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Chant de croisade : les vers du lavoir ou l’appel de Marcabru à la reconquista

troubadour_moyen-age-central_musique_chanson_poesie_medieval_occitan_oc_occitanie_MarcabruSujet : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson, musique médiévale,  chant de croisade. poésie satirique, occitan
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur : Marcabru  (1110-1150)
Titre :  « Lo vers del lavador»
Interprète : Jordi Savall, Hespérion XXI
Album:  Jerusalem, la ville des deux paix
 (2014)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn plein cœur du Moyen-âge central, le troubadour Marcabru exhortait ses contemporains à la croisade, celle d’outre-mer mais plus encore celle, bien plus proche, des terres d’Espagne et de la « Reconquista ». Nous vous proposons, aujourd’hui, d’étudier de près cette chanson médiévale du XIIe siècle, ainsi que de vous en fournir la traduction. Du côté de l’interprétation et pour le temps de ce voyage, nous serons accompagnés de  l’Ensemble médiéval Hespèrion XXI et la grande voix de Marc Mauillonsous la direction de Jordi Savall.

Les vers du lavoir de Marcabru, par Hespérion XXI et Jordi Savall

Jerusalem, la ville des deux paix,
sous la direction de Jordi Savall

En 2008, Jordi Savall et Montserrat Figueiras accompagnés de La Capella Reial de Catalunya, la formation Al-Darwish et l’ensemble Hespèrion XXI, partaient à la redécouverte musicale de Jerusalem. Ils signaient ainsi un livre double-album, riche de 52 pièces, au carrefour de nombreuses influences musicales et civilisationnelles. La virtuosité de l’exercice fut salué par la scène des musiques anciennes et l’album fut primé d’un Diapason d’Or.

jordi_savall_fusion_art_et_recherche_musique_ancienne_medievaleComme à son habitude, Jordi Savall était bien décidé à transcender la simple interprétation musicale, pour se situer dans un message résolument humaniste et pacifiste. Sous sa maestria, Jérusalem devenait ainsi la ville des deux paix, paix céleste et paix terrestre et il déclarait à son sujet:

« Ce projet a été conçu comme un hommage à Jérusalem, la ville construite et détruite à l’infini par l’homme, dans sa quête du pouvoir sacré et du pouvoir spirituel. Par le pouvoir de la musique et des paroles, ce fruit de la collaboration passionnée et engagée de musiciens, poètes , chercheurs, écrivains et historiens de 14 pays, ainsi qu’Alia Vox et les équipes de la Fondation CIMA, est devenu une fervente invocation pour la paix. »  Jordi Savall

Au delà de son agencement savant de compositions et chants profanes, chrétiens, juifs ou musulmans, le maître de musique catalan nous proposait ici un véritable appel à la paix, en réunissant aussi autour de lui des musiciens européens, juifs, palestiniens et jordi_savall_hesperion_XXI_album_jerusalemvenus encore du monde arabe. D’un point de vue narratif, l’oeuvre évoquait la cité sainte, à travers les âges, au large d’un périple de plus de 3000 ans : Jérusalem la juive de l’antiquité, Jérusalem la chrétienne et médiévale des pèlerinages, puis l’ottomane et musulmane, pour, finalement, s’ouvrir sur une dernière partie plus contemporaine et qui se voulait porteuse de réconciliation et d’espoirs, envers toutes les cultures en présence,

Cet album est toujours édité et vous pouvez le retrouver sur le site Alia-Vox ou encore au lien suivant :Jérusalem, la ville des deux paix

Pax in nomine Domini,
la chanson du lavoir de Marcabru

Contexte historique, 2e croisade et reconquista

Dans ce Pax in nomine Domini, plus connu encore sous le nom de les vers ou la chanson du lavoir (Vers del lavador), le célèbre troubadour comparait l’engagement aux croisades à un « lavoir » dans lequel tout chevalier et combattant chrétien pouvait et devait même « se laver » (se purifier de ses péchés). Mise à l’épreuve de sa foi véritable mais aussi purification de l’âme avec assurance d’y gagner le Paradis, il y pointait du doigt, au passage, les péchés de luxure et l’absence de foi de certains de ces contemporains.

Au sujet des nobles et seigneurs auxquels le poète médiéval fait allusion dans ce chant de croisade, on peut se risquer avec l’appui des médiévistes à quelques conclusions, même si certains éléments sont encore sujets à débat, Du point de vue datation, il semble que cette chanson ait été composée dans l’année 1149 et sans doute dans sa deuxième moitié.

