tu amistad con hombres provechosos
(1)«  
 Don Juan Manuel  –  El conde Lucanor

(1) provechosos  : bons, serviables, loyaux


Bonjour à tous,

R_lettrine_moyen_age_passionetournements, alliances, trahisons, au Moyen Âge central, les conseillers perfides et manipulateurs  semblent, souvent, plus redoutés encore que les   princes  dotés d’une mauvaise nature. La dimension divine conférée au pouvoir monarchique a  sans doute contribué, dans certains cas, à   mettre les souverains à l’abri de ce genre de soupçons mais peut-être aussi que la prudence a joué. Aux temps médiévaux,  quand l’injure se double du blasphème, l’exercice de la critique  directe envers les plus grands  peut s’avérer périlleux, d’autant que ce pouvoir personnifié n’hésite pas, au besoin, à punir durement l’outrecuidant jusque dans sa chair (on pourra, à ce sujet, relire utilement quelques pages   du   Surveiller et punir de Michel Foucault   )  .

Quoiqu’il en soit, au Moyen Âge, le mauvais conseiller est invoqué plus qu’à son tour, contre le « mauvais » roi, prince ou même encore  le « mauvais » Pape et si, par mésaventure, ces très grands puissants de l’Europe médiévale se fourvoient dans l’exercice de leur pouvoir politique,  il est à supposer qu’ils sont  mal conseillés ou, même plus perfidement encore,   manipulés.

lion-fable-medievale-comte-lucanor-espagne-medievale-moyen-age

 Un conte  politique sur fond  de vécu

Pour revenir à la citation en tête de cet article et à notre auteur du jour, sans doute le grand seigneur et chevalier Don Juan Manuel    ne pouvait-il s’empêcher,  en écrivant ces lignes dans le courant du XIVe siècle, de songer à son propre vécu. Passé de protecteur de la famille royale et même tuteur  du jeune dauphin  Alphonse XI, il finit, en effet, par en devenir l’un des pires ennemis pendant de longues années. Sous la pression de la couronne, les tensions et conflits entre les deux hommes entraînèrent d’ailleurs d’autres mésalliances et trahisons dans l’entourage proche du duc et prince de Villena.

Aujourd’hui, les spécialistes de l’Espagne médiévale hésitent à mettre cette  histoire incroyable faite de pièges, de meurtres et de retournements au compte de la personnalité d’un roi qui aurait été terrible et cruel « par nature ». On trouve même plutôt des thèses qui penchent en faveur de la perfidie de conseillers ayant su tirer partie du jeune âge du roi pour comte-lucanor-europe-medievale-don-juan-manuel-contes-moraux-politiques-moyen-agetirer leur épingle du jeu.

Du côté des sources historiques, on pourra retrouver la fable dont cette citation est extraite dans le comte Lucanor du manuscrit Ms 6376, conservé à la Bibliothèque Nationale d’Espagne. De datation  imprécise (entre 1300 et 1500), cet ouvrage  ancien ne contient que les œuvres  de Juan  Manuel (consulter ici).

Une fable sur l’alliance du lion et  du taureau

Dans l’histoire de Don Juan Manuel, le noble comte Lucanor interroge son conseiller Patronio sur le revirement apparent et soudain de  l’amitié d’un autre puissant à son encontre. Qu’elle pourrait bien en être la cause ? Le sage Patronio lui conte alors l’histoire d’une alliance  que  le  lion et le taureau avaient faite ensemble, asseyant ainsi leur domination sur  les prédateurs comme sur les herbivores. Or, il advint que certains animaux désireux d’échapper à  ce puissant pouvoir fomentèrent un complot pour rompre leur amitié, en les dressant l’un contre l’autre.

« Il  n’y  aura de sûreté  pour nous, se dirent-ils entre eux, que lorsque nous aurons divisé nos deux  oppresseurs  ; il faut que leurs favoris le renard et le mouton mettent tout en oeuvre pour les brouiller. »

taureau-fable-medievale-espagne-moyen-age-conte-morale-politiqueSur l’avis du renard, on décida de faire intervenir l’ours. Le prédateur redoutable, second après le lion, fut chargé d’aller convaincre ce dernier que le taureau ourdissait quelques complots dans son dos. Le cheval, prestigieux herbivore d’entre les herbivores, se chargea, quant à lui, de conter un mensonge semblable au Taureau : qu’il   reste  vigilant, le lion voulait sa peau.

