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Che Cosa è questa, Amor…, amour courtois, amour divin chez Landini

Sujet :  musique médiévale, ballata, chants polyphoniques, Ars nova, chanson médiévale, amour courtois
Période :  Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Francesco Landini (1325-1397)
Titre : Che Cosa è questa, Amor,
Interprètes : l’ensemble Mala Punica
Album : D’Amor Ragionando sous-titré Ballades du neo-Stilnovo en Italie: 1380-1415 (1994).

Bonjour à tous,

ous revenons, aujourd’hui, sur l’œuvre du maître de musique Francesco Landini. Dans l’Italie du Moyen Âge tardif et du trecento, cet organiste et compositeur florentin nous a laissé un riche legs musical polyphonique : 154 pièces à deux et trois voix entre madrigaux et « ballate » italienne. Cette dernière forme poétique et profane est typique du trecento italien et de l’Ars nova.

Amour courtois, amour mystique

La pièce du jour se situe dans la veine du reste de son œuvre. Il s’agit d’une ballata à 3 voix. Le maître organiste aveugle y mêle à la fois les codes de la courtoisie et du sentiment amoureux pour les faire s’animer d’une dimension transcendante et mystique.

Sous l’angle courtois, Landini s’adresse à l’Amour lui-même. Nous parle-t-il des vertus et de la beauté de l’amour en lui même ou, indirectement, de celles de sa bienaimée ? Elles seraient si grandes qu’il y aurait fusion entre cet amour terrestre et la mystique divine. Les deux viennent alors se répondre en miroir de sorte que le sentiment amoureux s’en trouve tout empreint de sacré. Au passage, la femme devient aussi un « intermédiaire », un rappel de l’amour divin.

C’est assez curieux parce que même si les médiévistes semblent s’accorder sur cette interprétation courtoise certains ont même émis l’hypothèse que « cosa » en fait de « chose » pouvait même être un prénom ou son diminutif, celui d’un dame chère au compositeur suivant comme on approche ce texte, Landini pourrait presque sembler être en train de parler de la vierge et de Sainte Marie plutôt que d’un amour terrestre. De fait, il pourrait être intéressant d’étudier à quel point cette chanson médiévale pourrait avoir sa place dans un corpus traitant des points de convergence entre courtoisie et culte marial.

Pour les sources de cette composition, nous vous renvoyons encore au très beau Codex Squarcialupi, le MS Mediceo Palatino 87 conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence. Ci-dessus, vous trouverez la page du manuscrit correspondant à la chanson du jour avec sa partition d’époque.

L’ensemble médiéval Mala Punica

Formé en 1987 par le flûtiste et directeur d’orchestre argentin Pedro Leonardo Memelsdorff, l’ensemble Mala Punica s’est spécialisé, à l’image de son fondateur, dans la musique ancienne et les chants polyphoniques médiévaux, le tout éclairé par de sérieuses recherches sur les sources historiques (ethnomusicologie).

Pour dire un mot de son directeur, Pedro Leonardo Memelsdorff est arrivé en Europe à la fin des années 70 et s’y est installé. Elève de la célèbre école suisse Schola Cantorum Basiliensis à l’image de nombreux grands de la scène médiévale, son parcours s’est encore enrichi d’un cursus au conservatoire d’Amsterdam et d’un Doctorat en Musicologie, également obtenu en Hollande. En plus de son propre ensemble, il a beaucoup collaboré avec Jordi Saval et Hespèrion XX. Enfin, sa grande carrière s’est aussi étendue du côté de l’enseignement et il a également publié de nombreuses contributions dans le domaine de la musicologie. Non content d’avoir été élève à la Schola Cantorum il en a été également le directeur, durant de nombreuses années.

Le Mala Punica est encore très actif sur la scène internationale et on pourra retrouver son actualité, ses concerts et ses programmes sur le site officiel de l’ensemble médiéval.

D’Amor Ragionando : L’album

C’est en 1994 que sort l’album D’Amor Ragionando sous-titré Ballades du neo-Stilnovo en Italie : 1380-1415. Sur un durée de 66 minutes, il présente neuf pièces en provenance du trecento y quattrocento italien dont quatre de Landini. Les autres compositions sont signées de Matteo de Perugia, Magister Zacharias, Ciconia et Anthonello de Caserta. Dès sa sortie, ce très bel album sera salué par la scène médiévale. On le trouve encore disponible à la vente chez certains distributeurs. Voici un lien utile pour plus d’informations : D’Amor ragionando: Ballate neostilnoviste in Italia 1380-1415

Membres ayant participé à cet album.

Pedro Memelsdorff (flûte), Kees Boeke (vielle, flûte), Svetlana Fomina (vielle), Christophe Deslignes (organetto), Karl-Ernst Schröder (luth), Jill Feldman (voix), Giuseppe Maletto (voix), Alberto Macchini (cloches, percussions)


« Che cosa è questa, Amor… »
une ballata à trois voix de Landini

Che Cosa è questa, Amor, che’l ciel produce
per far più manifesta la tuo luce?
Ell’è tanto vezzosa, onest’e vaga,

legiadr’e graziosa, adorn’e bella,

Ch’a chi la guarda subito’l cor piaga

chon gli ochi bei che lucon più che stella.
Et a cui lice star fixo a vederla tutta gioia e virtù in sé conduce
.

Che Cosa è questa, Amor, che’l ciel produce
per far più manifesta la tuo luce?
Ancor l’alme beate, che in ciel sono,

guardan questa perfecta e gentil cosa, dicendo :
(quando) fia che’n questo trono segga costei ;
dov’ogni ben si posa?

E qual nel sommo Idio ficcar gli occhi osa
vede come Esso ogni virtù in lei induce.
Che cosa è questa, Amor, che’l ciel produce

per far più manifesta la tuo luce?

Quelle est donc cette chose, Amour, que le ciel…
traduction française

Quel est donc cette chose, Amour, que le ciel produit
pour rendre ta lumière plus manifeste ?
C’est une chose si charmante, honnête et ravissante
élégante et gracieuse et bien parée,
Que celui qui la regarde en a soudainement le cœur chaviré (blessé)
par ses beaux yeux qui brillent plus qu’une étoile.
Et celui à qui il est donné de la contempler intensément
Se voit rempli de toute joie et de vertus.


Quel est donc cette chose, Amour que le ciel produit
pour rendre ta lumière plus manifeste ?
Mêmes les âmes béates qui sont aux cieux
regardent cette parfaite et noble chose en disant :
– Quand celle en qui toute bonté repose
pourra-t-elle s’asseoir sur ce trône ?


Et qui ose fixer les yeux sur le Dieu suprême
Voit comment celui-ci place toute vertu en elle.
Quel est donc cette chose, Amour, que le ciel produit
pour rendre ta lumière plus manifeste ?

En vous souhaitant très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

« Questa Fanciulla », Francesco landini frappé d’amour

Sujet :  musique médiévale, musiques anciennes, ballata, chants polyphoniques, Ars nova, chanson médiévale, amour courtois
Période :  Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Francesco Landini (1325-1397)
Titre :  Questa Fanciulla
Interprètes : le Conjunto Pro Musica Antiqua Rosario
Album : Danzas y Canciones de la Edad Media (1988).

Bonjour à tous,

ous repartons, aujourd’hui, sur les traces de l’Ars Nova du trecento italien, en compagnie du compositeur, poète et organiste Francesco Landini. A cette occasion, nous découvrirons une ballata polyphonique à trois voix intitulée « Questa Fanciulla« .

A l’habitude, après vous avoir fourni des éléments de fond mais aussi quelques sources et partitions d’époque, nous vous proposerons une traduction de cette pièce en français moderne. Pour nous accompagner dans sa découverte, nous avons également choisi de partager son interprétation par une formation originaire d’Argentine : le Conjunto Pro Musica Antiqua Rosario. Formé depuis près de 60 ans, ce grand ensemble met à l’honneur, avec brio, les musiques anciennes et ce sera pour nous l’occasion de vous le présenter plus en détail.