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(ci-contre le Pax in nomine Domini de Marcabru tronqué, mais accompagné de sa partition, Mss Français 844 de la Bnf)

Un an auparavant, la deuxième croisade s’enlisait devant Damas et, au début de l’année 1149, Louis VII levait le siège en mettant fin à la deuxième croisade, expliquant sans doute les critiques que Marcabru adresse aux français, dans sa dernière strophe. Du côté espagnol, et depuis quelques années, le comte de Barcelone Raimond-Berenguer IV avait accumulé les succès dans la reconquête de l’Aragonais contre les Maures. Autour de 1147, il leur avait notamment repris Tortosa, héritant ainsi du titre de Marquis de Tortosa. C’est sans doute de lui dont le troubadour nous parle dans l’avant dernière strophe de cette poésie.

Quant au comte défunt auquel Marcabru souhaite le repos de l’âme, à la toute fin de ce chant de croisade, et bien que les avis soient mitigés sur la question, on peut tout de même avancer qu’il s’agit sans doute de Raymond d’Antioche (1098-1149) (1). Les débats entre experts au sujet de cette identité gravitent principalement autour du fait que le noble était désigné sous le titre de « prince d’Antioche » et non de « comte » (2). Pour le reste, outre le fait qu’il était le second fils de Guillaume IX de Poitiers, lui-même duc d’Aquitaine et comte de Poitiers, Raymond d’Antioche est justement décédé dans le courant de l’année 1149, lors de la prise d’Antioche par le sultan Nur ad-Din, et durant la bataille d’Inab (29 juin 1149). Dès lors et si c’est bien de lui dont il s’agit ici, on peut supputer que Marcabru rédigea ses vers, peu après avoir appris la nouvelle. Cela, du reste, cadrerait tout à fait avec cette « Antioche » dont  « le prix et la valeur sont pleurés par la Guyenne et le Poitou » dans la même strophe.

Concernant le lieu où le troubadour écrivit ses vers, là encore les avis ne sont pas tranchés. Il peut les avoir écrit alors qu’il était à la cour d’Espagne (probablement au service d’Alphonse VII) ou bien, ce que pourrait suggérer son chant, alors qu’il se trouvait encore en Aquitaine.

De l’Oc de Marcabru  au français moderne

Pour la traduction de cette chanson, nous nous appuyons, à nouveau, largement, sur l’ouvrage de JML Dejeanne (Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909) mais en les croisant avec quelques autres sources (notamment l’article de Silvio Melani (1)) et recherches complémentaires.

Dans l’interprétation musicale proposée plus haut, Jordi Savall a fait le choix de tronquer deux des strophes de la poésie originale (la 3 et la 4). De notre côté, nous vous la livrons dans son entier.


I
Pax in nomine Domini
Fetz Marcabrus los motz e.l so.
Aujatz que di :
Cum nos a fait, per sa doussor,
Lo Seingnorius celestiaus
Probet de nos un lavador,
C’anc, fors outramar, no.n fon taus,
En de lai deves Josaphas:
E d’aquest de sai vos conort.

Pax in nomine Domini
Marcabru a fait les paroles et l’air* (la musique) .
Écoutez ce qu’il dit :
Comme nous a fait, par sa bonté,
Le Seigneur céleste,
Il a fait près de nous un lavoir
tel qu’il n’y en eut jamais, sinon outre-mer, 
là-bas, vers Josaphat,
et c’est pour celui qui est près d’ici que je vous exhorte.

II
Lavar de ser e de maiti
Nos deuriam, segon razo,
Ie.us o afi.
Chascus a del lavar legor!
Domentre qu’el es sas e saus,
Deuri’ anar al lavador,
Que.ns es verais medicinaus!
Que s’abans anam a la mort,
D’aut en sus aurem alberc bas.

Nous devrions nous laver, soir et matin,
Si nous étions raisonnables,
Je vous l’assure;
Chacun peut s’y laver à loisir !
Pendant qu’il est encore sain et sauf,
Chacun devrait aller au lavoir
Car c’est pour nous un véritable remède;

De sorte que si nous allons à la mort avant cela,
notre demeure ne sera pas là-haut, mais nous
l’aurons bien bas.

III
Mas Escarsedatz e No-fes.
Part Joven de son compaigno.
Ai cals dois es,
Que tuicl volon lai li plusor,
Don lo gazaings es enfernaus!
S’anz non correm al lavador
C’ajam la boca ni·ls huoills claus,
Non i a un d’orguoill tant gras
C’al morir non trob contrafort.

