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La sagesse d’un derviche contre les méchancetés d’un tyran

Sujet   : sagesse persane,  conte moral, méchanceté, injustice, abus de pouvoir, tyrannie, cruauté, citations médiévales, poésie politique, poésie morale.
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur :  Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291)
Ouvrage  :  Gulistan, le jardin des roses  (Golestân) par Charles Defrémery (1838)

Bonjour à tous,

ous poursuivons, aujourd’hui, notre exploration de la poésie morale et politique du Moyen Âge. Cette fois-ci, notre voyage nous entraîne du côté du Proche-Orient et de la Perse du XIIIe siècle. Le poète Mocharrafoddin Saadi distillait alors, alentour, ses petits contes moraux. Il nous a laissé une œuvre abondante qui comprend, notamment, deux ouvrages : Le Gulistan ou le jardin de roses et le Boustan (ou le verger) qui ont traversé les siècles et sont encore populaires, de nos jours, au delà du monde perse et arabe.

Exercice du pouvoir, religion, éducation, sagesse, âges de la vie, valeurs humaines, … le conteur persan y aborde tous les sujets, au moyen d’historiettes courtes et accessibles. Sur leurs rives plus politiques, ces deux ouvrages ne sont pas sans évoquer les « Miroirs des Princes » : ces guides, très populaires dans l’Europe de la même époque, qui prennent la forme de précis de bon gouvernement et se destinent à l’éducation des puissants.

Une citation illustrée du conteur Saadi sur le tyran

La voie de la sagesse face aux exactions
et à l’arrogance d’un roi injuste

Aujourd’hui, nous retrouvons donc l’auteur persan le temps de deux histoires courtes tirées du Gulistan et, justement, du chapitre premier de cet ouvrage qui porte sur la Conduite des Rois. Très similaires dans leur forme comme leur fond, ces deux mini-contes verront deux tyrans s’opposer à la sagesse d’un derviche ou d’un homme de foi.

Dans ses écrits, Saadi n’hésite jamais à rappeler aux princes et gouvernants leur condition de simples mortels comme leur statut premier de serviteurs du peuple. S’il invoque souvent la nécessaire charité, la miséricorde ou encore la mansuétude dans l’exercice du pouvoir, il tient aussi en horreur les injustices des plus abusifs ou leurs maltraitances envers le peuple et les petites gens. Les deux historiettes du jour portent précisément sur ce même thème et s’adressent directement au roi cruel, tyrannique et de mauvaise nature.

Sur le tyran qui tourmentes les hommes; extrait du Gulistan de Saadi

Un derviche dont les prières étaient exaucées de la divinité parut dans Bagdad. On en informa Heddjadj , fils de Yoûçof (1), qui le fit mander et lui dit :  » Fais une prière en ma faveur. » Le derviche éleva la main et dit : « Ô mon Dieu ! Prends sa vie ». Heddjadj demanda :  » Par Dieu, quelle est donc cette prière ?  » Le religieux répondit : « C’est un vœu salutaire pour toi et pour tous les musulmans. »

Distique : « Ô homme puissant qui tourmentes tes inférieurs, jusqu’à quand ce marché restera-t-il achalandé ? A quoi te sert l’empire de l’univers ? Il vaut mieux pour toi mourir que de tourmenter les hommes. »

(1) Al-Hajjaj ben Yusef fut gouverneur de l’Irak durant le califat omeyyade de Damas. Son épée fut rendue célèbre par le nombre de têtes qu’elle fit tomber.

*****

Un roi injuste demanda à un religieux : « Parmi les actes de dévotion, lequel est le meilleur ? » Il répondit :  » Pour toi, c’est le sommeil de midi, parce que, dans ce moment-là, tu ne fais de tort à personne.« 

Distique. : J’ai vu un homme injuste, endormi au milieu du jour, et j’ai dit : « Cet homme est une calamité. Il vaut donc mieux que le sommeil se soit emparé de lui. L’homme dont le sommeil vaut mieux que la veille, il est préférable qu’un pareil méchant meure. »

Chapitre 1er, touchant la Conduite des Rois, Le Gulistan,
Mocharrafoddin Saadi


On pourra se reporter à cet autre conte de Saadi sur le thème du tyran. Pour des références prises dans les miroirs des princes d’origine occidentale, on pourra se rapporter au Prince de Georges Châstellain ou aux Lunettes des Princes de Jehan Meschinot.