Devant la puissance des délateurs,   les deux amis ne furent pas dupes. Pourtant la graine du doute avait était semée, les poussant, chacun, à consulter leur proche favori  ;  le renard pour le lion, le  mouton pour le taureau. Il ne restait plus qu’à prendre soin de faire éclore et fructifier cette semence empoisonnée : il n’y a pas de fumée sans feu, Sire, si vous ne cessez d’y penser, c’est peut-être vrai. Les deux conseillers perfides manœuvrèrent finement et patiemment, en continuant d’instiller le doute dans l’esprit des deux puissant.  Les animaux en ligue se joignirent aussi à la cohue, tant et si bien qu’à la fin les deux amis finirent par se haïr. Isolés et fragilisés, leur alliance déchue, il fut alors facile pour les autres bêtes, montées en rébellion, de s’en emparer  et de les mettre tous deux à mort. Et Patronio de conclure :

« Et vous, Seigneur comte Lucanor, que cet exemple vous éclaire ! Examinez bien si les gens qui cherchent à rendre votre ami suspect à vos yeux agissent dans le même but que les animaux à l’égard du taureau et deco_medieval_espagne_moyen-agedu lion. Cela vérifié, si vous reconnaissez que votre ami et un homme loyal et que sa conduite  est toujours droite, fiez-vous à lui comme à un bon fils ou à un bon frère. »

En suivant les pas de A  de Puibusque (opus cité), cette  histoire, qui s’apparente, en tout point, à une fable,   trouve quelques-unes de ses inspirations directes dans un ouvrage sanskrit datant du IIIe siècle avant notre être : Le Pantcha Tantra ou les 5 ruses  de  Vishnusharman. Enfin,  pour ce qui est de la morale de cet « exemple XXII » du comte Lucanor, le biographe et auteur français l’adaptera ainsi, très librement  mais de belle manière :

« Repousse les soupçons qui te viennent d’un traître,
Bien plus que l’amitié la haine est prompte à naître. »


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En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
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La Ballade pour un prisonnier et l’école de Villon par Antoine Campaux

Francois_villon_poesie_litterature_medievale_ballade_menu_propos_analyseSujet  : poésie médiévale, ballade médiévale, moyen-français,  poésie réaliste,    corpus Villon.
Auteur  :    anonyme,   attribuée à   François Villon    (1431-?1463)
Période    : Moyen Âge tardif, XVe siècle.
Titre    : « Ballade pour ung prisonnier »
Ouvrage     :    Jardin de plaisance et fleur de rethoricque,  A Vérard  (1502). François Villon, sa vie et ses oeuvres,  Antoine Campaux (1859)

Bonjour à tous

D_lettrine_moyen_age_passionans le courant du XIXe siècle, avec le développement des humanités et du rationalisme, émergent plus que jamais, la volonté de catégoriser, classer mais aussi de mettre en place  une véritable méthodologie dans le domaine de l’Histoire. De fait, de nombreux esprits brillants s’attellent alors aux manuscrits et à la systématisation de leur étude, et ce sera, également, un siècle de grands débats autour des auteurs du Moyen Âge et de la littérature médiévale.

Manuscrits, attributions et zones d’ombre

Corollaire de ces travaux variées, mais aussi de la découverte de nouvelles sources, on se pose alors souvent la question d’élargir, ou même quelquefois de restreindre, le corpus des nombreux auteurs médiévaux auxquels on fait face. D’un expert à l’autre, la taille des œuvres prend ainsi plus ou moins « d’élasticité », suivant qu’on en ajoute ou qu’on en retranche des pièces, en accord avec les manuscrits anciens ou même, parfois, contre eux.

 deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_siècleOn le sait, dans ces derniers, il subsiste  toujours des zones d’ombre. A auteur égal, les noms ou leur orthographe peuvent varier sensiblement. En fonction des manuscrits, des pièces identiques peuvent aussi se retrouver attribuées à des auteurs différents. Enfin, certains codex foisonnent de pièces demeurées anonymes.   Dans ce vaste flou, on comprend que les chercheurs soient souvent tentés de forger des hypothèses pour essayer de mettre un peu d’ordre ou de faire des rapprochements.

