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Tels rit au main qui au soir pleure, une complainte médiévale de Guillaume de Machaut

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique médiévale, musique ancienne, chanson, complainte,  amour courtois. fortune.
Titre : Tels rit au main qui au soir pleure
Œuvre : le remède de Fortune.
Auteur Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période : XIVe siècle, Moyen Âge tardif
Interprète : Ensemble Project Ars Nova
Album : Machaut : remède de Fortune (1994)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous retournons aujourd’hui au Moyen Âge tardif et à l’Ars Nova avec une complainte du grand maître de musique du XIVe siècle, Guillaume de Machaut.

La pièce «  Tels rit au main qui au soir pleure » est  tirée du Remède de fortune du Manuscrit ancien FR 1586, pièce d’amour courtois dans laquelle le compositeur nous conte la quête et les revers d’un poète pour conquérir la cœur de sa dame. Dans le cas du chant présent, il emprunte l’image de la roue de la fortune (la médiévale, bien sûr, pas la télévisuelle) pour décrire ses déboires amoureux. Amertume d’un sort qui frappe de manière inéluctable, sans qu’on sache comment, ni qu’on s’y attende vraiment, la roue tourne comme dans le chant « O fortuna » écrit un peu plus d’un siècle avant cette complainte de Guillaume Machaut et qui sert d’introduction à la Carmina Burana de Carl Orff,

Nous sommes pourtant bien dans la même conception de ce sort, cette « fortune » changeante, qui abaisse ou élève dans un mouvement sans fin et contre lequel l’homme ne peut rien, qu’il soit empereur, pape,  roi ou simple poète et amoureux transi :

O fortuna, extrait des chants de Benediktbeuern (Carmina Burana) 

 Sors immanis
et inanis,
rota tu volubilis,
statu malus,
vana salus,
semper dissolubilis
obumbrata
et velata
michi quoque niteris;
nunc per ludum
dorsum nudum
fero tui sceleris.
 Sort monstrueux
Et informe,
Toi la roue changeante,
Une mauvaise situation,
Une prospérité illusoire,
Fane toujours,
Dissimulée
Et voilée
Tu t’en prends aussi à moi
Maintenant par jeu,
Et j’offre mon dos nu
A tes intentions scélérates.

Tels rit au main qui au soir pleure par l’ensemble Project Ars Nova

L’ensemble Project Ars Nova : la passion des musiques médiévales des XIVe, XVe siècles

Fondé aux début des années 80, au sein même de l’école suisse Schola Cantorum Basiliensis  pour la recherche et pour les musiques anciennes dont nous avons déjà dit un mot ici (voir article sur l’Ensemble Syntagma), l’Ensemble Project Ars Nova ou plus laconiquement l’Ensemble PAN  réunissait  principalement de jeunes passionnés de musiques médiévales originaires des Etats-Unis.

Composé au départ de trois artistes,  Laurie Monahan (chant mezzo-soprano), Michael Collver (chant, vièle à roue, cornet) et Crawford Young (luth), il fut bientôt rejoint par deux artistes supplémentaires: Shira Kammen  (vièle, instruments à cordes et ensemble_pan_project_ars_nova_musique_poesie_medievale_guillaume_machaut_moyen-age_XIVe_sieclearchet, ) et John Fleagle (chant ténor et harpe médiévale).

De 1985 à 1991, l’ensemble produisit  huit albums autour de sa période musicale de prédilection et du répertoire médiéval de  l’Ars Nova.  Il fut actif jusqu’un peu avant les années 2000, date à laquelle on perd sa trace. A ce qu’il semble, ils ne se produisent donc plus en scène ou en studio et s’ils le font peut-être à quelques rares occasions, il n’existe, en tout cas, pour l’instant, aucun site web ou page facebook officielle pour le relayer.

