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Le roi tué par un cochon, une leçon magistrale d’histoire médiévale

Sujet   : monde médiéval, histoire médiévale, anthropologie, histoire culturelle, symbole, cochon, animaux, régicide, capétiens, royauté française, anthropologie, médiéviste.
Période : Moyen âge central, XIIe et XIIIe siècle
Ouvrage : Le roi tué par un cochon (Edition du Seuil, 2015)
Auteur : Michel Pastoureau

Bonjour à tous,

e 13 octobre 1131, le jeune prince Philippe, fils et héritier direct de Louis VI le gros déambule à cheval, avec quelques uns de ses gens, dans les rues de Paris. Est-il lancé dans un galop imprudent ? Joue-t-il à se courser avec l’un de ses écuyers ? Les chroniqueurs hésitent.

Pourtant, par un funeste tour du destin, un porc errant viendra se prendre dans les pattes de sa monture, faisant choir le futur roi alors âgé de 15 ans. Quelques heures plus tard, le terrible drame s’abat sur la couronne : le jeune Philippe est mort des suites de ses blessures. Il était l’ainé choyé du souverain. La royauté avait mis en lui tous ses futurs espoirs et même s’il avait été déjà sacré à Reims en 1129, il ne règnera jamais sur la France contre toutes les attentes de son géniteur, Louis VI.

Enluminure de l'accident du roi Philippe dans le Ms 677 de la ville de Besançon - Chronique anonyme, en langue française, depuis la création du monde jusqu'en 1384 (Fin du XIVe s)
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Enluminure de l’accident du prince Philippe dans le Mss 677 de la ville de Besançon – Chronique anonyme, en langue française (fin du XIVe siècle)

Quand le destin des capétiens croisa
celui d’un porc « envoyé du diable »

L’événement pourrait passer pour anodin et la « grande histoire » l’a même un peu oublié, mais c’eut été sans compter sur la présence de Michel Pastoureau. Partant du funeste accident, le médiéviste va dérouler ici toute son érudition pour nous entraîner dans un voyage au cœur du Moyen Âge central. Il y mettra même ses larges connaissances des bestiaires, des héraldiques, des couleurs et des symboles du monde médiéval au service d’une hypothèse étonnante : sous l’apparence du simple accident urbain, ce « porcus diabolicus », comme le nomment certains chroniqueurs d’alors, cet animal infâme, ce porc envoyé du diable aurait-il pu, à ce point, affecter le destin de la lignée capétienne pour que, se pensant souillée et presque maudite, elle cherche finalement à se laver de l’infâmie, et à se racheter aux yeux de Dieu, en se drapant de nouveaux symboles propices à conjurer le sort :

  • D’un côté, le lys, celui de la mère des mères, la vierge Marie, fleur des fleurs du culte marial naissant,
  • De l’autre, le bleu roi, couleur de la lumière divine, qui avait déjà occupé Michel Pastoureau dans son histoire des couleurs.

    Conjugués, ces deux symboles puissants et protecteurs, s’imposeront, en effet, tous deux, quelque temps après l’incident, sur les habits royaux les plus symboliques de la couronne de France.

Ombre et souillure d’un cochon diabolique

Dans une grande aventure, pour passer au crible son étonnante hypothèse, Michel Pastoureau donnera dans ce livre une leçon magistrale de nouvelle histoire, en liant chronologies, histoire des symboles et des mentalités et bien entendu, approche anthropologique et historique.

Enluminure d'un cochon errant tirée de, Der Naturen Bloeme de Jacob van Maerlant (KA16, Koninklijke Bibliotheek),
Cochon errant dans la forêt, enluminure (1350), Der Naturen Bloeme de Jacob van Maerlant, manuscrit conservé à la Bibliothèque Royale de la Haye.

Il nous parlera du lourd deuil du père du prince : Louis VI le gros a-t-il, par ses exactions et ses conduites par trop libertine, suscité la colère de Dieu ? Il abordera encore la question du possible poids qu’aura fait peser cet héritage du frère défunt sur l’autre fils qui par là, deviendra rien moins que le nouveau roi de France, Louis VII. Suivons un peu Michel Pastoureau sur les traces de ce règne qui, sans le porc errant n’aurait jamais du avoir lieu.

Louis VII ou le règne maladroit d’un héritier de circonstance

Peu préparé à ses fonctions, ce roi par accident, accumulera les maladresses. D’un naturel très pieu et d’un caractère peu amène, il se fâchera avec le pape et d’autres encore, entrera en conflit ouvert avec Thibaut de Champagne. En 1143, et dans le cadre de ses passes d’armes d’avec le puissant comte, les gens de Louis VII seront même à l’origine des terribles incidents conduisant au drame de l’église de Vitry-en-Perthois : un millier de villageois en furent victimes et périrent brûlées en les murs de l’édifice religieux où ils s’étaient réfugiés. Pour le souverain, il fallut bien au moins un départ aux croisades pour tenter d’expier l’horreur de cette tragédie, mais son voyage oriental ne se soldera par aucune victoire flamboyante et bien plutôt par des déroutes.