Une belle journée à tous.

Fred
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NB : sur l’image d’en-tête, il s’agit d’une copie ancienne du Gulistan. Superbement ornée et enluminé cet ouvrage ancien date de 1800. Originaire d’Inde, il appartient actuellement à une collection privée.

Saadi : postérité, action politique et gouvernement juste

Sujet   : sagesse persane,  conte moral, charité, bienfaisance, vanité, citations médiévales, citations, sagesse.
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291)
Ouvrage  :  Le Verger de Saadi traduit pour la première fois en français,  par A. C. barbier de Meynard, (1880)

Bonjour à tous,

u XIIIe siècle, à des lieues de l’Europe médiévale, le conteur persan Saadi dispense ses contes moraux à qui veut les entendre, mais le plus souvent, tout de même, aux princes, aux puissants et aux lettrés. 800 ans après son œuvre, les perles de poésie et de sagesse qu’il a semées nous sont parvenues, notamment à travers deux de ses ouvrages : le Gulistan (jardin de roses) et le Boustan (ou Bustan, le verger).

Juste gouvernement et action politique, une citation extraite du Boustan de Saadi
Une citation médiévale de Saadi contre la vanité et pour la charité dans l’action politique

Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir un nouveau conte tiré du Boustan. Il provient du premier chapitre de l’ouvrage intitulé : « Des devoirs des rois ; de la justice et du bon gouvernement ; règles de politique et de stratégie. » et il nous entraînera dans une parabole morale destinée à l’homme le plus modeste comme aux gouvernants.

A la lecture de cette courte histoire, il sera difficile de ne pas avoir à l’esprit les « miroirs aux princes« . Ces traités politiques et moraux, qui portent des visées éducatives à l’attention des puissants, forment, en effet, un genre littéraire que l’on retrouve aussi, du côté de l’Occident médiéval, dès les débuts du Moyen-Âge central.


Le lutteur et le squelette, de Saadi Shirazi

Un lutteur disgracié par la fortune et dénué de toutes ressources ne trouvait jamais ni à dîner ni à souper. Pressé par la faim impérieuse, il s’employait à porter de la terre sur son dos ; le métier d’athlète ne fait guère vivre son homme. Dans cette condition misérable, son cœur s’épuisait dans la douleur et son corps dans la fatigue. Tantôt il déclarait la guerre à ce monde égoïste, tantôt il maudissait la fortune ennemie ; un jour, à l’aspect du bonheur d’autrui, il refoulait dans sa gorge des larmes amères ; un autre jour, éperdu de chagrin, il s’écriait :

— Vit-on jamais une existence plus misérable que la mienne ! D’autres réunissent sur leur table miel, volaille et agneau ; moi je ne puis même mettre un légume sur mon pain. A dire vrai, c’est chose injuste que je sois à demi-nu quand le chat lui-même a sa fourrure. Que je serais heureux si, tandis que je pétris l’argile, quelque trésor me tombait sous la main ; je pourrais alors vivre à ma guise et secouer la poussière de la pauvreté !

Un jour qu’il creusait le sol, il trouva la mâchoire d’un crâne rongée de vétusté, dont les débris couverts de terre étaient disjoints et les dents disparues ; mais de cette bouche sans langue sortirent de sages conseils :

— Ami, lui dit-elle, supporte patiemment ta misère. Regarde, n’est-ce pas ainsi que finit toute chose, la bouche qui a savouré le miel et celle qui n’a dévoré que ses regrets (litt. le sang de son cœur) ? Ne te plains pas des vicissitudes de la sphère inconstante, longtemps encore elle tournera et nous ne serons plus. 

En se présentant à son esprit, ces pensées en éloignèrent le triste cortège du chagrin :

— Être sans raison, ni sagesse, se dit-il à lui-même, supporte courageusement tes maux, au lieu de te consumer dans les regrets. L’homme qui plie sous un lourd fardeau et celui qui, du front, touche les cieux, l’un et l’autre, quand vient la catastrophe suprême, oublient leur condition première. Le chagrin s’évanouit comme la joie et rien ne survit, sauf la rétribution des œuvres et la bonne renommée. La bienfaisance subsiste et non le trône et la couronne. 

Grands de la terre, faites le bien si vous voulez laisser un bon souvenir; ne tirez vanité ni de votre cour somptueuse ni de votre puissance, d’autres les ont possédées avant vous et les posséderont quand vous ne serez plus. Voulez-vous préserver votre trône d’une chute prochaine, donnez tous vos soins à la religion et à vos sujets, et puisque il faut quitter la vie, répandez l’or de l’aumône à pleines mains. Quant a Saadi, il n’a pas d’or, mais il prodigue les perles de la poésie.

Mocharrafoddin Saadi – Le Boustan (op cité)


Des leçons de vie de la bouche d’un mort

Les thèmes moraux traités dans ce conte seront familiers à ceux qui connaissent Saadi ou qui ont lu certains de nos articles à son sujet (voir, par exemple, les regrets du roi d’Egypte ou encore l’Incendie de Bagdad) : la mort (ici personnifiée par la mâchoire) reste toujours bonne conseillère. Saadi lui donnera même la parole. Le moment venu, elle nivellera de sa présence et pour tout un chacun, les joies, comme les regrets et les plaintes. Saadi invoque la Camarde pour donner au déshérité, le courage de résister à l’adversité, mais aussi pour souligner ce que retiendra la postérité de son passage sur terre.

Enluminure médiévale : le voyage de Saadi

Dans un deuxième temps, il élargit son propos aux puissants en prenant pour cible leurs tentations de vanité. La bonne renommée, les bonnes actions et la bienfaisance, voilà les seules traces que l’homme de pouvoir comme l’homme simple devraient vouloir laisser après lui. Comme des empreintes de pas sur les dunes, le reste sera effacé par le premier vent du désert.

Charité et mansuétude contre vanité, on pourra arguer que le thème est redondant mais c’est le lot du sage que de se répéter. Aussi, comme un vieux professeur, Saadi multiplie les paraboles en variant les angles pour mieux toucher ses cibles.

Bien que des lieues séparent le grand conteur persan de la France médiévale, on ne manquera pas, également, de relever les parentés morales entre les valeurs qu’il met en exergue et celles que l’on croise chez certains auteurs moraux du Moyen Âge chrétien (voir les 4 saisons de la vie, la mort médiévale contre la vanité des hommes ou encore réflexions sur la mort au Moyen Âge).

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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NB : sur l’image d’en-tête, on retrouve un détail d’enluminure tiré d’un manuscrit du Boustan conservé actuellement à la bibliothèque du Palais de Niavaran à Téhéran et daté du XIXe siècle.

quelques citations du conteur saadi sur la guerre et les conflits

Mocharrafoddin Saadi

Sujet   : sagesse persane,  conte moral, guerre, bienséance, citations médiévales, citations, sagesse.
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291)
Ouvrage  le Gulistan  et le Boustan

Bonjour à tous,

ans la Perse médiévale du XIIIe siècle, le conteur et voyageur Mocharrafoddin Saadi dispense sa sagesse auprès des princes et puissants de son temps. Aujourd’hui, nous partageons quelques autres de ses vers en forme de citation. Les premiers sont tirés de son Gulistan ou parterre de roses dans la traduction qu’en a faite, en 1838, Charles Defrémery, grand homme de lettres et orientaliste du XIXe siècle. Les suivants nous viendront du Boustan ou Verger tel que le traduit, en 1880, Charles Adrien Barbier de Meynard, un autre orientaliste français.

Va-t-en-guerre de salon & hystérie ambiante

La première citation de Saadi est extraite du chapitre VIII du Gulistan « Touchant les bienséances de la société« . Il y est question de la guerre et de conflits entre individus et du rôle néfaste que peuvent parfois jouer ceux qui la commentent de façon à jeter de l’huile sur le feu.

Citation médiévale illustrée de Mocharrafoddin Saadi

« La guerre entre deux personnes est comme le feu , et le misérable rapporteur fait office de bûcheron. Les deux adversaires se réconcilieront, et lui restera malheureux et confondu. Il n’est pas conforme à la sagesse d’allumer du feu entre deux individus, et de s’y brûler. »
Citation médiévale extraite du Gulistan de Mocharrafoddin Saadi

Pour être très clair, il nous est difficile de ne pas résister à la transposition et de ne pas voir, dans ces quelques lignes, une leçon à méditer sur les tristes événements actuels. A l’heure où la guerre de l’information fait rage de tous côtés entraînant, dans son sillage, la désinformation crasse et, pire même, la censure grossière, il serait sage d’être vigilant, d’aiguiser notre sens critique mais aussi de ne pas agir en faveur d’une escalade dont absolument nul ne sait où elle pourra conduire le monde.

Les va-t-en-guerre de salon et les faux braves hystériques de plateaux télés sont comme l’ignorant que nous décrit le même Saadi : «l’ignorant est comme le tambour de guerre, sonore, mais creux et ne proférant que des paroles inutiles». A l’hystérie « covidienne », vient se succéder celle au sujet de l’Urkraine, en s’enfonçant toujours plus dans le discrédit, le ridicule et la caricature. On a changé les visages et les « experts » mais la procédure est la même ; l’heure est, de nouveau, à la propagande et aux procédés inquisitoriaux (au sens moderne et figuré d’arbitraire). On lapide à coups de « pro » ou « d’anti » tout ce qui n’entre pas dans une rhétorique imbécile qui ne souffre aucune nuance. Honte est faite à l’intelligence.

Les voies diplomatiques

Sur ce même thème de la guerre, une autre citation de Saadi nous semble intéressante à méditer. Elle est tirée, cette fois, du chapitre premier de son Boustan (traduction de A. C. Barbier de Meynard, 1880) et touche à la diplomatie. Comme on le verra, elle conseille exactement l’inverse de ce qui a été fait depuis 2014 et de ce qui continue d’être fait :

Citation médiévale illustrée de Mocharrafoddin Saadi

«Tant que des négociations habiles peuvent assurer le succès d’une affaire, la douceur est préférable à l’emploi de la force; quand on ne peut vaincre par les armes, c’est a la modération à fermer les portes de la guerre. La bienfaisance est le talisman le plus efficace contre les agressions de l’ennemi; au lieu de chausse-trappes sème l’or sous ses pas, tes bienfaits émousseront ses dents acérées.»
Le boustan ou verger de Saadi, chapitre 1 : des devoirs des rois, de la justice et du bon gouvernement, règle de politique et de stratégie.


Pour être tout à fait honnête intellectuellement avec ce dernier extrait, précisons de notre conteur persan Saadi qu’il n’est pas non plus un pacifiste jusqu’au-boutiste. Pour lui, il n’est question que de s’adapter à la situation quitte à se montrer plus ferme, à un autre moment et si nécessaire.

Dans le prolongement de ces sujets, vous pouvez également vous reporter à l’histoire de l’homme tombé dans le puits, de Saadi également.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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NB : Sur l’image d’en-tête, on peut voir un exemplaire du Gulistan, superbement illuminé, daté de 1822. Il est actuellement conservé au National Museum of Iran, de Téhéran.

Coeur sec contre bienfaisance: Le dévot avare de saadi

Sujet   : sagesse persane,  conte moral, liberté, vérité de la pratique, générosité, hospitalité, citations médiévales.
Période    : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur  :   Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291)
Ouvrage   :  Le Boustan  (Bustan) ou Verger,  traduction de  Charles Barbier de Meynard   (1880)

Bonjour à tous,

oilà longtemps que nous n’étions revenu à la sagesse persane du voyageur, poète et conteur Mocharrafoddin Saadi. Aujourd’hui, l’auteur médiéval nous entraîne dans une anecdote sur la différence entre sagesse véritable et superficialité en matière de religion ou de spiritualité.

Une citation médiévale de  Mocharrafoddin Saadi sur la spiritualité

Avancer avec cœur sur la voie de la connaissance

Dans le conte du jour, Saadi opposera la dévotion apparente à l’ouverture de cœur et la bienfaisance dans les actes. Le message est clair : il ne suffit pas de proférer de belles paroles, ni même de s’épancher en multiples prières, encore faut-il être bon envers ses semblables. A quoi bon ânonner les textes sacrés et se montrer affable si on demeure aveugle de cœur et que l’on ne pratique, à propos, la générosité ?

On trouve cette différence fondamentale entre réalisation spirituelle, sécheresse de cœur et rigidité intellectuelle dans de nombreuses religions, y compris chez ceux qui seraient supposés les pratiquer de la manière la plus sincère. Ici, l’idée recoupe invariablement la différence entre prêche, apparences et action. C’est ce même écueil qui fait que les maîtres japonais zen des premiers âges et jusqu’à aujourd’hui, n’ont pas toujours remis le « Shihô » (la transmission) à celui réputé en droit de la recevoir pour des raisons de hiérarchie, de lignage ou de proximité affichée avec le premier du temple. Pour qui s’intéresse aux contes bouddhistes, l’histoire du Zen Soto est pleine de contes dans lesquels celui qui reçoit le dharma, le successeur, n’est pas celui qu’on attendait pour des raisons logiques ou convenues. Quelquefois, à la surprise de la confrérie, c’est le Tenzo du temple, ce cuisinier besogneux qui médite avec sincérité durant son travail comme entre ses offices, qui héritera du statut de maître. Dans son Tenzo Kyōkun (Instructions au cuisinier zen), Eihei Dōgen (1200 – 1253), fondateur du Zen Soto, confirmera, d’ailleurs, l’importance du rôle et de l’application de ce dernier pour la vie du temple. D’autres fois encore, le jardinier, le moine le plus discret ou le moins loquace, le moins discipliné pourront encore être désignés comme l’éveillé contre un moine plus puissant, plus rigide ou plus studieux. À certaines occasions, l’élu devra même fuir au loin pour échapper à la colère des moines furieux de n’avoir pas été désignés par le maître.

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Le Saint, comme le sage, se juge à ses actes, jamais à ses prêches, à ses intentions affichées, ni à son érudition apparente. C’est aussi vrai dans la religion chrétienne et ses monastères. Tout près de nous, dans le domaine de la fiction, voyez le très beau film du réalisateur russe Pavel Lounguine : « L’île » ou « Ostrov » daté de 2006. Ses grandes qualités ont valu à ce long métrage plusieurs prix largement mérités ; son moine fantasque, incarné à l’écran par Piotr Mamonov, et qui donne tant de fil à retordre à ses frères et à l’abbé du monastère orthodoxe, est pourtant le cœur vivant du monastère. Investi du don de guérir, c’est même un saint véritable que l’on vient visiter de très loin. Le héros de notre roman « Frères devant Dieu ou la tentation de l’alchimiste » se situe dans ce même registre. Pour ce moine bénédictin, peu conventionnel mais hautement respecté de ses paires, la reconnaissance officielle, la postérité ou les apparences n’ont aucune valeur. Seule compte le chemin du cœur.

En matière de spiritualité, si la réalisation demeure toujours un mystère, il lui faut toujours passer par la profondeur et par le cœur. Cela semble une constante. Sur ce point, la voie du soufisme rejoint les autres voies mystiques. Les clefs de la vérité sont dans l’introspection mais il faut un cœur limpide pour lire dans celui des autres et pratiquer la compassion. Saadi nous rappelle ici que la fausse dévotion, le soin porté aux seules apparences, les belles paroles et le cœur desséché ne sont pas la marque de la réalisation spirituelle. Ils se tiennent plutôt sur la rive opposée et ne suffiront pas à ouvrir les portes du ciel : « Générosité et bienfaisance, voilà ce qui fait la sainteté, et non pas des oraisons creuses comme le tambour. »

Une citation du Moyen Âge de Saadi sur la résurrection

L’histoire du dévot avare de Saadi

« J’avais entendu dire qu’un homme de noble origine, instruit et avancé dans la voie spirituelle, vivait aux confins du pays de Roum (Asie mineure). Je me joignis à quelques adeptes (derviches, mendiants) voyageurs intrépides et nous nous rendîmes chez cet homme de bien. Il nous reçut avec force démonstrations d’amitié, nous mit à la place d’honneur et s’assit à côté de nous. Il y avait là beaucoup d’or, de vastes domaines, des esclaves, un mobilier somptueux, mais le maître avait un cœur sec. L’arbre était sans fruit ; l’hôte était ardent en témoignages d’amitié, mais son foyer (le feu de sa cuisine) restait froid. Il passa toute la nuit en oraisons et nous la passâmes, nous, le ventre creux. À l’aube du jour, il témoigna le même zèle, nous ouvrit sa porte et s’informa de nos nouvelles avec le même empressement aimable. Un de nos compagnons de voyage, homme d’esprit et de belle humeur, lui dit alors :

—  Donne-moi, si tu veux, un baiser, mais que ce soit plutôt avec une bouchée ( jeu de mots entre baiser et bouchée difficilement traduisible) ; le pauvre préfère les aliments aux compliments. Au lieu de toucher ma pantoufle avec tant de déférence, lance-moi la tienne à la tète, mais procure-moi de quoi manger.

Ceux-là sont les plus avancés sur la route de la connaissance spirituelle ( sous entendu le soufisme) qui pratiquent le bien, et non pas ces hommes au cœur desséché qui passent la nuit en prières. Ces derniers ressemblent pour moi au Tartare veilleur de nuit. Les yeux sont entrouverts et le cœur comme engourdi. Générosité et bienfaisance, voilà ce qui fait la sainteté, et non pas des oraisons creuses comme le tambour. Au jour de la résurrection, le ciel ouvrira ses portes aux hommes qui recherchent le sens idéal sans se préoccuper des apparences : l’idée seule donne aux mots leur réalité, et de vains discours ne sont qu’un appui fragile. »

Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291), Le Boustan  (Bustan)
Le Dévot avare – Chapitre II, de la bienfaisance.


Pour conclure sur cette approche religieuse comparée un peu en survol, ajoutons que la condamnation de l’avarice au cœur de ce conte de Saadi, est également présente dans la bible et à différents endroits des évangiles. On pourra, pour illustrer cela, en citer quelques passages : « Puis il leur dit : gardez-vous avec soin de toute avarice ; car la vie d’un homme ne dépend pas de ses biens, fût il dans l’abondance » (Luc 12:15-40) ou encore « Les pharisiens, qui étaient avares, écoutaient aussi tout cela, et ils se moquaient de lui. Jésus leur dit : Vous, vous cherchez à paraître justes devant les hommes, mais Dieu connaît vos cœurs ; car ce qui est élevé parmi les hommes est une abomination devant Dieu. » (Luc 16:15). Et encore sur cet importance du cœur :  » L’Eternel ne considère pas ce que l’homme considère ; l’homme regarde à ce qui frappe les yeux, mais l’Eternel regarde au cœur. » (Samuel 16:7).

Sur ce qui touche aux bonnes œuvres et à la bienfaisance chez Saadi, on pourra encore se référer aux Regrets du roi d’Égypte tirés de son même Boustan.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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NB : l’enluminure en tête d’article est tiré d’un exemplaire du Boustan daté du XVIe siècle. Réalisé par le calligraphe et enlumineur Mir ‘Ali al-Husaini, il est actuellement conservé au Met Museum de New york (consulter en ligne ici).