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Le rondeau joyeux d’un amant amoureux par Adam de la Halle

Sujet : musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvère d’Arras,  chant polyphonique, rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur :  Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Bonne amourete me tient gai
Interprète : Ensemble Sequentia
Album: 
Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil (1987)

Bonjour à tous,

ous repartons, aujourd’hui, au XIIIe siècle et dans le nord de France, pour y découvrir un nouveau rondeau courtois d’Adam de la Halle. Ce célèbre trouvère qu’on trouve aussi référencé dans les manuscrits comme le bossu d’Arras, est considéré comme un des derniers trouvères. Il préfigure, en effet, par son œuvre à la fois monodique et polyphonique, les premiers compositeurs du Moyen Âge central et nous a laissé des pièces variées qui sont encore jouées, de nos jours, par les meilleurs ensembles médiévaux.

Un rondeau courtois plein de légèreté

La chanson du jour est un nouveau rondeau polyphonique courtois. On y trouvera le poète tout en joie d’être en amour et d’avoir trouvé une compagne. La pièce est courte, rondeau oblige, et bien qu’elle soit dans la vieille langue d’Oïl d’Adam de la Halle quelquefois un peu ardue, sa compréhension ne pose guère de difficultés.

La chanson Bonne Amourette d'Adam de la Halle dans le Chansonnier médiéval W ou MS Français 25566.

Pour ce qui est des sources manuscrites, nous avons choisi de vous présenter ce rondeau courtois tel qu’on le trouve dans le manuscrit médiéval Français 25566 de la BnF, connu également sous le nom de chansonnier français W. Sur plus de 280 feuillets, cet ouvrage originaire d’Arras et daté du XIVe siècle contient un grand nombre de pièces, entre chansons notées et pièces littéraires d’auteurs divers. Vous pouvez le consulter, à tout moment, sur le site Gallica.fr.

Les grands trouvères des XIIIe et XIVe siècles
par l’ensemble Sequentia

Bonne Amourette d’Adam de la Halle, par l’ensemble Sequentia

Une fois de plus, nous avons choisi, pour l’interprétation musicale de ce rondeau, l’incontournable double-album « Trouvères, Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich (Trouvères : chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil) de l’Ensemble médiéval Sequentia, sous la houlette de Benjamin Bagby et de Barbara Thornton.

Le double-album Trouvères de l'ensemble médiéval Sequentia.

Enregistré en 1982 et sorti au format CD en 1987, ce double opus et ses 43 pièces continuent de faire référence en matière de musique médiévale des XIIIe et XIVe siècles. Comme nous lui avions déjà dédié un long article, nous vous invitons à vous y reporter pour en savoir plus sur cette anthologie musicale.

Bien qu’il ait été réédité chez Sony en 2009, ce double-album peut s’avérer un peu difficile à trouver. Pour le débusquer, quelques recherches seront donc à prévoir chez votre disquaire préféré. En ligne, il est disponible sur un certain nombre de plateformes, au format MP3. Voici un lien utile pour plus d’informations.

Musiciens & artistes ayant participé à cet album

Barbara Thornton (voix, chifonie), Benjamin Bagby (voix, harpe, organetto), Margriet Tindemans (violon, psaltérion), Jill Feldman (voix), Guillemette Laurens (voix), Candace Smith (voix), Josep Benet (voix), Wendy Gillespie (violon, luth).

Les partitions anciennes et modernes de la chanson médiévale "Bonne amourette" du trouvère Adam de la Halle.

Bonne amourete me tient gai
dans le vieux français d’Adam de la Halle

Bonne amourete
Me tient gai ;
Ma compaignete
* ;
Bonne amourete,
Ma cançonnete
Vous dirai.
Bonne amourete
Me tient gai.

*compaignete : petite compagne


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Manuscrits rares et basse-danse au KBR Muséum de Bruxelles

événements autour du Moyen Âge au KBR Museum.

Sujet : musique, basse danse, Bourgogne médiévale, manuscrit ancien, manuscrits médiévaux, exposition, ateliers, ducs de Bourgogne, musée, enlumineurs médiévaux
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle & renaissance
Lieu : KBR Museum,  Mont des Arts 28, Bruxelles.
Dates : samedi 3 et dimanche 4 décembre 2022

Bonjour à tous,

vec l’arrivée de l’hiver, le KBR Museum de Bruxelles se drape de ses plus belles couleurs médiévales pour proposer à ses visiteurs de nouvelles expositions et de nouveaux ateliers.

Ainsi, à partir du 22 novembre, le musée exposera une nouvelle sélection de manuscrits et œuvres du temps de la Bourgogne médiévale. Le KBR a, en effet, hérité de la riche librairie des Ducs de Bourgogne, une collection d’ouvrages conservée précieusement sur place et que le public peut découvrir à l’occasion d’exposition variées.

Nouveaux manuscrits à découvrir
& basses danses de Marguerite d’Autriche

Temps fort de cette nouvelle exposition de pièces et manuscrits de la fin du Moyen Âge et des débuts de la renaissance, le week-end des 3 et 4 décembre verra exposer un manuscrit particulièrement précieux, demeuré sous clef depuis de longues décennies. Il s’agit du manuscrit original des basses danses de Marguerite d’Autriche, référencé KBR ms 9085. Véritable symbole de luxe et de prestige en son temps, cet ouvrage ancien d’une grande rareté est réalisé sur parchemin noir, pour une écriture et des notations musicales faites à l’encre doré et argenté.

feuillet du manuscrit ms9085, basses danses & musique médiévale du XVe siècle

Pour prendre toute la mesure de sa nature exceptionnelle, à ce jour, on compte seulement 7 manuscrits anciens dans le monde réalisés avec une technique similaire et sur un tel parchemin. C’est d’ailleurs ce qui explique que cet ouvrage ne voit pratiquement jamais la lumière. En plus d’être précieux et prestigieux, le ms 9085 est, en effet, extrêmement fragile et s’est montré, jusque là, rétif à toute tentative de restauration.

Le contenu du très rare ms 9085

Du point de vue de son contenu, ce manuscrit propose, sur 47 feuillets, 58 basses danses annotées musicalement et chorégraphiquement. Nous lui avions d’ailleurs consacré un article accompagné d’une basse danse en musique, ici. Daté des tout débuts du XVIe siècle, le ms 9085 compte aussi parmi les plus anciens témoins écrits des basses danses, danses de cour tout en maintien qui resteront prisées de la classe nobiliaire, jusqu’à la fin du siècle suivant.

Resté au coffre du musée depuis plus de trente ans, ce véritable trésor plusieurs fois centenaire fera donc une sortie exceptionnelle, le temps d’un week-end, avant de regagner, en toute discrétion, son lieu protégé, loin des regards du public.

Visite guidée et ateliers sur les secrets
de fabrication des manuscrits médiévaux

Basse-danse enluminure médiévale du Ms 5073 de la BnF
« Regnault de Montauban », T2, ms 5073 réserve, Arsenal, basse-danse, BnF.

Au KBR Museum, ce même week-end de décembre sera, bien sûr, l’occasion de parler de musique médiévale et notamment de basses danses. A ce titre, nous ne pouvons que vous conseiller de profiter de l’occasion pour une visite guidée (le 4 décembre de 11h00 à 12h30), en compagnie des guides du musée. Ils se proposeront de vous faire découvrir tous les secrets de fabrication des manuscrits médiévaux et de vous initier au sens caché et aux symboles que recèle l’art des enluminures au Moyen-Âge. En leur compagnie, vous pourrez également découvrir les nouveaux manuscrits de la Librairie des Ducs de Bourgogne exposés cette saison, donc celui mentionné ci-dessus.

Durant ce même week-end, l’exposition sera encore complétée par deux ateliers de découverte et mise en pratique de la calligraphie ancienne et de l’usage des pigments naturels dans l’enluminure médiévale : les samedi 3 & dimanche 4 décembre, de 14h00 à 17h00 heures.

Voir les détails et informations sur le site officiel du KBR Museum.


En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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Vengut lo jorn de Originem, collectif de rock médiéval pur jus

Sujet : musique, rock médiéval, inspiration médiévale, occitan, musique rock, Occitanie, occitan, modernité, jacquerie, révolte, ingénierie sociale.
Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle, époque actuelle.
Titre : Vengut lo jorn (le jour venu)
Interprète : Originem

Bonjour à tous,

oin de l’ethnomusicologie et des manuscrits anciens, nous vous avons souvent parlé, ici, de formations musicales modernes qui puisaient leur inspiration dans le Moyen Âge, en s’affranchissant des sources originales à des degrés divers : néo pop médiéval, folk médiéval, néo folk, métal symphonique médiéval, …

On pourrait encore citer, dans la famille des styles plus « easy listening », les musiques médiéval-fantasy, souvent plus inspirées du folklore celtique irlandais que du monde médiéval, qu’on trouve au kilomètre sur youtube, ou encore ce genre à rebours assez drôle mais totalement vidé de substance que les mois de confinement ont vu naître en 2020 : le « bardcore ». Un style qui reprend des titres Pop plus ou moins récents (Bioncé, Eminem, etc…) pour les réinterpréter à la sauce « médiévalisante », à grands renforts de MAO et de rythmes électroniques.

Aujourd’hui, nous nous tiendrons loin de tout cela. Et si le Moyen Âge continue d’éveiller diversement les muses des compositeurs modernes, nous oublierons, pour un temps, les revisites gentillettes des musiques médiévales à la façon world music électronique. Aussi, âmes sensibles s’abstenir ! préparez-vous à une plongée dans le rock, le vrai, celui des racines et de la révolte qui couve. Bienvenue dans le monde d’Originem.

Originem, rock & racines médiévales

Si le collectif rock médiéval Originem trouve son inspiration au Moyen Âge et au XIVe siècle, c’est que son intention est de situer la lutte dans une continuité historique qui puise bien au delà de 60’s, avec leur rock à papa. Loin, bien loin, du plan Marshall et des sirènes américaines du Capitalisme de la Séduction (dénoncé en 1981 par Michel Clouscard), le rock d’Originem s’ancre dans les racines profondes et anciennes de nos terres françaises et occitanes. Il y résonne comme la révolte du petit peuple exsangue du Moyen Âge dans les campagnes ravagées par la guerre de cent ans, par les pillages et les épidémies. Il s’élève comme une réponse nécessaire face à des temps de prédation et d’incertitude.

En latin et en Occitan, la langue de nos lointains aïeux et ancêtres, la musique et les textes d’Originem grondent comme grondaient les jacqueries du temps des disettes et des privilèges. Toutes griffes dehors, derrière l’évocation d’un monde médiéval qui se cabre sous le coup de ses insurrections, elle met en abîme les questionnements sur le temps qui est là et sur le temps qui vient.

Originem – Vengut lo Jorn – Rock Médiéval

De l’antisocial de Trust à la conscience collective

Ce n’est sans doute pas, par hasard, qu’on retrouve David Jacob, le bassiste de Trust dans cette formation aux musiques envoutantes et qui scande ses paroles comme des mantras libérateurs ou des appels à l’éveil des consciences et des âmes.

L’antisocial de Bernie Bonvoisin perdait son sang froid dans la France des 80’s. En dénonçant la marque du système dans les chairs aliénées et robotisées par les néons de la modernité, il invitait chacun à y reconnaître la marque de son propre esclavage. Face à la gangrène conformiste, le groupe Trust et son chanteur Bernie avaient rêvé de faire sauter tous les carcans pour éveiller, dans la jeunesse trop sage des 80’s, une quête de sens existentielle. A 40 ans de là, Originem reprend le flambeau de la révolte mais, cette fois-ci, d’une manière plus profonde et peut-être aussi plus collective dans sa forme. Le chanteur est bien là mais il s’efface presque devant la tribu. La forme est au service du fond. Et comme le chant revient de manière entêtante, presque processionnaire, comme un manifeste, la dimension individuelle cède le pas sur la dimension collective.

Le message est clair. L’heure est à l’éveil. Les partisans, les gens du simple et les gueux du XXIe siècle sont affamés. Ils sortiront bientôt du bois comme des loups et les corbeaux se joindront à leurs cris pour faire tomber les masques et réclamer leur dû. La libération approche pour ceux qui n’ont déjà plus rien à perdre. Sous ce rock aux accents anciens et d’un autre temps, chaque auditeur sera libre de juger à quel point le passé se reflète dans le présent et comment d’anciennes problématiques viennent se réinviter sur fond d’actualité brûlante.

Enluminure médiévale jacquerie du XIVe  siècle - Marché de Meaux
Juin 1358, des paysans révoltés envahissent le marché de Meaux et finissent exterminés, Chroniques de sire Jean Froissart, MS Français 2643 (Bnf Gallica)

Du rock contre l’ingénierie sociale

« …Les textes sont toujours des textes courts, dans le style de ce qui pouvait se scander dans des tavernes ou sur les routes à l’époque, et mettent souvent en scène des personnages perdus et fous de rage, choisissant de prendre la route de la sédition, de l’insurrection, bref, de la révolte comme dernier acte pour un avenir digne de ce nom. » Jean-Michel Wizenne

Tombé de longue date dans la marmite du Rock, Jean Michel Wizenne, le chanteur, guitariste, fondateur et compositeur de Originem, pose le cadre sans faux-fuyants. Par ailleurs auteur, conférencier et sociologue, il jette sur nos sociétés actuelles et la française en particulier un œil particulièrement critique.

Sans masquer son dégoût du néolibéralisme sauvage et ses déviances, il interroge les concepts patinés, remâchés, survendus qui mènent à la « docilité convenue ». Au service de qui ou de quoi ces injonctions de douceur, de docilité, de passivité roulent-elles pour qu’on veuille, à ce point, nous les faire ingérer ? Entre la recherche de paix sociale et la volonté d’endormissement -asservissement des masses, le fil est quelquefois bien plus ténu qu’on le pense. Les gilets jaunes s’en souviennent encore. Il a suffi de voir le peuple s’éveiller un peu et sortir dans les rues pour comprendre de quel côté se trouvait la violence véritable. Quoi qu’il en soit, dans l’esprit du parolier d’Originem, le questionnement sur l’ingénierie sociale et ses nouveaux outils de régulation et de coercition est en filigrane.

Pourtant, la domestication a ses limites et comme les jacqueries du XIVe siècle ou d’autres soulèvements l’ont montré, le point de rupture n’est jamais aussi loin qu’on le croit. Alors, l’espoir, JMW en a, celui du changement qui vient. En attendant, il cite Chomsky : « dans les périodes chaotiques, il y a toujours des failles ». Quand on vous dit que le Rock d’Originem est posé sur un socle sérieux.

Les membres d’Originem

Jean-Michel Wizenne (guitare, chant et composition) – David Jacob (guitare basse) – Thomas Calegari (batterie & percussions) – Géraldine Thébault (flûte piccolo).


Vengut lo Jorn de Originem,
les paroles en occitan & leur traduction

Devèm faire lo camèu
En esperant lo sinhau
Lo sinhau de la venjança
Lo sinhau de la Sedicion.

Devèm faire lo camèu
En esperant lo sinhau
Lo sinhau de la revòuta
E dau chaple, chaple que vèn.

Siguem pacient mai despacient
Siguem calme mai siguem furiòs
Siguem pacient mai despacient
Siguem calme mai siguem furiòs.

Aguem lo codonh
Aguem lo còr pelut
Botem lei en bandiera
Vengut lo jorn…

Nous devons faire le dos rond
En attendant le signal
Le signal de la vengeance
Le signal de la Sédition.

Nous devons faire le dos rond
En attendant le signal
Le signal de la révolte
Et du massacre, massacre qui vient.

Soyons patients, mais impatients
Soyons calmes, mais soyons furieux
Soyons patients, mais impatients

Soyons calmes, mais soyons furieux.


Ayons de la rancune !
Ayons du courage !
Mettons-les en pièces,
Le jour venu.


Pour conclure, disons un mot de l’actualité du groupe et de ses productions. Trois morceaux sont déjà publiés sur les réseaux dont celui que nous partageons dans cet article. Vous pourrez tous les retrouver en ligne sur la chaîne youtube d’Originem et sur son site officiel, en attendant de croiser le groupe sur de vraies scènes et de vrais festivals en France.

En bonus sur leur chaîne Youtube, vous trouverez aussi des vidéos qui expliquent la démarche du groupe et détaille les textes de certains morceaux. Je vous les recommande vivement pour aller un peu plus loin. Enfin sur les réseaux, de nouveaux morceaux sont prévus pour les mois à venir. Affaire à suivre donc !

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Au Moyen Âge, un ABC de l’amour courtois par Adam de la Halle

Sujet : musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvère d’Arras,  chant monodique, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur :  Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Qui à droit veut amours servir
Interprète : Ensemble Sequentia
Album
Trouvères, Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich (chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil) (1987)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous revenons au XIIIe siècle en musique, en compagnie du trouvère Adam de la Halle. En plus de ses célèbres jeux théâtraux, ses rondeaux, balades et motets et ses jeux-partis, on doit à celui qu’on appelait encore le Bossu d’Arras, un peu plus d’une trentaine de chansons. C’est l’une d’elle qui fait l’objet de cet article.

Un mode d’emploi de l’amour courtois
à l’usage des loyaux amants

La pièce du jour est une chanson monodique sur le thème de l’amour courtois. Plus qu’une déclaration à une dame, le trouvère s’adressera directement, ici, aux loyaux amants et son texte se présente même comme un court mode d’emploi à l’attention de ceux qui prétendent aimer courtoisement.

Chanson de Adam de la Halle et sa partition dans le Manuscrit médiéval "Chansonnier français W"
La chanson courtoise d’Adam de la Halle dans le Ms 25566 de la BnF

Qui à droit veut amours servir, autrement dit, celui qui veut servir l’Amour droétement (avec justesse, avec raison) devra ne pas céder à ses propres tourments ni se focaliser sur les maux que lui causent sa condition de fin’amant : se concentrer sur les mérites et les fruits qu’il retirera de sa pratique courtoise (raison, sagesse,…), ne point montrer trop d’empressement, ne pas dévoiler ses sentiments trop ouvertement de crainte de se faire repousser, voilà les conseils que le trouvère prodiguera au prétendant. En reprenant les codes des troubadours occitans qui l’ont précédé sur les voies de la lyrique courtoise, Adam de la Halle les transpose dans cette chanson, pour proposer, en langue d’oïl, un court ABC de la fin’ amor à l’attention de ses contemporains.

Aux sources manuscrites de cette chanson

La chanson et partition d'Adam de la Halle dans le Manuscrit médiéval MS 1109 de la BnF
La chanson dans le MS 1109 de la BnF

Pour ce qui est des sources médiévales de cette pièce, les manuscrits anciens nous laissent relativement le choix. En suivant la Bibliographie des Chansonniers français de Gaston Raynaud (1884), on pourra au moins citer trois ouvrages médiévaux dans lesquels on trouve cette chanson notée musicalement. Ils sont tous conservés à la BnF et consultables en ligne sur Gallica : le Ms Français 1109 daté des débuts du XIVe, encore connu sous le nom de Chansonnier français Q. Le Chansonnier français R, référencé Ms Français 1591. Cet ouvrage du XIVe contient des chansons notées et jeux partis variés. Enfin, on citera le très riche Ms Français 25566 dont nous avons déjà parlé ici. Connu encore sous le nom de Chansonnier français W, ce manuscrit copié à Arras date, lui aussi du XIVe siècle et comprend un nombre impressionnant de pièces musicales et littéraires de trouvères et d’auteurs du Moyen Âge central.

Concernant la transcription en graphie moderne de cette chanson médiévale, nous nous sommes appuyé sur la véritable bible que constitue l’ouvrage de l’ethnomusicologue Edmond de Coussemaker : Œuvres complètes du trouvère Adam de la Halle: poésies et musique (1872). Quant à son interprétation, nous l’avons confié à l’excellent ensemble médiéval Sequentia sous la direction de Benjamin Bagby (en photo sur l’image entête d’article, en premier plan du ms Français 1109).

Sequentia au temps des trouvères

L’ensemble Sequentia s’est formé en 1975 à l’initiative de la chanteuse et musicologue Barbara Thornton et du chanteur, compositeur et harpiste Benjamin Bagby. Les deux américains se trouvaient alors à la Schola Cantorum Basiliensis, célèbre école suisse qui a fait de l’étude des musiques et des instruments anciens son terrain d’élection et dont sont sortis nombre de musiciens et formations médiévales illustres.

Près de cinquante ans après sa formation, Sequentia est toujours actif. Vous pourrez retrouver leur actualité sur leur site web officiel. Après la disparition prématurée de Barbara Thornton en 1998, il est resté sous la direction de Benjamin Bagby. Riche d’une discographie de plus de 40 albums, cet ensemble de musiques anciennes est devenu une véritable référence sur la scène des musiques du Moyen Âge (retrouvez son portrait détaillé ici).

L’amour courtois des XIIe et XIIIe s en pays d’Oïl

Nous avons eu l’occasion, à plusieurs reprises, de vous toucher un mot de l’album Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil (Trouvères : Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich). A dire vrai, cette production est assez incontournable pour qui s’intéresse à la musique médiévale et, notamment, aux musiques profanes et courtoises produites au XIIIe siècle, dans le nord de France. En terme de répertoire, la période couverte, ici, va de la fin du XIIe siècle à la toute fin du XIIIe siècle (1175-1300).

Le double album de Sequentia sur les Trouvères du nord de France

Enregistré en 1982 et réédité depuis, ce double-album propose pas moins de 43 pièces de trouvères du Moyen-Âge central et, ce, si l’on se fit au nombre de morceaux répertoriés. En réalité, il en propose bien plus si l’on prend en compte les variations et enchaînements proposés au sein de certains morceaux.

Pour leurs qualités autant que pour la sélection proposée par Sequentia, ces chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil n’ont pas pris une ride ; à ce jour, ce bel album salué par la presse spécialisée depuis sa sortie, continue même de faire autorité sur la scène médiévale. Si vous êtes amateur de musiques et de chansons monodiques et polyphoniques courtoises, cette production devrait trouver parfaitement sa place dans votre cédéthèque (si elle ne s’y trouve pas déjà).

Une anthologie musicale sur deux albums

Pour dire un mot des auteurs que vous retrouverez dans cette production, Adam de la Halle y tient une belle place avec 14 pièces (rondeaux, motets et chansons). Il s’y trouve très largement accompagné par Jehannot de Lescurel avec 16 pièces de ce dernier, entre balades et rondeaux. On croisera encore des noms de trouvères qui vous seront familiers si vous nous suivez depuis quelque temps : Conon de Béthune, Gace Brulé, Blondel de Nesle ou encore Petrus de Cruce. Le reste des morceaux musicaux se distribue agréablement entre pièces anonymes (motets, chansons de toile, etc…) et encore pièces instrumentales et danses médiévales.

Ce double-album de Sequentia a été réédité chez Sony en 2009. Cela commence un peu à dater mais, avec un peu de chance, vous pourrez le trouver au format CD chez votre meilleur disquaire ou même à la vente en ligne. (Attention aux occasions qui, quelquefois, font l’objet de spéculations folles sur certaines places de marché). L’autre option est de l’acquérir au format dématérialisé. Voici un lien utile pour ce faire : Trouvères de Sequentia au format MP3.

Musiciens & artistes ayant participé à cet album

Barbara Thornton (voix, chifonie), Benjamin Bagby (voix, harpe, organetto), Margriet Tindemans (violon, psaltérion), Jill Feldman (voix), Guillemette Laurens (voix), Candace Smith (voix), Josep Benet (voix), Wendy Gillespie (violon, luth).

Partition moderne de la chanson "Qui a droit veut amour servir" d'Adam de la Halle.

Qui à droit veut amours servir
en vieux français & sa traduction

NB : notre traduction en français moderne de cette chanson d’Adam de la Halle n’a pas la prétention d’être parfaite mais elle a le mérite d’aider à la compréhension de l’oïl souvent assez ardu du trouvère picard.

Qui à droit veut amours servir
Et chanter de joieus talent
Penser ne doit as maus qui sent,
Mais au bien qui en puet venir.
Che fait cueillir
Sens et bonté et hardement,
Et le mauvais bon devenir ;
Car chascun bée au déservir,
Puis qu’il y tent.

Celui qui veut servir justement en amour
Et chanter avec un esprit joyeux (envie, volonté)
Ne doit penser aux maux qu’il ressent
Mais au bien qui peut en venir.
Cela fait récolter
Sagesse et bonté et hardiesse
Et change le mal en bien :
Car chacun aspire à bien servir (au mérite)
Puisqu’il y tend.

Qui s’esmaie pour mal souffrir
Ne qui prend garde à son tourment ,
Il ne puet amer longuement.
Mais com plus pense par loisir
A son désir ,
Et plus li semble anientir
Lui et amours et dessevir
Tout son jouvent.

Celui qui s’émeut de souffrir
Ni ne se défie de son tourment
Il ne peut aimer longuement.
Mais comme il pense plus à loisir
A son désir
Et plus il lui semble anéantir
Lui et Amour et payer en retour
Toute sa gaité.

Par rire et par biaus dis oïr
Et par joli contènement, .
Vient amours au commenchement,
Et ensi se veut poursievir
Et esbaudir,
Et espérer merchi briement,
Encor n’i puist on avenir,
Ensi veut amours maintenir
Se douche gent.

Par rire et entendre de belles paroles
Et par une conduite agréable
Vient l’amour au commencement
Et ainsi se veut poursuivre
Et encourager
Et espérer (attendre) que la grâce arrive brièvement
Bien qu’on ne puisse encore y parvenir
Car ainsi veut amour maintenir
Ses douces gens.

Trop font chil amant à haïr
Qui requièrent hardiement ,
Ch’est de désir folement
Quil ne se puéent astenir ;
Et s’au partir
Sont escondit vilainement.
Or ont il deus tans à souffrir,
Car chou c’on ne vaurroit oïr
Quiert’on souvent.

Certains amants se font trop haïr
Qui exigent avec trop de hardiesse,
C’est par faute de trop désirer (désirer follement)
Qu’ils ne peuvent s’abstenir
Et au moment de la séparation,
Ils sont éconduits de manière méprisable.
Mais s’ils ont du tant souffrir
C’est que ce qu’on ne voudrait entendre
Recherche-t-on souvent
.

Pour chou fait bon mains envaïr,
Car puis c’amans a hardement
De proier Dame qui s’entent
Moustre il qu’il le doive fuir;
Car descouvrir
N’oseroit son cuer nulement
Fins amis, ains laist convenir
Pité qui nient ne laist périr
Qui tout li rent.

Pour cela il est préférable de se montrer moins envahissant
Car l’amant trop empressé (hardi)
D’obtenir les faveurs d’une dame qui s’y entend (dans les choses de l’amour)
Lui montre qu’elle doit le fuir.
Aussi n’osera-t-il
Découvrir son cœur en aucune façon.
Fins amants ainsi faut-il laisser faire les choses
Pitié qui, jamais, ne laisse rien perdre
Lui rendra tout.

Robert Nasart, d’un chant furnir
Mis envers vous un plège gent.
Par amours, Sire, quitiés l’ent ,
Car je vous veul ce chant offrir
Pour remplir
Che que vous avoie en couvent .
Pour riens n’en vausisse mentir
Qui seur tel plège acroit tenir
Doit bien couvent.


Robert Nasart, je vous ai fait la douce promesse
de vous fournir une chanson.
De grâce, sire, tenez m’en quitte
Car je vous viens offrir ce chant
Pour accomplir
Ce que je vous avais promis.
Pour cela rien ne vaut de mentir
Celui qui donne sa parole sur un tel engagement
Doit bien l’accomplir.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.