Ajoutons que cet anonymat des pièces n’est pas que l’apanage des codex du Moyen Âge central et de ses siècles les plus reculés.   Entre    la  fin du XVe siècle et le début  du XVIe siècle, on verra, en effet, émerger un certain nombre de recueils, fascicules ou compilations de poésies qui ne mentionneront pas leurs auteurs d’emprunt  (La  récréation et passe temps des tristes, Fleur de poésie françoyse, etc…).  Un peu plus tard, ce phénomène sera même favorisé par l’apparition de l’imprimerie.  En recroisant avec d’autres sources historiques, on parviendra alors à réattribuer certaines de ces pièces à leurs auteurs mais d’autres demeureront  anonymes et, là encore, on sera tenté, quelquefois, d’y voir l’empreinte d’un poète connu et, à défaut, d’éventuels copieurs ou disciples.

Le corpus de François Villon

Concernant cette « élasticité » des corpus,  à  l’image d’autres poètes du Moyen Âge, François Villon n’y fera pas exception. La notion d’auteur étant peu fixée durant la période médiévale, et la copie considérée comme un exercice littéraire louable, on peut alors  légitimement supposer que le poète a pu faire des émules.  Bien sûr, il en va aussi des grands auteurs médiévaux un peu comme les grands peintres : on est toujours, à l’affût et même désireux, de découvrir une pièce nouvelle.

Comme Villon est un auteur du Moyen Âge tardif et donc assez récent, on lui connait, depuis longtemps, une œuvre assez bordée. Dès après sa mort et plus encore après l’invention de l’imprimerie, son legs  a aussi fait l’objet de maintes rééditions. Pourtant, depuis le milieu du XVIIIe siècle, un ouvrage est déjà  venu semer le doute sur le corpus réel de notre poète médiéval.

Les travaux de Nicolas Lenglet Du fresnoy

 Signé de la main de Nicolas Lenglet Du Fresnoy, le MS Paris Arsenal 2948  est un essai inachevé sur l’œuvre de Villon qui élargit, notablement le nombre de pièces pouvant lui être attribuées. Pour étayer ses propos, Lenglet s’appuie sur plusieurs sources, dont une qui nous intéresse particulièrement ici. Il s’agit d’un ouvrage daté du tout début du XVIe siècle et ayant pour titre « Le jardin de plaisance et fleur de rethoricque » (Ms  Rothschild 2799).

On trouve, dans ce manuscrit très fourni, certaines pièces que d’autres sources historiques attribuent, par ailleurs, clairement à Villon ; à leur côté, se tiennent d’autres poésies, inédites,    demeurées sans auteur, mais qui évoquent suffisamment le style ou la vie de Villon pour que Lenglet   Du Fresnoy  soit tenté de les rapprocher de ce dernier.

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La Ballade pour ung prisonnier dans le jardin de plaisance et la fleur de rethoricque

Un aparté sur l’attribution de l’œuvre :
Lenglet Du Fresnoy  éclispé par   La Monnoye

Pour en  dire un mot,   sur la question des attributions, l’affaire prend un tour assez cocasse, mais cette fois-ci, du point de vue  de l’oeuvre sur l’oeuvre. En effet, une erreur fut faite au XIXe siècle, vraisemblablement par Pierre Jannet  :   dans ses Œuvres    complètes de François Villon  (1867), ce dernier attribua les travaux de Lenglet Du Fresnoy à  Bernard de la Monnoye et cette erreur a perduré jusqu’à nous. Elle continue même d’être faite régulièrement et on doit à  Robert D Peckham de s’être évertué à la déconstruire. Voir   Villon Unsung : the Unfinished Edition of Nicolas Lenglet Du Fresnoy, Robert D Peckham, tiré de Breakthrough: Essays and Vignettes in Honor of John A. Rassias,  2007, ed. Melvin B. Yoken. Voir également Le Bulletin  de la Société François Villon numéro 31.


Quoiqu’il en soit, pour revenir à nos moutons, autour des années 1742-1744, Nicolas Lenglet Du Fresnoy avait extrait du Jardin de plaisance et fleur de rethoricque de nombreuses pièces, en les attribuant à notre auteur médiéval, au risque même de le faire un peu trop largement. Ce sera, en tout cas, l’avis de certains biographes postérieurs de Villon dont notamment Jean-Henri-Romain Prompsault,  au début du  XIXe siècle. S’il ne suivra pas son prédécesseur sur toute la ligne,  ce  dernier  conserva, tout de même, une partie des pièces retenues par Lenglet dans ses  Œuvres  de maistre François Villon, corrigées et augmentées d’après plusieurs manuscrits qui n’étoient pas connues (1835).

Antoine Campaux sur les pas de Lenglet

Vingt-cinq ans  après Prompsault, dans son ouvrage François Villon, sa vie et ses œuvres (1859), l’historien et écrivain Antoine Campaux  reprendra  d’assez près  les conclusions de  Lenglet sur certaines pièces du Jardin de Plaisance et Fleur de Rhétorique et leur attribution possible à Villon.  Voici ce qu’il en dira  :

« Plusieurs de ces pièces semblent se rapporter, de la façon la moins équivoque, aux circonstances les plus caractéristiques de la vie du poète, comme à ses amours, à sa prison, à son exil, à sa misère, à son humeur. Quelques-unes présentent, avec certains huitains du Petit et particulièrement du Grand- Testament, des rapports si étroits et parfois même des ressemblances si grandes de fond et de forme ; l’accent enfin de Villon y éclate tellement, que c’est, du moins pour nous, à s’y méprendre. (…) Nous sommes donc persuadés avec Lenglet, qu’un grand nombre de pièces de cette compilation ne peut être que de Villon, ou tout au moins de son école. Elles en ont à nos yeux la marque, et entre autres la villon-antoine-campaux-ballade-poesie-moyen-age-tardiffranchise du fond et de la forme, assez souvent la richesse de rimes, et parfois ce mélange de tristesse et de gaieté, de comique et de sensibilité qui fait le caractère de l’inspiration de notre poète. »     A Campaux –  op cité

Pour information, si cet ouvrage vous intéresse, il a été réédité par Hardpress Publishing.  Vous pouvez le trouver au lien suivant : François Villon, Sa Vie Et Ses Oeuvres.

L’École de Villon selon Campaux

Bien que largement convaincu de la paternité villonesque d’une majorité des pièces retenues, Campaux prendra la précaution de les rattacher à une « école de Villon », en soumettant la question de leur attribution à la sagacité du lecteur ; à quelques exceptions près, ses commentaires, insérés entre chaque pièce, ne laisseront pourtant guère d’équivoque sur ses propres convictions.

deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_sièclePour le reste, le médiéviste retiendra dans son Ecole de Villon, autour de 35 rondeaux et ballades,  issus du Jardin de Plaisance, qu’il classera en plusieurs catégories : chansons à boire, poésies sur le thème de l’amour, ballades plus directement liées à l’évocation de l’exil, la misère et l’incarcération de Villon. Il dénombrera, enfin, des ballades sur des sujets plus variés  et des pièces plus satiriques et politiques. Concernant ces toutes dernières, l’historien tendra, cette fois, à les attribuer plutôt à Henri Baude, qu’il désignera, par ailleurs, comme « un des meilleurs élèves de Villon« .

Aujourd’hui, parmi tous les poésies citées par   Campaux, nous avons choisi de vous présenter celle intitulée « Ballade pour ung prisonnier ». Voici ce qu’il nous en disait   :    « Cette pièce est certainement de Villon, du temps qu’il était dans le cachot de Meung. J’y entends et reconnais les plaintes, les remords, les excuses, les projets de changements de vie, et il faut le dire aussi, les sentiments de vengeance de la première partie du Grand-Testament. »

Nous vous laisserons en juger mais il est vrai qu’à la lecture, on comprend aisément le trouble du médiéviste. Depuis lors, aucun expert n’a pu trancher définitivement sur la question de cette attribution et à date, on n’a trouvé cette pièce dans aucun autre manuscrit d’époque.

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Ballade pour ung prisonnier

S’en mes maulx me peusse esjoyr,
Tant que tristesse, me fust joye,
Par me doulouser et gémir
Voulentiers je me complaindroye.
Car, s’au plaisir Dieu, hors j’estoye,
J’ay espoir qu’au temps advenir
A grant honneur venir pourroye,
Une fois avant que mourir.

Pourtant s’ay eu moult à souffrir
Par fortune, dont je larmoye,
Et que n’ay pas pou obtenir,
N’avoir ce que je prétendoye,
Au temps advenir je vouldroye
Voulentiers bon chemin tenir,
Pour acquérir honneur et joye,
Une fois avant que mourir.

Sans plus loin exemple quérir,
Par moy mesme juger pourroye
Que meschief nul ne peult fouyr,
S’ainsy est qu’advenir luy doye.
C’est jeunesse qui tout desvoye,
Nul ne s’en doit trop esbahyr.
Si juste n’est qui ne fourvoye,
Une fois avant que mourir.

ENVOI.

Prince s’aucun povoir avoye
Sur ceulx qui me font cy tenir,
Voulentiers vengeance en prendroye,
Une fois avant que mourir.


Une belle journée à tous.

Fred
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