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La table ronde, le tombeau d’Arthur et l’influence des légendes arthuriennes sur le moyen-âge central

excalibur_legendes_arthuriennes_conference_histoire_medieval_litterature_moyen-age_michel_pastoureauSujet : légendes arthuriennes, popularité médiévale, légende, influence médiévale des héros arthuriens, roi Arthur, table ronde, chevaliers, tombeau, littérature médiévale, reliques,
Période : moyen-âge central, haut moyen-âge
Auteurs : corpus, du XIIe à nos jours.
Sources: Britannia, Université de Rochester (the Camelot projet).

Bonjour à tous

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour ceux d’entre vous qui s’en souviennent, nous avions posté, il y a quelque temps ici, une conférence de Michel Pastoureau sur la popularité médiévale de la légende du Roi Arthur, notamment à travers l’étude des prénoms en usage durant le moyen-âge central. L’article d’aujourd’hui nous donne l’occasion de prolonger ces réflexions dans une autre direction et nous partons, cette fois, de l’autre côté de la Manche, pour y découvrir des objets historiques et des reliques, témoins de l’intérêt suscité par l’histoire de l’illustre roi de Bretagne, durant les siècles qui ont vu naître sa légende et les suivants.

La table ronde de Winchester

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Dans le grand hall du château de Winchester en Angleterre se tient, depuis près de six cents ans, une table ronde peinte qui mentionne les noms des chevaliers de la célèbre légende. Elle est en bois de chêne massif et dans sa forme originale, elle reposait sur douze pieds. Du point de vue de ses dimensions, elle mesure 5,5 legendes_arthur_roi_chevalier_table_ronde_relique_moyen-age_centralmètres de diamètre et pèse plus d’un tonne. Les dernières datations effectuées sur l’objet, dans le milieu des années soixante-dix, font remonter sa création, au début du règne d’Edouard 1er, soit dans le dernier tiers du XIIIe siècle: carbone 14 à l’appui, l’objet daterait précisément de 1270 et aurait été peint (ou repeint) autour du début du XVIe siècle, en 1522.

Si cette table ronde n’est pas contemporaine de la légende du roi Arthur qui se déroule au VIe siècle, elle reste indéniablement d’une grande valeur historique. Durant le moyen-âge central, parmi les grands personnages « mythiques » ou même ceux ayant vécu réellement mais étant devenues légendaires après coup, les figures de Charlemagne ou de Roland, côtoient celles du grand roi breton et de ses preux chevaliers en quête d’élévation dans la noblesse des valeurs comme dans la spiritualité et cet objet apporte encore la preuve de ce intérêt. Comme les légendes arthuriennes  ont circulé entre la France et l’Angleterre, du fait de l’origine de ses auteurs, anglais, gallois ou français, ses héros ont, sans conteste, imprimé leur marque des deux côtés de la manche, même si c’est sans doute plus Charlemagne qui remportera l’adhésion du côté des souverains français. Les deux héros ont, en tout cas, en commun d’être de grands fédérateurs qui ont su unifier leurs terres et tous deux ont edouard_1er_angleterre_legende_arthurienne_chevaliers_table_ronde_tournois_monde_medieval_moyen-age_centralencore hérité d’une ferveur chrétienne toute médiévale. Concernant cette dernière et pour ce qui est du Roi Arthur, des auteurs comme Chrétien de Troyes ou Robert de Boron s’emploieront encore à la renforcer.

(Portrait de Edouard 1er d’Angleterre, Anonyme, XIIIe siècle, Westminster)

En Angleterre, le roi Edouard 1er s’était, dit-on, pris d’un vif intérêt pour la légende du roi Arthur et l’on suppose que cette table a pu être utilisée lors de tournois organisés par lui, au début de son règne. Jouait-on alors à incarner Lancelot, Yvain, Gauvain ou Perceval? L’histoire n’en a, semble-t-il, pas gardé la trace. C’est, en tout cas, ce même roi Edouard 1er qui assista à l’ouverture du tombeau supposé d’Arthur et de Guenièvre sur les vestiges actuels de l’abbaye de Glastonbury, tombeau dont il est intéressant de dire un mot ici.