Mais Mesquinerie et absence de foi
Séparent de Jeunesse son compagnon.
Ah! quelle douleur c’est
Que le plus grand nombre vole là
Où on ne gagne que l’Enfer !
Si nous ne courons au lavoir
Avant d’avoir la bouche et les yeux clos,
Il n’en est pas un si gonflé d’orgueil
Qui, dans la mort, ne trouve(ra) son adversaire (3) 

IV
Que·l Seigner que sap tot quant es
E sap tot quant er e c’anc fo,
Nos i promes
Honor e nom d’emperador.
E-il beutatz sera, sabetz caus
De cels qu’iran al lavador?
Plus que l’estela gallz ignalls
Ab sol que vengem Dieu del tort
Que’ill fan sai, e lai vas Domas.

Car le Seigneur, qui sait tout ce qui est,
Et sait tout ce qui sera et qui fut,
Nous y a promis
Honneur au nom de l’empereur.
Et savez-vous quelle beauté sera celle
De ceux qui se rendront au lavoir?
Plus grande que celle de l’étoile du matin,
Pourvu que nous vengions Dieu du tort
Qu’on lui fait ici, et là-bas, vers Damas.

V
Probet del lignatge Cai,
Dei primeiran home felho,
A tans aissi
C’us a Dieu non porta honor!
Veirem qui.ll er amics coraus!
C’ab la vertut del lavador
Nos sera Jhezus comunaus!
E tornem los garssos atras
Qu’en agur crezon et en sort

Proches du lignage de Caïn,
De ce premier homme félon,
Il y en a tant ici
Qui à Dieu ne portent honneur !
Nous verrons qui sera son ami cordial !
Car, par la vertu du lavoir,
Jésus sera avec nous tous.
Et nous ferons reculer les misérables* (JML Dejeanne :  « mauvais garnements »)
Qui croient aux augures et aux sorts.

VI
C.il luxurios corna-vi,
Coita-disnar, bufa-tizo,
Crup-en-cami
Remanran inz ei felpidor!
Dieus vol los arditz e.ls suaus
Assajar a son lavador!
E cil gaitaran los ostaus!
E trobaran fort contrafort,
So per qu’ieu alor anta.ls chas.

Ces libertins, cornes-à-vin* (ivrognes),
Presse-dîner, souffle-tison,
Ces accroupis sur le chemin (4)
Resteront dans les souillures* (folpidor, fumier)
Dieu veut les hardis et les doux
Éprouver à son lavoir !
Et ceux-là guetteront les maisons !
Et trouveront un rude adversaire
C’est pourquoi, à leur honte, je les chasse.

VII
En Espaigna, sai, Io Marques
E cill del temple Salamo
Sofron Io pes
E.I fais de l’orguoill paganor,
Per que Jovens cuoill avollaus.
E.I critz per aquest lavador
Versa sobre.ls plus rics captaus
Fraitz, faillitz, de proeza Ias,
Que non amon Joi ni Deport.

En Espagne, ici, le Marquis
Et ceux du Temple de Salomon
Souffrent le poids
Et le fardeau de l’orgueil des païens
Par quoi Jeunesse recueille mauvaise louange.
Et le blâme, à cause de ce lavoir,
Tombe sur les plus puissants seigneurs,
Brisés, faillis, vides de prouesse
Et qui n’aiment ni joie ni amusements.

VIII
Desnaturat son li Frances,
Si de l’afar Dieu dizon no,
Qu’ie.us ai comes.
Antiocha, Pretz e Valor
Sai plora Guiana e Peitaus.
Dieus, Seigner, ai tieu lavador
L’arma dei comte met en paus:
E sai gart Peitieus e Niort
Lo Seigner qui ressors dei vas

Dépravés sont les Français
S’ils se refusent à soutenir Dieu,
Car je les ai mis en demeure.
Antioche, ton Prix et ta Valeur
Sont pleurés ici par Guyenne et Poitou.
Dieu, Seigneur, en ton lavoir
Donne paix à l’âme du comte,
Et ici, puisse garder Poitiers et Niort!
Le Seigneur qui ressuscita du Sépulcre.


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– Jordi Savall, l’autobiographie d’un grand maître de musique.
– Découvrir plus de chansons de croisades du Moyen-âge central

En vous souhaitant une agréable journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.


Sources

(1) « Intorno al Vers del lavador. Marcabruno e la riconquista ispanica », Medioevo romanzo, XXII (s. iii, ii), 1997, Silvio Melani.

(2) Marcabru: A Critical EditionMarcabrun, Simon Gaunt, Ruth Harvey and Linda Paterson Brewer, Cambridge, UK, 2000.

(3) « C’al morir non trob contrafort ».  Contrafort  : adversaire. JML Dejeanne (op cité) traduit : « Qui dans la mort ne trouve un vainqueur » ou « Qui ne soit vaincu par la mort ».  Concernant  cet adversaire, Silvio Melani (1) y voit plutôt sous-entendu « le diable ». 

(4) Crup-en-cami. Là encore divergence de traduction entre JML Dejeanne « Accroupi sur le chemin » et une interprétation de Silvio Melani qui se référera de son côté au « Crup-en-cendres » utilisé par ailleurs par Giraut de Borneil.  Autrement dit, ceux qui restent accroupi sur le chemin pour l’un et pour l’autre ceux qui restent accroupi auprès de la cheminée ou de l’âtre, pour se chauffer le dos et ne rien faire.

 

Comment qu’à moy lonteinne, un virelai d’amour courtois de Guillaume de Machaut

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique, chanson ancienne, médiévale, virelai, amour courtois.
Titre : Comment qu’à moy lonteinne
Auteur Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période  : XIVe siècle, Moyen Âge tardif
Album : Mon Chant Vous Envoy (2013)
Interpréte  :  Marc Mauillon   Direction : Pierre Hamon. Label : Eloquentia

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons un retour vers le Moyen Âge tardif et le XIVe siècle avec le grand maître de musique Guillaume de Machaut. La pièce est un virelai profane, tout entier dédié à l’amour courtois puisqu’il y est question d’un éloignement qui n’ôte pas pour autant de l’esprit ni du coeur du compositeur sa dame, auquel il dédie ses vers.

Manuscrit Français 1584

On peut retrouver cette pièce musicale notamment dans le Manuscrit ancien référencé  MS fr. 1584 de la BnF ou Français 1584 et ayant pour titre:  Guillaume de Machaut, Poésies. C’est un des rares manuscrits du XIVe siècle autour du compositeur médiéval qui n’ait pas été entièrement réalisé dans un atelier parisien, mais vraisemblablement autour de Reims, ville où Machaut a fini ses jours. 

Dans l’ouvrage, la chanson Comment qu’à moy lonteinne fait suite à la chanson bien connue : « Douce Dame Jolie »  dont nous avons parlé ici (photo  du feuillet en question ci dessus).

Interprètes et album

Cette chanson est tirée de l’album  Mon Chant Vous Envoy sorti en 2013 sous le label Eloquentia.  Sous la direction de Pierre Hamon, les compositions y sont interprétées vocalement par Marc Mauillon. Comme nous l’avions déjà mentionné par ailleurs, le chanteur lyrique a une prédilection toute particulière pour le répertoire médiéval de Guillaume de Machaut. Il est accompagné ici, entre autres artistes, par sa musique_medievale_guillaume_machaut_marc_mauillon_moyen-age_central_XIVesœur  Angélique   Mauillon,

Tout entier dédié à des virelais, ballades et rondeaux de Guillaume de Machaut, cet album est disponible à la vente en ligne sous le lien suivant : Mon chant vous envoy.

Les paroles de la chanson
de Guillaume de Machaut

Comme mentionné plus haut, il est question, dans ce virelai courtois, d’éloignement et le compositeur médiéval conte à sa dame que, bien qu’elle soit distante de lui physiquement (Comment qu’à moy lonteinne) elle reste bien présente dans ses pensées.

Comment qu’à moy lonteinne
Soiez, dame d’onnour,
Si m’estes vous procheinne
Par penser nuit et jour.

Car Souvenir me meinne,
Si qu’adès sans sejour
Vo biauté souvereinne,
Vo gracieus atour,
Vo maniere certainne
Et vo fresche coulour
Qui n’est pale ne veinne,
Vou toudis sans sejour.
Comment qu’à moy.

Dame, de grace pleinne,
Mais vo haute valour,
Vo bonté souvereinne
Et vo fine douçour
En vostre dous demeinne
M’ont si mis que m’amour,
Sans pensée vilainne,
Meint en vous que j’aour,
Comment qu’à moy lonteinne
Soiez, dame d’onnour.

Mais Desirs qui se peinne
D’acroistre mon labour
Tenra mon cuer en peinne
Et de mort en paour,
Se Diex l’eure m’ameinne
Qu’à vous, qui estes flour
De toute flour mondeinne,
Face tost mon retour.
Comment qu’à moy lonteinne
Soiez, dame d’onnour,
Si m’estes vous procheinne
Par penser nuit et jour.

