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Conférence : le travail en milieu urbain au Moyen-âge, avec l’historienne médiéviste Julie Claustre

conferences_audio_video_moyen-age_monde_medieval_agriculture_paysan_serfs_vilain_moyen-ageSujet: ville médiévale, métiers médiévaux, travail moyen-âge, artisans, corporations, corps de métiers valorisation, culture technique, histoire médiévale, médiéviste
Période : moyen-âge, du XIIe au XVe siècles
Média: conférence vidéo, chaîne youtube
Lieu: Musée de Cluny, décembre 2017
Titre: Travailler en ville au Moyen Âge
Conférencière: Julie Claustre

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous reprenons la suite du cycle passionnant de conférences proposées par  le Musée de Cluny sur le travail au moyen-âge et qui valait vraiment que nous lui consacrions quelques  articles séparés. Après le travail de la terre avec Didier Panfili, celui des chantiers avec Cécile Sabathier et celui des moines et des monastères avec Elisabeth Lusset, l’intervention du jour a pour objet le travail dans la ville médiévale. Elle nous est proposée par l’historienne médiéviste Julie Claustre.

Réalité de la ville médiévale :
entre espace urbain espace rural

Dans la ville du moyen-âge, espace urbain et espace rural s’interpénètrent et les frontières entre nature et agriculture, d’un côté et, de l’autre, activités proprement urbaines et espace construit y sont bien moins tranchées qu’aujourd’hui. A ce titre, comme l’intervenante du jour nous le rappellera, au début du XVe siècle on trouve encore à Paris de nombreuses parcelles cultivées ou dédiées ville_medievale_enluminures_conference_moyen-ageà l’élevage des animaux destinés à nourrir les habitants de la ville. Un tiers de l’espace leur est même consacré. Le phénomène débordera largement la période médiévale puisque laboureurs et vignerons vont se côtoyer, dans la capitale, jusqu’au XVIIe siècle.

(ci-contre, chronique de Girart de Roussillon, construction d’une église à Saint-Denis (XVe siècle)
Bibliothèque de vienne, 

Au milieu de ce savant mélange d’urbanité et de ruralité, émergent pourtant des spécificités liées à la vie urbaine et notamment certains métiers qui lui sont propres. C’est de ce travail là dont il est question dans la conférence du jour. Dans ce vaste champ de pratiques, elle se concentrera en particulier sur certaines activités « productives » et marchandes de la cité, sur leur organisation et sur les représentations qui s’y trouveront bientôt attachées. On y parlera donc de diversité même mais encore de corporations, de culture technique et d’une valorisation hétérogène des savoirs-faire qui ne rimera pas systématiquement avec la reconnaissance sociale de ces acteurs ni avec leur réussite économique.

« Le travail en ville au moyen-âge » par Julie Claustre (Musée de Cluny)

Julie Claustre est maître de conférences en Histoire du moyen-âge  à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et attachée au Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris.

Activités productives citadines

« …Vraiment on eût volontiers dit qu’en qu’en la ville se tenait une foire perpétuelle, tant elle regorgeait de richesses, cire, poivre, graines et fourrures de vair et de gris, et toutes marchandises qui se peuvent imaginer. »  Chrétien de TroyesPerceval le Gallois ou contes de Graal

Fourmillement, diversité, technicité

En partant de l’arrivée du Gauvain de Chrétien de Troyes à Escavalon, la première réalité à laquelle nous confronte le travail dans la ville médiévale tient autant de la diversité et de l’effervescence  :  « bons ouvriers qui travaillent aux métiers les plus variés »  fonderies d’or et d’argent, orfèvreries, travail des émaux, du verre, du cuir, fabrication d’armures et d’écus, draperie et textile, fourrures, épices, etc. Tout s’y fabrique et tout s’y vendent et l’image est celle d’un fourmillement, de l’opulence, mais encore d’une forme « d’excellence » (le mot est moderne mais l’idée est là).

Savoir-faire, technicité, complexité des opérations réalisées, à travers certaines formes d’artisanat urbain, il est donc question de maîtrise et les villes des XIIe, XIIIe et XIVe siècles verront s’organiser autour de ces métiers de véritables corporations (« mestier », « guildes », etc…) qui deviendront bientôt les interlocuteurs privilégiés du pouvoir et qui auront même une forme de représentation d’influence variable, dans les instances décisionnaires de certaines cités.

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La ville médiévale. « Le Chevalier errant ». BnF, département des Manuscrits, Français 12559, Thomas III de Saluces,

Naissance et développement
d’organisations corporatives des métiers

Ces « corporations » régiront bientôt les droits d’entrée et de sorties des individus à l’intérieur de leurs différentes spécialités, leurs conditions d’exercice, leurs filières d’apprentissage et mettront en place de véritables chaînes pour contrôler et réglementer chaque métier, tout autant que pour garantir la qualité de leurs oeuvres ou productions. Un peu plus tard dans le temps, certaines d’entre elles seront même à l’initiative de la constitution de caisses pour aider leurs membres victimes de maladies professionnelles ou même pour financer leur funéraille.

Intrication du politique et de l’économique

On notera, au passage, l’implication des pouvoirs seigneuriaux dans ces processus dans un véritable dialogue qui s’installera alors entre pouvoir politique et économique. Les instances de la ville y auront bien sûr un intérêt de contrôle social tout autant que fiscal et même encore militaire et participatif, mais le phénomène dénotera aussi, sur certains secteurs clés, d’une véritable volonté d’implication du pouvoir politique dans la « signature » des productions.

C’est notamment souvent le cas du secteur de la draperie et on s’en étonne moins quand on sait l’importance que ce dernier a revêtu pour le développement intra-muros de nombreuses villes draperie_artisanat_medieval_travail_ville_moyen-age_livres_12_freresmédiévales mais aussi pour leur rayonnement économique et culturel « hors frontières ». Dans le courant du moyen-âge central, nombre de cités européennes ont été, en effet, littéralement propulsées vers l’avant par la vente et l’exportation de leurs textiles.

(ci contre, étapes de confection textile, illustrations tirées du manuscrit allemand
« Le livre de douze frères des maisons mendel, » (XIVe)
cité dans la conférence.)

L’activité en question emploie aussi une main d’oeuvre conséquente aux différentes étapes de sa production qui justifiera d’un large crochet de l’intervenante de cette conférence, pour nous le détailler. On notera  notamment avec elle et pour en donner la mesure, qu’une ville comme Florence employait, à un moment donné de son histoire médiévale, plus d’un quart de ces habitants dans ce secteur.

Valorisation sélective

Le développement de ces métiers urbains, en particulier ceux liés à la production et à la « création » de la matière (opérations techniques réputées complexes), donnera le jour à une valorisation générale de leur exercice et de leurs productions, mais il ne suffira pourtant pas qu’on les loue ou qu’on les consacre sur les vitraux des cathédrales pour en faire de larges voies d’accès à la richesse ou à l’opulence économique. Si, là-encore les drapiers ont souvent tiré leur épingle du jeu (on pourrait peut-être y ajouter certaines productions stratégiques de la ville qui ont prises, draperie_artisanat_medieval_enluminures_travail_ville_moyen-age_livres_12_frerespour des raisons locales et historiques, une importance particulière au regard de leur exportation ), certains secteurs sont exclus de cette valorisation et certains métiers, à l’intérieur de secteurs pourtant valorisés, le sont aussi. L’historienne nous en donnera ici quelques exemples éloquents.

Dans le même ordre d’idées, compétence et  maîtrise d’oeuvre technique ne garantiront pas toujours à leurs détenteurs, fussent-ils aux échelons les plus élevés de leur profession, une indépendance financière ; ainsi,  certains maîtres artisans seront même contraints de se ranger sous le régime du salariat pour pouvoir subsister. D’égale façon, des barrières financières, réglementaires , sociales ou légales existeront aussi pour passer du statut de salarié à celui d’artisan indépendant ou de maître d’oeuvre. Enfin, on pourra encore ajouter aux limites de cette valorisation, des différences de reconnaissance qui touchent encore les notions de genre, puisque masculin et féminin ne sembleront pas s’y trouver logés à la même enseigne.

Pour conclure sur un voeu pieux et tout en rendant grâce à la qualité de ces interventions proposées par le Musée de Cluny, on peut espérer que d’autres conférences viendront compléter le tableau sur le sujet immensément vaste du travail dans la ville au moyen-âge. Si bonne soit-elle, une seule conférence ne saurait en effet l’épuiser. On pense notamment à d’autres secteurs  et métiers (métiers de bouche, restauration, etc…), mais aussi aux activités urbaines de service ou encore pourquoi pas aux métiers de la justice, de la régulation ou de la loi, pour ne donner que ces quelques exemples.

Pour le moment, sachons toutefois nous contenter et disons-le encore une fois, en les articulant, ces quatre belles conférences nous offrent un panorama assez complet de la réalité du travail au moyen-âge et des règles qui le régissent et demeurent une véritable mine d’information. Merci donc encore une fois au Musée du moyen-âge pour partager gracieusement tout cela avec le public sur sa chaîne youtube.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Conférence au Musée de Cluny : travailler au monastère au moyen-âge par Elisabeth Lusset

conferences_audio_video_moyen-age_monde_medieval_agriculture_paysan_serfs_vilain_moyen-ageSujet: ordre monastique, travail, moine, moyen-âge chrétien, dimension spirituelle et matériele, monastère médiéval, médiéviste
Période : moyen-âge central
Média: conférence vidéo, chaîne youtube
Lieu: Musée de Cluny, octobre 2017
Titre: Travailler au monastère au Moyen Âge
Conférencière: Élisabeth Lusset

Bonjour à tous,

T_lettrine_moyen_age_passionoujours dans le cycle « Le travail au moyen-âge  » voici une nouvelle conférence présentée par le Musée de Cluny. Elle nous entraîne, cette fois-ci, au coeur des monastères et à la découverte du travail des moines du moyen-âge central.

Cette intervention est d’ailleurs la première à avoir inauguré ce cycle au musée et à l’image des deux autres conférences déjà présentées ici (le travail de la terre au moyen-âge de Didier Panfili, le travail sur les chantiers médiévaux de Cécile Sabathier), l’historienne médiéviste Élisabeth Lusset nous offre un panorama claire et exhaustif de son objet : des travaux manuels des moines au quotidien, du jardin au scriptorium, en passant par les débats théologiques autour de la dimension spirituelle et matérielle du travail, de sa nécessité ou encore du statut de la prêche comme travail ou non, après l’apparition des ordres mendiants du XIIIe siècle.

Travailler au monastère au Moyen-Age

Élisabeth Lusset,
élements de parcours

A_lettrine_moyen_age_passiongrégée d’histoire, normalienne, docteur en histoire médiévale de l’Université de Paris-Nanterre,  Elisabeth Lusset est chargée de recherche au CNRS et au Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris 1 Panthéon Sorbonne.

Du point de vue thématique, elle a fait de la gouvernance de l’Eglise,  de la justice ecclésiastique mais aussi du monde monastique du moyen-âge central, de ses ordres et de ses communautés, ses terrains de prédilection. D’une manière plus pointue, elle s’est également spécialisée sur le sujet passionnant de la criminalité et des enfermements dans ces mêmes milieux et aux mêmes périodes. Voir notamment son ouvrage : Crime, châtiment et grâce dans les monastères au Moyen åge (XIIe  XVe   siécle), Brepols Publishers, 2017. 
Pour un aperçu plus exhaustif de son parcours, ses publications et ses contributions, cliquez ici.

La dimension mystique de l’activité manuelle dans le cheminement monastique

T_lettrine_moyen_age_passionravail libérateur contre l’oisiveté ou résonance inévitable de la chute originelle et de la punition biblique qui s’y trouvera attachée ? Ces activités manuelles qui occupent les mains, détournent aussi les yeux du monde superficiel et des désirs qui peuvent les tenter.

Au delà, entre approche spirituelle et exigence de la glose, dans le monde silencieux des monastères, l’autorité de la règle (ou des règles) ne doit toutefois pas faire perdre de vue la dimension transcendante de cette dernière ou plutôt le fait qu’elle soit appelée à être transcendée. Pour le dire autrement, les préceptes et les règles monastiques ne peuvent être réduits à leur seule dimension coercitive (réelle ou apparente) au risque de les dépouiller de leur vocation mystique, celle d’accompagner, de manière cognitive, pourrait-on dire, un chemin d’éveil.

deco_medievale_enluminures_moine_moyen-ageA ce titre et pour ouvrir sur d’autres horizons, il est intéressant de noter que, dans le courant de ce même moyen-âge central, à l’autre bout du monde et au Japon, le moine bouddhiste Eihei Dōgen (1200-1253) revenu de Chine, codifiait précisément les l’importance de la cuisine dans le temple et les règles à suivre par le Tenzo – le moine cuisinier, seconde personne plus importante dans la hiérarchie du monastère –  mais aussi plus généralement les règles régissant le « samu », ce travail manuel des moines zen qui inclut toutes les tâches de ménage, de nettoyage, de jardinage utiles à la communauté.

Au delà de la dimension collective nécessaire de ces travaux, il s’agit aussi pour le moine de s’y oublier totalement. Apprentissage de l’humilité mais aussi chemin de « révélation » ou « d’éveil » ces mains qui travaillent permettent à l’esprit de ne se poser sur rien et, en ne se posant sur rien, de laisser la place au dialogue avec le divin. Il n’est même plus  ici question de tentation, mais de recherche d’une forme de silence intérieur, une volonté de faire de chaque geste quotidien un acte transcendantal. Dans le zen, il n’est d’ailleurs pas rare que les éveillés, ceux qui recevront le « shiho », la « transmission » – soit la lourde responsabilité de devenir, à leur tour, les responsables du monastère et de transmettre la « graine de l’éveil » – soient cuisiniers ou jardiniers. De fait, dans le travail monastique zen, l’activité manuelle est hautement valorisée, comme partie-prenante d’un cheminement mystique, qui touche de près des aspects de cognition.

Cet article n’en offre par le cadre, mais il pourrait être intéressant d’examiner les possibles corrélations de ce monde monastique médiéval au notre sur ces aspects.

En vous souhaitant une bonne écoute et une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.