Enfin, et c’est encore une pierre à l’édifice de sa déroute, Louis VII le jeune ratera totalement son mariage (arrangé par son père), avec Aliénor d’Aquitaine. Il se montrera incapable de concevoir un héritier (ils auront cependant deux filles). Mauvais assortiment, natures incompatibles, jalousie trop grande de Louis le Jeune ou frivolité d’Aliénor ? L’union finira par un divorce qui verra la belle, deux ans plus tard, conclure un remariage avec le roi Henri II d’Angleterre (autre terrible disgrâce). De neuf ans son cadet, le souverain anglois donnera à Aliénor de nombreux descendants dont un nombre incomptable de fils, autre disgrâce par procuration pour Louis VII. L’ombre du porc maléfique encore lui et la punition divine planerait-elle sur tout cela, mais surtout sur l’esprit ou les dispositions psychologiques de la lignée capétienne ? Michel Pastoureau tient son fil et nous le suivons avec plaisir et même, à plus d’un tour, une certaine jubilation. Le sujet est passionnant et l’historien ne perd pas son fil pour le rendre crédible.

Un exercice de synthèse érudit et réjouissant

Le roi tué par un cochon, livre d'histoire médiévale de Michel Pastoureau

Afin de servir sa démonstration, le médiéviste fera encore des détours par l’histoire des croisades, les bestiaires médiévaux et notamment l’histoire du porc domestique. Fort répandu dans les villes d’alors, l’animal les nettoie de sa grande voracité. Nous visiterons également avec l’auteur, la symbolique médiévale attachée au cochon, en opposition à celle de son cousin sauvage le sanglier, qu’on affronte à la chasse et dont on tire quelques mérites guerriers. Michel Pastoureau en profitera encore pour disgresser sur le statut du porc et les interdits comparés qui pèsent sur sa consommation dans différentes cultures et religions en tentant de donner des pistes à leur propos : porc attaché à la souillure, porc omnivore, porc (trop) proche de nous du point de vue anatomique, etc…

On croisera encore, dans cet ouvrage finalement très dense, de grands personnages historiques comme Bernard de Clairvaux ou l’abbé et homme d’état Suger animés de leurs propres enjeux. On y sera gratifié d’un bonne dose d’historiographie sur l’incident et on en ressortira copieusement instruit sur l’héraldique, la nature végétale des symboles royaux français contre les animaux préférés par les royaumes de l’Europe d’alors.

Faire de l’histoire sérieuse avec des choses triviales

Pour conclure, on a même un peu de mal a restituer la richesse et la densité de ce petit ouvrage tant Michel Pastoureau y a mis d’information, en faisant des détours et des parenthèses toujours passionnantes sans perdre de vue longtemps son hypothèse. Il reste de ses érudits intarissables qui sait tenir ses lecteurs et ses auditeurs en haleine.

Au passage et pour les apprentis- chercheurs en sciences humaines, il donnera aussi une belle leçon de méthodologie, en démontrant comment à partir d’une hypothèse et de choses qui pouvaient sembler, à première vue triviales, on peut faire sérieusement de la science historique. Dans l’exercice, il aura fait, dans le même temps la nique à l’histoire classique ou « la grande histoire » comme on a pu la nommer, en interrogeant, une fois de plus ses fondements, pour établir dans la lignée de ses pairs, les Duby ou les Le Goff que les dates et les faits importants ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Finalement, pour boucler la leçon de méthode et sur le terrain de l’épistémologie, la falsifiabilité de Poppers demeurera au centre de la conclusion de cet ouvrage ; l’hypothèse, par certains aspects, cocasse, de ce porcus diabolicus et son influence sur les emblèmes royaux de la France capétienne et du bleu de la France actuelle restera une hypothèse, sauf à trouver plus d’éléments ou de documents capables de l’avérer ou de l’infirmer. Entre-temps, le médiéviste nous aura donné beaucoup de plaisir, au long d’un ouvrage qui reste parfaitement accessible à tout type de publics et dont on sent aussi, à son ton plus d’une fois amusé, qu’il a pris beaucoup de plaisir à l’écrire.

Comment se procurer cet ouvrage ?

Ce livre de Michel Pastoureau est disponible au format poche chez Points. Il fait un peu moins de 300 pages mais aucun caractère n’y est perdu. Voici un lien utile pour l’acquérir : le roi tué par un cochon, Michel Pastoureau, Edition Points (2018). Si vous préférez écouter cet ouvrage, notez qu’il est également disponible chez Audible en forma audio, lu par Olivier Martinaud et paru chez l’éditeur Le livre qui parle.

Découvrir d’autres ouvrages de Michel Pastoureau :

 En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : le détail d’enluminure sur l’image d’en-tête est tiré du manuscrit médiéval Royal 16 G VI de la British Library d’Angleterre. Daté du milieu du XIV siècle et superbement illuminé, cette longue série de manuscrits médiévaux présente une édition révisée des Grandes Chroniques de France.