En vous souhaitant une  excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Chanson de rencontre, du trouvère Moniot de Paris, XIIIe siècle

toubadour_trouvere_musique_poesie_monde_medievale_moyen-ageSujet : musique, poésie médiévale, trouvère, chanson ancienne,
Titre : «Je chevauchoie l’autrier », chanson de rencontre » ou de « mal mariée »
Auteur: Jehan Moniot de Paris ( ? 1200 ?)
Période : XIIIe siècle, moyen-âge central
Interpréte : Marc Mauillon ,
Festival   Muzyka w Raju, Pologne, 2015

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partons aujourd’hui au XIIIe siècle avec une chanson du trouvère Moniot de Paris. Elle nous conte les déboires d’une mal-mariée flirtée en chemin par l’auteur qui  « chevauchoait » sur les bords de Seine avant de la rencontrer. Le texte emprunte en partie au genre de la Pastourelle et ce « l’autre jour alors que j’allais chevauchant » est aussi un départ « classique » que l’on retrouve dans plusieurs chansons du moyen-âge. En revanche, en fait de pastourelle, il n’y a ici chanson_poesie_medievale_trouvere_XIIIe_moyen-age_central_oil_vieux_francaispoint de bergère ici, sinon un dame ( bourgeoise? ) mal mariée à un vilain et qui s’en plaint, ce qui n’est pas d’ailleurs pour déplaire au galant qui semble plutôt en prendre son partie et y voir l’occasion d’inviter la belle à convoler avec lui.

Il existait vraisemblablement au XIIIe siècle, au moins trois trouvères contemporains les uns des autres, et connus sous le nom de Moniot : Moniot d’Arras, Moniot de Paris et Moniot.  La question de l’attribution de leurs oeuvres respectives s’est donc posée, entre les spécialistes de littérature et de poésie médiévale  pour un certain nombre de pièces pour finir par être à peu près tranchée. Le Moniot qui nous intéresse aujourd’hui, Jehan Moniot de Paris à légué neuf poésies/chansons et on lui prête généralement la paternité du Dit de Fortune (écrit autour de 1278 par un Monniot avec double n), même si cela reste sujet à débat.

De la même façon, on a avancé que Moniot avait pu être un surnom pour désigner un « petit moine ». Dans cette hypothèse, l’auteur aurait donc été frère avant de se faire trouvère, mais, en réalité, il est difficile d’en être tout à fait sûr puisque, hormis les quelques chansons qu’on peut lui attribuer, on ne sait  pratiquement rien de sa vie.

L’interprète du jour Marc Mauillon

C_lettrine_moyen_age_passion‘est le  baryton Marc Mauillon et son grand talent qui nous accompagnent dans ce voyage à la découverte du trouvère Moniot de Paris  et de cette poésie du marc_mauillon_repertoire_trouvere_poesie_chanson_medievale_moyen-agemoyen-âge central.

Seul en scène, a cappella et devant une salle comble au Festival polonais de musiques anciennes  Muzyka w Raju dont nous vous avons déjà touché un mot ici, l’artiste lyrique nous donnait à entendre, avec virtuosité, cette chanson du XIIIe siècle dans le verbe de son vieux-français original.

Son choix d’interprétation minimaliste est aussi heureux qu’audacieux. Loin des grandes orchestrations, il  nous permet d’approcher  cette poésie et sa langue de manière directe et entière, autant que de nous tenir au plus près de l’Art de ces « trouveurs » qui allaient souvent solitaires, de cour en cour et de lieu en lieu pour y chanter leur poésie et  trouver ainsi leur pitance.

Chanson de rencontre
ou chanson de Mal-marié

Je chevauchoie l’autrier
Sur la rive de Saine :
Dame de joste un vergier
Vi plus blanche que laine
Chançon prist a commencier
Souef a douce alaine.
Mult doucement li oi dire et noter :
« Honis soit qui a vilain me fist doner!
J’aim mult meus un poi de joie a demener
Que mil mars d’argent avoir et puis plorer. »

Hautement la saluai
De Deu le fil Marie
El respondi sans delai :
« Jhésus vous benïe! »
Mult doucement li priai
Qu’el devenist m’amie.
Tot errant me commençoit a raconter
Comment ses maris la bat por bien amer.
J’aim mult meus un poi de joie a demener
Que mil mars d’argent avoir et puis plorer.

« Dame, estes vos de Paris?
– Oil, certes, biau sire :
Seur Grand Pont maint mes maris,
De mauvès tout li pire.
Or puet il estre marris,
Jamès de moi n’iert sire.
Trop est fel et rioteux, trop puet parler;
Car je m’en vueil avec vos aller joer.
J’aim mult meus un poi de joie a demener
Que mil mars d’argent avoir et puis plorer.

Mal ait qui me maria,
Tant en ait or li prestre;
A uin vilain me dona
Felon et de put estre.
Je croi bien que poir n’a
De ci jusqu’à Vincestre.
Je ne pris tout son avoir pas mon soller
Quand il m bat et laidange por amer.
J’aim mult meus un poi de joie a demener
Que mil mars d’argent avoir et puis plorer.

En non Deu je aimerai
Et si serai amée
Et mon mari maudirai
Et soir et matinee,
Et si me renvoiserai
El bois sos la ramée.
Dames de Paris, amée, lessiés ester
Vos maris et si venés o moi joer
J’aim mult meus un poi de joie a demener
Que mil mars d’argent avoir et puis plorer.

En vous souhaitant une  merveilleuse journée et une bon début de semaine dans la joie.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

une belle version de « Douce dame jolie » de Machaut par l’ensemble La Morra et Marc Mauillon

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique, chanson ancienne, médiévale, musicien, maître de  musique, virelai
Titre : Douce Dame Jolie
Auteur: Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période : XIVe siècle, Moyen Âge tardif
Interprétes : Marc Mauillon et l’ensemble La Morra,  Festival   Muzyka w Raju, Pologne, 2015

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous proposons, aujourd’hui, une nouvelle version d’un des titres les plus célèbres de Guillaume de Machaut : « Douce dame jolie ».  Pour des éléments de biographie sur le grand maître de musique du XIVe siècle, ainsi que pour les paroles de ce virelai, nous vous renvoyons à l’article que nous avions déjà écrit, il y a quelque temps sur cette pièce :  Guillaume de Machaut, éléments de biographie.

Les interprètes du jour

Formé dans les années 2000 à Bâle en Suisse, par  les musiciens et instrumentistes Corina Marti et  Michal Gondko, l’ensemble La Morra est ici rejoint par l’artiste lyrique Marc Mauillon. Le concert qui date de 2015 avait pour thème  le sacré et le profane dans la poésie française du XIIIe siècle et se jouait dans le cadre du festival musical polonais  Muzyka w Raju, dédié tout entier aux musiques anciennes.

A ce jour, la formation suisse La Morra  a enregistré  huit albums. A chaque occasion, ils assument l’entière direction artistique de leurs productions et s’entourent des meilleurs musiciens. Leur répertoire, résolument ancré dans les musiques anciennes est particulièrement attaché au Moyen Âge tardif et  s’étire jusqu’au début de la renaissance. Sur le terrain du profane comme du sacré, leurs choix sont toujours audacieux et l’ensemble explore avec virtuosité des voies  originales hors des sentiers quelquefois un peu balisés du répertoire médiéval.  Leur travail vaut donc vraiment la peine d’être découvert pour cette fraîcheur et nous aurons, à coup sûr, l’occasion d’y revenir ici..

Marc Mauillon, artiste Lyrique

De son côté, le très talentueux baryton et ténor Marc Mauillon, remarqué notamment à l’occasion des victoires de la musique classique de 2010 où il fut nommé dans la catégorie Révélation Artiste Lyrique, compte une participation dans près de trente albums. Et même si on le retrouve régulièrement en collaboration avec des ensembles dédiés aux musiques médiévales (Hespèrion XXI musique_chanson_medievale_guillaume_de_machaut_douce_dame_jolie_moyen-age_tardifen fait partie), son champ d’investigation artistique ne s’arrête pas là. Il fait également des apparitions toujours très saluées à l’opéra  et dans le répertoire classique au sens large, mais s’aventure encore avec bonheur sur des compositions du début du XXe siècle et des musiciens de la grande guerre.

Sur la partie la plus médiévale de son travail, il faut noter chez lui, une affection particulière à l’encontre de Guillaume de Machaut  auquel il a  en effet dédié, à ce jour, trois albums. Cette familiarité qu’il semble entretenir avec le grand maître de musique du Moyen Âge tardif se donne d’ailleurs tout entière dans la pièce du jour et dans l’aisance qu’il y trouve.

En vous souhaitant une très belle écoute et une merveilleuse journée.

Fred

Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes