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Du voleur et des brebis, une fable médiévale de Marie de France sur l’oppression

poesie_fable_litterature_monde_medieval_moyen-ageSujet : poésie médiévale, fable médiévale, langue d’Oil, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poète médiéval, oppression
Période : XIIe siècle, moyen-âge central.
Titre :  Coment un Bretons ocit grant compeignie de Brebis ou  Le voleur et les brebis 
Auteur :   Marie de France (1160-1210)
Ouvrage :  Poésies de Marie de France Tome Second, par B de Roquefort, 1820, Les Fables de Marie de France par Françoise Morvan

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous reprenons, aujourd’hui, le fil des fables de Marie de France. Cette fois-ci, la poétesse médiévale nous invite à une réflexion profonde sur la passivité et l’absence de résistance, face à la tyrannie ou au crime.

On notera que le « breton » qu’on retrouve dans le titre original  de cette fable, mais aussi dans le texte (« bret ») s’est changé en loup dans certains manuscrits. Comme le personnage en question tient ici le mauvais rôle, celui du voleur et du boucher, il est difficile de dire s’il faut y voir la trace des longs conflits ayant opposé les normands aux bretons. C’est assez étonnant du reste quand on sait, que Marie de France est réputée s’être directement inspirée, par ailleurs, de nombre d’histoires bretonnes dans ses lais.

fable_litterature_medievale_voleur_brebis_marie_de_france_phedre_poete_moyen-age_vieux_francais_oil_tyrannie

En suivant les traces du Dictionnaire histoire de la langue françoise de son origine jusqu’à Louis XIV,  par La Curne de la Sainte-Pelaye et bien que la référence soit plus tardive, on apprend encore (sur la base des Serées de Guillaume Bouchet, auteur du XVIe) que l’expression pour le moins disgracieuse : « breton, larron » était en usage à une certaine époque. Etait-ce déjà le cas au XIIIe siècle ? Nous serions, là aussi, bien en peine de l’affirmer.

Quoiqu’il en soit, dans les reprises de cette fable par certains auteurs (Legrand d’Aussy, Denis-Charles-Henry Gauldrée de Boilleau) et sous diverses formes (résumé, imitation, etc) à partir du XIXe siècle et jusqu’à ses traductions plus récentes (Françoise Morvan, 2010), le « breton » originel quand il ne s’est pas mué en loup, s’est changé en Larron ou en voleur, ce qui permet, au passage, d’apprécier cette histoire avec bien plus de hauteur.

Par souci de restitution, nous vous proposons, de notre côté, la version originale de cette fable telle que donnée par Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort, dans ses Poésies de Marie de France (1830). Comme le vieux-français, mâtiné d’anglo-normand de la poétesse peut s’avérer assez ardu, par endroits, nous l’avons copieusement annoté, afin de vous donner des clés de vocabulaire utiles à sa compréhension.

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Coment un Bretons
ocist grant compeignie de Brebis

Jadis avint k’en un pasquis* (pâturage)
Ot grans cumpengnies de Berbis.
Un Bret s’aleit esbanoier* (se divertir)
Parmi le chams od sa Moulier* (avec sa femme) .
Les Berbiz sans garde truva,
Une en ocist, si l’empurta ;
E chascun jur i reveneit
Si les oicioit è porteit.
Les berbis mult s’en currecièrent* (courroucer),
Entr’aus* (entre elles) distrent è cunseillièrent
Que ne se volrunt* (vouloir) pas deffendre
Par droite iror* (mécontentement juste ou justifié) se lerunt prendre,
Ne jà ne se desturnerunt
Ne pur rien môt ne li dirunt.
Tant atendirent lor Berchun* (berger)
Qe ni remest fors* (qu’il ne resta qu’un seul) un Moutun;
Qui tus seus* (seul) se vi sans cumpengne
Ne pot tenir que ne s’en plengne.
Grant lasqueté, fet-il, féismes,
E mult mavais cunssel préismes,
Qant nus grant cumpaigne estiens
Et quant nus ne nus deffendiens
Verz chest Homme qui à grant tort
Nus a tus pris è trait à mort

Moralité

Pur ce dit-um en reprovier* (blâmer),
Plusour ne sevent damagier* (causer du tord)
Ne contrester*(s’opposer à) lur anemis
Qu’il ne face à auz le pis. (même quand il leur fait subir le pire)

Poésies de Marie de France
par 
Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort

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Aux origines

On trouve, chez Phèdre, une fable semblable dans ses grandes lignes. Elle est intitulée : les béliers et le boucher (Vervescet (ou Arietes) et Lanius). En voici une traduction :

« Ceux qui ne s’accordent pas entre eux se perdent, comme le narre la fable qui suit.

deco_fable_medievale_marie_de_franceAux moutons assemblés s’étaient joints les béliers. Voyant le boucher entrer parmi eux, ils se turent. Même quand ils voyaient l’un d’eux pris, entraîné et massacré par la main meurtrière du boucher, ils n’avaient nulle crainte et disaient sans se garder : « il ne me touche pas, il ne te touche pas non plus, laissons-lui prendre celui qu’il entraîne. »

Ainsi furent-ils pris, un à un, jusqu’à ce qu’il n’en resta plus qu’un seul. En se voyant saisir, on prétend qu’il dit au boucher :  » Nous avons bien mérités d’être égorgés l’un après l’autre par toi seul, car, dans notre inertie, nous avons manqué de prévoyance pour nous, puisque, quand rassemblés en un cercle cornu, nous t’avons vu debout, au milieu de notre foule, nous ne t’avons pas tué en t’écrasant et en te fracassant ».

Cette fable démontre que le méchant détruit quiconque ne s’est pas mis en sûreté et temps voulu. »

Arietes et Lanius, Phèdre et ses fables, Léon Hermann (1950)

Une éternelle mécanique de l’oppression

D’après Léon Herrman (op cité), cette histoire ferait clairement allusion à la Conjuration de Pison dont elle est contemporaine. En 65 après JC, Néron avait, en effet, déjoué un complot mené contre lui par divers nobles, familiers et politiques ayant, à leur tête, un sénateur du nom de Pison. La tentative d’assassinat et de renversement de l’empereur n’aboutit pas puisque ce dernier élimina, un par un, ses opposants. 

Pour autant qu’elle puisse, peut-être, prendre racine sur ces faits historiques, cette fable demeure intemporelle en ce qu’elle met en valeur une mécanique de l’oppression bien connue et dont les tyrans ont toujours su tirer avantage. Pour n’en citer qu’un autre exemple, on ne peut s’empêcher de penser, ici, à cette célèbre poésie du pasteur  Martin Niemöller (1892–1984) qui, après sa libération des camps nazis, à la fin de le seconde guerre mondiale, s’était exprimé sur les réactions des intellectuels allemands au moment des purges opérées, dans leurs rangs, par le IIIe Reich, après sa montée au pouvoir.

« Quand les nazis sont venus chercher les communistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas communiste.

Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas social-démocrate.

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus me chercher,
il ne restait plus personne pour protester. »
Martin Niemöller (1892–1984)

Lâcheté, individualisme ? Ou, comme ici, colère rentrée et choix de la dignité silencieuse contre la barbarie, quelque soit le fond, à travers les siècles, le résultat profite toujours à l’oppresseur.

La traduction moderne des fables
de Marie de France, par Françoise Morvan

Pour revenir à nos moutons (désolé, je n’ai pu l’éviter), nous en profitons pour attirer votre attention sur les ouvrages de Françoise Morvan et son travail d’adaptation de l’oeuvre de Marie de France.

livre_fables_litterature_medievale_marie_de_france_traduite_vieux-français_françoise_morvan_moyen-age_centralSortis en 2008, les lais, suivis des fables en 2010, proposaient, en effet, la redécouverte des écrits de la poétesse des XIIe, XIIIe siècles dans la langue de Molière. Les deux ouvrages sont toujours disponibles en ligne et vous pourrez trouver celui qui concerne les fables au lien suivant : Les Fables de Marie de France, traduite par Françoise Morvan.

Pour vous en donner une idée, voici une belle traduction, adaptation de la fable du jour, sous sa plume.

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Le voleur et les brebis

Un beau jour, dans une prairie,
Paissait un troupeau de Brebis.
Un boucher et sa femme, allant
Se promener à travers champs,
Virent ces Brebis sans berger :
L’une, tuée, fut emportée…
Chaque jour, il revient au champ.
Là, il choisit, il tue et prend.
Les Brebis en fureur s’assemblent
Et décident, toutes ensemble,
De résister sans se défendre :
De rage, on se laissera prendre
Sans dire mot, par dignité.
Plutôt mourir que protester.
Si souvent revient le glouton
Qu’il ne resta qu’un seul Mouton.
Quand il se vit seul dans la plaine,
Il ne put retenir sa peine :
« Oui, ce fut grande lâcheté
Et nous fûmes mal avisés,
Nous qui étions si nombreux, d’attendre
Et refuser de nous défendre
Contre ce boucher sans remords
Qui nous aura tous mis à mort. »

Moralité

Ainsi faut-il, dit-on, blâmer
Ceux qui se laissent opprimer
Sans empêcher leurs ennemis
De leur faire un mauvais parti.

Les Fables de Marie de France, traduites par Françoise Morvan.

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En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

« De la joie que désir tant », la lyrique courtoise du trouvère Gace Brulé par l’ensemble médiéval Oliphant

musique_danse_moyen-age_ductia_estampie_nota_artefactumSujet : musique médiévale, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français,  manuscrit du Roy, fine amant,
Période :  XIIe,  XIIIe, moyen-âge central
Titre: De la joie que désir tant 
Auteur :  Gace Brulé  (1160/70 -1215)
Interprète :  Ensemble Oliphant
Album: Gace Brûlé  (Alba Records, 2004)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous revenons aux trouvères des XIIe, XIIIe siècles avec une chanson médiévale de l’un des plus célèbres d’entre eux : Gace Brûlé. C’est une pièce de lyrique courtoise et l’interprétation que nous vous proposons, ici, nous provient de l’Ensemble Oliphant, dont nous aurons l’occasion de dire un mot.

Attribution dans les manuscrits

Dans son ouvrage de 1902 sur les Chansons de Gace Brûlé, Gédéon Huet classait l’attribution de la pièce au trouvère comme « douteuse », tout en la définissant, tout de même, comme « très probablement authentique ». Elle est, du reste, généralement admis depuis, gace_brule_chanson_trouvere_medievale_manuscrit_du_roy_fr-844_moyen-centralcomme  telle.

(ci-contre la chanson « A la joie que désir tant » dans le Français 844 de la BnF –
( consultez-le sur Gallica ici )

Du côté des manuscrits anciens, on la retrouve notamment attribuée au trouvère (« Messire Gasse ») dans le Français 844 (MS fr 844 ou Manuscrit du Roy) et encore dans le Français 12615 (MS fr 12615, connu encore sous le nom de Chansonnier de Noailles ), tous deux consultables sur le site de la BnF.

Gace Brûlé « De la joie que désir tant » par l’ensemble Oliphant

L’Ensemble Oliphant,  le  moyen-âge des trouvères français en Finlande

D’origine finlandaise, l’ensemble médiéval Oliphant s’est formé dans le courant de l’année 1995. Il compte, à son bord, des musiciens spécialisés dans le répertoire des musiques anciennes et s’est donné comme champ d’exploration un répertoire qui va du XIIe siècle et ses moyen-age_musique_chanson_ensemble_medieval_oliphantchants de trouvères ou même de Minnesangers allemands aux chants polyphoniques de l’Ars Nova et du moyen-âge tardif.

Après un premier album consacré aux chants de croisades,  largement salué par la critique, lors de sa sortie, en 2000, la formation médiévale se proposait, en 2004, de faire redécouvrir l’oeuvre de  Gace Brûlé avec un album qui portait comme titre le nom du trouvère champenois et qui comportait 14 chansons de ce dernier, servie par la voix de la soprano Uli Kontu-Korhonen.

Pour l’instant et du côté import, il semble que les enchères soient sérieusement montées sur cet album même si l’on en trouve quelques exemplaires d’occasions à des prix plus abordables. Pour l’obtenir, le plus raisonnable serait, sans doute, d’attendre un peu ou de se le faire adresser directement depuis le site de son distributeur.

chanson_musique_medievale_trouvere_gace_brule_ensemble_oliphant_moyen-age_centralAprès cette production, dans le courant de l’année 2006, l’ensemble finlandais sortit un nouvel album sur les  trouvères  de la France médiévale et, un peu plus tard, en 2010, leur quatrième et dernier album (à ce jour) voyait le jour. Il prenait, cette fois, pour thème les Minnesängers et des chansons de l’Allemagne médiévale.

Du côté de l’actualité d’Oliphant, on ne trouve guère, depuis, de quoi se mettre sous la dent, Leur site web officiel n’a, en effet, pas été actualisé depuis fort longtemps et du côté album, à tout le moins, l’ensemble est en sommeil, s’il ne s’est pas simplement dissolu.

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De la joie que désir tant
Chanson XLIV

De la joie que désir tant
D’Amors qui m’a a soi torné,
Ne puis lessier* (renoncer) que je ne chant
Puis que ma dame vient a gré,
En cui j’ai mis cuer et pensé,
A trestote ma vie;
Mes trop me font ennui de lé* (de laier abandonner, laisser)
Cil cui Deus maleïe* (de malaier : maudire).

A tel fes* (de faire) joie sens talant,
Por s’amor, que de mon cuer hé* (de haîr) :
Félon, losengier* (calomniateur), mesdisant
Dont deable font tel planté
Que trestote lor poësté* (puissance)
Tornent en félonie,
Qu’ainçois sont de mal apensé
Que l’amor soit jehie.* (de gehir : avouer, confesser)

Petit puet lor guerre valoir
Quant ma dame voudra amer,
Et s’ele a talent ne voloir
Du plus loial ami trover
Qui soit, dont me puis je vanter
Qu’a haute honor d’amie
Ne porroit nus amis monter
Por nule seignorie.

Se longue atente et bon espoir
Ne me font joie recovrer,
Donc m’a Amor traï por voir,
Qui toujours la me fait cuider;
Mes uns vis m’en doit conforter
Qui mainte ame a traie ;
Et si sai qu’en désespérer
A orgueil et folie.

Bele douce dame, merci
De moi qui onc mes ne fu pris
D’Amors, mais or m’en est ainsi,
Qu’a toz amans m’en aatis* (de aatir : défier):
De cuer vos pri volenteïs
Qu’en vostre compaignie
M’acueilliez, ainz qu’il me soit pis,
De felenesse envie.

Dame, moût ai petit servi,
A tel don com je vos ai quis* (de querre : démandé) ;
Mes mes cuers vers vos a plevi* (de plévir, a promis, s’est engagé)
D’estre li plus leaus amis
Dou mont; si le serai toz dis ;
Qu’Amor n’ai pas lessie* (de laissier, abandonner, renoncer),
Ains est tote en moi, ce m’est vis,
Tant qu’a loial partie.

Odin (1) pri et mant et devis
Que ceste chanson die
A ceus qu’il savra ententis* (soucieux)
D’amer sens tricherie.

(1) Gace Brûlé fait référence dans quelques unes de ses chansons à ce Odin. Il s’agit d’un de ses contemporains dont l’identité demeure inconnue, à ce jour. Selon Gédéon Huet (opus cité), il pouvait peut-être s’agir du jongleur du trouvère. Le dernier paragraphe de cette chanson pourrait, en effet, le suggérer.

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En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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« Tant ai amé c’or me convient haïr », Une chanson médiévale de Conon de Bethune

trouvere_chevalier_croise_poesie_chanson_musique_medievale_moyen-age_centralSujet : chanson médiévale, poésie, amour courtois, chevalier, trouvère, trouvère d’Arras, Artois, lyrisme courtois,
Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe.
Auteur : Conon de Béthune  ( ?1170 – 1219/20)
Titre : «Tant ai amé c’or me convient haïr»
Interprètes :  Ensemble Sequentia
Album :  Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil (1987)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons un retour à la poésie des premiers trouvères, avec une nouvelle chanson de Conon de Béthune, noble chevalier du moyen-âge central, qui s’illustra aussi dans la quatrième croisade (voir biographie ici).

Les limites du cadre courtois?

La pièce du jour nous entraîne sur les rives de l’Amour courtois mais c’est aussi le récit d’une déception sentimentale qui nous en montre  les limites. « Tant ai amé c’or me convient haïr » Trahi, déçu par une « fausse amie », le « fine amant » est arrivé au point de rupture et fustige la fausseté de celle à qui il avait confié son cœur. Il passe même de l’amour à son radical opposé : la haine. On pourra débattre pour savoir si, en ne se pliant pas aux quatre volontés, résistances, manœuvres et caprices de sa deco_enluminures_rossignol_poesie_medievalemaîtresse et, en réagissant de la sorte, le poète sort du cadre de la lyrique courtoise ou s’il s’y trouve toujours. Il continue, en tout cas, lui de se définir comme un fine amant et nous sommes ici aux bornes de son élasticité (celle du cadre, pas celle du poète, je n’ai pas connu suffisamment ce dernier pour me permettre de m’exprimer sur le sujet et en plus cela ne voudrait rien dire). Bref, la chanson du jour nous entraîne à ce moment précis où le poète décide qu’il ne joue plus et passe directement de l’amour frustré (notion tout à fait hors champ et inexistante au moyen-âge), au rejet et même à la « haine » (aussi littéraire sans doute que son amour, ou son désir de mourir pour la dame avant cela).

Petite Marie, m’entends-tu ?

Cette chanson a-t-elle pu être écrite à l’attention de Marie de France ou de  Champagne (1145-1198)*, protectrice du trouvère qui l’avait même, on s’en souvient, fait inviter à la cour de France (par quoi le langage mâtiné d’Artois de ce dernier se trouva railler par la reine et le jeune héritier Philippe-Auguste) ? Certains biographes pensent que Conon de Béthune était tombé véritablement en amoureux de la Comtesse malgré leur différence d’âge. Le ton assez dur qu’il emploie ici peut toutefois laisser penser qu’il ne se serait sans doute pas aventuré à une telle offense envers sa protectrice. Par ailleurs, il faut encore ajouter qu’à d’autres endroits de son oeuvre, certaines dames auxquels il fait allusion sont clairement désignées comme n’étant pas Marie de France. Entre allégorie poétique, réalité historique et spéculations, à près de neuf cents ans de là, il demeure assez difficile de trancher.

* A ne pas confondre avec Marie de Champagne (1774-1204), la propre fille de l’intéressée, ni avec Marie de France la poétesse (1160-1210),

L’oeuvre de Conon de Béthune dans les manuscrits : MS Fr 844 & MS Fr 12615

Du point de vue documentaire, on trouve cette chanson attribuée à Conon de Béthune (« Quenes »), au côté de sept autres dans le manuscrit ancien  référencé MS Français 844 de la BnF (consultez-le en ligne sur Gallica ici).

Pour les musiciens, les musicologues ou tout autres passionnés ou amateurs de moyen-âge et de musique ancienne, nous nous sommes même fendus d’y rechercher le feuillet correspondant (visuel ci-dessus). Le mérite ne nous en revient qu’à moitié puisque le grand historien médiéviste et chartiste Gaston Raynaud nous a fait gagner un précieux temps dans cette recherche, grâce à son ouvrage: Bibliographie des Chansonniers français des XIIIe et XIVe siècles, daté de 1884.

Précisons encore avec lui que l’on peut également retrouver les chansons de Conon de Béthune (en nombre significatif) dans le Chansonnier dit de Noailles ou MS Français 12615 (ici sur Gallica) : neuf en tout, entre lesquelles on notera à nouveau la présence de notre chanson du jour. Enfin et pour en faire complètement le tour, deux autres manuscrits font encore état des oeuvres du trouvère, le MS Français 1591 « Chansons notées et jeux partis«  (ici sur gallica) en contient quatre et le Rome, Vat. Christ. 1490  en contient une.

« Tant ai amé c’or me convient haïr » par l’Ensemble Médiéval Sequentia

Une véritable anthologie des trouvères
par l’ensemble Sequentia

L’interprétation de la chanson de Conon de Béthune que nous vous proposons ici est tirée de l’excellent travail que l’Ensemble Sequentia dédiait, en 1984, aux trouvères français. Sortie tout d’abord sous la forme d’un triple album, la production fut rééditée quelques années plus tard, en 1987, sous la forme d’un double album.

album_sequential_trouveres_musique_chanson_medievale_amour_courtois_moyen-age_centralAvec pas moins de 43 titres, cette véritable anthologie des trouvères des XIIe et XIIIe siècles demeure une pièce incontournable pour qui s’intéresse à la musique médiévale et ancienne. Elle est toujours disponible à la vente sous sa forme de double album CD, mais aussi au format dématérialisé MP3. Nous vous en redonnons le lien ici à toutes fins utiles : Trouvères : Chants D’Amour Courtois Des Pays De Lanque D’Oïl

Tant ai amé c’or me convient haïr.

Tant ai amé c’or me convient haïr
Et si ne quier mais amer,
S’en tel lieu n’est c’on ne saice* (de savoir) traïr
Ne dechevoir ne fausser.
Trop longement m’a duré ceste paine
K’Amors m’a fait endurer;
Et non por quant loial amor certaine
Vaurai encoir recovrer.

Ki or vauroit loial amor trover
Si viegne a moi por coisir* (choisir)!
Mais bien se doit belle dame garder
K’ele ne m’aint* (de aimer) pour traïr,
K’ele feroit ke foie* (promesse) et ke vilaine,
S’em porroit tost mal oïr,
Ausi com fist la fause Chapelaine* (fig :confesseuse),
Cui tos li mons doit haïr.

Assés i a de celés* (secrets) et de ceaus
Ki dient ke j’ai mespris
De çou ke fis covreture de saus,
Mais moût a boin droit le fis,
Et de l’anel ki fu mis en traîne,
Mais a boin droit i fu mis,
Car par l’anel fu faite la saisine
Dont je sui mors et traïs.

A moult boen droit en fix ceu ke j’en fix,
Se Deus me doinst boens chevals!
Et cil ki dient ke i ai mespris
Sont perjuré et tuit fauls.
Por ceu dechiet* (de decheoir, diminuer) bone amor et descime
Que on lor souffre les mais,
Et cil ki cellent* (cachent) lor faulse covine* (pensée, fausseté)
Font les pluxors deloiauls.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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Jehannot de Lescurel, « Songe un Songe », le livre-album de l’ensemble Syntagma

jehannot_lescurel_musique_chanson_medievale_ensemble_musique_ancienne_syntagma_moyen-ageSujet :  musique médiévale, chanson médiévale, amour courtois, fine amor, langue d’Oil, vieux-français, Ars Nova, compositeur médiéval, MS 146
Période : Moyen Âge central, XIIIe, XIVe 
Auteur : 
 Jehannot   de Lescurel
Interprètes : Ensemble   Syntagma,  direction d’Alexandre Danilevsky
Album : 
« Songe un Songe » livre-disque & media book

Bonjour à tous,

I_lettrine_moyen_age_passion copial y a quelque temps, nous avions dédié deux articles au travail de l’Ensemble Syntagma autour de l’oeuvre de Jehannot de Lescurel  (voir « Amours que vous ai meffait » et « De Gracieuse dame amer« ). 

Au moment de ses publications, le livre-album que l’Association pour la musique ancienne  avait produit sur le compositeur des XIIIe, XIVe siècles n’était hélas plus disponible à la vente et comme il l’est à nouveau, nous avons, aujourd’hui le plaisir de vous l’annoncer, ainsi que de vous en donner les liens.

chanson_musique_medievale_jehannot_de_lescurel_album_livre_essai_ensemble_syntagma_moyen-age

Du côté musical, cette production originale propose treize titres issus de l’œuvre de Jehannot de Lescurel. En plus du CD, elle est également accompagnée d’un livre illustré de 150 pages. C’est un essai à la découverte de l’auteur médiéval, sous la  plume d’Emilia  Danilevsky. 

A travers l’approche historique, l’analyse et la réflexion, l’auteur(e) nous propose ici de mieux approcher le caractère novateur autant que la nature originale de l’œuvre de Jeannot de Lescurel. Il faut dire qu’il existe littéralement un fossé entre ce compositeur et ses prédécesseurs. Plus que d’opérer une simple synthèse de l’art des trouvères et troubadours  qui l’avaient précédé, il marque, en effet, un véritable tournant dans la musique médiévale et annonce déjà l’arrivée de l’Ars Nova.

Ajoutons que l’édition du livre est bilingue français/anglais et qu’on y trouvera encore les paroles des chansons de Jehannot de Lescurel en vieux français original, accompagnées de leur traduction en français moderne, en anglais et même en allemand.

Si vous êtes férus de Moyen Âge, de musique ancienne ou encore de lyrique courtoise, cette production ne pourra que vous intéresser. Le cas échéant, en voici le lien (également disponible en cliquant sur la vignette-ci dessus) : J. de Lescurel. Songe un Songe

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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