Itinéraires artistiques

Du côté des itinéraires respectifs des cinq membres de l’ensemble, Laurie Monahan a co-fondé avec deux autres artistes, en 1995 et à Boston l’ensemble vocal Tapestry. Ce dernier, largement salué depuis par la critique, propose un répertoire qui mêle musiques médiévales et compositions traditionnelles avec des pièces plus contemporaines. Crawford Young, désormais reconnu comme un grand expert du Luth de la période du XVe siècle et devenu par ailleurs, dans le cours de années 80, enseignant à la  Schola Cantorum Basiliensis, a une part active dans un autre ensemble médiéval qu’il a crée en Suisse et dirige depuis 84 : L‘Ensemble Ferrara, 

Michael_Collver_musique_poesie_medievale_complainte_guillaume_machaut_remede_fortune_moyen-ageQuant à Michael Collver  qui prête sa voix  de contre-ténor à la pièce du jour, après des contributions variées dans de nombreux ensembles, dont le Boston camerata, et des albums qu’il a pu diriger dans le courant des années 2010, il est également toujours présent, à la fois sur le terrain vocal et instrumental. On le retrouve notamment, encore tout récemment dans la formation Blue Heron, de Boston.

L’artiste John Fleagle,  décédé en 1999, a laissé derrière lui un album salué par la critique et ayant pour titre World’s Bliss : Medieval Songs of Love and Death, réalisé en collaboration avec Shira Kammen. Quant à cette dernière, elle a participé, depuis son histoire commune avec le Project Ars Nova, à près de vingt albums et joué avec de nombreux ensembles de musique ancienne. Du point de vue de son actualité, on peut la retrouver aux côtés du newberry consort pour des concerts autour de la tradition séfardie.

Comme on le voit, à la triste exception de John Fleagle et pour des raisons de fait, plus que de cœur, la passion pour les musiques anciennes et médiévales n’a pas déserté les artistes de l’ensemble PAN et chacun continue de la faire vivre à sa manière, à travers son travail.

Remède de Fortune, l’album

Pour revenir à la pièce du jour, elle est tirée d’un album sorti en 94 et dédié entièrement au Remède de Fortune de Guillaume de Machaut. C’est une version épurée musicalement, et il faut avouer que l’interprétation vocale de Michael Collver, associé au son de la musique_medievale_ensemble_PAN_project_ars_nova_guillaume_de_machaut_remede_de_fortune_moyen-age_XIVevièle à roue est totalement  envoûtant.

Cet album est encore disponible à la vente en ligne en format CD ou en format MP3 dématérialisé, au lien suivant : Le Remède De Fortune par l’Ensemble Project Ars Nova.

Tels rit au main qui au soir pleure,
la complainte de Guillaume de Machaut

Tels rit au main qui au soir pleure
Et tels cuide qu’Amours labeure
Pour son bien, qu’elle li court seure
Et ma l’atourne;
Et tels cuide que joie aqueure
Pour li aidier, qu’elle demeure.
Car Fortune tout ce deveure,
Quant elle tourne,
Qui n’atent mie qu’il adjourne
Pour tourner; qu’elle ne sejourne,
Eins tourne, retourne et bestourne,
Tant qu’au desseur
Mest celui qui gist mas en l’ourne;
Le sormonté au bas retourne,
Et le plus joieus mat et mourne
Fait en po d’eure.

Car elle n’est ferme n’estable,
Juste, loyal, ne veritable;
Quant on la cuide charitable,
Elle est avere,
Dure, diverse, espouentable,
Traitre, poignant, decevable;
Et quant on la cuide amiable,
Lors est amere.
Car ja soit ce qu’amie appere,
Douce com miel, vraie com mere,
La pointure d’une vipere
Qu’est incurable
En riens a li ne se compere,
Car elle traïroit son pere
Et mettroit d’onneur en misere
Deraisonnable.

Fortune est par dessus les drois;
Ses estatus fait et ses lois
Seur empereurs, papes et rois,
Que nuls debat
N’i porroit mettre de ces trois
Tant fus fiers, orguilleus ou rois,
Car Fortune tous leurs desrois Freint et abat.
Bien est voirs qu’elle se debat
Pour eaus avancier, et combat,
Et leur preste honneur et estat
Ne sai quens mois.
Mais partout ou elle s’embat,
De ses gieus telement s’esbat
Qu’en veinquant dit: « Eschac et mat »
De fiere vois.

Einsi m’a fait, ce m’est avis,
Fortune que ci vous devis.
Car je soloie estre assevis
De toute joie,
Or m’a d’un seul tour si bas mis
Qu’en grief plour est mué mon ris,
Et que tous li biens est remis
Qu’avoir soloie.
Car la bele ou mes cuers s’ottroie,
Que tant aim que plus ne porroie,
Maintenant vëoir n’oseroie
En mi le vis.
Et se desir tant que la voie
Que mes dolens cuers s’en desvoie,
Pour ce ne say que faire doie,
Tant sui despris.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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La Destrousse de Michault Taillevent ou les aventures infortunées d’un poète médiéval

poesie_medievale_michault_le_caron_taillevent_la_destrousse_XVe_siecleSujet : poésie, littérature médiévale, auteur, poète médiéval, bourgogne, poète bourguignon, bourgogne médiévale, poésie réaliste.
Période : moyen-âge tardif, XVe
Auteur : Michault (ou Michaut) Le Caron, dit Taillevent ( 1390/1395 – 1448/1458)
Titre : La destrousse

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour faire suite au portrait du poète, valet de chambre et joueur de farces  Michault Le Caron dit Taillevent, nous publions ici la première poésie qui nous est connue de lui. Il l’a vraisemblablement écrite autour de 1430, peut-être même quelques années avant. A en juger par l’introduction, Il y conte ses déboires devant la cour de  Bourgogne. Après une nuit agitée à la belle étoile, sur des routes rien moins que sûres, le poète finira, en effet, détrousser de ses biens et même rossé et il demande ici audience à « l’excellent » duc  Philippe le bon afin d’en obtenir quelques réparations.

manuscrit_ancien_stockholm_poesie_medievale_michault_taillevent_la_destrousse_XVe_moyen-age_tardifAu milieu de ce récit tremblant, sans doute de nature à décourager les plus vaillants de contemporains du poète médiéval de passer la nuit, seuls, sous le ciel étoilé, on notera  tout de même la nature morale des réflexions du poète dans l’obscurité. Se voit-il déjà au seuil de la mort ? Il ne peut en tout cas s’empêcher de nous faire partager quelques jolis vers sur la vacuité des possessions et des biens « mondains », vains attachements que les suites de l’histoire, en forme de parabole, finiront par lui confirmer puisqu’il tardera un peu trop à se dé-saisir de ses possessions au goût des brigands, et prendra même  un coup sur le « groin ».

« Et aprez fondoit argumens
En soy des biens qui sont mondain
Et puis en rendoit jugemens
Disant qu’ilz ne sont pas certain
Et qu’on se traveilloit en vain
En ce monde de les acquerre
Car s’on gaigne huy on pert demain,
Pour tan est fol qui les enserre. »

Belle profondeur de jugement à la faveur des circonstances. Cela dit,  l’aventure de notre poète est donc bien triste, mais joliment contée, en vers, comme il plait à la cour, et dans un beau français du moyen-âge tardif, auquel Eustache Deschamps (1346-1406) nous a déjà habitué ici et qui nous est déjà bien plus compréhensible que celui des siècles antérieurs. En tout et pour tout, dans cette poésie, un seul paragraphe pose vraiment difficulté et quelques mots ici ou là, mais nous vous fournirons quelques clés de lectures pour  y surseoir.

La Destrousse, Michault Taillevent

A mon tresredoubté seigneur,
Le duc de Bourgongne excellent,
Et a tous chevaliers d’honneur
Et escuiers pareillement
Supplie Michault humblement
Qu’il ait ung petit d’audience :
Si racontera son tourment
Qu’il eut ou boys Sainte Maxence,

Comme nagaires sur le plain
Se mist au dehors de Paris
Et vint avec d’autres tout plain
Jusques a Louvre en Parisis
Ou grant chemin outre Senlis
Pource qu’a Pons logier cuidoit,
Mais par droit usage tousdis
Il avient ce qu’avenir doit.

Et pour ceste cause il avint,
Quand il fut du boys a l’entrée
Que jour faillit et la nuit vint,
Dont la convint, celle vespree
Couchier à la dure terree
Et son corps a Dieu commander
Mais s’il faisoit chiere effraee
Pas ne le convient demander.

Donc quant il vist que c’estoit forche
Et que la nuit venoit a fait
Et n’avoit ne chambre ne porche
Et qu’il falloit qu’il fust de fait
Comme homme de joye deffait
Par tristesse et par desplaisir
Il avisa son lit tout fait
En ung buisson pour soy gésir.

Ainsi comme povre esgaré
Estrené de dures estraines,
Regarda lors son lit paré
Duquel estoient les courtines
Toutes de chardons et d’espines
Et la couche de terre dure,
Le chevet de grosses racines
Et de ronces la couverture.

Et puis ou buisson se bouta
Et mist a son cheval la bride
Sur le col et l’abandonna
Tout tremblant de peur et de hide* (effroi)
Qu’on ne fist de lui homecide ;
Aprez s’assit en requerant
Nostre Dame et Dieu en aide
Qui lui fust espee et garant.

Et com cil qui tousjours a peur
En tel estat qu’on ne le tue
Et qui n’est onques bien asseur
Puis qu’il ot rien qui se remue
Se soubzlevoit a col de grue
Tout bellement sur ses genoulx
Et avoit l’oreille tendue
A tout lez* (de tous côtés) pour le peur des loupz.

Puis escoutoit se point sonner
Orroit a ses villes voisines
Ou s’il orroit le coq chanter
Environ l’eure des matines ;
Mais il n’oyoit coq ne gelines
Ne chien abaier la entour,
Neant plus, dont c’estoit mauvaiz sines,
Que s’il fust mussié* (caché, enfermé) en ung four.

Et aprez fondoit argumens
En soy des biens qui sont mondain
Et puis en rendoit jugemens
Disant qu’ilz ne sont pas certain
Et qu’on se traveilloit en vain
En ce monde de les acquerre
Car s’on gaigne huy on pert demain,
Pour tan est fol qui les enserre.

Se je pers, si dist il aprez,
On dira : « S’il eust bien gardé,
Espoir… Que faisoit il si prez ? »
Ou on pourra d’autre costé
Dire : « C’est cy cas de pitié
Et de fortune tout ensemble. »
S’en doit estre, pour verité,
Plus pardonnable ce me semble.

Ainsi eust la mainte pensee
Et mainte chose retourna
Tant que la nuit se fut passee
Et que ce vint qu’il adjourna,
Puis a son chemin retourna
Cuidans avoir tous griefz passez
Mais depuis gaires loingz n’ala
Qu’il fut de tous poins destroussez.

Car a l’issir* (sortie) de son buisson
S’acompaigna de charios
Et d’autres gens assez foison :
Marchans et chartiers grans et gros.
Mais quant vint a l’issir du bos
Et d’une place grande et belle,
Ilz furent aussi bien enclos
Que perdrix a une tonnelle.

Et la, a hacques et a maques, (haches et massues)
Vindrent gens atout grans paffus*, ( grandes épées)
Armez de fer et de viez jaques* (habillement court et serré),
Cum gladiis et fustibus, (avec glaives et bâtons)
(Se sembloit liloy tarrabus
Frere a tarrabin tarrabas, ) (1)
Abrigadez* (regroupés)  et fervestus
Pour combattre a blis et a blas. (à tord et à travers)

Et la tolli on et dona (Et là on ôta et on prit)
A Michault, je vous certifie ;
Tolli, comment ? On lui osta
Quanqu’il avoit pour ceste fie* ; (tout ce qu’il avait cette fois)
Donna, et quoi ? Une brongnie* (un coup)
Si grande que d’un cop de poing
Sur la machoire, lez l’oye,
On lui rompi prez tout le groing.

Et la cause pourquoy du rost* (de rosser)
Ot Michault lors, ne fut si non
Pour l’amour qu’il ne bailloit tost
Ses besongnes en habandon,
Combien qu’il leur baillast sans don
Chaperon, espee, bourse et gans ;
Et pui aprez, de grand randon* (confusion, violence),
Saillirent ou bos les brigans.

Or vous a compté s’aventure
Michault et son peril mortel,
Et comment cette nuit obscure
Il fist le guet a son cretel*  (créneau)
Et puis perdit tout son chatel.
Priez a l’umble Vierge franche
Et a son filz espirituel
Qu’il lui doint bonne recouvranche.

Hault Prince, je vous ay conté
Comment j’ay esté a destroit*, (embarras, détresse)
Mais se dy vous ay verité,
Si scay je assez bien que bon droit
A bien mestier en maint endroit
D’ayde par especial :
Siques aidiez moy, pour Dieu soit
Tant que je ressoye a cheval (2).

1. Jeux de mots sur Tarrabus de Lille ou Tarrabus le chef de guerre et  Tarrabin Tarrabas, onomatopée utilisée alors pour désigner le bruits des coups qui pleuvent.

2. Afin que  je puisse à nouveau aller à cheval, chevaucher. Comme le fait remarquer Pierre Champion dans son histoire poétique du XVe siècle, c’est peut-être à cette occasion que Michault reçut une prime dont on trouve la trace dans les archives, pour se procurer un cheval, même si l’histoire ne mentionne pas explicitement que le poète fut dessaisi de sa monture, à cette triste occasion.

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S_lettrine_moyen_age_passionans doute est-il encore un peu tôt pour que les malandrins ayant assailli le pauvre Michault Taillevent soient issus de la bande très organisée des coquillards que connaîtra bien François Villon, puisque ces derniers ne seront mentionnés que plus tardivement, en 1455, dans les minutes du procès de Dijon. Quelques années après que Michault le Caron eut écrit ces lignes, pourtant, avec les trêves de la guerre de cent ans et le traité d’Arras, le XVe connaîtra à nouveau une forte résurgence des grandes compagnies dont Eustache Deschamps nous parlait déjà. et la figure du brigand de grand chemin n’aura pas fini de hanter ce siècle. De fait, dans le contexte et avec cette agression, le poète médiéval pourrait presque faire figure de triste précurseur. Nous mesurons bien, en tout cas ici,  la violence et la sauvagerie de l’assaut, autant que, avant cela, l’émotion suscitée par l’arrivée impromptue de la nuit sur la voyageur médiéval solitaire et pour cause…

Son témoignage reste en tout cas précieux à plus d’un titre, autant qu’il nous permet d’apprécier la belle qualité de sa poésie. En nos temps orthographiques assassins où l’on semble aussi déprécier si fort l’art de rimer, cette jolie poésie reste tout de même plus gracieuse qu’un « j’m’est fait braquer mon zonblou« . Enfin, vous en jugerez.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
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Guillaume Dufay, rondeau sur les revers de fortune par l’ensemble Obsidienne

musique_medievale_ancienne_guillaume_dufay_XV_moyen-age_tardifSujet : musique et chanson médiévales, manuscrit de Bayeux, Canonici 213, école franco-flamande, motet, rondeau, chants polyphoniques.
Auteur: Guillaume Dufay (1397-1474)
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Interprète : ensemble Obsidienne.
Album :  le jardin des délices (2004)

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoici, pour aujourd’hui, une nouvelle pièce du maître de musique du moyen-âge tardif (d’aucuns diront des débuts de la renaissance), Guillaume Dufay, Elle est interprétée par l’Ensemble Obsidienne, sous la direction d’Emmanuel Bonnardot. 

Le Jardin des Délices, Obsidienne et le Manuscrit de Bayeux

Sorti en 2004, l’album le Jardin des Délices qui empruntait son titre au célèbre tableau du peintre néerlandais Jérôme Bosch, était dédié à des pièces tirées du manuscrit de Bayeux (lui-même daté des débuts du XVIe), ainsi qu’à des chansons et musiques de Guillaume Dufay et du compositeur franco-flamand Josqui Desprez. L’ensemble Obsidienne nous proposait donc ici de revisiter et de mettre à l’honneur le XVe siècle et on trouve dans ce Jardin des Délices un beau florilège de vingt-deux pièces, en provenance de cette période charnière entre le moyen-âge tardif et les débuts de la renaissance. Pour en faire le détail, cinq pièces sont de Guillaume Dufay, quatre de  Josquin Desprez, le reste sont des compositions, anonymes pour la plupart, issues du Manuscrit de Bayeux.

troubadours_modernes_musique_medievale_renaissanceEn 2016, l’album a fait l’objet d’une réédition, au sein d’un double album ayant pour titre « Chansons de la Renaissance » et comprenant également le CD  l’Amour de Moy  proposant des pièces de la même période, dont un grand nombre  encore issue du manuscrit ancien susnommé.

A propos de ce précieux héritage de la musique et des chansons normandes du XVe siècle qu’est le Manuscrit de Bayeux, (ou le MS Fr 9346) nous lui avions dédié un exposé détaillé dans un article précédent, aussi nous vous y renvoyons si vous souhaitez plus de détails : les richesses du manuscrit de Bayeux. Vous pouvez également le consulter directement en ligne sur le site de la BnF.

Concernant les œuvres de Guillaume Dufay et notamment la pièce que nous vous proposons aujourd’hui, on peut la trouver dans le manuscrit Canon. misc. 213 ou le Canonici 213 de la Bodleian Library d’Oxford dont nous avons également déjà parlé ici.

Par droit je puis bien complaindre et gemir, Les paroles du chant de Guillaume Dufay

C’est un  poète et compositeur bien désespéré que nous présente cette pièce du jour et ce rondeau puisque nous  le retrouvons, en effet, face à quelque revers de fortune et de fâcheuses inimitiés dont il se plaint ouvertement.

Par droit je puis bien complaindre et gemir,
Qui sui esent* de liesse et de joye. (*exempt)
Un seul confort ou prendre ne scayroye*,(*saurais)
Ne scay comment me puisse maintenir.

Raison me nuist et me veut relenquir* (abandonner),
Espoir me fault, en quel lieu que je soye:
Par droit je puis bien complaindre et gemir,
Qui sui esent de liesse et de joye.

Dechassiés* suy, ne me scay ou tenir, (pourchassé)
Par Fortune*, qui si fort me gueroye; (le sort) 
Anemis sont ceus qu’amis je cuidoye*, (croyais)
Et ce porter me convient et souffrir.

Par droit je puis bien complaindre et gemir,
Qui sui esent de liesse et de joye.
Un seul confort ou prendre ne scayroye,
Ne scay comment me puisse maintenir.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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De Martial à Marot : une vie heureuse, épigramme à soi-même

portrait_clement_marot_poesie_medievaleSujet :  poésie, littérature renaissante, poète, épigramme, poésies courtes, antiquité
Période : début renaissance, XVIe siècle
Auteur :  Clément MAROT (1496-1544) Martial (41-104) Titre : « A soi-même »
Ouvrage : Oeuvre de Clément Marot, Valet de chambre du Roy (T2), 1781

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partageons, aujourd’hui, une nouvelle épigramme de Clément Marot faite en « imitation » du poète latin Martial du premier siècle de notre ère. Cette fois-ci, le texte nous parle des conditions à accomplir pour avoir une « vie heureuse ». De l’antiquité de Martial à l’aube renaissante de Marot, ces dernières n’ont, semble-t-il pas tellement variées puisque le poète normand de Cahors juge bon de les reprendre à son compte.

Au passage, on verra d’ailleurs que, dans les critères, un bel héritage est considéré comme largement préférable à une fortune acquise avec peine, soit par le travail. Rêve de tout un chacun ou réalité de classes ? Sans doute plus cette dernière idée. En dehors peut-être de la noblesse, même petite dont les deux hommes sont issus, cette condition est, il faut l’espérer, loin d’être sine qua non pour atteindre la félicité sans quoi nombre de leurs contemporains seraient restés à sa porte.

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« Marot voicy si tu veux le savoir
Qui fait à l’homme heureuse vie avoir;
Successions, non biens acquis à peine,
Feu en tout temps, maison plaisante et saine,
Jamais proces, les membres bien dispos,
Et au dedans un esprit à repos;
Contraire à nul, n’avoit aucuns contraires
Peu se mesler des publiques affaires,
Sage simplesse*, amis à soy pareilz,
Table ordinaire, & sans grans appareilz;
Facilement avec toutes gens vivre,
Nuict sans nul soing, n’estre pas pourtant yvre,
Femme joyeuse, & chaste néantmoins,
Dormir qui fait que la nuict dure moins,
Plus hault qu’on n’est ne vouloir point attaindre,
Ne desirer la mort, ny ne la craindre.
Voila Marot, si tu le veux savoir,
Qui fait à l’homme heureuse vie avoir. »
Clément Marot – Epigramme – A soi-même

* Simplesse, simplece : simplicité, franchise, loyauté

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Comme la fois précédente, nous vous livrons ici la version originale latine de Marcus Valerius Martialis ainsi que sa traduction par  Edouard-Thomas Simon, (tirée de son ouvrage Epigrammes de M. Val. Martial, T2,1819). Vous pourrez ainsi apprécier et mesurer l’art de l’imitation des auteurs antiques et classiques que la renaissance établit pratiquement comme un standard de l’exercice littéraire.

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« Ad se ipsum » de Martial

« Vitam quae faciunt beatiorem ;
Jucundissime Martialis, haec sunt :
Res non parta labore , sed relicta ;
Non ingratus ager ; focus perennis ;
Lis nunquàm ; toga rara ; mens quieta ; .
Vires ingenuae ; salubre corpus ;
Prudens simplicitas ; pares amici ;
Convictus facilis ; sine arte mensa ;
Nox non ebria , sed soluta curis ;
Nontristis torus, attamen pudicus;
Somnus qui faciat breves tenebras ;
Quod sis , esse velis , nihilque malis :
Summum nec metuas diem, nec opes. »

« A lui-même »
traduction par  Edouard-Thomas Simon

Voila , mon tendre ami Martial,
Ce qui rend la vie heureuse :
Une fortune acquise sans peine et par héritage ,
Des champs d’un rapport sûr, une maison pérenne
Point de procès, très-peu de représentation, la tranquillité de l’esprit
De la vigueur naturelle,  un corps sain , 

Prudence et franchise , des amis qui soient nos égaux ,
Une conversation aisée , une table sans trop d’apprêts ,
Une nuit sans ivresse et libre d’inquiétudes ,
Un lit où le plaisir ait des attraits , mais que la pudeur embellisse ;
Un sommeil capable d’abréger les ténèbres ;
Vouloir n’être rien de plus que ce que l’on est , Ne porter envie à personne ,
Attendre le dernier instant sans le craindre ni le désirer.

.En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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