Francesco Landini pris au jeu de la courtoisie

Cette chanson médiévale polyphonique pleine de grâce a pour toile de fond la lyrique courtoise. On pourra donc y croiser les inévitables tourments dans lesquels le sentiment amoureux médiéval —  toute en attente et en espérance, et toujours aussi « douloureux que délicieux » —  plonge ces amants. Ici, c’est le maître de musique lui-même qui se dira pris dans ses filets et on le verra implorer la miséricorde de l’Amour autant que de la damoiselle dont il s’est épris.

Du point des vues des sources, on retrouvera cette Fanciulla qui brise le cœur de Francesco Landini dans un certain nombre de manuscrits. Nous avons déjà cité ici, à plusieurs reprises, l’incontournable et le plus connu de tous, le très beau MS Mediceo Palatino 87 ou Codice Squarcialupi de la Bibliothèque de Florence. Aujourd’hui, pour varier nous vous présentons cette composition dans le Manuscrit 568 du fond italien de la BnF (photo ci-dessus).

Le Ms 568 du fond italien de la BnF

Daté du courant du XIVe siècle, le codex 568 du fond italien du département des manuscrits de la BnF contient 199 pièces dont 2 ont été copiées deux fois ( à consulter en ligne ici sur Gallica ). On y trouve en grande quantité des madrigaux et ballate, quelques rondeaux, ballades et virelais, mais aussi un nombre plus restreint de pièces religieuses et sacrées (Gloria, Credo, Sanctus, Agnus dei, Benedicamus).

Vingt-deux compositeurs en tout sont à l’honneur de ce manuscrit médiéval avec une large place faite à Francesco Landini et à Paolo da Firenze (Paolo Tenorista). C’est d’ailleurs le seul manuscrit à contenir l’œuvre annotée de ce dernier compositeur, ce qui lui confère une place particulière dans la musique polyphonique du Trecento italien. Pour la petite histoire, si on admet généralement que Paolo da Firenze a, sans doute, supervisé la réalisation du Codice Squarcialupi, les pages et les portées réservées à ses partitions, dans ce dernier codex, y ont été laissées vides ; le Ms 568 comble ce vide.

Le vieil organiste et la damoiselle ?

On trouve également, dans ce codex d’époque, une très belle illustration (celle ayant servi à l’image d’en-tête et à l’image ci-dessus). Pour nous, elle pourrait presque évoquer Francesco Landini, l’organiste (devenu déjà vieux) au travail et la demoiselle de la chanson, même si ceci n’est qu’une assertion personnelle ; le compositeur florentin se trouve également présenté comme Francesco degli orghany dans le ms 568 ce qui pourrait nous sembler un argument supplémentaire. Notons que cette hypothèse ne semble pas avoir sauté aux yeux de Gilbert Reaney, célèbre musicologue et britannique du XXe siècle qui nous a servi de guide pour percer certains éléments de ce manuscrit. De son côté, il décrit cette illustration de manière à la fois plus allégorique et factuelle :

« Le tableau montre la personnification féminine de la musique jouant un orgue portatif, sous lequel se trouve une représentation d’un homme barbu martelant une enclume. A sa gauche et à sa droite se trouvent deux colonnes, l’une listant les intervalles qui composent une octave, l’autre donnant les syllabes de solmisation.«  Gilbert Reaney (1)

Alors, allégorie religieuse, voire presque biblique, ou représentation plus factuelle ? Nous vous en laissons juge.

Le Conjunto Pro Musica Antiqua Rosario

« Questa Fanciulla » par le Conjunto Pro Musica Antiqua Rosario

L’Argentine sur les traces
des musiques médiévales et anciennes

Formé en 1962 par le directeur artistique et musical argentin Cristián Hernández Larguía, le Conjunto Pro Musica Antiqua Rosario se présente, encore aujourd’hui, comme un véritable institut dédié à la transmission des patrimoines et héritages musicaux anciens. La période approchée par l’ensemble commence au Moyen Âge pour se poursuivre à la renaissance et l’ère baroque, mais comme cette grande formation classique ne s’interdit rien, on la trouvera encore sur des répertoires plus récents jusqu’à même des compositeurs du XXe siècle.

Concernant son fondateur, Cristián Hernández Larguía, ce directeur d’exception a s’est fait largement reconnaître sur la scène musicale internationale pour son grand talent. Sa longue carrière lui a également valu un nombre incalculable de distinctions honorifiques et de prix pour ses contributions dans le champ des musiques anciennes. Après sa disparition en 2016, la direction artistique de l’ensemble a été confiée Manuel Alberto Marina autre musicien émérite argentin.

En tant qu’institution, le Conjunto Pro Musica Antiqua Rosario n’organise pas que seulement des concerts autour des musiques médiévales et anciennes. Il fédère aussi, autour de lui, un grand nombre d’activités. On le retrouve ainsi à l’enseignement et à la transmission musicale à destination de publics des plus larges, y compris les plus jeunes. Pour plus d’informations sur leurs activités, voir leur site web ici.

L’album : Danzas y Canciones de la Edad Media

Avec pas moins de trente pièces en provenance du Moyen Âge, l’album dont est extrait la pièce du jour est aussi généreux qu’ambitieux. Sorti en 1988 sous le label Irco Video, il opère une très large sélection musicale dans un répertoire qui gravite autour de l’Europe médiévale des XIIIe, XIVe siècles.

Le voyage touche, à la fois, la France des trouvères et des troubadours (Raimbaut de Vaqueiras, Adam de la Halle, …), mais aussi l’Espagne profane et liturgique avec des Cantigas de Amigo de Martin Codax et même des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille. On y fait également une incursion du côté de la Catalogne avec des compositions du Llibre Vermell de Montserrat. Enfin, après un large détour par les danses de l’Italie et de l’Angleterre médiévale (saltarello, istampitta du manuscrit de Londres…), une place y est encore réservée aux musiques et aux chants polyphoniques de Francesco Landini dont celui du jour.

Un grand tour de l’Europe médiévale en un album

D’une certaine façon, l’album se présente comme une synthèse des quatre programmes présentés par la formation autour des musiques du Moyen Âge : la lyrique profane médiévale (trouvères, troubadours, minnesänger), les musiques de pèlerinage et mais aussi les chants profanes de la péninsule espagnole et portugaise du XIVe siècle, et enfin le trecento florentin représenté, ici, par Landini. Côté distribution, on trouve toujours cet album à la vente et à la distribution. Le label a même eu la bonne idée de le proposer au format CD ou dématérialisé MP3. Voici un lien vous permettant d’en savoir plus et même de le pré écouter : Danzas y Canciones de la Edad Media.


Questa Fanciulla de Francesco Landini
et sa traduction en français moderne

Questa fanciulla’amor
Fallami pia
Che mi ha ferito il cor
Nella tua via.

Tu m’ha, fanciulla, si’ d’amor percosso
Che solo in te pensando trovo posa
El cor di me da me tu m’ha rimosso
Con gli occhi belli e la faccia gioiosa
Pero’ ch’al servo tuo deh sie piatosa
Merce’ ti chiegho alla gran pena mia.

Questa fanciulla’amor…

Se non soccorri alle dogliose pene
Il cor mi verra’ meno che tu m’a tolto,
Che la mia vita non sente ma’ bene
Se non mirando ‘l tuo vezzoso volto.
Da poi fanciulla che d’amor m’a involto
Priego ch’alquanto a me beningnia sia.

Questa fanciulla’amor…

Amour ! Fais que cette jeune fille,
Se montre clémente envers moi*
Car elle a blessé mon cœur
Dans ton sillage.

Oui, tu m’as, jeune fille, frappé si fort d’amour
Que je ne trouve plus de repos qu’en pensant à toi.
Tu as ravi mon cœur
Avec tes beaux yeux et ton visage plein de joie,
Et pour cela je t’implore d’être miséricordieuse
Envers ton serviteur et de prendre en pitié sa grande souffrance.

Amour ! Fais que cette jeune fille…

Si tu ne soulages pas ma grande peine
Ce cœur qui m’appartient et que tu m’as pris finira par se briser
Car ma vie n’a plus de sens,
Sinon en contemplant ton charmant visage.
Dès lors, jeune fille, que tu m’as lié d’amour
Je te supplie (prie) d’être indulgente (bonne) envers moi.

Amour ! Fais que cette jeune fille, …

* fallami pia : rend la miséricordieuse envers moi


En vous souhaitant très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes :

(1) « The painting shows the female personification of music playing a portative organ, underneath which is a representation of a bearded man hammering on an anvil. To his left and right are two columns, one listing the intervals which compose an octave, the other giving solmisation syllables. »

The Manuscript Paris, Bibliothèque Nationale, Fond italien 568 (Pit), Gilbert Reaney, Musica Disciplina, Vol. 14, (1960)

NB : l’enluminure de l’image d’en-tête est tirée du Ms 568 fond Italien de la BnF (département des manuscrits).

Ars nova : les yeux tristes de Francesco Landini

Sujet :  musique médiévale, musiques anciennes, ballade, chants polyphoniques, Ars nova, chanson médiévale.
Période :  Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Francesco Landini (1325-1397)
Titre :  Ochi dolenti mie
Interprètes :  La Reverdie
Concert : Baarn, Hollande (2019)
Album : Francesco Landini, l’occhio del Cor (2019).

Bonjour à tous,

rand maître de l’Ars nova, Francesco Landini a ravi le Florence du XIVe siècle, de sa musique et de ses compositions. De son vivant, son talent a même dépassé largement les frontières italiennes pour le faire reconnaître dans d’autres contrées de l’Europe médiévale d’alors.

Celui dont le handicap visuel avait infléchi le destin en le poussant vers la musique, et que l’on avait surnommé l’aveugle des orgues (il Cieco degli organi), a légué à la postérité pas moins de 154 pièces polyphoniques. A plus de cinq siècles de sa disparition, on les joue encore sur la scène des musiques médiévales et anciennes. Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir l’une d’elle et son interprétation par l’ensemble La Reverdie.

L’affliction d’un maître de musique

« Ochi dolenti mie » dans cette pièce polyphonique, Francesco Landini s’adresse à ses propres yeux qui pleurent de ne pouvoir voir l’objet de leur amour, autant qu’ils pleurent la retenue de leur détenteur. Ce dernier a en effet décider de ne pas poursuivre l’objet de son désir de peur d’en retirer de trop grandes souffrances et tourments.

Aux sources médiévales de cette chanson

On peut retrouver cette pièce dans le somptueux Codice Squarcialupi (Ms Med Pal 87). Daté des débuts du XVe siècle, ce manuscrit médiéval superbement enluminé est conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence, en Italie. Il demeure un des grands témoins de l’Ars nova italien du trecento et réunit pas moins de 354 pièces, entre madrigaux, « ballatte » et chants polyphoniques. Douze compositeurs et auteurs du XIVe siècle y sont répertoriés et c’est Francesco Landini qui occupe la plus large place de ce codex. On trouvera, ci-contre, le feuillet correspondant à la pièce du jour et sa partition d’époque.

Ochi dolenti mie par l’ensemble La Reverdie & Christophe Deslignes.

La Reverdie, 35 ans de passion
sur la scène des musiques médiévales

Nous avions déjà eu le plaisir de vous présenter l’ensemble médiéval italien La Reverdie. Fondée en 1986 par deux couples de sœurs musiciennes, la formation italienne fut rejointe par d’autres collaborateurs au fil de ses albums. Depuis, elle a fait un long chemin, avec une belle carrière, pavée de reconnaissance, qui célèbre, cette année, ses 35 ans.

La discographie de La Reverdie est riche de pas moins de 16 albums à la découverte de la musique sacrée et profane du Moyen Âge. Guillaume Dufay, Hildegarde de Bingen, les Carmina Burana, musiques de cour et Ars nova, ne sont que quelques-uns des thèmes ou auteurs médiévaux que l’on peut y retrouver. Dans une production de 2019, l’ensemble décidait de célébrer à nouveau le codex Squarcialupi et l’œuvre de Francesco Landini. A cette occasion, il faisait appel au talent de l’organiste français Christophe Deslignes.

L’album : Francesco Landini,
L’occhio Del CorSongs of invisible love

On retrouve, dans cet album, édité chez Arcana, pas moins de 15 pièces de Francesco Landini, pour près de 65 minutes d’écoute. Le compositeur médiéval ne voyait plus depuis son jeune âge et l’ensemble musical a décidé de partir, ici, à la recherche des références mettant en avant l’influence de la condition de Landini sur sa poésie amoureuse. Cela donne un album qui découvre la grande sensibilité de Landini et, en quelque sorte, un œil plus intérieur et plus secret, celui du cœur.

D’un point de vue musical, le défi est merveilleusement relevé et La Reverdie affirme, une fois de plus, un don pour le répertoire médiéval qu’on dirait presque inné , s’il n’était aussi le fruit de temps d’années de travail. Les voix et les orchestrations y sont sublimes et servent à la perfection l’œuvre du grand maître de l’Ars nova italien. Déjà largement familier avec le répertoire de l’organiste florentin, Christophe Deslignes y prête, avec virtuosité, ses talents d’instrumentiste. Du côté distribution, vous devriez pouvoir trouver cet album assez facilement chez votre revendeur habituel. On le trouve aussi en ligne au format mp3 comme au format CD. Voici un lien utile pour plus d’informations : L’occhio Del Cor de l’Ensemble Reverdie.

Musiciens présents sur cet album

Claudia Caffagni (chant et luth), Livia Caffagni (chant et luth),
Elisabetta De Mircovich (chant, rebec et vièle), Teodora Tommasi (harpe, zang), Matteo Zenatti (chant, harpe et tambourin), Christophe Deslignes (organetto ou orgue portatif)

Extrait de concert au Prelude Classical Music

Ochi dolenti mie, le chant polyphonique du jour est issu de cet album mais nous avons décidé d’en partager la version enregistrée lors d’un concert organisé, à Baarn, en Hollande, par Prelude Classical Music. Boutique de musique, mais aussi lieu de rencontres, d’actualité et information, cette véritable institution sur la scène des musiques anciennes organisait aussi de nombreux concerts. Hélas, après 30 ans d’activité, la société a dû fermer ses portes en septembre 2020. Elle laisse, sur sa chaîne youtube, de nombreuses pièces de concert interprétées par de belles formations de musique médiévale, renaissante ou plus classique (on espère que cette chaîne pourra être maintenue).


Ochi dolenti mie, che pur piangete
de Francesco Landini

Ochi dolenti mie, che pur piangete,
Po’ che vedete,
Che sol per honestà non vi contento.

Mes yeux dolents (affligés, douloureux), qui, toujours, pleurez,
Car vous avez vu
Que, c’est seulement par honnêteté, que je ne vous satisfais pas.

Non a diviso la mente’1 disio
Con voi che tante lagrime versate
Perchè da voi si cela ci viso pio
Il qual privato m’a da libertate.

Mon esprit désire exactement la même chose que vous,
Qui pleurez tant de larmes.
Parce que de vous, se cache ce joli (pieu) visage,
Qui m’a privé de ma liberté.

Gran virtù è rafrenar volontate
Per honestate,
Che segui è sofferir tormento.


C’est grande vertu que de s’abstenir volontairement
Par honnêteté,
Quand poursuivre (cette dame) serait souffrir un grand tourment.

Ochi dolenti mie, che pur piangete,
Po’ che vedete,
Che sol per honestà non vi contento.

Mes yeux dolents, qui, toujours, pleurez,
Car vous avez vu
Que, seulement par honnêteté, je ne vous satisfais pas.


En vous souhaitant très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

« Ecco la primavera », une chanson de francesco Landini au renouveau printanier

Sujet :  musique médiévale, musiques anciennes, ballade, madrigal, chants polyphoniques, ars nova, chanson médiévale.
Période :  Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur :  Francesco Landini ( ? 1325-1397)
Titre :  Ecco la primavera
Interprètes :  Enea Sorini et Catalina Vicens
Concert : extrait enregistré à Bâle, Suisse en avril 2018

Bonjour à tous,

u XIV siècle, Francesco Landini, compositeur florentin, régale de sa musique une Italie médiévale qui entre, déjà, dans son Rinascimento. Né d’un peintre reconnu, le destin qui appelait notre homme à marcher dans les traces de son père, lui échappa pourtant. Rendu aveugle dès son jeune âge, par la variole, il s’orienta vers la musique pour le plus grand plaisir de ses contemporains.

Compositeur, organiste, instrumentiste, poète et chanteur, Francesco Landini cumule, en effet, tous les talents. Celui que l’on surnommera, quelquefois, l’organiste aveugle ou l’aveugle des orgues (il Cieco degli organi), deviendra même un des plus grands représentants de l’Ars nova en Italie. La mort n’attendit d’ailleurs pas, pour le faire entrer dans la postérité puisqu’en son temps, il fut couronné pour ses talents par le roi de Chypre. Il côtoya aussi Pétrarque et légua, pour finir, 154 pièces polyphoniques à deux et trois voix qui achevèrent de le faire entrer dans la légende musicale italienne du trecento.

« Ecco la primavera »,
ballade légère et printanière à deux voix

Alors que septembre s’achève et que nous entrons déjà dans l’Automne, la pièce du jour du compositeur Florentin en prend le contrepied. Cette ballade a pour titre « Ecco la primavera », « voici le printemps » et nous transporte dans les joies du renouveau printanier, saison très chère au Moyen Âge et ses poètes.

« Ecco la primavera« , Codex Squarcialupi (début du XVe s), Biblioteca Medicea Laurenziana,

Tout est léger dans cette composition du maître florentin jusque la mélodie joyeuse et aérienne en accord avec les paroles. En 2018, la chaîne youtube Amfiparnaso, dédiée à la musique ancienne et notamment aux prestations du baryton Enea Sorini en partageait une belle interprétation. Enregistrée à Bale en Suisse, elle mettait en scène le chanteur italien en compagnie de l’organiste Catalina Vicens. Ecrit à l’origine pour être chantée à deux voix et à Cappella,

Tout est léger dans cette composition du maître florentin jusque la mélodie joyeuse et aérienne en accord avec les paroles. En 2018, la chaîne youtube Amfiparnaso, dédiée à la musique ancienne et notamment aux prestations du baryton Enea Sorini en partageait une belle interprétation. Enregistrée à Bale en Suisse, elle mettait en scène le chanteur italien en compagnie de l’organiste Catalina Vicens. Ecrit à l’origine pour être chanté à deux voix et à Cappella, ce madrigal de Landini a été adapté ici pour un « dialogue » entre la voix du chanteur et celle de l’organetto (orgue portatif médiéval).

« Ecco la primavera » de Francesco Landini par Enea Sorini et Catalina Vicens

Enea Sorini, chanteur Baryton
sur les scènes médiévales et baroques

Sous ses airs qui, sur cette vidéo, pourraient nous rappeler un peu Angelo Branduardi, Enea Sorini est un baryton italien confirmé et reconnu sur la scène des musiques anciennes et classiques.

Très tôt intégré dans un chœur de la ville italienne de Pesaro, il se formalisa avec les musiques anciennes et polyphoniques durant près de 15 ans. Après un détour par des études artistiques, il reviendra vers la musique et le chant (musique de chambre et musique baroque) en passant par le conservatoire de la même ville. On le trouvera, par la suite, au chant, à la percussion et au Psaltérion en collaboration avec l’ensemble italien Micrologus. Sa carrière lui donnera également l’occasion de participer encore à d’autres formations de musiques anciennes, sur des répertoires principalement médiéval et renaissant. Un peu plus tard, il fondera également l’ensemble Bella Gerit d’Urbino, autour du répertoire renaissant.

Entre toutes ses participations et albums, le baryton italien affiche déjà une discographie de près de 20 titres. Sur le plan intellectuel, Enea Sorini a également fait des études poussées dans le domaine de la musicologie, sur un répertoire et des pratiques musicales qui touchent, plus particulièrement, le XVIe s, dans la province d’Urbino. Voir son site officiel.

Catalina Vicens, grand talent reconnu
sur la scène médiévale et renaissante

De son côté, l’organiste et musicienne d’origine chilienne, Catalina Vicens affiche également un parcours brillant et de très haute tenue qui a démarré, de manière précoce, sur la scène classique latino-américaine, avec de nombreux concerts.

Dans son parcours initiatique, elle compte, en plus de deux formations classiques à Philadelphie et à Fribourg, un passage par la prestigieuse Schola Cantorum Basiliensis. Aujourd’hui, établie, à Bale, en Suisse, elle s’est spécialisée dans les instruments anciens à claviers ( claviers médiévaux, clavicymbalum, organetto, orgue, clavecin,…). Devenue une instrumentiste virtuose, ses talents et ses travaux lui ont valu déjà des récompenses telles qu’un Award ainsi qu’un diapason d’or. Sa passion pour les instruments anciens l’a aussi conduit à s’associer de près à la fabrication ou la reconstitution d’instruments, tels que des orgues médiévaux ou renaissants.

En plus de ses prestations musicales en collaboration avec de nombreux ensembles, elle dirige la formation Servir Antico qu’elle a aussi créée et dont le répertoire entend faire redécouvrir des compositions peu connues ou méconnues des XIIIe au XVIe siècles. A ses talents d’instrumentiste, Catalina Vicens associe également le goût de la transmission et de la pédagogie. Elle est, en effet, maître de conférences au Conservatoire Royal de Bruxelles et intervient en enseignement dans d’autres écoles prestigieuses au niveau international. Pour suivre son actualité, son site officiel est ici.


Ecco la Primavera de Francesco Landini
avec traduction en français moderne.

Ecco la primavera
Che ‘l cor fa rallegrare;
Temp’è da ‘nnamorare
E star con lieta cera.
No’ vegiam l’aria e ‘l tempo
Che pur chiama allegreza;

In questo vago tempo
Ogni cosa ha vagheza.
L’erbe con gran frescheza
E fiori copron prati
E gli alberi adornati
Sono in simil manera.

Ecco la primavera
Che ‘l cor fa rallegrare;
Temp’è da ‘nnamorare
E star con lieta cera.

Voici le printemps
Qui réjouit le cœur (met, à nouveau, le cœur en joie)
C’est le temps de tomber amoureux
Et d’afficher un visage joyeux (une mine réjouie).
L’air et le temps s’accordent ensemble
Pour nous rendre joyeux. (nous apporter joie et allégresse)

En ce temps enchanteur
Chaque chose est agréable (source de plaisir)
L’herbe avec sa grande fraîcheur
Les fleurs qui couvrent les champs
Et les arbres garnis (de feuilles, en fleurs, décorés)
S’accordent avec tout cela.

Voici le printemps
Qui réjouit le cœur
C’est le moment de tomber amoureux
Et d’afficher des faces joyeuses
.


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes