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ROGER BACON, le pouvoir symbolique du médecin sur la guérison

Statue de Roger Bacon

Sujet : science médiévale, savant, psychologie, citations médiévales, médecine médiévale.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Roger Bacon (1214-1292)
Ouvrage Lettre sur les prodiges de la nature et de l’art et la nullité de la magie, Albert Poisson, Ed Chamuel (1893)

Bonjour à tous,

ous poursuivons, aujourd’hui, notre lecture de la Lettre sur les prodiges de la nature et de l’art et la nullité de la magie de Roger Bacon, pour en extraire une nouvelle citation. Cette fois-ci, le savant du Moyen Âge central nous entraîne sur le terrain de la médecine médiévale pour y découvrir l’influence du médecin et de ses actes sur l’évolution de l’état de santé de ses patients.

Bacon dans les pas de Constantin l’Africain

Deux siècles après Constantin l’Africain, le Doctor Mirabilis reprenait donc cette idée de l’importance de la foi dans le pouvoir du médecin et de son traitement sur la guérison des malades. L’extrait provient d’un chapitre de la Lettre sur les prodiges de la nature dans lequel Bacon traite des caractères et des formules magiques et de leur usage. Sans véritablement prêter d’efficacité intrinsèque à de telles formules, le savant déplace le propos vers la légitimité de leur usage dans l’acte médical. Autrement dit, le médecin peut-il avoir recours à ce type d’action symbolique (voire rituelle) dans la prescription, en vue d’influencer favorablement le moral du malade et son rétablissement ? Bacon répond oui en démontrant, là encore, un recul et une finesse que, par préjugés, l’on ne serait peut-être pas enclin à attendre de la médecine médiévale.

Dès lors aussi, l’acte médical déborde totalement de la simple prescription. Il hérite d’une dimension rituelle, symbolique, « prestigieuse » qui, bien utilisée, peut devenir opérante. Dimension symbolique et psychologique des soins, importance de la relation de confiance entre soignant et soigné sur l’issue du traitement, « foi » ou formes d’autosuggestion mobilisant des ressources physiologiques insoupçonnées ? S’il faudra attendre le XVIIe siècle pour qu’on regroupe l’ensemble de ces phénomènes sous l’appellation, plutôt fourre-tout, d’effet placebo, ils étaient déjà mis en avant, on le voit, par certains savants du Moyen Âge. On remarque, au passage, que dans des formes de médecines plus anciennes ou primitives comme le chamanisme, un certain pouvoir « d’auto-guérison » du patient est également fréquemment invoqué comme un levier de taille, quand ce n’est pas une condition sine qua non du rétablissement de l’intéressé. Bien sûr, pour que tout cela agisse, encore faut-il laisser les médecins soigner.

Citation illustrée de Roger Bacon sur la pratique médicale au Moyen Âge

« Il faut enfin considérer à ce propos qu’un médecin habile peut opérer sur l’esprit, c’est- à-dire qu’il peut ajouter à ses remèdes des formules et des caractères (selon le médecin Constantin), non pas que ces formules et ces caractères fassent quelque chose par eux-mêmes, mais le malade prend le remède avec plus de confiance, son esprit s’exalte, sa foi s’accroît, il espère, il se réjouit, finalement son âme excitée peut rétablir bien des choses en son propre corps, en sorte qu’il passe de la maladie à la santé, grâce à sa joie et à sa confiance. Si donc un médecin, pour accroître le prestige de sa consultation, pour exciter chez le malade l’espoir et la confiance, agit ainsi qu’il vient d’être dit, et non par tromperie, mais simplement pour faire espérer la guérison (toujours d’après le médecin Constantin), il n’y a rien de mal là-dedans. »

Epistola de secretis operibus naturae et artis et de nullitate magiae
Traduction Albert Poisson, Ed Chamuel (1893) – Roger Bacon


En restant au Moyen Âge et sur ces stratégies de prescription médicale qui sortent du strict champ de l’efficacité posologique, on pourrait encore rapprocher ces aspects de certaines recommandations d’Avicenne pour étudier finement les origines « psychologiques » de certains maladies, mais même encore plus pertinemment de certaines de ses stratégies thérapeutiques pour influer favorablement sur le moral de ses malades, en vue de faciliter leur rémission.

Pour plus d’information sur cette lettre de Roger Bacon, vous pouvez vous reporter à l’article suivant.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric Effe.
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du Monde médiéval sous toutes ses formes.

NB sur l’image d’en-tête : l’enluminure, en arrière plan de la gravure de Roger Bacon, est tirée du manuscrit médiéval MS 457 (Avicennae Canon. Gerardus Cremonensis), conservé à la Bibliothèque municipale de Besançon (consultable en ligne). Il s’agit de la reproduction datée du XIIIe siècle d’une traduction latine du Canon d’Avicenne, attribuée à Gérard de Crémone (1114-1187) .

« Des instruments artificiels merveilleux », Roger bacon

Sujet : science médiévale, savant, art mécanique, préjugés, citations médiévales, citations, extraits, médecine, philosophe, alchimiste
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Roger Bacon (1214-1292)
Ouvrage : Lettre sur les prodiges de la nature et de l’art et la nullité de la magie, Albert Poisson, Ed Chamuel (1893)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons une citation médiévale et, même plutôt un extrait, d’un texte du XIIIe siècle. Il nous provient du médecin et savant Roger Bacon. Nous sommes donc au Moyen Âge central et dans un essai assez court où il recensait les merveilles de la nature et de la science pour les opposer à la magie (Epistola de secretis operibus naturae et artis et de nullitate magiae), le Doctor Mirabilis anglais énumèrait quelques prodiges mécaniques de sa connaissance.

Engins volants, sous-marins, chars à feux dotés de systèmes de traction autonomes, embarcations à la vitesse stupéfiante : nous sommes plus de deux siècles avant Léonard de Vinci et en puisant dans l’antiquité et ses observations, Bacon nous donne l’occasion de revenir, une nouvelle fois sur quelques préjugés concernant l’état d’ignorance dans lesquels la science du Moyen Âge et ses savants étaient censés se tenir.

Des instruments merveilleux : citation du Moyen Âge de Roger Bacon

« On peut construire des machines marines telles, que les plus grands esquifs maritimes ou fluviaux en étant munis, et un seul homme les montant et les gouvernant, ils auraient une vitesse bien plus grande que s’ils étaient mus par une grande quantité de rameurs. On peut aussi faire des chars qui, n’étant tirés par aucun animal, se meuvent avec une vitesse considérable ; l’on pense que tels étaient les chars à feux sur lesquels combattaient les anciens. On peut aussi construire des instruments pour voler; un homme est assis au centre de l’appareil et fait tourner quelque roue par laquelle des ailes artificiellement construites frappent l’air à la manière d’un oiseau qui vole. On peut aussi faire un instrument d’un petit volume pour pouvoir élever ou descendre des poids d’une pesanteur infinie, ce qui est fort utile à l’occasion. Car, à l’aide d’un semblable instrument d’une longueur de trois doigts, large comme eux et d’un volume moindre, un homme pourrait s’évader de prison, monter et descendre lui et ses compagnons.

On peut construire des instruments à l’aide desquels un homme tirerait à lui mille personnes avec violence et malgré elles, il en est de même pour les autres espèces de traction. On peut aussi faire des instruments avec lesquels on se promène dans la mer et au fond des fleuves sans aucun danger pour le corps. Alexandre se servit de cette machine pour surprendre les secrets de la mer, d’après ce que raconte Ethicus l’astronome.


Toutes ces choses ont été expérimentées soit dans l’antiquité soit à notre époque, et je les affirme être véridiques, excepté l’appareil à voler, que je n’ai pas vu; je n’ai pas non plus connu d’homme qui l’ait vu, mais je connais intimement le savant qui l’a inventé. On peut faire une infinité d’autres choses du même genre, telles que des ponts traversant les fleuves, sans piles ni autres soutiens; des machines et bien d’autres choses ingénieuses peu connues. »

Extrait de Epistola de secretis operibus naturae et artis et de nullitate magiae – Roger Bacon – Lettre sur les prodiges de la nature et de l’art
Chap IV Des instruments artificiels merveilleux. Albert Poisson (op cité).


Un mot sur ce livre de Roger Bacon

Livre : Lettre Sur Les Prodiges: de La Nature Et de L'Art, Albert Poisson (1893)

Pour dire un mot de ce précis médiéval de Roger Bacon, on y trouvera encore des réflexions sur la science, la magie, la médecine, dont certaines étonnantes de modernité, sur le prolongement de la vie. Avec un total de 70 pages, un certain nombre de chapitres sont également consacrés à des opérations alchimiques et, notamment, à la composition de l’œuf des philosophes.

Ce livre de Roger Bacon, il a été réédité chez Kessinger Legacy Reprints. Vous le trouverez donc facilement à la commande en librairie ou à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations : Lettre Sur Les Prodiges: de La Nature Et de L’Art, Albert Poisson (1893)

Albert Poisson (1869-1894), auteur français du XIXe siècle, s’était lui même piqué d’Alchimie. Cette passion (ou cette quête si l’on préfère), lui donna l’occasion de se pencher sur l’œuvre de Bacon mais pas seulement. Nicolas Flammel, Albert le Grand, Paracelse, Raymond Lulle, Arnaud de Villeneuve font aussi partie des auteurs qu’il a approchés, commentés ou traduits. Adepte et initié, il semble que l’alchimiste gravita dans l’entourage du médecin et occultiste Papus (Gérard Anaclet Vincent Encausse) et fréquenta assidument les milieux martinistes d’alors. On le retrouve également mentionné dans certains cercles de la Rose-Croix. Poisson a légué un nombre de livres assez conséquent autour de l’alchimie en regard de sa courte carrière. Le jeune auteur prometteur a disparu, en effet, prématurément, à l’âge de 25 ans. Son ouvrage le plus connu, écrit à l’âge de 22 ans, « Théories et symboles des alchimistes : le grand œuvre » connaîtra un certain succès au regard du thème pointu et réservé que l’auteur se proposait d’aborder.


Voici également d’autres articles qui pourraient vous intéresser sur quelques idées reçues et préjugés à l’encontre du Moyen Âge :

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric Effe.
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du Monde médiéval sous toutes ses formes.

PS : l’image d’en tête est tirée d’une gravure de l’édition de 1893 de la Lettre sur les prodiges de la nature et de l’art de Roger Bacon, traduite par A poisson.

serons-nous les barbares du monde de demain ?

Sujet : citations, Moyen Âge, philosophie, idées reçues, barbarie, modernité. Martin Blais (1924-2018)

Citation illustrée sur le Moyen Âge de Martin Blais

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons une citation de l’écrivain, philosophe et enseignant canadien Martin Blais. Titulaire d’un double doctorat en philosophie et en sciences médiévales, cet éminent professeur des universités québécoises (Université de Laval) nous a légué de nombreux articles et ouvrages de philosophie dont un nombre important au sujet de Thomas D’aquin dont il s’était fait une spécialité.

Sacré Moyen Âge ! de Martin Blais

Entre les nombreuses contributions de Martin Blais, on trouve son livre Sacrée Moyen Âge ! Dans cet ouvrage daté de 1997, assez court et très agréable à lire, le chercheur et intellectuel québécois fait la chasse, à sa manière, à quelques idées reçues autour du Moyen Âge. Plus proche de l’essai que de la thèse et sans méthodologie systématique, il y adopte le parti-pris de l’exploration libre.

Livre Sacré Moyen Âge de Martin Blais

Dix-huit sujets d’origine médiévale et en but aux préjugés sont ainsi à l’honneur, pour un peu moins de 150 pages au total. On en trouve de familiers : le travail au Moyen Âge, les troubadours, la technologie et les inventions, l’hygiène et les bains, les universités, … Mais l’auteur passe aussi par des thèmes plus originaux ou qu’il éclaire sous un autre jour. On citera pêle-mêle les métiers féminins, l’histoire d’Héloïse et Abelard, les prisons « auberges », ce qu’il nomme lui-même la « pornocratie » pontificale, et encore un inévitable détour par Thomas d’Aquin.

Ce livre a été réédité par la  Bibliothèque québécoise  en 2002. Vous pourrez donc le trouver disponible à la commande chez votre meilleur libraire ou à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations : Sacré Moyen Age !

Réalités médiévales contre barbarie moderne

La citation du jour est tirée de l’introduction de l’ouvrage. Comme de nombreux médiévistes ou chercheurs l’ont fait avant lui et le feront encore après lui, Martin Blais ne peut s’empêcher d’y mettre en balance la barbarie du monde moderne avec celle qu’on adresse, en permanence, au Moyen Âge (moins souvent par raison que par ignorance).

« La réputation que la Renaissance a faite aux gens du Moyen Âge nous attend sans doute à un tournant de l’histoire. Dans un millénaire, quand on parlera de nos camps de concentration, de nos écoles de torture, de notre cruauté unique dans l’histoire, de nos guerres atroces, de nos millions de miséreux — même dans les pays riches —, on se demandera quels barbares nous étions. Soljenitsyne est moins patient que moi : « Dans cent ans, on se moquera de nous comme de sauvages. » René Dubos avance la même opinion : « La vue technologique qui domine le monde actuel […] apparaîtra à nos descendants comme une période de barbarie. » C’est donc sans la moindre arrogance, avec humilité même, que nous allons nous approcher du Moyen Âge. »

Martin Blais – Citation extraite de Sacré Moyen Âge (1997)

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

« La misérable vie d’un tyran », une poésie médiévale de Pierre d’Ailly et un portrait de cet étonnant érudit et religieux des XIVe, XVe siècles

poesie_medievale_satirique_morale_pierre_d-ailly_moyen-ageSujet : poésie médiévale, auteur médiéval, poète, moyen-français, poésie satirique, poésie morale, vie curiale, tyrannie,
Période : moyen-âge tardif, XIVe, XVe siècle.
Auteur : Pierre d’Ailly (ou d’Ailliac),
Petrus de Alliarco (1351-1420)
Titre : « Combien est misérable la vie du tyran » ou « Les dits de Franc-Gontier »

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans un article précédent nous avions mentionné les premiers Contre-dicts de Franc-Gontier sous la plume de Pierre d’Ailly. Quelques temps après le texte de Philippe de Vitry mettant en exergue les charmes, la liberté et la paix de la vie rupestre contre la vie de cour, cet auteur rédigeait, en effet, une courte poésie qui y faisait référence,

Cette belle pièce d’un peu plus de trente vers est connue sous le double nom de « Combien est misérable le vie du tyran » ou « les contredicts de Franc-Gontier » (avant ceux de François Villon donc) et nous la publions donc aujourd’hui dans son entier.  Poésie satirique, poésie morale, comme son titre l’indique elle dépeint la vie tragique citation_avidite_convoitise_tyran_eric_frommet, il faut bien le dire, terriblement ennuyeuse d’un tyran avide  qui ne vit que pour la convoitise et la gloutonnerie.

Cette poésie est d’une certaine rareté puisque c’est une des seules poésie en « langue vulgaire » qu’on connaisse à cet auteur du moyen-âge tardif. Pierre d’Ailly s’est signalé et est entré dans la postérité pour bien des raisons sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir dans cet article mais pas pour ses talents de versificateur. Au vue des qualités de ce texte, on peut regretter avec un de ses biographes, le bibliophile et historien du XIXe siècle Arthur Dinoux  (qui nous a permis de la mettre à jour), que plus de poésies de l’auteur ne nous soient parvenues.

Après cela, nous en profitons pour faire le portrait de cet auteur qui fut aussi un personnage de grande importance au XIVe siècle. Sa renommée  et son influence sur son temps furent, en effet, telles que certains de ses biographes n’hésitent pas affirmer qu’on peut pratiquement faire l’Histoire de l’Eglise sous Pierre d’Ailly à travers l’oeuvre et l’influence que ce dernier eut sur elle.

Combien est misérable la vie du tyran
ou les contredicts de Franc-Gontier

Ung chasteau sçay, sur roche espouvantable,
En lieu venteux, sur rive périlleuse,
Là vis tyran, séant à haute table,
En grand palais, en sale plantureuse,
Environné de famille nombreuse,
Pleine de fraud, d’envie et de murmure;
Vuide de foi, d’amour, de paix joyeuse,
Serve, subjecte en convoiteuse ardure.

Viandes, vins, avait-il sans mesure,
Chairs et poissons occis en mainte guise,
Sausses, brouëts, de diverse teincture:
Et entremets faicts part art et diverse.
Le mal Glouton partout guette et advise,
Pour appetit trouver; et quiert manière
Comment sa bouch’, de lescherie esprise,
Son ventre emplit en bourse pautonière.

Mais, sac-à-fien, patente cimetière,
Sepulchre-à-vin, corps bouffi, crasse panse,
Pour sous ses biens en soy n’a lie chère;
Car, ventre saoul n’a eu saveur plaisance,
Ne le delit jeu, ris, ne bal, ne danse;
Car, tant convoit, tant quiert, et tant desire,
Qu’en rien qu’il ays n’a vraye suffisance.

Acquirer veult, ou royaume, ou empire;
Pour avarice sent douloureux martyre.
Trahison doute, en nully ne se fye,
Coeur a félon, enflé d’orgueil et d’ire,
Triste, pensif, plein de mélancolie.
Las ! Trop mieulx vaut de Franc-Gontier la vie,
Sobre liesse, et nette povreté,
Que poursuivir, par orde gloutonnie,
Cour de tyran, riche malheureté.

Pierre d’Ailly (1351-1411), Notice historique et littéraire sur le Cardinal Pierre d’Ailly, Eveque de Cambray au XVe siècle, M Arthur Dinaux (1824)

Note : les scissions en paragraphe sont de notre fait et sont destinés à fluidifier la lecture. La version originale est compact et sans saut de lignes.

Pierre d’Ailly, acteur de son temps

N_lettrine_moyen_age_passionatif de Compiegne, Pierre d’Ailly fut un esprit actif et impliqué de son temps, doublé d’un intellectuel curieux de toutes les sciences. Théologien, philosophe, astrologue, astronome, il fut également un haut dignitaire de l’Eglise et le nombre des fonctions qu’il occupa au sein de cette dernière, au long de son existence, demeure rien moins qu’impressionnante : évêque de Cambray, de Limoges, d’Orange, du Puy-en-Velay, de Noyon, il fut encore attaché à de nombreuses paroisses en tant que chanoine ou trésorier et occupa aussi la haute charge de Cardinal. On ajoutera à cette longue liste (non exhaustive) le fait qu’il fut encore chancelier de l’église Notre-Dame de Paris et de l’université de Paris ainsi pierre_Aylli_biographie_portrait_contredits_franc-gonthier_gontier_poesie_medievale_satirique_moyen-age_tardifqu’aumônier et confesseur du roi.

Du point de vue intellectuel, il a légué nombre de traités autour des sciences, géographie et astronomie notamment, ainsi que quantité d’autres ouvrages philosophiques et théologiques, auxquels il faut encore ajouter des sermons. La majeure partie de son oeuvre latine a traversé le temps et il a aussi écrit en français,  mais une partie de ses écrits dans cette dernière langue s’est, semble-t-il, perdue en chemin.

De Rome en Avignon,
interventions dans la résolution du schisme

Grand acteur de la conciliation et de la résolution du schisme qui, en plein coeur du moyen-âge, avait déchiré l’Eglise, pour donner naissance à deux papes, il se battit pendant de longues années pour y mettre un terme. Voyageant en Italie, il intervint aussi directement auprès des papes en Avignon pour tenter de surseoir à leurs velléités séparatistes. Son activisme et ses vues sur l’unification de l’église et sur la supériorité décisionnelle des conciles lui valurent quelques sérieux déboires, mais finirent à force de persévérance par aboutir. Pris dans les enjeux de son temps, on le vit encore prêcher avec zèle en faveur des croisades ce qui lui valut le surnom de « Marteaux des hérétiques ». Il n’est alors pas le seul à les défendre Pétrarque, Jeanne d’Arc et d’autres encore y sont favorables. Autant de choses qui feront dire à son biographe Louis Salembier :

« Toutes les idées vraies ou contestables de cette époque si troublée parurent se donner rendez-vous dans la tête encyclopédique et si puissamment organisée de l’évêque de Cambrai. »
Pierre d’Ailly et la découverte de l’Amérique, Revue d’histoire de l’Église de France, Persée, Louis Salembier (1912)

De la fête de la trinité
à la conquête des Amériques.

C_lettrine_moyen_age_passiononcernant sa marque, on notera que la fête de la Sainte Trinité fut instituée par le pape Benoit XIII sous son initiative. Son Projet de calendrier destiné notamment à harmoniser les célébrations religieuses avec le calendrier civil fut à l’origine de celui adopté par Grégoire XIII près de 150 ans plus tard. Il impulsa même encore quelques corrections au livre des révélations divines qui furent également entérinées par les papes, à deux siècles de là.

La postérité a également retenu de lui qu’il fut, avec Christophe Colomb et au moins en esprit, un des découvreurs de l’Amérique. Le grand voyageur ne se séparait, en effet, jamais du célèbre Imago Mundi (ou Ymago Mundi): Le tableau du monde de Pierre d’Ailly et c’est sans doute grâce à son aide qu’il fut motivé dans son voyage et pu découvrir les nouvelles terres. Le savant religieux avait, en effet, affirmé dans son traité que les Indes pouvaient être atteintes en pierre_d-ailly_auteur_philosophe_theologien_medieval_portrait_biographie_poesies_moyen-agequelques jours, en faisant route vers l’Ouest. Qu’on vienne nous expliquer encore après cela que les hommes du moyen-âge et notamment l’Eglise pensaient que la terre était plate…

Ci-contre portrait de Pierre d’Ailly, A Lefebvre, Eglise Saint-Antoine, Compiègne, tiré de Ymago Mundi, édition de 1930, par Edmond Buron, BnF, Gallica.

Nous ne rentrerons pas, dans cet article, dans le détail des théories philosophiques de Pierre d’Ailly, mais on retiendra qu’il eut sous sa houlette quelques disciples qui allaient se signer à leur tour par leurs oeuvres et même dépasser, voire éclipser la sienne. On retiendra entre autres noms Nicolas de Clamanges, et  Jean de Gerson.

Visionnaire ? D’étonnantes prophéties

P_lettrine_moyen_age_passion copialus étonnamment, on doit au religieux féru d’astrologie quelques surprenantes prédictions sur les temps qui restaient à venir et qui feront dire à son  biographe Louis Salembier, au début du XXe siècle :

« Non seulement D’Ailly fut le fidèle miroir des opinions et même des erreurs de son temps,mais encore il eut parfois sur les âges futurs des vues prophétique qui nous étonnent et que nous rapportons sans les expliquer. Pareil à certain dieu de la fable, il regarde à la fois le passé et le présent. Il résume l’un et il prophétise l’autre. D’une part c’est un compilateur clairvoyant; de l’autre, c’est presque un voyant. »
 Louis Salembier (opus cité)

Jugez plutôt :

« … Puis après dix révolutions saturnales, viendra l’année 1789. Si le monde dure jusqu’à ces temps, ce que Dieu seul connaît, il y aura alors des nombreuses et grandes altérations et de remarquables changements, principalement dans les lois et dans les religions. »
Concordia Astronimias cum historica narratione. Pierre d’Ailly. 1414.

pierre_ailly_auteur_medieval_savant_philosophe_astrologie_medievale_propheties_moyen-age_chretien_XIVe_siecleDans un autre ouvrage, quatre ans après, il écrivait encore :

« … Avant 1789, il y aura un autre grand bouleversement religieux. Dans un siècle à partir du moment où j’écris, il y aura bien des changements dans le christianisme et bien des troubles dans l’Eglise, magna fiet alteracio circa leges et sectas ».
De persectutionibus Ecclesiae, Pierre d’Ailly, 1418

En 1517 et 1518, naissait le protestantisme. Nous vous laisserons juge de la nature prophétique, anecdotique ou fortuite de tout cela.

Pour aller plus loin sur cet étonnant personnage et auteur des XIVe et XVe siècle et si vous en avez la curiosité, nous ne pouvons que vous recommander l’ouvrage de la docteur en philosophe et agrégée de lettres classique Alice Lamy, qui s’est fait une spécialité des questions de philosophie latine médiévale et de scolastique.  Sorti, en 2013, chez Honoré Champion, il a pour titre : La Pensée de Pierre d’Ailly. Un philosophe engagé du Moyen Âge

En vous souhaitant une excellente journée!
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes


Sources

Pierre d’Ailly et la découverte de l’Amérique, Revue d’histoire de l’Église de France, Persée, Louis Salembier (1912)

Notice historique et littéraire sur le Cardinal Pierre d’Ailly, Eveque de Cambray au XVe siècleArthur Dinaux (1824)