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L’appétit & le goût du savoir au Moyen Âge, Régine Pernoud

Sujet  :   citations, Moyen Âge,  historien, médiéviste, valeurs médiévales, valeurs actuelles, savoir, livres, proverbe médiéval, préjugés.
Auteur : Régine Pernoud (1909-1998)
Ouvrage : Lumière du Moyen Âge (1946)


Citation illustrée de Régine Pernoud : lire au Moyen Âge

« Tout ce qui touche au savoir est ainsi honoré au Moyen Âge : « À déshonneur meurt à bon droit qui n’aime un livre », disait un proverbe ; et il suffit de se pencher sur les textes pour retrouver trace des mesures par lesquelles tout appétit de sciences était encouragé et alimenté. »

Lumière du Moyen Age, Régine Pernoud, Editions Grasset (1946),


Déconstruire les préjugés sur le Moyen Âge

En 1946, Régine Pernoud publiait son premier ouvrage chez Grasset. Avec pour titre édifiant : Lumière du Moyen Âge, la médiéviste se proposait d’y prendre le contrepied d’un certain nombre d’idées reçues à l’encontre de cette période historique, comme elle n’allait cesser de le faire, par la suite, tout au long de sa carrière.

Livre sur le Moyen Âge de Régine Pernoud

Pour chasser les préjugés bien ancrés et, avec eux, la vision surfaite d’un monde médiéval barbare et obscurantiste (l’éternel retour de l’âge des ténèbres), l’historienne choisissait de souligner, sur les quelques 270 pages de ce livre, l’éclat du Moyen Âge. Les domaines abordés y sont aussi divers que le commerce, les arts, la littérature mais aussi la science ou la médecine. Elle portait aussi son attention sur des aspects liés aux droits des femmes dans les sociétés médiévales, à l’importance de la structure familiale ou encore à certains raffinements de la vie quotidienne. Pour être l’une des premières parutions d’importance de Régine Pernoud, l’ouvrage traçait déjà un bon nombre des pistes qu’on lui verrait reprendre et détailler dans l’ensemble de son œuvre.

Lumière du Moyen Âge a été réédité de nombreuses fois jusque dans les années 80. Aujourd’hui, on en trouve encore quelques exemplaires papier à la vente. L’éditeur a également eu la bonne idée de proposer l’ouvrage au format Kindle à petit prix. Voici un lien utile pour plus d’informations sur toutes ces options : Lumière du Moyen Age, Régine Pernoud

Les idées reçues à 75 ans de ce livre

L’ignorance a la vie dure. À plus de 75 ans de cette Lumière du Moyen Age de Régine Pernoud, de nombreux préjugés demeurent au sujet du monde médiéval. L’historienne du XXe siècle n’a pourtant pas été l’unique médiéviste à lutter contre eux, loin de là (voir Moyen Âge, idées reçues et révolution des machines). Si une partie du public semble y rester sourd, on en vient légitimement à se demander pourquoi. La légèreté de l’enseignement et des programmes ne sont, sans doute, pas les seuls à expliquer ce déficit de réalisme ou de sens historique. Et même si la renaissance, le siècle des lumières ou, encore, la révolution française (régicide et fondatrice de la république) ont été longtemps avancées pour expliquer la mise en place de certains préjugés, après plus de 150 ans d’une science historique et médiévale relativement mature, cet habituel trio peine un peu à continuer à servir, seul, d’explications.

De notre côté, nous serions plutôt tentés de poser que certaines forces antagonistes récentes ont continué de s’y ajouter pour souffler sur les braises de certaines idées reçues. Dans cette hypothèse, un certain dénigrement du Moyen Âge aurait pu permettre d’enterrer plus vite son importance, à la fois, sur les racines historiques de notre civilisation (et partant sur la légitimité de certaines de ses valeurs et de leur perdurance) comme sur certains de ses aspects éclairés et civilisationnels.

Des forces antagonistes ?

Mais alors quoi ? La spiritualité et certaines des valeurs humanistes chrétiennes du Moyen Âge, ses fortes structures familiales, ses freins moraux au libéralisme débridé, son système politique régalien, ses lumières culturelles et son legs : pour quelles idéologies récentes tout cela pourrait-il être autant d’ennemis désignés ? Au matérialisme scientifique et à la république auraient pu venir s’ajouter, bien plus tard, le capitalisme libertaire, son individualisme consumériste et sa guerre déclarée à une certaine France des traditions et des croyances. Plus près de nous, la financiarisation et la haute spéculation contre la valeur travail n’ont certes plus grand chose de médiéval. Dans cette liste, on pourrait ranger encore le néo-libéralisme et, pour nous tourner vers des éléments plus récents, certaines formes de progressisme transhumaniste.

Encore une fois, sans nécessairement œuvrer activement contre le Moyen Âge, on voit bien comment tous ces courants modernes sont à l’opposé éthique total de nombreuses valeurs portées par cette période. Dans le même ordre d’idées, on pourrait se demander à quel point, certaines formes extrêmes d’européisme fédératif ou impérialiste, dans leur volonté affichée d’annihiler les nations, peuvent travailler à l’encontre d’un certain roman national et historique : dans un vidéo récente, une technocrate allemande à Bruxelles parlait de la nécessité de « déconstruire les peuples ». Rien que ça… C’est une affirmation qui revient souvent dans la bouche de certains de ces idéologues, férus d’ingénierie sociale et souvent, il faut l’avouer, légèrement mégalomanes.

Si toutes ces forces existent bien, sont elles actives, activistes, ou simplement antagonistes ? Leur présence peut elle expliquer que certaines réalités médiévales et historiques puissent être maintenues sous cloche (voire revisitées) ? Ce n’est pas impossible même si, pour vérifier une telle hypothèse, il faudrait conduire des recherches qui déborderaient largement le cadre de cet article. Sans parler d’obstruction active, on peut supposer que les choix de financement de productions grand public, ou même d’aide à la culture et à l’éducation ne sont pas tout à fait enclins à se porter vers ces sujets ou certaines manières de les traiter. Ce qu’on peut, en revanche, constater, c’est que de nombreux préjugés sont entretenus pour que le Moyen Âge reste l’âge des rois tyrans, de la bêtise, de la saleté, des méchants croisés, du fanatisme religieux, des légions de bûchers à perte de vue (voir la légende noire de l’inquisition)… Mieux encore, avec un brin de condescendance, on se plaira à le décrire comme cette sorte d’enfance touchante, maladroite et révolue de notre civilisation, comme on avait pu considérer, aux siècles passées, les peuples traditionnels comme de gentils arriérés.

Avec l’ouvrage de Régine Pernoud, nous sommes, fort heureusement, à des lieues d’un Moyen Âge historique pétri d’ignorance crasse dans lequel, non contents d’y patauger, des hommes médiévaux ignares, sales et méchants, auraient eu à cœur de se complaire. La citation du jour nous permettra même de découvrir qu’au contraire, le goût du savoir et des livres y était encouragé et prisé. Pour abonder dans ce sens et pour n’en donner qu’une autre illustration, on pourra se reporter à cette ballade d’eustache Deschamps : Des plaisirs de l’étude et des sciences.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous  toutes ses formes

Le Moyen Âge, âge des ténèbres, jacques le goff

Jacques le Goff
Jacq

Sujet : citation, historien médiéviste, mentalités médiévales, âge des ténèbres, préjugés, créations médiévales, nouvelle histoire.
Période : Moyen Âge central, long Moyen Âge
Auteur : Jacques le Goff (1924-2014)
Source : extrait d’un entretien avec François Busnel pour le magazine lire – numéro 335 ( mai 2005)

Bonjour à tous,

n 2004, Jacques le Goff faisait paraître l’ouvrage « Héros et merveilles du Moyen Age » . Il s’y penchait sur les territoires de l’Imaginaire médiéval. Héros d’un côté, merveilles de l’autre, cet essai présentait un angle original et novateur, en s’employant à retracer les mentalités médiévales dans la veine de la Nouvelle Histoire. Bien plus qu’une simple photographie historique figée, Jacques le Goff se proposait aussi de mettre cet héritage en perspective sur la durée, en montrant comment certains éléments de cet imaginaire médiéval avaient pu traverser le temps pour parvenir jusqu’à nous (cinéma, littérature, bd, etc…).

Définition et origine des « ténèbres » médiévales

À l’occasion de cette sortie, le médiéviste donna divers entretiens médias. La citation du jour est issue de l’un d’eux. Daté de 2005, cet échange était conduit par François Busnel, pour le magazine Lire. Dés son introduction, l’occasion fut donnée à l’historien de revenir sur ces fameux « âges des ténèbres » (Dark ages) longtemps utilisé pour caractériser le Moyen Âge, tout en engouffrant à leur traîne, de nombreux préjugés ou visions erronés à son encontre.

Pour qui s’est déjà penché sur le monde médiéval (sa réalité, sa complexité, ses mentalités, ses innovations,…) cet extrait-citation n’apportera pas grand chose de nouveau, ni révolutionnaire. Pour les autres, elle aura le mérite de fixer les choses, en clarifiant l’origine de certaines idées reçues sur cette période. Jacques Le Goff y fait aussi référence à quelques-uns de ses pairs et à l’héritage dans lequel il s’inscrit, de Marc Bloch à Braudel. La liste est loin d’être exhaustive. De nombreux historiens médiévistes sérieux ont contribué, depuis, à balayer les idées reçus à propos du Moyen Âge.

Une citation sur le Moyen Âge de Jacques le Goff

Pourquoi le Moyen Âge a-t-il si longtemps été considéré comme un âge de ténèbres ?

— C’est à la Renaissance que l’on a commencé à le considérer ainsi. Puis les philosophes du XVIIIe siècle ont vu en cette période un âge de foi grossière et de mœurs barbares. Pensez que l’on a donné au principal style artistique du Moyen Age le nom de « gothique », qui voulait dire « barbare »! Les humanistes et les philosophes n’ont pas su trouver ce qu’était la pensée profonde du Moyen Age, ce que l’on appellerait aujourd’hui les valeurs de la civilisation médiévale. Ces dernières ont été redécouvertes au XXe siècle, lorsque des historiens comme Marc Bloch, Fernand Braudel et, plus modestement, moi-même, ont regardé les créations médiévales, lu les textes et se sont aperçus qu’il s’agissait d’une période d’une exceptionnelle créativité.

Extrait d’un entretien au magazine Lire – numéro 335 mai 2005 – François Busnel (retrouver la suite de cet entretien sur l’Express)


En vous souhaitant une bonne journée.

Frédéric EFFE
Moyenagepassion.com
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NB : sur l’image de couverture, à l’arrière plan de Jacques le Goff, l’enluminure est tirée du manuscrit médiéval Français 6465 : Chroniques de Saint-Denis ou Grandes Chroniques de France. Elle représente le sacre de Charlemagne par le pape Léon III en l’an 800. L’ouvrage, daté du XVe siècle, est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF. Gallica en propose également un exemplaire numérisé à la consultation.

l’adoubement du chevalier au Moyen Âge, Régine Pernoud

Sujet : citations médiévales, histoire médiévale, historien, médiéviste, Moyen Âge, chevalerie, chevalier, adoubement, cérémonie, citations.
Période : Moyen Âge central
Auteur : Régine Pernoud  (1909-1998)
Ouvrage : Lumière du Moyen Age ( Grasset, 1981)


Une citation de Régine Pernoud sur la Chevalerie au Moyen Âge

« Du futur chevalier, on exige des qualités précises, que traduit le symbolisme des cérémonies au cours desquelles on lui décerne son titre. Il doit être pieux, dévoué à l’Église, respectueux de ses lois : son initiation débute par une nuit entière passée en prières, devant l’autel sur lequel est déposée l’épée qu’il ceindra. C’est la veillée d’armes, après laquelle, en signe de pureté, il prend un bain, puis entend la messe et communie. On lui remet alors solennellement l’épée et les éperons, en lui rappelant les devoirs de sa charge : aider le pauvre et le faible, respecter la femme, se montrer preux et généreux; sa devise doit être « Vaillance et largesse ». Viennent ensuite l’adoubement et la rude « colée », le coup de plat d’épée donné sur l’épaule : au nom de saint Michel et de saint Georges, il est fait chevalier. »

Lumière du Moyen Âge, Régine Pernoud.

Une belle journée à tous

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Retrouvez d’autres citations et articles au sujet de Régine Pernoud.

NB : l’enluminure, en arrière plan de Régine Pernoud sur l’image d’en tête, est tirée du Manuscrit médiéval MS Français 112 – 1, conservé au département des manuscrits de la BnF (consultez le ici sur Gallica). Elle représente l’adoubement de Lancelot du Lac par le roi Arthur (« comment Lancelot fut fait Chevalier… ») Le manuscrit, daté de 1470, est une compilation des légendes arthuriennes par Micheau Gonnot.

éloge du dépouillement aux temps médiévaux avec Jacques Le goff

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est histoire_monde_medieval_jacques_le_goff_citations_moyen-âge.jpg.

Sujet : citation, Moyen Âge chrétien, représentations médiévales, historien médiéviste, mentalités médiévales, capitalisme, mobilité des richesses, valeurs du Moyen Âge
Période : Moyen Âge central, long Moyen Âge
Auteur : Jacques le Goff (1924-2014)
Livre : La civilisation de l’Occident médiéval  (1964)

Bonjour à tous,

ous retrouvons, aujourd’hui, une citation de Jacques le Goff extraite de La civilisation de l’Occident médiéval, parue en 1964. Comme on le verra, cet extrait éclaire assez bien de nombreux textes médiévaux que nous avons déjà eu l’occasion de publier.

Il y est question d’un Moyen Âge des valeurs qui fait l’apologie de la nature transitoire du passage en ce monde, du détachement du monde matériel, de l’importance des bonnes œuvres, de la charité, etc… Du même coup, ce monde médiéval freine aussi des quatre fers sur l’usure (dans son principe et plus encore dans ses abus) et montre aussi du doigt des travers tels que la cupidité, l’avidité ou encore la course permanente aux possessions, à l’accumulation d’avoirs et de richesses, etc… : autant de choses qui se situent à des lieues du capitalisme en terme de mentalités, même si, il faut le dire, des développements économiques ont eu lieu au Moyen Âge qui se sont appuyés sur l’emprunt, le profit et certaines formes de « croissance ».

Importance du salut & passeport pour le ciel

« …Pour ceux enfin qui ne sont pas capables de cette pénitence finale (érémitisme), l’Église prévoit d’autres moyens d’assurer leur salut. C’est la pratique de la charité, des œuvres de miséricorde, des donations, et pour les usuriers et tous ceux dont la richesse a été mal acquise la restitution post mortem. Ainsi le testament devient le passeport pour le ciel.

Si l’on n’a pas bien présentes à l’esprit l’obsession du salut et la peur de l’enfer qui animait les hommes du Moyen Age, on ne comprendra jamais leur mentalité et on demeurera stupéfait devant ce dépouillement de tout l’effort d’une vie cupide, dépouillement de la puissance, dépouillement de la richesse qui provoque une extraordinaire mobilité des fortunes et manifeste, fût-ce in extremis, combien les plus avides de biens terrestres parmi les hommes du Moyen Age finissent par mépriser toujours le monde, et ce trait de mentalité qui contrarie l’accumulation des fortunes contribue à éloigner les hommes du Moyen Age des conditions matérielles et psychologiques du capitalisme. »

Jacques le Goff –  La civilisation de l’Occident médiéval  (1964)


Jacques le Goff rejoint donc, ici, ce constat de mentalités chrétiennes médiévales aux antipodes de l’esprit capitalistique, tout en plaçant ces dernières sur un terrain psychologique relativement connoté. S’il va, en effet, jusqu’à parler « d’obsession » du salut chez l’homme médiéval, il se réfère, toutefois, à la définition vulgarisée du terme et pas à la notion psychiatrique et clinique. Un peu plus loin, le médiéviste mettra d’ailleurs l’emphase sur une attraction plus positive, en parlant « d’aspiration des hommes du Moyen Age vers le bonheur du salut, de la vie éternelle ».

Dans tous les cas, il nous suggère que ces « pôles » et cette recherche de salut débordent du simple plan des représentations, de la morale, de la croyance et de la foi pour s’incarner sur le terrain de la conscience et des émotions au point de devenir un moteur qui agit même sur la circulation des richesses. Ses lignes sont assez claires et on s’offre souvent un passeport pour le ciel, en désignant une partie des bénéficiaires testamentaires en la personne de monastères, d’évêchés, de dignitaires ou d’établissements ecclésiastiques.

Comme l’historien nous l’indique, l’Église fait aussi la promotion de ses façons de sauver son âme (cela reste, dans le principe, cohérent avec les Evangiles : pour y suivre le Christ, il faut se défaire du superflu et, pour le reste, les moines, autant que les prêtres sont aussi censés prier pour le salut et le repos des âmes les plus chrétiennes). De notre côté, il nous semble utile d’ajouter qu’on ne doit pas sous-estimer, dans l’ensemble de ce phénomène, le fait que la religion chrétienne est profondément intériorisée chez l’homme médiéval.

Sur le terrain des mêmes valeurs, on pourra voir, entre autres articles : Les réflexions d’un pêcheur, (auteur anonyme), Vivre du sien et non nuire à autrui (Eustache Deschamp), L’histoire de l’homme qui traverse la Rivière (ou l’exemple XXXVIII du le comte Lucanor de Don Juan Manuel).

En vous souhaitant une bonne journée.

Frédéric EFFE
Moyenagepassion.com
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NB : l’image en-tête d’article est tirée d’une miniature tirée de l’ouvrage impr. Rés. SA 3390 : Compost et calendrier des bergers. Elle représente le supplice réservé aux envieux. Daté de la fin du XIVe siècle, ce beau manuscrit du Moyen Âge tardif est conservé à la Bibliothèque municipale d’Angers et consultable en ligne ici.