« A la fontana del vergier », Marcabru, de l’occitan médiéval au catalan moderne

Sujet  : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson médiévale,  poésie, occitan médiéval, catalan, pastourelle, chanson nouvelle
Période : Moyen Âge central, XIIe siècle
Auteur :   Marcabru   (1110-1150)
Titre  :  « A la fontana del vergier»
Interprètes : Maria Del Mar Bonet
Album 
 Breviari D’Amor (1982)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous partons direction le XIIe siècle et le pays d’oc médiéval avec une nouvelle chanson du troubadour Marcabru. Il s’agit d’une pièce bien plus accessible si on la compare à certaines autres auxquelles cet expert du trobar clus nous a habitué.

Cette chanson a pour titre A la fontana del vergier (À la fontaine du verger) et nous aurons l’occasion de la commenter et de la traduire pour vous. Cette fois, pour son interprétation, nous avons choisi de faire un détour du côté de la Catalogne avec une superbe version vocale de María del Mar Bonet, sur une musique composée et arrangée par le pianiste Jordi Sabatés et des paroles adaptées de l’occitan médiéval au catalan, de manière très réussie, par Toni Moreno.

Pastourelle, chanson de toile : l’univers de référence de cette pièce médiévale

Les érudits, médiévistes ou romanistes, soucieux de taxinomie et de classement, ont pu quelquefois hésiter, face à cette composition de Marcabru : chanson de toile ou pastourelle ? Il faut dire que le cadre bucolique et champêtre, ce temps au renouveau printanier et cette rencontre « fortuite » entre le poète et la jeune fille sont trompeurs. Pourtant, même si le départ de cette poésie pourrait nous engager à la rapprocher d’une pastourelle, elle évolue ensuite vers toute autre chose. La jeune fille est noble et si elle fait l’objet du désir (non partagé) du poète, en fait de se rapprocher, ce dernier se tiendra sur la réserve face à la tournure prise par les événements. Pleurant sur son ami parti à la croisade, la belle donnera, en effet, à cette pièce quelques allures de chansons de toile (ou, dans une genre plus hispanisant et tardif, de cantigas de amigo) sans en adopter, non plus, tous les codes.

Contre l’appel à la croisade ?

Loin du cadre de l’un ou de l’autre genre, Marcabru donnera encore à sa chanson un tour assez caustique et presque subversif, en nous présentant une jeune fille quelque peu « remontée » contre le Christ et les appels de ce dernier envers tous les hommes du siècle pour le servir (en l’occurrence en terre sainte et par les armes). Dans son chagrin, elle ira même jusqu’à vilipender directement (sinon même maudire) le roi de France, Louis, pour ses exhortations à la croisade. En rapprochant les dates, il ne peut que s’agir de Louis VII et de l’appel à la deuxième croisade (1147-1149). Le poète essaiera alors de consoler la jeune fille, en la ramenant à la raison ; « Dieu peut tout, même lui redonner de la joie ». Elle n’ira pas jusqu’à renier sa foi, mais en guise de réponse, elle restera amère et triste face à ce sort funeste qui lui aura arraché l’être aimé.

Sur le fond, on n’est ici aux antipodes de la chanson de Marcabru Les vers du lavoir, appel retentissant à la croisade fait, par ailleurs, par le troubadour. Faut-il seulement voir ici, de la part de ce dernier, une volonté de mettre l’emphase sur la grande détresse de la jeune fille, plutôt que l’intention de s’élever indirectement contre la croisade et ses conséquences ? Le cas échéant, il lui aurait été facile d’éviter de prendre aussi directement à partie le roi en le citant, même par l’intermédiaire de la jeune fille. Autre temps, autres priorités ? Un décalage de quelques années ou mois entre les deux textes peut, peut-être, suffire à expliquer cela.

Au delà de ces questions, et en écoutant cette chanson au tout premier degré, on se trouve face à une poésie très accessible et qui fait mouche, tant par son style que par l’émotion qui s’en dégage.

Marcabru, de la Gascogne médiévale
à la Catalogne du XXe siècle

Ce n’est pas la première fois que nous présentons ici une pièce en langue catalane (voir nos articles sur la question). Pour qui s’intéresse de près aux langues romanes, certaines parentés et rapprochements entre la chanson du jour et le provençal, le français, l’italien et l’espagnol sauteront, sans doute, aux yeux. La prononciation peut paraître distante mais tant de racines communes nous sont familières.

Au Moyen Âge central, il existe une convergence culturelle indéniable entre le sud de la France et le nord de l’Espagne et même de l’Italie. Certains troubadours notoires du pays d’oc et de Provence ont d’ailleurs passé allégrement les frontières pour voyager jusqu’à des cours princières ou royales de la péninsule ibérique et nous ont laissé des textes pour en témoigner. Aujourd’hui, le catalan est une langue bien vivante, plus encore du côté espagnol (en Catalogne, dans le pays valencien, dans les îles baléares).

A la fontana del verger – Maria del Mar Bonet – Jordi Sabatés

Le Breviari d’Amor de Maria Del Mar Bonet

Au début des années 80, le pianiste et compositeur Jordi Sabatés et le parolier Toni Moreno s’associaient autour d’un projet visant à proposer des chansons de troubadours provençaux et catalans médiévaux, en catalan moderne. Toni Moreno se chargea de traduire et d’adapter les paroles des poésies d’époque. De son côté, en repartant des manuscrits et des mélodies anciennes, Jordi Sabatés décida de les arranger pour les mettre au goût d’un public plus contemporain.

De cette collaboration résulta 14 compositions. Il en ressortit une sélection de 9 chansons qui donna lieu à un album au titre évocateur de Breviari d’amor. Cette production sera enregistrée en 1981 et c’est la chanteuse catalane María del Mar Bonet qui lui prêtera sa belle voix.

Des Troubadours occitans et catalans

On retrouvera dans ses 9 pièces revisitées de grands noms de la chanson médiévale occitane et provençale : Marcabru, avec la pièce du jour. Guilhem de Poitiers et son « Vers de rens« . Raimbaut de Vaqueiras et ses Altas undas que venez suz la mar, le Reis glorios de Guiraut de Bornelh. S’y ajouteront encore deux chansons de Béatrice de Dia, une de Raimon Jordan et deux compositions des troubadours catalans Cerverí de Girona et Guillem de Berguedà.

Cet album n’est pas toujours évident à trouver au format CD, mais on peut le trouver au format Mp3 sur quelques sites spécialisés. Notons que quelques années plus tard, à l’aube des années 90, Jordi Sabatès présentera le même programme en concert, accompagné cette fois de Laura Simó. Cette chanteuse catalane aux intonations de voix très chaudes et qui avait fait ses classes dans l’univers du Jazz démontrera, à son tour, une aisance et une virtuosité impressionnante dans ce répertoire.


A la fontana del verger
en catalan moderne

A la fontana del verger,
on l’herba creix fins al roquer,
a l’ombra d’un dolç taronger
-el seu voltant tot ple de flors
i d’un ocell viu i lleuger-,
la vaig trobar sens pretendent
la qui refusa el meu solaç.

Era donzella de cos bell,
filla del noble del castell,
i quan vaig creure que l’ocell,
les flors i l’aigua i el cel blau
feien feliç son cor novell
i escoltaria el meu consell,
va canviar de tarannà.

Son plor arribà fins a la font,
els seus sospirs trenquen el cor:
« Jesús -diu ella-, rei del món!,
per Vós augmenta el meu dolor,
car el desig vostre em confon,
vist que els joves de tot el món
estan servint-vos perquè us plau. »

« Per Vós és fora el meu amic,
el bell, el noble, el més gentil,
i aquí coman mon cor patint,
mon desconsol i el meu desig.
Maleït sia el rei Lluís,
que donà ordres i predics
i omplí de gran dol el meu pit. »

Veient-la així desconhortar
li dic suaument vora el riu clar:
« Ja n’hi ha prou de tant plorar:
marceix la cara i el color,
i no us cal desesperar,
que Déu que fa els arbres fruitar,
us pot donar consol i amor. »

« Senyor -diu ella-, és veritat
que en el cel Déu s’apiadarà
del meu cor trist i enamorat.
Serà, però, a l’altra vida;
en canvi ara m’ha deixat
sense l’amor de l’estimat,
i l’ha portat ben lluny de mi. »


A la Fontana del vergier
de l’occitan médiéval au français moderne

NB : pour la traduction en français, nous avons suivi à l’habitude l’ouvrage de JML Dejeanne (Poésies complètes du Troubadour Marcabru, 1909) en complétant notre approche du texte avec des recherches personnelles (dictionnaire d’occitan médiéval, traductions comparées en provenance de divers romanistes et en langues diverses, …)

I
A la fontana del vergier,
On l’erb’ es vertz josta-I gravier,
A l’ombra d’un fust domesgier,
En aiziment de blancas flors
E de no.velh chant costumier,
Trobey sola, ses companhier,
Selha que no vol mon solatz.

A la fontaine du verger,
Où l’herbe est verte, près du gravier (Dejeanne : de la grève)
A l’ombre d’un arbre fruitier,
Garni de belles et blanches fleurs
Et au son du chant habituel de la nouvelle saison,
Je trouvai seule, sans compagnie,
Celle qui ne veut pas mon bonheur.

II
So fon donzelh’ab son cors belh
Filha d’un senhor de castell;
E quant ieu cugey que l’auzelh
Li fesson joy e la verdors,
E pel dous termini novelh,
E quez entendes mon favelh,
Tost li fon sos afars camjatz.

C’était une demoiselle au corps très beau (gent),
Fille d’un seigneur de château.
Et au moment où je pensais que les oiseaux,
comme la verdure, lui donnaient de la joie,
Ainsi que la douceur du temps nouveau,
Et qu’elle voudrait entendre mes paroles,
Elle changea totalement de conduite (attitude, contenance).

III
Dels huelhs ploret josta la fon
E del cor sospiret preon.
« Ihesus », dis elha, reys del mon,
Per vos mi creys ma grans dolors,
Quar vostra anta mi cofon,
Quar li mellor de tot est mon
Vos van servir, mas a vos platz.

Ses yeux pleuraient, tout près de la fontaine,
Et son cœur s’épanchait en de profonds soupirs.
« Jésus », dit-elle, roi du monde,
Par vous s’accroît ma grande douleur,
Car votre outrage cause ma perte,
Puisque les meilleurs de tout cet univers
Vont vous servir, car tel est votre plaisir.

IV
Ab vos s’en vai lo meus amicx,
Lo belhs e-I gens e-I pros e-I ricx;
Sai m’en reman lo grans destricx,
Lo deziriers soven e-I plors.
Ay mala fos reys Lozoicx
Que fay los mans e los prezicx
Per que-l dois m’es en cor intratz !

Avec vous s’en va mon ami,
Le beau, le gent, le preux et le puissant
Et ici, il ne me reste que grande détresse,
Le désir souvent et les pleurs.
Aie ! Maudit soit le roi Louis (Dejeanne : la male heure soit )
Qui a donné ces ordres et fait ces exhortations (à la croisade)
Par lesquels le deuil est entré en mon cœur !

V
Quant ieu l’auzi desconortar,
Ves lieys vengui josta-l riu clar
« Belha, fi-m ieu, per trop plorar
Afolha cara e colors;
E no vos cal dezesperar,
Que selh qui fai lo bosc fulhar,
Vos pot donar de joy assatz. »

Et quand je l’entendis se lamenter ainsi
Je vins vers elle tout près du clair ruisseau
« Belle, lui dis-je, à trop pleurer
Flétrissent le visage et ses couleurs;
Et il ne vous faut point désespérer,
Car celui qui fait fleurir et refeuillir les bois
Peut vous donner beaucoup de joie.
« 

VI
Senher, dis elha, ben o crey
Que Deus aya de mi mercey
En l’autre segle per jassey,
Quon assatz d’autres peccadors
Mas say mi tolh aquelha rey
Don joys mi crec mas pauc mi tey
Que trop s’es de mi alonhatz.

Seigneur, dit-elle, je crois bien
Que Dieu aura merci de moi
dans l’autre monde et pour toujours,
Comme de nombreux autres pécheurs.
Mais ici il m’enlève cet être précieux (rey roi, res chose)
Qui a accru ma joie, mais qui tient peu à moi,
Puisqu’il s’est trop éloigné de moi.


En vous souhaitant une agréable journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : l’image d’en-tête est tirée du Manuscrit médiéval Français 12473 ou chansonnier provençal K (consultable sur Gallica).


« Chevalier, Mult estes guariz », un chant de croisade du XIIe siècle

Sujet : chanson médiévale,  musique médiévale,  chant de Croisade, 2e croisade, vieux français. rotruenge, Louis VII, chevaliers
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur : anonyme
Titre :  « Chevalier, mult estes guariz»
Interprète :  Early Music Consort of London
Album :
  Music of the Crusades (1971)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partons aujourd’hui, à la découverte d’une nouvelle chanson de croisades du moyen-âge central. Demeurée anonyme, elle compte parmi les plus anciennes qui nous soit parvenue. Sur les traces de Joseph Bédier et son ouvrage conjoint avec Pierre Aubry  ( Les chansons de croisade, 1909), sans toutefois le suivre totalement, nous vous en proposerons une traduction en français moderne et vous dirons aussi un mot des sources dans lesquelles la trouver et du contexte historique qui la vit naître.

Pour le reste, cette poésie très chrétienne et guerrière du XIIe siècle a été interprétée par un grand nombre de formations médiévales et nous avons choisi ici la version qu’en proposait le Early Music Consort of London en 1971, dans un album tout entier dédié aux musiques du temps de croisades.

La prise d’Edesse  et    l’appel à la 2e Croisade

Vers le milieu du XIIe siècle, et plus exactement en 1144, la forteresse d’Edesse (Rohais, l’actuelle cité de Şanlıurfa ou Urfa dans le sud de la Turquie) tombaient aux mains d’Imad ed-Din Zengi,  atabeg de Mossoul et d’Alep. Connu encore comme Zengui, l’homme fut aussi surnommé « le sanglant » par les chroniqueurs chrétiens d’alors (tout un programme). Très avancé sur les terres islamiques, le comté d’Edesse qui compte parmi les premiers états latin d’Orient était alors sous la régence de la reine  Mélisende de Jérusalem. Son héritier Baudouin III  n’a, en effet que 13 ans et est encore trop jeune pour gouverner.

partition_chanson_croisade_chevalier-mult-estes-guariz_XIIe-siecle_Moyen-age-sLe siège fut de courte durée et la cité céda en moins d’un mois : de la fin novembre 1144 à la fin décembre de la même année. Informé de sa chute de la main même de la régente, le souverain pontife Eugène III appellera bientôt à une seconde croisade en terre sainte, par l’intermédiaire de la bulle Quantum praedecessores. Alors âgé de 25 ans, Louis VII ne tarda pas à y répondre, mais, autour de lui, les seigneurs chrétiens d’Occident se montrèrent plutôt tièdes. Il faudra toute la ferveur, les prédications et les promesses de rédemption d’un Bernard de Clairvaux pour que le mouvement prenne véritablement de l’ampleur. Près de deux ans après l’appel, ce seront ainsi près de 35000 hommes d’armes qui répondront présents. En suivant les conclusions de Joseph Bédier et sans trop prendre de risques, la chanson du jour a nécessairement été écrite entre l’annonce par Louis VII de son intention de se croiser, le 25 décembre 1145 à l’assemblée de Bourges et son départ effectif pour la croisade, le 12 juin 1147.

chevalier-mult-estes-guariz_chant-de-croisade-medieval_chanson_moyen-age_XIIe-siecle-s

Sources historiques

Du point de vue des sources, on ne trouve cette chanson et sa notation musicale (sommaire) que dans un seul manuscrit datant de la deuxième moitié du XIIe siècle : le Codex Amplonianus 8° 32,  également référencé RS 1548a, conservé à Erfurt en Allemagne (Foreschungsbibilothek), Au vue de la langue usitée pour la retranscription de cette poésie, la copie est à l’évidence l’oeuvre d’un anglo-normand.

Pour le moment, il semble que ce manuscrit médiéval ne soit toujours pas disponible à la consultation en ligne. On ne peut donc qu’espérer qu’il le soit bientôt pour découvrir cette pièce dans son écrin d’époque. Dans l’attente et pour vous en faire une idée, nous reproduisons ci-dessus la version d’assez piètre résolution qu’on pouvait trouver dans un autre ouvrage de Pierre Aubry datant de 1905 : Les plus anciens monuments de la chanson française.  

« Chevalier, moult estes guariz » par le  Early Music Consort of London

Musique des croisades, par David Munrow et le Early Music Consort de Londres

Comme nous avons déjà dédié un long article à cet excellent ensemble médiéval et même à cet album, nous vous invitons à vous y reporter pour plus d’informations : voir musique du temps des croisades par le Early Music Consort de London.


« Chevalier, Mult estes guariz »
en vieux-français & sa traduction moderne

I
Chevalier, mult estes guariz,
Quant Deu a vus fait sa clamur
Des Turs e des Amoraviz,
Ki li unt fait tels deshenors.
Cher a tort unt ses fîeuz saiziz ;
Bien en devums aveir dolur,
Cher la fud Deu primes servi
E reconnu pur segnuur.
Ki ore irat od Loovis
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Char s’aime en iert en pareïs
Od les angles nostre Segnor.

Chevaliers, vous êtes sous très bonne protection,
Quand c’est vers vous que Dieu s’est plaint
Des turques et des Amoravides,
Qui lui ont fait une si grand honte
En saisissant à tort ses fiefs.
Il est juste que nous en souffrions
Car c’est là que Dieu fut d’abord servi
Et reconnu pour seigneur.
Celui qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.

II
Pris est Rohais, ben le savez,
Dunt crestiens sunt esmaiez,
Les mustiers ars e désertez :
Deus ni est mais sacrifiez.
Chivalers, cher vus purpensez,
Vus ki d’armes estes preisez ;
A celui voz cors présentez
Ki pur vus fut en cruiz drecez.
Ki ore irat od Loovis
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Char s’aime en iert en pareïs
Od les angles nostre Segnor.

Rohais est pris, bien le savez,
Dont les chrétiens sont en émoi
Les monastères  brûlent et sont désertés,
Dieu n’y est plus célébré* (sacrificare : célébrer une messe)
Chevaliers, songez-y bien,
Vous qui êtes prisés pour vos faits d’armes,
Offrez vos corps à celui
Qui pour vous fut dressé en croix.
Celui qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.

III.
Pernez essample a Lodevis,
Ki plus ad que vus nen avez :
Riches est e poesteïz,
Sur tuz altres reis curunez :
Déguerpit ad e vair e gris,
Chastels e viles e citez :
Il est turnez a icelui
Ki pur nus fut en croiz penez.
Ki ore irat od Loovis
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Char s’aime en iert en pareïs
Od les angles nostre Segnor.

Prenez exemple sur Louis,
Qui possède bien plus que vous,
Il est riche et puissant,
Sur tout autre roi couronné :
Il a abandonné et vair et gris* (fourrures)
Châteaux et villes et cités,
Et il est revenu vers celui
Qui pour nous fut torturé en croix.
Celui  qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.

IV.
Deus livrât sun cors a Judeus
Pur mètre nus fors de prisun ;
Plaies li firent en cinc lieus,
Que mort suffrit e passiun.
Or vus mande que Chaneleus
E la gent Sanguin le felun
Mult li unt fait des vilains jeus :
Or lur rendez lur guerredun !
Ki ore irat od Loovis
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Char s’aime en iert en pareïs
Od les angles nostre Segnor.

Dieu livra son corps à ceux de Judée
Pour nous mettre hors de sa prison
Ils lui firent des plaies en cinq endroits,
Tant qu’il souffrit mort et passion.
Maintenant, il vous commande que les païens 
Et les gens de Sanguin le félon
Qui lui ont fait tant de vilainies (mauvais tours):
En soient récompensés en retour.
Celui qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.

V.
Deus ad un turnei enpris
Entre Enfern e Pareïs,
Si mande trestuz ses amis
Ki lui volent guarantir
Qu’il ne li seient failliz….
Ki ore irat od Loovis.
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Char s’aime en iert en pareïs
Od les angles nostre Segnor.

Dieu a engagé un tournoi
Entre Enfer et Paradis,
Et, oui, il mande tout ses amis,
Qui veulent le défendre;
Qu’ils ne lui fassent pas défaut.
Celui qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.

VI.
Char le fiz Deu al Creatur
Ad Rohais estre ad un jorn mis :
La serunt salf li pecceùr
…………………………………
Ki bien ferrunt e pur s’amur
Irunt en cel besoin servir
…………………………………
Pur la vengance Deu furnir.
Ki ore irat od Loovis
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Car s’aime en iert en pareïs
Od les angles nostre Segnor.

Car le fils de Dieu le créateur
A fixé le jour pour être à Rohais
Là seront sauvés les pêcheurs.
…………………………………………….
Qui, pour l’amour de lui, frapperont bien
et iront le servir en ce besoin
…………………………………
Pour accomplir la vengeance de Dieu
Celui qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.

VII.
Alum conquere Moïses,
Ki gist el munt de Sinaï ;
A Saragins nel laisum mais,
Ne la verge dunt il partid
La Roge mer tut ad un fais,
Quant le grant pople le seguit ;
E Pharaon revint après :
Il e li suon furent périt.
Ki ore irat od Loovis
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Char s’aime en iert en parais
Od les angles nostre Segnor.

Allons conquérir Moïse,
Qui gît au Mont Sinaï
Ne le laissons plus aux Sarrasins,
Ni la verge qu’il utilisa pour séparer
La mer rouge d’un seul coup
Quand le grand peuple le suivit ;
Et Pharaon qui le poursuivait
vit périr lui et les siens.
Celui qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.

Histoire médiévale (ou presque) : deuxième croisade, « Quantum praedecessores », la bubulle à Eugène

(Humour)

De la deuxième croisade :
Saint Bernard & la bubulle d’Eugène.

« – Grand dieu! Avec c’qu’on s’est mis hier soir, j’ai pas encore bien les yeux en face des trous, moi… C’est cette bière de l’abbaye là! Entre nous, je ne sais pas ce qui z’i collent dedans les moines mais je me suis pris une de ces reculées! C’est pas compliqué cette nuit le plafond de ma cellule on aurait dit un vitrail de la Sainte mère et j’ai bien revérifié encore ce matin en me levant c’est que de la pierre donc bon… Quand j’vous dis que leur bière elle est limite hallucinogène, je sais quand même de quoi j’parle. Ça va qu’i z’étaient contents de me voir et qui fallait un peu marquer le coup, mais un de ces quatre, faudra quand même vérifier si c’est bien compatible avec la règle une bibine pareille… Bon, c’est pas tout ça mais c’est pas le moment de mollir, tout le gratin est là, et y a même le roi et la reine. On va éviter de trop les laisser mariner quand même. Alors…  » Quantum praedecessores », la bubulle à Eugène, enfin la bubulle, le bide plutôt… I serait monté tout en haut du Sinaï pour nous la pondre celle-là, il aurait surement eu plus de succès… Bref, ça va pas être de la tarte mais bon on va essayer de rattraper le coup quand même. Tiens, faites-moi passer la croix, ça sera pas de trop… Allez, en piste! Edesse, deuxième expédition vers la terre Sainte! »

Bernard de Clairvaux,
Sermon de Vezelay (juste un peu avant), 31 mars 1146

humour_monde_medieval_deuxieme_croisade_bernard_clairvaux_vezelay_biere_abbaye
Bernard de Clairvaux prêche la deuxième croisade, Émile Signol, XIXe, Musée de Versailles.

Pour la petite histoire

P_lettrine_moyen_age_passion copiarès de Soixante ans après qu’Ubain II ait lancé la première croisade en 1096, le pape Eugène III se décida à lancer, à son tour, une nouvelle expédition en terre Sainte, dans le courant de l’année 1146.  Le comté d’Edesse, le plus oriental des États latins, était, en effet, tombé deux ans auparavant. Contrairement à l’écho favorable qu’avait suscité l’appel de la première croisade, relayé rapidement par de nombreux prédicateurs dont Pierre l’Hermite mais également par des mouvements eugene_III_deuxieme_croisade_humour_monde_medievalpopulaires et des pèlerins,  « Quantum praedecessores », la Bulle papale d’Eugène III (portrait ci-contre) ne rencontrera pas le même succès. Pourtant, bien déterminé à « conduire » l’expédition, le Saint père demandera à Bernard de Clairvaux, homme d’action et de foi de lui prêter la main pour relayer cet appel. On peut lire ça et là que Saint Bernard s’était montré, au départ, un peu tiède sur l’idée, ce qui est, par ailleurs démenti en d’autres endroits, mais il reste que son sermon de Vezelay lança véritablement et de manière forte, le départ de la deuxième croisade. Le roi de France Louis VII, mais aussi la reine Aliénor, furent convaincus et prirent la croix à Vezelay même.  L’empereur Conrad III la pris un an après, à Spire. A l’exclusion de la prise de Lisbonne par les portugais que les croisés anglais auront aidé en chemin, même si la mobilisation finit par être importante, d’un point de vue militaire,  on s’accorde à peu près sur le fait que cette expédition fut un  fiasco total.

Le devoir de transparence

A_lettrine_moyen_age_passionla sempiternelle question que nous ne manquerons pas de nous voir adresser concernant la fiabilité de la citation que nous livrons ici, nous répondrons encore et toujours la même chose; nous avons, comme on dit dans le métier, « nos entrées ». Bien sûr,  nous nous y attendons, ceux qui se sont un peu penchés sur la vie de Bernard de Clairvaux vont surement faire leurs gros étonnés et nous dire que Saint Bernard était bien plus un pratiquant assidu et un ascète, adepte des mortifications, qu’un joyeux drille se pintant avec les autres moines. Nous sentant donc acculé, nous nous verrions alors obligé de lever le voile sur toute l’histoire de cette citation; bref, moine_biere_abbaye_humour_monde_medieval_croisade_saint-bernardencore et encore, de parler de nos méthodes d’investigation et de dire  tout le sérieux que nous y portons. (ci-contre, peinture de Olaf Simony Jensen, XIXe moines buvant à la taverne)

Pour faire court sur la fiabilité irréprochable de la source dont nous tenons notre information d’aujourd’hui, disons simplement que l’ami de confiance d’une connaissance nous a dirigé vers cette ex-relation à lui. C’est d’ailleurs, à quelques lieues d’ici, au petit matin, que la rencontre magique a eu lieu, dans un charmant petit débit de boissons. L’homme se tenait là, modeste et silencieux, au comptoir, et sans l’intuition aiguisée du chercheur aguerri, nul n’aurait pu penser un seul instant que, sous le voile des apparences presque banales de la situation, la vérité historique se tenait là, belle et placide, dans l’attente d’être révélée.

C_lettrine_moyen_age_passionomme je l’ai dit, la patience reste toujours notre meilleure alliée et ce n’est qu’après quelques tournées pour mettre notre informateur en confiance, que ce précieux témoin de l’histoire, descendant direct du coté de sa mère d’un long lignage de vendeurs ambulants de travers de porc Vézeliens, s’est enfin décidé à nous gratifier de la citation. L’oeil humide et le doigt levé de manière sentencieuse, il nous confia avant cela :

« – Attention, ça je le tiens de mon grand père. Il me l’a dit ici-même, là où que je suis assis, justement. Je me souviens, c’était le matin et déjà à l’époque, on faisait l’ouverture au blanc ici. »

Puis, après avoir essuyé ses yeux mouillés d’émotion du revers de sa manche, il nous révéla la précieuse citation que nous partageons ici avec vous, avant d’ajouter à l’attention du tenancier, sans doute, pour voiler la grande émotion suscitée par l’évocation de son lointain aïeul qui avait laissé alors traîner une oreille indiscrète et surpris la conversation entre les religieux :

« – Bon, mais allez, Ho! On parle on parle mais faut pas s’endormir! Tiens Dédé, remets encore deux p’tits blancs sur l’ardoise du Monsieur et, après ça, on passera au pastis, je vois que c’est déjà dix heures et demi. » 

humour_medieval_croisade_histoire_ou_presque_moyenage_passionAprès quelques heures, je réussissais enfin à m’éclipser pour regagner, plutôt chargé et en toute hâte, mon logis. Et pour la première fois, je fis l’expérience dont, croyez-le bien. je ne tire par gloriole mais que, par souci de restitution, il me faut ici mentionner. Je fis l’expérience, disais-je, que depuis la montée dans le bus jusqu’au perron de ma modeste demeure,  il demeurait possible de recouvrir l’ensemble du trajet à quatre pattes.

Bref, après cela, je pense que tout sera bien clair pour tout le monde, que nos méthodes sont irréprochables et que nous n’inventons rien!

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com

“Le Moyen-Âge ne m’a retenu que parce qu’il avait le pouvoir quasi magique de me dépayser, de m’arracher aux troubles et aux médiocrités du présent et en même temps de me le rendre plus brûlant et plus clair.”
Jacques Le Goff / À la recherche du Moyen Âge