Le Tombeau du Roi Arthur et de Guenièvre

Le site originel de la tombe supposée d'Arthur à Glastonbury
Le site originel de la tombe supposée d’Arthur à Glastonbury

Tandis que les reliques de Charlemagne occupent les esprits en France et même au delà, en Europe, notamment du côté des Saints Empereurs de l’Empire Germanique, on découvre qu’en Angleterre, celles du bon roi Arthur suscite un vif legende_arthur_table_ronde_tombeau_moyen-age_central_popularite_medievale_mythe_arthurienintérêt. A ce titre, l’histoire de ce tombeau est assez édifiante. Il aurait, en effet, contenu un cercueil dans lequel on retrouva, à la fin du XIIe siècle, des ossements supposés être les restes d’Arthur et de Guenièvre, avec même une mèche de cheveux blonds tressés, ainsi qu’une croix de plomb arborant l’inscription suivante en latin: Hic iacet sepultus inclitus rex arturius: « Ci-gît enterré le renommé roi Arthur ». On rapporte encore que le cercueil se trouvait entouré, de part et d’autre, de deux pyramides sur lesquelles étaient gravées des lettres dont l’usure du temps autant que le style « barbare » avaient rendu impossible le déchiffrage. Suivant un autre récit d’époque, « Les chroniques de l’abbaye de Margam (1200-1299), il y aurait eu, non pas un seul, mais trois cercueils: celui du roi Arthur, celui de Guenièvre et plus surprenant encore, celui de Mordred, le neveu d’Arthur.

L’histoire de cette tombe d’Arthur vaut son pesant de deniers puisqu’on la doit à des moines, ceux de l’abbaye de Glastonbury qui, en 1190, annoncèrent, avec émotion, au roi Henri II d’Angleterre, leur étonnante découverte. Ils affirmèrent, en effet, avoir trouvé le tombeau après avoir été frappés de rêves et de visions leur en indiquant l’endroit. Nous sommes alors à peine soixante ans après que  Geoffrey de Monmouth ait écrit son Historia regum Britanniae et jeté les bases qui feront vraiment référence pour les récits autour du roi Arthur. A l’évidence la légende a alors déjà fait un peu son chemin. On dit, en effet, qu’une fois la nouvelle répandue, on vint de tous les coins du pays pour voir la tombe et qu’on fit également de nombreux dons à l’abbaye. Cela tombait à point nommé, puisqu’il semble que celle-ci traversait alors  les pires croix_tombeau_arthur_legende_chevalier_table_ronde_influence_moyen-age_centraldifficultés financières.

Faut-il voir une relation de cause à effet entre les coffres vides de l’abbaye et la découverte? Les moines n’en étaient, semble-t-il, pas à leur première tentative de « buzz » à la sauce médiévale puisqu’ils avaient déjà déclaré en 1184, avoir retrouvé les restes de Saint Patrick, sans parvenir à en convaincre quiconque. Ceci ne les avaient pourtant pas freiné puisque quelque temps après, ils récidivaient, en clamant avoir, cette fois, retrouvés ceux de Saint-Dunstan, sans pour autant rencontrer, là encore, plus de succès. Il fallait bien un roi Arthur pour venir à leur secours, fut-il mort, et le fait que cela fonctionna prouve au moins le crédit et la foi que l’on prêtait déjà à la légende.

Comme l’indique le panneau informatif que l’on peut trouver sur place, les restes furent déplacés en 1278 en présence du roi Edouard 1er dans une tombe de marbre noir sur le même site.

Quoiqu’il en soit, concernant la découverte du possible tombeau d’Arthur, si l’on semble bien s’entendre aujourd’hui du côté des experts pour affirmer que le bon roi n’a pas été enterré à Glastonbury mais qu’il s’agissait plutôt d’une invention des moines, les  recherches continuent et animent bien des débats passionnés. Encore récemment un historien anglais spécialiste du sujet, du nom de Graham Phillips affirme avoir trouvé le véritable emplacement après des années de recherche sur la question. La tombe serait dans le West Midlands et aux dernières nouvelles (courant 2016) il attendait les autorisations pour pouvoir y mener des fouilles.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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Lecture audio: le fabliau du pêcheur, un conte médiéval satirique du XIIIe siècle

lecture_poesie_medievale_vieux_francais_oil_audioSujet : fabliau  médiéval, conte satirique, humour, proverbe, larron, fourche patibulaire, littérature, vieux français
Période : moyen-âge central (XIIIe)
Auteur : Inconnu
Titre : du prudhomme qui sauva son compère de la noyade
Media : lecture audio vieux français

Ouvrage : Fabliaux et contes (T 1), Etienne Barbazan (XVIIIe siècle)
Manuscrit ancien : MS 1830 St Germain des prés. MS 2774.

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous avions présenté il y a quelques jours déjà, le fabliau Du Preudome qui rescolt son compere de noier, nous vous en proposons aujourd’hui une lecture audio dans sa langue originale. 

Vous trouverez plus de détails concernant ce petit conte satirique du XIIe, XIIIe siècles, ainsi que son adaptation en français moderne à l’adresse suivante: L’honnête homme et le noyé: un fabliau médiéval aux antipodes de la charité chrétienne

En vous souhaitant une bonne écoute et une excellente journée!
Fred
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Les duels d’honneur et une ballade d’Eustache Deschamps

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie, littérature médiévale, ballade, vieux français, duels d’honneur, duel judiciaire.
Période : moyen-âge tardif
Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406)
Titre : « Puis qu’il n’y a d’autre querelle»

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous avions parlé, il y a quelques temps du duel judiciaire et nous abordons, aujourd’hui, le sujet des duels plus récents historiquement qui touchent plus particulièrement aux questions d’honneur.

Si, comme nous l’avons dit, les rois finiront par interdire  les duels judiciaires et si cette « preuve » par le jugement de dieu sera, peu à peu, rejetée au profit du témoignage ou du serment sur la bible, les affrontements entre deux parties continueront pourtant d’avoir la vie belle. Ils connaîtront même un nouveau souffle à partir du XVIe en prenant d’autres formes et perdureront encore jusqu’au XIXe siècle.

Jacques Callot (1592-1635) le duel à l'épée
Jacques Callot (1592-1635) le duel à l’épée

On parle quelquefois d’un glissement ou d’une évolution du duel judiciaire vers ses formes plus tardives de duels, appelés duels d’honneur, mais plus que l’aménagement ou la survivance d’une coutume féodale, d’autres historiens préfèrent parler de « réinvention », considérant que les duels auxquels on assiste, à partir du XVIe siècle, n’ont plus grand chose de commun avec ceux du haut moyen-âge ou du moyen-âge central.

deco_medievale_epeeIl faut dire que, contrairement à leurs homologues médiévaux, qui permettaient, dans les cas extrêmes, de régler un point ou un litige de droit toutes classes confondues, ces nouvelles formes de duel « d’honneur » qui s’adressent plus spécifiquement à la classe aristocratique semblent aussi se centrer, comme nous l’avons dit, sur des questions d’ordre plus exclusivement privé: affront amoureux, vengeance, conflits d’honneur, mais il peut être aussi question de bravade ou même de mesurer son habileté au maniement des armes. Si l’on ajoute à cela que l’invocation de la justice de Dieu y trouve largement moins sa place que l’habileté aux armes et le lavement de l’affront, on comprend bien que cela n’ait plus grand chose à voir avec le duel judiciaire stricto sensu, du haut moyen-âge et du moyen-âge central.

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Ces formes de duels seront donc encore en usage jusqu’au XIXe siècle et on assistera même, avec la propagation des armes à feu et dans le courant du XVIIIe,  à des duels au pistolet entre femmes. Les images de western ne seront alors pas que du côté de l’Ouest américain et d’Hollywood.

Dans un premier temps, comme nous le mentionnions plus haut, on retrouvera leur pratique  principalement dans les milieux nobles mais après la révolution française et dans le courant du XIXe, ils s’ouvriront également, aux milieux bourgeois et commerçants, sans doute par effet de mimétisme envers les classes dirigeantes.

deco_medievale_epeePour comprendre les arguments légaux en faveur du maintien de cette pratique jusqu’à des dates récentes dans l’Histoire, on peut valablement chercher chez les auteurs du XIXe siècle et les arrêts de la cour de cassation d’alors. Outre le fait qu’il est, pour ses détracteurs, considéré comme un moyen ultime de défendre son honneur bafoué, droit dont on n’entend bien ne pas être privé, le duel échappe encore, du point de vue du législateur aux autres crimes puisqu’on « admet implicitement la validité d’une convention privée passée entre deux parties pour s’entre-tuer, dès lors – condition essentielle – que les règles de la loyauté ont été respectées et que les chances ont été réciproques ». (La Tyrannie de l’Honneur par François Guillet. Cairn.info).

Jacques Callot (1592-1635) le duel à l'épée et au poignard
Jacques Callot (1592-1635) le duel à l’épée et au poignard

Concernant la période médiévale et notamment durant le moyen-âge tardif, nous avons les exemples de ces affrontements pour des questions qui touchent au coeur ou à l’honneur ne manquent pas. Pour en donner quelques uns pris dans la littérature et la poésie, on se souvient de la ballade que François Villon écrivit au XVe siècle à un gentilhomme pour l’envoyer à sa belle par lui conquise à l’épée:

« Au poinct du jour, que l’esprevier se bat,
Meu de plaisir et par noble coustume,
Bruyt il demaine et de joye s’esbat,
Reçoit son per et se joint à la plume »

Quelques temps avant, nous avons encore un autre exemple de duel sous la plume d’Eustache Deschamps. Défié, en effet, par un certain Thomelin, pour une question amoureuse, ce dernier écrira quelques balades sur le sujet. Loin de l’image habituelle du gant relevé, le duel n’aura, en réalité, pas lieu puisque la belle du poète médiéval s’interposera, en lui disant qu’elle ne veut pas qu’il aille batailler en duel pour défendre son honneur puisqu’il n’y a aucune raison qui le justifie ou dit autrement : aucun motif de querelle. C’est une de ces ballades en forme de contre-pied sur un non événement que nous vous proposons de découvrir aujourd’hui.

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Puis qu’il n’y a autre querelle
d’Eustache DESCHAMPS

J’ay a ma dame demandé
S’elle veult que je me combate,
Si com Thomelin m’a mandé,
Pour s’amour, mais de chiere mate,
M’a dit ne veult que je m’enbate
Pour elle a faire tel mestier,
Et qu’elle m’ara trop plus chier
Sain du corps, pour estre avec elle,
Que je moy mettre en ce dangier,
Puis qu’il n’y a autre querelle.

Et que pour bien recommendé
M’a, ne fault que nul s’en debate,
Ne rien n’en seroit amendé.
De mon fait gobelin s’esbate
Ailleurs, s’il veult, vende ou achate
Harnoiz pour un autre approchier,
Et qu’elle me deffent si chier
Que j’ay l’amoureuse estincelle,
De non la requeste octrier,
Puis qu’il n’y a autre querelle.

Et quant ainsi m’a commandé
Que je n’y mette main ne pate,
Et pour s’amour vient ce mandé,
Querir puet autre qui le bate.
Que le hault mal saint Leu l’abate,
Qui en montera sur destrier.
Quant a moy, plus parler n’en quier :
Heraulx, peliçon ne cotelle
N’aréz de moy pour ce adnoncier,
Puis qu’il n’y a autre querelle.

L’envoy

Prince, je ne suy pas bouchier
Pour cent cops de haiche emploier,
Autant de daque et d’alemelle,
D’espee et lance un grant somier,
Tel harnais ne vueil manier,
Puis qu’il n’y a autre querelle.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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L’influence de l’air et des vents dans la médecine médiévale de l’Ecole de Salerne.

medecine_medievale_ecole_salerne_science_savant_Regimen_SanitatisSujet : médecine, citations médiévales, école de Salerne, Europe médiévale, moyen-âge, ouvrage, manuscrit ancien. humilité
Période: moyen-âge central (XIe, XIIe siècles)
Titre:  l’Ecole de Salerne (traduction de 1880)
Auteur :  collectif d’auteurs anonymes
Traducteur : Charles Meaux Saint-Marc

« Hygiène: influences physiques.
Air.
Respire un Air serein, brillant de pureté, Dont nulle exhalaison ne ternit la clarté ; Fuis toute odeur infecte ou vapeur délétère Qui, montant des égouts, empeste l’atmosphère.

Vents.
De l’Aurore nous vient le Vulturne, l’Eurus, Et le Subsolanus;Zéphir, Favonius Soufflent à l’Occident; sur les plages lointaines S’élèvent, nous portant leurs brises africaines, Le Notus et l’Auster, et du Septentrion S’élancent le Caurus, Borée et l’Aquilon. »

Extrait, citation médecine médiévale: hygiène, influences physiques
“Flos medicinae vel regimen sanitatis salernitanum” ou “L’Ecole de Salerne” Traduction par Charles Meaux Saint-Marc (1880)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous poursuivons, ici, notre étude de la médecine de l’Ecole de Salerne en suivant le fil de ce long poème appelé le Flos medicinae et qui fut populaire aux XIe XIIe siècles et même jusqu’à bien des siècles plus tard.

Nous sommes toujours dans le chapitre qui concerne l’hygiène et, cette fois-ci, les médecins médiévaux de Salerne nous parlent d’Air et de Vent.  Chose qui peut nous paraître bien curieuse pour autant qu’elle soit devenue anecdotique dans les prescriptions de la médecine moderne, la qualité de l’air respiré était considérée, au moyen-âge, comme une condition véritable de santé. Bien sûr, nous le savons encore: « L’air pur, comme l’eau pure fait du bien » et il nous reste cette idée que l’air de la montagne ou l’air de la mer sont bons pour la respiration, mais cela s’arrête à peu près,aux problèmes des voies respiratoires. On sait aussi, bien sûr, et pour les mêmes raisons que tout air vaut mieux que celle de nos villes, tant elle y est de plus en plus viciée et polluée; ce n’est un mystère pour personne.

Au moyen-âge et en terme de médecine préventive, on prend l’affaire très au sérieux et il ne s’agit pas alors de pollution atmosphérique. Vapeurs méphitiques, mauvaises odeurs peuvent être considérées comme dangereuses pour la santé, et on n’hésite d’ailleurs pas à établir des relations directes entre mauvaises odeurs, émanations insalubres, air vicié et maladie.

Dans le même registre, on prête aussi aux vents une grande importance et de grandes influences sur la santé et cela vous frise_vent_deco2explique le deuxième paragraphe de l’extrait que nous publions aujourd’hui. C’est une idée sans doute plus incongrue dans le contexte de la médecine occidentale moderne que la précédente. Même si les médecins actuels n’ignorent sans doute pas que certains endroits ou climats sont bons pour le rétablissement ou la convalescence (on pense notamment aux villes thermales et à la qualité de leurs eaux), il n’existe pas véritablement, à ma connaissance, de carte répertoriant des lieux géographiques et climatiques propices à soigner précisément telle ou telle maladie ou faiblesse et encore moins en fonction des vents qui y soufflent ou des saisons.

Si vous comptez parmi les sceptiques de l’incidence direct du vent sur les états de santé, ne croyez pas cependant cette idée relève de « l’hérésie » médiévale. Les vents nommés dans l’extrait du jour sont connus et identifiés chez les anciens grecs, chez Horace et plus tard chez Pline. Et comme ils sont en relation avec les saisons qu’ils annoncent ou qu’ils accompagnent, chacun d’entre eux est aussi associé des qualités: froid, chaud, sec, humidité, fort, impétuosité, propice à calmer, etc,… On les considère donc comme créant des conditions favorables pour éradiquer certains problèmes de santé.

En l’occurrence, comme nous sommes ici, avec cette médecine versifiée du moyen-âge central, à Salerne, les vents qui s’y trouvent mentionnés sont ceux de la péninsule italienne. Pourtant, plus près de nous, en fouillant un peu ces aspects, on trouve dans le courant du XIXe siècle la tentative d’un médecin, le docteur Edouard frise_vent_deco2Carrière pour établir une carte géo-médicale de l’Italie dans un ouvrage intitulé : « Le climat de l’Italie sous le rapport hygiénique et médical ».  Voici ce qu’il nous dit à propos de la péninsule italienne dans son introduction. Nous sommes en 1849:

« Si l’Italie attire pour ses souvenirs d’histoire et ses œuvres d’art , elle attire aussi pour les qualités de l’air qu’on y respire. Si elle est la terre des artistes, des curieux et des rêveurs, elle est aussi celle des malades. Si les uns vont y demander des satisfactions ou des amusements pour l’esprit, d’autres, et ils sont en grand nombre, accourent pour essayer de ranimer, sous ce ciel brillant, un flambeau qui s’éteint, le flambeau de la vie. »
Dr Edouard Carrière –  Le climat de l’Italie sous le rapport hygiénique et médical

Compas des vents XVIIIe siècle, Matthaus Seutter: "Tabula Anemographica seu Pyxis Nautica",
Compas des vents XVIIIe siècle, Matthaus Seutter: « Tabula Anemographica seu Pyxis Nautica »,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour l’auteur, il ne fait aucun doute que l‘Italie était alors considérée comme une terre d’élection pour les malades et, dit-il encore, les « souffreteux ». Il n’est pas impossible que l’influence de l’Ecole de Salerne que l’on visitait déjà depuis tous les coins d’Europe à partir du XIe siècle y soit pour quelque chose, mais les lieux que l’on visite dans le courant du XIXe siècle débordent de loin cette seule ville. Au fil des siècles, il semble donc bien que c’est frise_vent_deco2l’ensemble de la péninsule qui a acquis cette réputation.

Voila là table des vents mentionnés dans l’ouvrage du Dr Carrière avec leur origine. Elle nous permet d’éclairer ceux mentionnés dans la citation de l’Ecole de Salerne qui nous occupe aujourd’hui:

Septentrion (ou Aparctias de l’antiquité): nord
Le Coecia : nord-est
Le Subsolanus ou l’Apeliotes: est
L’Eurus ou le Vulturne: sud-est
L’Auster ou le Notus : sud
L’Africus ou Libs; sud-ouest
Favonius ou Zéphir: ouest
Corus, Argestes; nord-ouest

Même s’il dédie un chapitre complet à l’influence des vents, à leur nature et à leur qualité, l’auteur ne s’arrête pas là et les déborde largement, s’intéressant encore à l’atmosphère, aux eaux, aux forêts, à la géologie, la topographie et même aux météores. Si l’on en juge par la grand place faite à cet ouvrage original dans les Annales d’Hygiène publique et de médecine légale parues autour des mêmes années,  le travail du Docteur Carrière n’a alors rien de fantaisiste, ni de marginal. Et l’on se surprendra peut-être de voir à quel point la relation établie entre climat, vent et lieu peut être précise, une fois traduite en frise_vent_deco2prescription.  En voici un extrait tiré de ces annales qui reprennent donc les travaux de E. Carrière:

« A l’instar de Massa, de Sorrente, Castellamare est parcourue par les vents septentrionaux, qui sont seulement un peu moins tièdes et un peu plus secs, aussi a-t-on remarqué que le séjour d’été des hauteurs de Castellamare est favorable aux engorgements du foie, de la matrice, sans dégénérescence des tissus, aux épuisements nerveux dus à la fatigue des plaisirs, du travail intellectuel, des affaires. (…) Ces indications se rapportent à la saison d’été, pour éviter un trop long déplacement, les malades pourraient aller passer l’hiver à Salerne. »
Annales d’Hygiène publique et de médecine légale Vol 43 (1850)

Pour être très honnête, hormis peut-être des lieux de cure répertoriés, je ne sais pas à quel point, la médecine moderne prend encore ce genre de faits vraiment en considération, et surtout de manière aussi précise, pas d’avantage que je ne peux avancer si l’Italie est toujours perçue, de nos jours encore, comme une terre de rémission privilégiée comme elle l’était encore dans le courant du XIXe: « Allez pour votre foie, vous irez me passer trois jours à Rimini et pour votre problème de Stress, vous ferez suivre avec une semaine à Rome » Chouette!

Pour revenir à des choses plus sérieuses et à la vue de ces éléments, il nous faut sans doute encore avancer dans le temps l’influence des principes de l’école de Salerne dans la médecine occidentale au moins jusqu’au XIXe siècle.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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