Archives par mot-clé : XIIe siècle

Fable médiévale : la guenon et son enfant de Marie de France

Enluminure de Marie de France

Sujet  : poésie médiévale, fable médiévale, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poésie morale, oïl.
Période : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre : D’une Singesse et de son Enfant
Auteur  : Marie de France (1160-1210)
Ouvrage  :  Poésies de Marie de France, T2, B de Roquefort (1820)

Bonjour à tous,

ntre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle, Marie de France nous a légué une œuvre fournie, connue notamment pour ses lais et ses ysopets. Pour rédiger ces derniers, la poétesse médiévale s’est inspirée de fables antiques qu’elle dit avoir traduites en anglo-normand depuis un manuscrit anglais ayant appartenu au roi Alfred (848-899). Hélas ! Pour l’instant, ce manuscrit du haut Moyen Âge n’a jamais été retrouvé et certains médiévistes en sont même venus à mettre en doute son authenticité ou, à tout le moins sa datation.

Quoi qu’il en soit, on peut toujours se consoler avec l’œuvre de Marie de France qui, elle, s’est conservée et, aujourd’hui, nous vous invitons à découvrir une nouvelle fable de cette auteur(e) médiévale considérée, à ce jour, comme une des premières poétesses en langue d’oïl.

Défiance & discrétion dans un monde incertain

Dans la fable du jour, Marie de France mettra en scène une guenon et son enfant pour nous proposer une réflexion sur la discrétion et la vigilance à tenir au moment de vouloir rendre publique notre vie privée, comme nos pensées. D’une part, la guenon de sa fable passera pour « folle » à vouloir à tout prix gagner l’adhésion de tous sur des choses qui l’agréent et l’enthousiasment mais qui restent, finalement, très personnelles. D’autre part, selon la fabuliste médiévale, le monde est peu sûr et tant d’étalage pourrait bien finir par se retourner contre celle-là même qui s’y adonne.

Dans un premier temps, nous vous proposerons le fable et ses traductions. Nous étudierons ensuite ses sources anciennes et leurs variations.

Concernant les images utilisées pour illustrer cet article, celle d’en-tête comme l’enluminure dans l’illustration ci-dessous, sont des créations réalisées à partir de deux sources principales. Le paysage en arrière plan et le fond de l’enluminure proviennent du Livre de la Chasse de Gaston Febus. Ce manuscrit médiéval, daté du XIVe siècle, est conservé à la BnF sous la référence ms Français 616 ; il est consultable sur Gallica. Pour la guenon, l’ours et le lion, nous les avons extraits du Rochester Bestiary. Ce superbe manuscrit, daté des débuts du XIIIe siècle ( 1230), est actuellement conservé à la British Library sous la référence Royal MS 12 F XIII.

Une Fable de Marie de France avec enluminure médiévale

D’une Singesse et de son Enfant
dans l’anglo-normand de Marie de France

Une Singesse aleit mustrant
A tutes Bestes sun Enfant,
Si l’en teneïent tuit pur fole
E par sanlant é par parole ;
Tant k’à un Liun le mustra.
Au commencier li demanda
Se il est biax : c’il li a dit
Qu’ains plus leide beste ne vit ;
Porter li reuve en sa meisun
E si recort ceste rèsun.
Chascun Houpix prise sa couwe
Si s’esmerveille qu’el est souwe.

Cele s’en vait triste et dolente,
Un Ors encuntre enmi lasente ;
Li Ors s’estut, si l’esgarda
Par cointise l’arèsonna.
Voi-jeo,fet-il, illec l’Enfant
Dunt les Bestes parolent tant,
Qui tant parest pruz è gentilx ?
Oïl, fet-ele, c’est mes filx.
Baille le ça tant que jel’ bès,
Qar gel’ wol véir de plus près
Cele li baille et l’Ors le prent
S’i l’a mengié hastiwement.

Moralité

Pur ce ne devriet nus mustrer
Sa priveté ne sun penser ;
Car tel cose puet-hum joïr
Que ne fet mie à tus plaisir.
Par descuvrance vient grand max
N’est pas li siècles tuz loiax.

D’une guenon et son enfant
adaptée en Français actuel


Une guenon allait montrant
A toutes bêtes son enfant
Celles-ci la prenaient pour folle
Pour ses actes comme ses paroles.
Elle le montra jusqu’à un lion
A qui, d’emblée elle demanda, en exhibant son rejeton
S’il était beau. Le lion lui dit
Que jamais bête plus laide ne vit ;
Qu’elle le ramène en sa maison,
Et se souvienne de ce dicton :
Tout renard admire sa queue
Et la voyant se sent glorieux.

Celle-ci s’en fut triste et peinée,
Puis, croise un ours sur le sentier ;
L’ours s’arrête et la regarde

Et lui dit d’un ton avisé (1) :
« Ainsi voilà donc l’enfant
Dont toutes et tous parlent tant
Qui a l’air si preux et gentil. »
« Oui, répond-elle, c’est mon fils. »
Tends-le moi pour que je l’embrasse
Car je veux le voir de plus près.
Celle ci lui tend. L’ours le prend
Et le dévore en un instant.

Moralité

Pour cela, on doit se garder
D’étaler secrets & pensées
(2);
Car certaines choses peuvent réjouir
Qui ne fassent à d’autres plaisir.
En les exhibant, vient grand mal
Ce siècle (les temps) n’est pas toujours loyal.

(1) Cointise : gentillesse, amabilité, affabilité, coquetterie mais aussi ruse, hardiesse.
(2) « Sa priveté ne sun penser » : choses privées, intimité, pensées, opinions. Il semble que Marie de France ait voulu ici tout englober.


En remontant le fil de cette fable

On trouve diverses sources qui, une fois croisées, peuvent permettre de remonter le fil de cette fable de Marie de France. Ici, nous reviendrons à Esope, à Phèdre mais aussi à Avianus, pour ce qui est des sources les plus anciennes. Puis, nous verrons au passage quelques versions plus modernes de ces mêmes sources avec La Fontaine et Isaac de Benserade.

Les deux besaces, d’Esope à Phèdre

« Jadis Prométhée, ayant façonné les hommes, suspendit à leur cou deux sacs, l’un qui renferme les défauts d’autrui, l’autre, leurs propres défauts, et il plaça par devant le sac des défauts d’autrui, tandis qu’il suspendit l’autre par derrière. Il en est résulté que les hommes voient d’emblée les défauts d’autrui, mais n’aperçoivent pas les leurs.
On peut appliquer cette fable au brouillon, qui, aveugle dans ses propres affaires, se mêle de celles qui ne le regardent aucunement.« 

Les fables d’Esope, Emile Chambry,
Ed Les belles Lettres (1927)

Longtemps après Esope (564 av. J-C), on retrouvera, à peu de chose près, la même fable chez Phèdre (14 av. J.-C-50 apr. J.-C) :

« Jupiter nous a fait porteurs de besaces ; il a rempli la poche de derrière de nos propres défauts, & a chargé celle de devant des défauts d’autrui.
Delà vient que nous ne pouvons voir nos défauts, & que nous censurons les autres aussitôt qu’ils manquent (commettent une faute). »

Fables de Phèdre affranchi d’Auguste en Latin et en François,
Ed Marc Michel Rey (1769)

La guenon et Jupiter, de Flavius Avianus

Les besaces des fables d’Esope et de Phèdre sont sans doute trop courtes et laconiques pour avoir inspiré Marie de France. En revanche, on trouvera d’évidente similitude entre la fable de cette dernière et celle de la Guenon et Jupiter du poète romain Flavius Avianus (IVe, Ve siècle avant notre ère). Lui-même s’est inspiré de ses prédécesseurs et on reconnaîtra, entre ses lignes, la paraboles des deux besaces du fabuliste grec ou de Phèdre même si elle est ici, largement remaniée et délayée.

« Jupiter voulut une fois connaître lequel de tous les êtres qui peuplent l’univers produisait les plus beaux rejetons. Toutes les espèces de bêtes sauvages accourent à l’envi aux pieds de sa grandeur, et celles des champs sont forcées de s’y rendre avec l’homme. Les poissons écailleux ne manquent point à ce grand débat, non plus que tous les oiseaux qui s’élèvent aux régions les plus pures de l’air. Au milieu de ce concours, les mères, tremblantes, conduisaient leurs petits, sur le mérite desquels devait prononcer un si grand dieu. Alors, à la vue d’une Guenon à la taille courte et massée qui tramait après elle son hideux enfant, Jupiter lui-même fut pris d’un fou rire. Cependant cette mère, la plus laide de toutes, essaya de dissiper les préventions dont sa progéniture était l’objet. Que Jupiter le sache bien, dit-elle : si la palme soit appartenir à quelqu’un, c’est à celui-ci qui l’emporte sur tous les autres, à mon avis.

L’homme est ainsi fait : il se complaît dans ses œuvres, tout imparfaites qu’elles puissent être. Pour vous, ne louez rien de ce que vous avez fait avant d’être sûr déjà de l’approbation d’autrui. »

Les Fables d’Avianus par Jules Chenu
Edition CLF Panckoucke (1843)

Les enfants de la guenon, d’Esope

Revenons chez Esope à nouveau pour mentionner une autre fable qui pourrait avoir fait partie des sources ayant inspiré Marie de France. Dans ce récit antique, il est encore question d’une Guenon. Cette fois-ci, ayant donné naissance à deux petits, cette dernière négligera totalement l’un deux et reportera tous ses soins sur l’autre, au risque de l’étouffer par amour et de le tuer involontairement. De son côté, celui qu’elle avait délaissé, deviendra grand et fort.

Les guenons, dit-on, mettent au monde deux petits ; de ces deux enfants elles chérissent et nourrissent l’un avec sollicitude, quant à l’autre, elles le haïssent et le négligent. Or il arrive par une fatalité divine que le petit que sa mère soigne avec complaisance et serre avec force dans ses bras meurt étouffé par elle, et que celui qu’elle néglige arrive à une croissance parfaite.


Cette fable montre que la fortune est plus puissante que toute notre prévoyance.

Fables d’Ésope, Émile Chambry,
Les belles Lettres (1927)

Comme on le voit, dans cette fable, la morale d’Esope se dirige plus vers le sort contre lequel on ne peut rien. Elle n’a donc pas grand chose en commun avec la « Singesse » de Marie de France, si ce n’est l’amour que la primate porte à son rejeton et qui finira, dans les deux cas, par tuer ce dernier. Au passage, Avianus reprendra également cette fable à la suite d’Esope mais, chez lui, la négligence de la mère aura permis de fortifier celui qui a su grandir humblement et dans l’adversité : « Ainsi l’indifférence est parfois utile ; la chance tourne, et les plus humbles s’élèvent d’autant plus haut. » (op cité)

En faisant un grand bond dans le temps, par dessus le Moyen Âge, au XVIIe siècle, l’écrivain et dramaturge Isaac de Benserade tirera de cette même fable de la guenon et ses deux petits, un quatrain qui pourrait s’approcher, indirectement, des leçons que tire Marie de France dans sa fable :

« Embrassant ses petits le singe s’en défait
Par une tendresse maudite.
À force d’applaudir soi-même à ce qu’on fait
L’on en étouffe le mérite.
« 


Fables d’Ésope en quatrains, Isaac de Benserade,
Editions Sebastien Mabre-Cramoisy (1678).

Une fable « sociale » chez Marie de France

Près de 15 siècles après Esope et 5 siècles avant Benserade, on voit bien comment chez Marie de France, la leçon prend, au passage, une dimension plus sociale. Sa fable interpelle, en effet, le bavard ou le vantard autant que le monde autour de lui. Il ne s’agit plus seulement de la relation critique à autrui et du manque de recul. Chez la poétesse du XIIe siècle, « le siècle est devenu déloyal ». Autrement dit, les temps sont à la défiance : il y a danger à exposer ses secrets, ses pensées ou son intimité aux autres pour des raisons qui touchent au contexte social lui-même.

Certes, la guenon est marginalisée par la société des bêtes, pour son insistance à exhiber aux yeux de tous sa progéniture. Dans sa grande noblesse, le lion aura la bonté de ne pas tirer parti de la faiblesse de la primate. Il lui fera même ouvertement la leçon. Hélas pour elle, l’ours ne sera pas si clément, ni loyal. Pourtant, au sortir, Marie ne blâme pas tant la guenon pour son excès de confiance ou sa naïveté qu’elle ne nous alerte sur des temps devenus dangereux et un monde qui n’est plus bienveillant : mieux vaut voiler ses choses privées, ses pensées et user de méandres pour s’exprimer en public et c’est d’ailleurs ce qu’elle fait en utilisant le genre de la fable. L’usage de la métaphore animalière contient, en quelque sorte, un renforcement de son propos. En terme de moralité, nous nous sommes éloignés des fables des anciens.

La besace de Jean de La Fontaine

Longtemps après Marie de France, on retrouve chez La Fontaine, une fable du nom de La Besace qui reprend la même mise en scène que celle utilisée par Avianus.

Jupiter y convoque les animaux pour qu’ils s’expriment, chacun, sur leur propre forme et les défauts qu’ils se trouvent. Le singe passe en premier. Puis suivent l’ours, l’éléphant, la fourmi, la baleine, et tous se comparant aux autres se trouveront mieux formés. En terme de moralité, cette fable de La Fontaine renouera avec Esope en revenant à l’adage de « la poutre dans son propre œil contre la paille dans celui du voisin » :

Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes
On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.
Le Fabricateur souverain
Nous créa Besaciers (porteurs de besace) tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui.

Fables de La Fontaine illustrées par Grandville,
Livre premier, Ed Furne et Cie Libraire (1842)

Sur les inspirations de Marie de France

Bonne nouvelle ! Si le manuscrit du roi Alfred sur lequel Marie de France dit s’être appuyée n’a jamais été retrouvé, en 2020, Baptiste Laïd, agrégé en lettres classiques et expert en littérature médiévale, s’est attaqué au sujet des sources ayant pu inspirer la poétesse du Moyen Âge central. Il leur même a consacré sa thèse avant de la faire publier, en 2020, chez Honoré Champion. Vous pourrez la trouver en librairie sous le titre, L’élaboration du recueil de fables de Marie de France. Trover des fables au XIIe siècle. C’est un ouvrage que nous vous recommandons si vous voulez approcher de peu plus près ces questions. Il est également disponible en ligne ici.


Une pensée sur notre modernité

Sur une note plus actuelle, cette fable nous semble résonner de manière plutôt édifiante, notamment à l’heure des réseaux sociaux. Depuis l’avènement de ces derniers, il semble, en effet, qu’on ait assisté à une exposition toujours plus avancée de choses qui, naguère, relevaient encore du privé. L’évolution a été foudroyante. Elle ne s’est étalée que sur quelques années, deux décennies tout au plus, mais elle a touché en profondeur les frontières du privé et du public, avec des conséquences dont les gens ne sont pas toujours conscients et dont ils ont, quelquefois, fait les frais à leur dépens.

A ce propos, on pourra citer, par exemple, ce faux magicien (hollandais, je crois) qui, il y a quelques années, avait fait le buzz avec une expérience assez intéressante. Cette dernière consistait à faire entrer des gens sous une tente aménagée pour l’occasion et à les filmer. Après quelques « rituels » divinatoires » (simulés donc), il leur faisait des révélations très privées et personnels sur eux-mêmes qui les laissaient tous, sous le choc, et littéralement subjugués par son grand pouvoir.

L’effet durait jusqu’au moment où il leur confessait avoir trouvé toutes ces informations à leur égard, simplement en épluchant leur compte Facebook et leur profil sur les réseaux sociaux. N’étant en rien magicien, il faisait justement cela pour faire prendre conscience au public de ce qu’une fois pris dans le jeu des réseaux sociaux et du partage d’informations sur sa vie privée, on peut finir par divulguer de soi-même et sans s’en rendre compte, bien plus de choses que l’on a conscience.

En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Tué par un éclair et ressuscité par un miracle ! La Cantiga de Santa Maria 311

Sujet :  musique  ancienne, galaïco-portugais, culte marial, miracle, vierge de Montserrat, résurrection, Moyen Âge chrétien, Catalogne.
Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre :  Cantiga  Santa Maria 311,   O que diz que servir hóme aa Virgen…  
 Auteur : Alphonse X de Castille (1221-1284)
Interprète : Música Antigua
Album : Cantigas de Catalunya  (2007)

Bonjour à tous,

u cœur de l’Espagne médiévale et à la cour d’Alphonse X, on réunit les chants, les miracles et les louanges qui circulent alors sur les routes des pèlerinages des lieux dédiés à la vierge.

Demeurée célèbre, la compilation du XIIIe siècle présente des centaines de chants mariaux notés musicalement, qui ont traversé 700 ans d’histoire pour nous parvenir. Sur Moyenagepassion, nous avons entrepris, leur étude, depuis quelques années déjà, en nous efforçant de vous les présenter de manière commentée, avec leurs sources, des versions en musique par les plus grands ensembles du moment, mais aussi leurs traductions en français actuel. Après une petite pause, nous reprenons, aujourd’hui, le flambeau pour partir à la découverte de la Cantiga Santa Maria 311. Mais avant cela disons un mot du culte marial au Moyen-âge.

A propos des Cantigas et du culte marial

Bien au delà des frontières de la péninsule ibérique, les cantigas de Santa Maria d’Alphonse X ont ceci de précieux qu’elles témoignent d’un culte marial qui fut d’une très grande importance pour le monde chrétien occidental, à partir du Moyen Âge central.

Mère du « Dieu mort en croix« , on prête à la vierge le pouvoir d’intercéder auprès de lui pour le compte des hommes. Grande faiseuse de miracles pour qui la loue et la prie, elle a aussi la douceur et la compréhension d’une mère. De fait, parmi tous les auteurs médiévaux que nous avons pu étudier jusque là : De Rutebeuf à François Villon, en passant par différents trouvères et troubadours mais encore des poètes du Moyen Âge plus tardif, peu sont ceux qui n’aient pas écrit leur propre oraison à la vierge ou quelques louanges à son endroit. En littérature médiévale, l’amour qu’on lui voue empruntera même, aux XIIe et XIIIe siècles, chez certains auteurs religieux ou laïques, les voies de la lyrique courtoisie et de la fine Amor, donnant naissance à une poésie, toute en spiritualité et en retenue.

Le miracle de la Cantiga 311 : le pèlerin foudroyé et son ami mécréant

Enluminure de la Cantiga de Santa Maria 311 dans le chansonnier BNCF BR20 de la Bibliothèque de Florence (XIIIe-XIVe siècle).

A l’image de nombreuses Cantigas de Santa Maria, la CSM 311 conte l’histoire d’un miracle. Celui-ci porte plus particulièrement sur la vierge catalane de Montserrat et nous rapporte les infortunes d’un dévot habitué à la visiter, chaque année, en pèlerinage.

Ce corpus médiéval ne cesse de l’affirmer, la foi placée en la Sainte Marie peut tout et de bien des manières ; le miracle de la Cantiga 311 s’efforcera, une fois de plus, de l’établir. Il prendra même la forme du miracle ultime puisqu’il sera question ici de résurrection. Notons que ce n’est pas le seul de ce type dans le corpus des Cantigas d’Alphonse X ; nous avons eu l’occasion d’en étudier plusieurs de ce type (voir notre index de Cantigas de Santa Maria).

Ici, l’exemplarité de la dévotion sera pour les auditeurs, autant pour l’un des témoins directs de toute l’affaire. Bourgeois nanti, de peu de foi, ce dernier recevra, au passage, une double-leçon sur le mal fondé de ses doutes en les pouvoirs de la Sainte, autant que sur son avarice et son manque de largesse envers elle. A l’occasion de ce retour entre les lignes du chameau et du trou de l’aiguille, la boucle biblique sera donc bouclée (1).

Música Antigua et les cantigas d’Alphonse X

Pour nous accompagner en musique dans la découverte de ce chant marial, nous avons choisi de rester sur les routes d’Espagne, pour y profiter du talent et de l’œuvre majeure d’Eduardo Paniagua (voir son portrait détaillé ici). Avec son ensemble Música Antigua fondé en 94, ce musicien espagnol est, en effet, l’un des seuls à avoir couvert l’ensemble du répertoire des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Il en a tiré de nombreux albums thématiques.

Loin de toute sophistication vocale, la version qu’il nous propose ici reste plutôt « ancrée ». Pour le dire autrement, on n’est plus proche d’une version à la René Zosso que d’une envolée soprano. Mais, finalement, peut-être reste-t-on, de cette façon, plus proche des origines de ces chants (orchestration mise à part) si on les imagine chantés sur des routes de pèlerinages.

Cantigas de Catatunya, Abadía de Montserrat

Sorti dans le courant de l’année 2007, l’album dont est tiré le chant marial du jour est intitulée : Cantigas De Catalunya, Abadía de Montserrat (Chants de Catalogne, abbaye de Montserrat) Sur 1h15 d’écoute, on colle donc dans la logique thématique chère à Edouardo Paniagua, au moment d’aborder ce vaste corpus de plus de 400 pièces.

Cantigas de Catalunya - Album de l'ensemble Musica Antigua sous la direction de Eduardo Paniagua.

Comme son titre l’indique, cette production vous permettra, à travers huit pièces issues du répertoire d’Alphonse X, de découvrir uniquement des Cantigas qui portent sur le nord de l’Espagne et la Catalogne et dans lesquelles la vierge de Montserrat tient une place de choix. Du reste, pour ceux qui ne les connaissent pas, aujourd’hui encore, entourées d’impressionnantes concrétions rocheuses, à quelques encablures de Barcelone, l’abbaye de Montserrat et sa vierge noire continuent d’attirer de nombreux pèlerins et visiteurs, chaque année.

Membres ayant participé à cet album

César Carazo (chant, alto), Luis Antonio Muñoz (chant, fidule), Felipe Sánchez (luth, citole, vièle), Jaime Muñoz (cornemuse, flaviol, tarota, axabeba, tambour), David Mayoral (darbouka, dumbek, tambourin), Eduardo Paniagua (psaltérion, flûte à bec, cloche, darbouka, gong, rochet, hochets, hochet, goudron) et direction.

En chinant un peu, vous pourrez, sans doute, trouver cet album chez votre disquaire préféré. Sinon, sachez qu’il est toujours disponible à la vente en ligne sous forme dématérialisée. Voici un lien utile pour l’obtenir au format MP3.

La Cantiga de Santa Maria 311 et sa partition, Códice de los Músicos, manuscrit médiéval.
La Cantiga de Santa Maria 311 et sa partition dans le codex des musiciens ( Códice de los Músicos, códice J.b.2) de la Bibliothèque de l’Escorial de Madrid

La cantiga de Santa Maria 311
et sa traduction en français actuel


Como Santa María de Monsarrat resuscitou un hóme que ía alá en romaría e morreu na carreira.

O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é,
aquest’ é de mal recado e hóme de maa fé.

Ca se en fazer serviço a un bon hóme pról ten,
quanto mais na Virgen santa ond’ havemos todo ben;
e quen aquesto non cree, sa creença non val ren,
ca descre’ en Déus, séu Fillo, e en ela que Madr’ é.
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

Comment Sainte-Marie de Montserrat ressuscita un homme qui se rendait là-bas en pèlerinage et mourut en chemin.

Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine
Celui là est un mauvais messager et un homme de mauvaise foi.

Car si rendre service à un homme bon a de la valeur
Combien plus encore l’est
de servir la vierge sainte dont nous recevons tous les bienfaits.
Et celui qui ne croit pas en cela, sa foi ne vaut rien,
Car il ne croit ni en Dieu, ni en son fils, ni en elle qui est sa mère
Celui qui dit que servir la vierge n’est rien…

E de tal razôn miragre vos quéro óra mostrar,
que d’ entender é mui bõo a quen i mentes parar,
que a Virgen grorïosa de Monssarraz quis mostrar
por un hóme que a sempre servía con mui gran fé.
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

Et à ce propos, je veux vous exposer un miracle,
Qui est fort édifiant pour qui y prête attention,
Et que la vierge glorieuse de Montserrat voulut faire
Pour un homme qui la servait toujours avec une grande foi.
Celui qui dit que servir la vierge n’est rien…

El alí en romaría ía dous vezes ou tres
no ano, e amizade havía con un borgês;
e rogou-lli que na fésta qu’ é en meógo do mes
d’ Agosto de sũu fossen, dizendo: “Logar sant’ é.”
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

Il allait là-bas (à Montserrat) en pèlerinage deux ou trois fois l’an
Et avait des amitiés avec un bourgeois ;
Et il pria ce dernier de se rendre avec lui à la fête qui s’y donne
En août, en lui disant : « C’est un lieu très saint. »
Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…

Entôn ambos s’ acordaron por en romaría ir
a Monssarraz. Mas primeiro, per quant’ end’ éu puid’ oír,
passaron per Barçalona; e u quiséron saír
da vila, começou lógo mal tempo, per bõa fé.
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

Ainsi, ils s’accordèrent tous deux pour aller en pèlerinage
A Montserrat. Mais avant cela, d’après ce que j’ai pu entendre,
Ils passèrent par Barcelone ; et quand ils voulurent sortir
De la ville, le temps commença à se gâter, de bonne foi
(2)
Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…

E fezo ventos mui grandes e começou de chover
e alampos con torvões des i coriscos caer,
assí que feriu un deles aquel hóme, que morrer
o fez lógo mantenente; ca do corisc’ assí é

Et il souffla de très grands vents et il commença à pleuvoir
Avec du tonnerre, de grandes turbulences et des éclairs qui tombaient
De sorte qu’un de ses hommes fut blessé et mourut
Peu de temps après, car il en va ainsi avec les éclairs

Que en quen fér lóg’ afoga ou talla ou queimar faz.
Mais aquel hóm’ afogado foi, que pera Monssarraz
ía sempre, com’ oístes; e séu compannôn assaz
chorou por el e ar disse paravlas contra a fé,

Qui à l’un peuvent frapper, ou blesser ou faire se brûler.
Cet homme qui se rendait toujours à Montserrat,
Fut foudroyé, comme vous l’avez entendu ; et son compagnon
Pleura beaucoup pour lui et prononça des paroles contre la foi,

dizendo: “Par Déus, amigo, muito empregásti mal
quanto a Santa María servist’, e pois te non val
nen te guardou desta mórte, per que o dém’ infernal
levou ja de ti a alma; e, mal pecad’, assí é.”
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

En disant : « Par Dieu, mon ami, tu t’employas bien mal
En servant Sainte-Marie, et cela ne t’a rien valu,
Ni ne t’a protégé de cette mort, car le démon de l’enfer
a déjà emporté ton âme ; c’est bien triste pour toi, mais il en est ainsi.
Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…

E outro día por ele ũa missa dizer fez,
des i que o soterrassen, ca tal éra come pez
tornado daquel corisco; e ar disse dessa vez
paravras contra a Virgen onde naceu nóssa fé,

Le jour suivant, il fit dire un messe pour lui
Et pour qu’on l’enterre, car ce dernier était noir
Comme la poix par la faute de cet éclair, et il dit à nouveau
Des mots contre la vierge en laquelle réside notre foi.

indo con el aa cóva chorand’ e dizend’ assí:
“Mal empregásti téu tempo na Virgen, com’ aprendí,
demais perdísti grand’ algo que lle désti; mais a mi
nunca averrá aquesto, ca o méu na arca é.”
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

Et se rendant avec le défunt en son caveau, il pleurait et disait :
« Tu as bien mal employé ton temps dans la vierge, comme j’ai pu le voir,
Et, plus encore, tu as perdu tout ce qui tu lui donnas en offrande ;
Mais jamais cela ne m’arrivera, car ce qui est m’appartient reste bien à l’abri. »

Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…

El aquest’ assí dizendo, resorgiu o mórt’ entôn
e assentou-se no leito e diss’ aquesta razôn:
“Mentes a guisa de mao, ca mia alm’ a perdiçôn
fora, se non foss’ a Virgen, que chav’ é de nóssa fé,

Tandis qu’il parlait ainsi, le défunt ressuscita
Et s’asseyant sur son lit funéraire, il parla de cette manière :
« Tu mens comme un mauvais homme car mon âme aurait
été en perdition, si cela ne fut grâce à la Vierge, qui est la clé de notre foi.

que me livrou de sas mãos u éra en poder séu;
e porend’, enquant’ éu viva, sempre no coraçôn méu
a terrei pera serví-la, e nunca me será gréu
de ren que por ela faça, ca mui ben empregad’ é.”
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

C’est elle qui me libéra des mains du démon quand j’étais en son pouvoir ;
Et pour cela, tant quand je vivrai, je mettrai toujours mon cœur
En quatre pour la servir, et jamais cela ne me sera pesant
En rien, car tout ce que je fais pour elle, est fort bien employé. »
Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…

Quand’ esto viron as gentes, déron todos gran loor
aa Virgen grorïosa, Madre de Nóstro Sennor,
que sempre seja loada enquanto o mundo for,
ca é nóssa avogada, des i padrõa da fé.
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

Quand les gens virent cela, ils firent de grandes louanges
A la vierge glorieuse, Mère de notre Seigneur,
Qu’elle soit toujours louée tant que je suis en ce monde
Car elle est notre avocate et la mère patronne de notre foi,
Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…



En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.


Notes

(1) Matthieu 19.24. « Il est plus facile pour un chameau entre par un trou d’aiguille, que pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. »
(2)…, per bõa fé : petit doute sur cette formule placée à la fin de cette phrase et dont le sens, dans le contexte, serait à revérifier. Le temps se gâta pour la foi de nos pèlerins ? Le troubadour nous dit cela en toute bonne foi ?

NB : sur l’image d’en-tête, en arrière plan de la vierge noire de Montserrat, vous retrouverez la page du BNCF BR 20 et l’illustration de cette cantiga.

Fable médiévale : Du renard piègé par un reflet de lune

Enluminure de Marie de France

Sujet  : fable médiévale, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poésie morale
Période : XIIe s, Moyen Âge central.
Titre : De vulpe et umbra lunae ou Dou Leu qi cuida de la Lune ce fust un fourmaige
Auteur Marie de France (1160-1210)
Ouvrage  : Die Fabeln De Marie de France, Karl Warnke (1898)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous repartons à la fin du XIIe siècle, avec l’étude des fables de Marie de France. Nous y suivrons les mésaventures tragiques d’un renard, ou même d’un loup dans certains manuscrits. Dans les deux cas, le récit et la morale ne changeront pas et la poétesse nous contera comment un reflet de lune piègera cruellement l’animal.

Comme on le verra, il ne sera pas question, ici, du reflet dans l’eau qui avait trompé le Narcisse de la mythologie, pas d’avantage que celui de la fable très connue du cerf se mirant dans l’eau. Le thème du jour est plutôt celui de la convoitise et de l’obstination à vouloir posséder plus que ce qu’on l’on doit, au risque de devenir « zinzin » (oui, c’est trivial, je l’admets), voire même de connaître le pire des sorts.

"Le renard et le reflet de la lune" Une fable de Marie de France avec enluminure

De vulpe et umbra lunae,
dans l’anglo-normand de Marie de France

D’un gupil dit ki une nuit
esteit alez en sun deduit.
Sur une mare trespassa.
Quant dedenz l’ewe reguarda,
l’umbre de la lune a veü ;
mes ne sot mie que ceo fu.
Puis a pense en sun curage
qu’il ot veü un grant furmage.
L’ewe comenga a laper ;
tres-bien quida en sun penser,
se l’ewe en la mare fust mendre,
que le furmage peüst bien prendre.

Tant en a beu que il creva,
lluec chaï, puis n’en leva.


Meint humme espeire, utre dreit
e utre ceo qu’il ne devereit,
a aver tutes ses volentez,
dunt puis est morz e afolez.

Du renard piégé par un reflet de lune
adapté en français actuel

D’un renard, on dit, qu’une nuit
Alors qu’il était de sortie
Il passa tout près d’une mare
.
En jetant, dans l’eau, un regard,
La lune ronde s’y reflétait
Mais il ne sut ce que c’était.
Puis, il pensa devant l’image
Qu’il s’agissait d’un grand fromage
.
Et lors, commença à laper
Etant certain en sa pensée
Qu’une fois l’eau en la mare basse
Sur la tomme, il ferait main basse.
Or, en boit tant et tant qu’il crève
Tombé raide, point ne s’en relève
.

Beaucoup espèrent plus de droits,
Et de choses que ne leur échoient
Voulant tous leurs désirs comblés
Les voilà morts et mortifiés
.


Esope aux origines de cette fable médiévale

Comme mentionné plus haut, suivant les manuscrits, on trouve un renard ou bien un loup comme triste héros de cette fable de Marie de France. Dans les deux cas, l’issue est identique. L’animal se trouve piégé par sa gloutonnerie et quand bien même il s’agit d’un goupil, sa ruse ne le sauve pas d’avantage qu’un loup. L’obstination à posséder rend aveugle. Elle peut même être meurtrière, nous dit la morale de cette fable.

Les deux chiens qui crèvent à force de boire
& le chien et le fromage

Bien avant la poétesse anglo-normande du Moyen Âge central, on retrouve les traces de cette fable chez Esope (reprise plus tard par le fabuliste Phèdre). Chez le grec du sixième siècle avant notre ère, la fable des deux chiens qui crèvent à force de boire et celle du chien et du fromage sont sans doute, celles qui ont inspiré Marie de France. Dans la première, deux chiens voient une peau, au fond de l’eau d’un fleuve (ou encore un morceau de chair). Pour atteindre le précieux butin, ils décident de faire descendre le niveau d’un point d’eau et boivent jusqu’à plus soif, au point de finir par y laisser la leur (de peau).

L’autre fable, similaire du point de vue de la thématique — reflet, illusion, et convoitise — est celle du chien et du fromage qu’on trouve chez Esope mais qui sera également, reprise par Marie de France sous le titre « Dou chien et dou formage« . Elle raconte l’histoire d’un chien passant sur un pont, avec un fromage dans sa gueule. Voyant le reflet de ce dernier dans l’eau, l’animal se fourvoie et pense pouvoir obtenir, là, un deuxième fromage. Hélas, il lâchera la proie pour l’ombre et son avidité lui fera perdre son fromage bien réel et le reflet de celui-ci, au fond des eaux. Le chien, le loup et le renard se trouvent donc tous logés à la même enseigne.

NB : sur le thème du reflet dans l’eau mais, cette fois, avec un angle plus narcissique, on trouvera encore chez Marie de France, la fable du cerf se mirant dans l’eau et tombant en pamoison devant la beauté de ses bois.

Chez Jean de La fontaine

En faisant un bond en avant dans le temps, on retrouvera deux fables du célèbre Jean de La Fontaine sur les thèmes précédemment évoqués : les deux chiens et l’âne mort et encore Le loup et le renard.

Les deux chiens et l’âne mort

Dans la première, les deux chiens et l’âne mort, deux mâtins voyant le cadavre d’un âne flottant dans l’onde, décident de boire toute l’eau de la rivière, pour le récupérer :
« Buvons toute cette eau ; notre gorge altérée
En viendra bien à bout : ce corps demeurera
Bientôt à sec, et ce sera
Provision pour la semaine. »

Et la morale de déclamer, dans le style toujours très enlevé du fabuliste du XVIIe siècle :
Mais rien à l’homme ne suffit :
Pour fournir aux projets que forme un seul esprit
Il faudrait quatre corps ; encor loin d’y suffire
A mi-chemin je crois que tous demeureraient :
Quatre Mathusalems bout à bout ne pourraient
Mettre à fin ce qu’un seul désire.

Le loup et le renard

La deuxième fable de Lafontaine sur le thème du reflet de la lune dans l’eau est « le loup et le renard« . Elle emprunte à la fois au chien et au fromage d’Esope mais aussi à une autre fable de l’écrivain grec : le renard et le bouc dans laquelle un renard et un bouc assoiffés se retrouvent pris au piège au fond d’un puits. Le goupil sollicitera l’appui du bouc pour l’aider à sortir, et une fois dehors, laissera le mammifère caprin à son triste sort.

Dans le récit de La Fontaine du loup et du renard, le goupil sera sauvé, cette fois-ci, par sa malice. Ayant succombé à l’illusion du reflet de lune au fond d’un puits et l’ayant pris pour un fromage, il y descendra dans un premier temps :

Voici pourtant un cas où tout l’honneur échut
A l’hôte des terriers. Un soir il aperçut
La lune au fond d’un puits : l’orbiculaire image
Lui parut un ample fromage.
Deux seaux alternativement
Puisaient le liquide élément :
Notre renard, pressé par une faim canine,
S’accommode en celui qu’au haut de la machine
L’autre seau tenait suspendu.
Voilà l’animal descendu,
Tiré d’erreur, mais fort en peine,
Et voyant sa perte prochaine

S’apercevant bientôt de son illusion, il finira par pigeonner un loup de passage. Utilisant le même reflet de lune au dépens de ce dernier pour lui vendre un fromage, le goupil pourra se sortir de ce mauvais-pas par la ruse, en y plongeant son confrère prédateur. La morale restera une leçon sur notre propre capacité à nous illusionner sur nos propres désirs en les prenant, quelquefois, pour des réalités.

… »Descendez dans un seau que j’ai là mis exprès. »
Bien qu’au moins mal qu’il pût il ajustât l’histoire,
Le loup fut un sot de le croire ;
Il descend, et son poids emportant l’autre part,
Reguinde en haut maître renard.
Ne nous en moquons point : nous nous laissons séduire
Sur aussi peu de fondement ;
Et chacun croit fort aisément
Ce qu’il craint et ce qu’il désire.


Une enluminure créée de toutes pièces
pour l’occasion de cette fable médiévale

Enluminure d'un Renard - Bestiaire médiéval MS 3401, Bibliothèque Sainte Geneviève.


Notez que l’image ayant servi à l’en-tête de cet article, ainsi qu’à l’illustration (plus haut) est une création de toutes pièces à partir d’enluminures provenant de divers manuscrits. En voici le détail :

Le fond, l’eau et le paysage proviennent du Lancelot en Prose de Robert Boron, soit le MS Français 113 (XVe siècle) de la BnF, mais aussi de la « compilation arthurienne de Micheau Gonnot, référencé MS Français 112.3 (XVe siècle). Le renard, du deuxième plan, est tiré du manuscrit médiéval Français 616. Conservé lui aussi à la BnF, ce superbe ouvrage ancien contient Le Livre de Chasse de Gaston Phébus ainsi que Les Déduits de la chasse de Gace de La Buigne. Il est, quant à lui, daté du XIVe siècle. Enfin, le renard au premier plan (enluminure également ci-contre) est issu d’un ouvrage plus récent. Il s’agit d’un superbe bestiaire référencé Ms 3401 et actuellement conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. C’est l’enluminure la plus tardive de toute notre illustration. Elle provient du XVIe siècle (voir ce manuscrit en ligne). Tous les autres manuscrits sont consultables sur gallica.bnf.fr. Quant à la provenance de la lune et de son reflet, nous en garderons le secret pour lui préserver ses mystères.

En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

no posc sofrir, Giraut de Bornelh et le songe de l’épervier

Enluminure médiévale de Guiraut de Bornelh

Sujet  : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, troubadour, manuscrit médiéval, occitan, oc, amour courtois.
Période  : Moyen Âge central, XIIe et XIIIe s
Auteur : Guiraut de Bornelh, de Borneil (?1138-?1215)
Titre : No posc sofrir c’ a la dolor
Interprète : Maria Lafitte, Unicorn, Oni Wytars
Album : Music of the Troubadours (1996)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous avons le plaisir de vous entraîner au XIIe, XIIIe siècles et en pays d’oc, pour découvrir une nouvelle pièce de Giraut de Bornelh, troubadour que les razos et vidas des siècles suivants sa venue en ce bas-monde ont largement encensé.

Comme une large partie du reste de son œuvre, la chanson du jour est une pièce courtoise et, bien sûr aussi, en occitan médiéval et ancien. A l’habitude, nous dirons un mot de son contenu, de ses sources médiévales. Nous aurons aussi l’occasion d’entendre cette chanson médiévale avec une interprétation des Ensembles Unicorn et Oni Wytars, accompagnés de la voix de Maria Dolors Laffitte. A l’habitude, nous vous en proposerons aussi une traduction en français actuel.

Un songe d’amour pour une belle convoitée

Cette chanson commence un peu étrangement et non sans humour, avec un poète qui compare son entrain et sa joie à l’arrivée de la saison nouvelle, au va et vient irrépressible que ferait sa langue sur un dent douloureuse. Autrement dit, l’attraction pour le printemps est plus forte que tout et la belle nature déjà domestiquée avec ses bocages, ses prairies, ses vergers, ses oisillons et ses fleurs le met en joie : renouvel, renouveau, saison printanière, le départ se situe (à une dent près) dans la lyrique courtoise.

Chanson médiévale de Guiraut de Bornelh dans le Canzoniere provenzale estense
No Posc sufrir… Canzoniere provenzale estense (XIIIe, XIVe s Bib Univ d’Estense)

Par la suite, le troubadour nous entraînera vers un rêve lui aussi printanier (il le précise) : celui d’un jeune épervier sauvage, venu se poser sur lui et qu’il parviendra à force de patience, à dompter. Frappé par cette vision nocturne, Giraut la confiera à son seigneur et protecteur du moment (il en a eu plusieurs – voir sa biographie). Selon le confident, il n’est point question de fauconnerie, ni de chasse ici. Le songe et sa symbolique seront interprétés d’une toute autre façon. Il s’agirait, en fait, d’un rêve pour le guider sur les chemins amoureux. Le troubadour peut convoiter la belle qu’il désire même si elle est de plus haut lignage, mais il devra y mettre de grands efforts s’il veut aboutir. D’abord circonspect et un peu honteux devant ce songe et sa convoitise insensée (on imagine une dame de très haut rang), notre Giraut finira par s’enhardir en décidant de faire porter ses rimes vers la lointaine élue. La chanson est donc présentée comme un premier pas amoureux ou au moins une avancée, destinée à divertir la Dame.

Au passage, on verra le poète médiéval monter au créneau pour marquer sa volonté de s’inscrire dans le Trobar leu. Il l’avait déjà fait dans Leu chansonet’e vil et il le réaffirme ici. Fini le Trobar clus et ses chansons pleines d’allusions énigmatiques et absconses, il veut désormais être clair et compris de son audience. Malgré toute sa bonne volonté et après nous être attelé à la traduction de la pièce du jour, nous serions enclins à mettre un tout petit bémol à son objectif à 800 ans de là (humour).

Aux sources manuscrites de cette chanson

Du point de vue des sources, la chanson se trouve dans de très nombreux manuscrits. Sauf erreur et à date, on ne lui connaît pas de mélodie propre. Nous vous présentons (photo ci-dessus) sa version dans le Canzoniere provenzale estense de la Bibliothèque Universitaire d’Estense en Italie (cote alfa.r.4.4). Ce manuscrit médiéval est connu également en France sous le nom de Chansonnier provençal D ou même Chansonnier occitan D. Il présente, sur 345 feuillets, un grand nombre de sirventes, tensons et chansons de troubadours du Moyen Âge.

No Posc sufrir , Maria Laffitte, Unicorn et Oni Wytars (contrafactum)

Music of the troubadours, l’album

Music of the Troubadours fut proposé au public en 1996. Il s’agit d’un album studio de 12 pièces pour un peu moins de 70 minutes d’écoute. On y trouve présenté huit troubadours : Giraut de Bornelh, Peire Cardenal, Raimon de Miraval, Ramon de Llul, Berenguier de Paloun, Guiraut Riquier, Bernart de Ventadorn, Jaufre Rudel, aux côtés de quelques pièces anonymes. En réalité, deux d’entre eux se partagent la vedette ; la pièce du jour de Giraut de Bornelh n’ayant pas de notation musicale d’époque, c’est la chanson Ar me puesc de Peire Cardenal qui lui a servi de mélodie selon le procédé du contrafactum.

L’ensemble Unicorn, Oni Wytars & Maria Laffitte

Album de musique médiévale sur la musique des troubadours par Oni Wytars

Sous la direction de Michael Posch, Music of the Troubadours est le fruit d’une collaboration entre les ensembles Unicorn et Oni Wytars et Maria Dolors Laffitte. Nous avons dit un mot ici de ces deux ensembles. Le premier est autrichien, l’autre est italo-allemand et on leur doit un certain nombre de productions musicales communes. Quant à Maria Dolors Laffitte i Masjoan (1949-2008), elle vient prêter sa voix à cet album en lui impulsant une vraie énergie.

Un mot de Maria Dolors Laffitte

La chanteuse Maria Dolors Laffitte

Pour dire un mot de cette chanteuse et musicienne d’origine occitane, elle a fait partie de ces générations de la fin des années soixante qui se prirent d’envie de renouer avec les musiques anciennes et traditionnelles et même le folk.

De 1968 à 2001, elle a ainsi exploré un répertoire assez large qui va de chansons médiévales occitanes à des chansons traditionnelles catalanes, des chants séfardis ou même encore des chansons d’auteurs et des chansons pour enfants. Entre autres activités, elle s’est inscrite dans le mouvement Nova Cançó (chanson nouvelle) qui s’éleva durant les années franquistes, pour défendre la normalisation de l’usage du catalan dans les chansons et les productions culturelles. Elle est aussi connue pour son activité militante en matière d’écologie. D’un point de vue musical, elle a eu l’occasion de participer à de nombreux groupes, dont la formation Els Trobadors qu’elle fonda en 1991.

Informations complémentaires

Pour ceux que cet album intéresserait, il est encore disponible et on peut encore le débusquer en ligne, notamment, au format CD, Mp3 ou même encore en streaming illimité. Voici un lien utile pour plus d’informations : Music of The Troubadours.

Musiciens ayant participé à cet album

Ensemble Unicorn & Oni Wytars, Maria D. Laffitte, Thomas Wimmer (violon, laúd), Riccardo Delfino (harpe gothique, vielle à roue, cornemuse), Peter Rabanser (gaida, oud, nay, saz), Katharina Dustmann (percussions orientales), Wolfgang Reithofer (percussions), Marco Ambrosini (violon, nyckelharpa, chalemie ), Michael Posch (direction et flûte à bec, flûte de roseau


No posc sofrir c’ a la dolor, giraut de Bornelh
de l’occitan médiéval au français actuel

I. No posc sofrir c’ a la dolor
De la den la lenga no vir
E ‘l cor ab la novela flor,
Lancan vei los ramels florir
E ‘Ih chan son pel boschatge
Dels auzeletz enamoratz,
E si tot m’estauc apensatz
Ni pres per malauratge,
Can vei chans e vergers e pratz,
Eu renovel e m’assolatz.

Je ne peux m’abstenir quand j’ai une douleur
de dent que ma langue n’y revienne sans cesse
Et, de la même façon, je ne peux éviter que mon cœur ne soit touché par la fleur nouvelle,
Lorsque je vois les rameaux fleurir
Et que j’entends le chant mélodieux dans le bosquet (1)
Des oisillons enamourés,
Et si je suis préoccupé
Et pris dans mes propres malheurs
Quand je vois ces chants, ces vergers et ces prairies,
Je me sens régénéré et réconforté (je me sens renouvelé et je me console)

II. Qu’ eu no m’esfortz d’altre labor
Mas de chantar e d’esjauzir;
C’ una noch somnav’ en pascor
Tal somnhe que « m fetz esbaudir
D’ un esparver ramatge
Que m’ era sus el ponh pauzatz
E si ‘m semblav’ adomesgatz,
Anc no vi tan salvatge,
Mas pois fo maners e privatz
E de bos getz apreizonatz.

Car je ne m’applique à d’autre travail
Que celui de chanter et me réjouir  ;
Un nuit de printemps, je rêvais
Ce songe qui me mis en joie,
D’un épervier branchier (2)
Qui était venu se poser sur mon poing
Et, il me sembla bien domestiqué
Bien que jamais je n’en vis d’aussi sauvage,
Mais par la suite, il fut apprivoisé et familiarisé
Et maintenu prisonnier par un lien à la patte,

III. Lo somnhe comtei mo senhor,
Ca son amic lo deu om dir,
E narret lo ‘m tot en amor
E dis me que no ‘m pot falhir
Que d’oltra mo paratge
No m’aia tal ami’ en patz,
Can m’ en serai pro trebalhatz,
C’anc om de mo linhatge
Ni d’ oltra ma valor assatz
Non amet tal ni ‘n fon amatz.

J’ai conté ce songe à mon seigneur,
Car à un ami, on doit dire ces choses,
Et il l’a interprété pour moi sous l’angle de l’amour
En me disant que je ne pouvais échouer (faillir)
A ce que, au delà de mon rang,
Une telle amie ne soit mienne
Après que je m’en serais diligemment occupé
Car jamais homme de mon lignage
Ni de plus grand mérite
N’a aimé de telle façon et n’en fut aimé.

IV. Era n’ ai vergonh’ e paor
E ‘m n’esvelh e n planh e ‘n sospir
E ‘l somnhe tenli a gran folor
E no eut posch’ endevenir;
Pero d’un fat coratge
No pot partir us rics pensatz
Orgollios e desmezuratz
C’apres nostre passatge
Sai que ‘l sornnhes sera vertatz
Aissi drech com me fo narratz.

A présent, j’en ressens de la honte (vergogne) et de la peur
Je m’éveille en soupir et en lamentation
Et je tiens ce songe pour grande folie
Qui ne pourra jamais advenir.
Pourtant, un désir sot (insensé),
Ne peut être séparé, ni venir à bout de remarquables (hautes, nobles) pensées
Orgueilleuses et démesurées,
De sorte qu’après notre traversée (croisade)
(3)
Je sais que le songe deviendra vrai
Aussi vrai qu’il me fut conté.

V. E pois auziretz chantador
E chansos anar e venir !
Qu’era, can re no sai m’ assor,
Me volh un pauc plus enardir
D’ enviar mo messatge
Que ‘ns porte nostras amistatz.
Que sai n’es facha la meitatz,
Mas de leis no n’ai gatge
E ja no cut si’ achabatz
Nuls afars, tro qu’es comensatz.

Et, après cela vous entendrez un chanteur
Et ses chansons aller et venir !
Car, désormais, puisque rien ne m’y pousse ici-bas,
Je veux un peu plus m’enhardir
Pour envoyer mon message
Afin qu’il emporte nos salutations d’amours.
Car jusqu’à présent, n’est faite ni la moitié.
Jamais je n’ai reçu de gage d’elle,
Et ça n’arrivera assurément jamais si rien n’est engagé
Aucune entreprise n’existe qui n’est d’abord commencé.

VI. Qu’eu ai vist acomensar tor
D’una sola peir’ al bastir
E cada pauc levar alsor
Tan josca c’om la poc garnir.
Per qu’eu tenli vassalatge
D’aitan, si m’o aconselhatz,
E i vers, pos er ben assonatz,
Trametrai el viatge,
Si trop qui lai lo ‘m guit viatz
Ab que ‘s deport e’s do solatz.

Parce que j’ai vu débuter la construction d’une tour
Par une seule pièrre
Et peu à peu, s’élever plus haut,
Jusqu’à ce qu’on puisse la doter d’une garnison.
C’est pourquoi je maintiens les valeurs chevaleresques,
Avec un si grand soin  ; ainsi que vous me le conseillez,
Et mes vers, une fois bien accordés (assonants, mis en musique)
Je les enverrai en voyage
Si je trouve quelqu’un qui sache les conduire promptement
Pour qu’elle s’en réjouisse et s’en divertisse.

VII. E s’eu ja vas emperador
Ni vas rei vauc, si ‘m vol grazir
Tot aissi com al seu trachor
Que no ‘l sap ni no ‘l pot gandir
Ni mantener, ostatge
Me lonh en us estranhs renhatz  !
Cais si serai justiziatz
E fis de gran damnatge,
Si ‘l seus gens cors blancs e prezatz
M’es estranhs ni m’ estai iratz.

Et si jamais j’allais chez un empereur
Ou un roi, et qu’il veuille m’accueillir
Toute à la façon d’un traitre
Qui ne saurait, ni ne pourrait le protéger,
Ni même le soutenir,
Et qu’il m’envoie comme un otage vivre en des contrées lointaines  !
Alors, je serais puni de la même manière
Et je souffrirais un aussi grand dommage
Que si celle, si gracieuse et estimée,
M’éloignait d’elle ou se montrait fâchée à mon endroit.

VIII. E vos entendetz e veiatz
Que sabetz mo lengatge,
S’anc fis motz cobertz ni serratz,
S’era no’Is fatz ben esclairatz.

IX. E sui m’en per so esforsatz
Qu’entendatz cals chansos eu fatz.

Et vous qui entendez et voyez
Et connaissez ma langue,
Si jamais j’ai usé de mots couverts et obscurs (trobar clus)
Désormais, je les choisis bien clairs (trobar leu)
.

Et j’ai mis tant d’efforts en cela
que vous comprendrez les chansons que j’ai faites.

(1) boscatge : bois, bocage

(2) Littré. Oiseau branchier : terme de fauconnerie, jeune oiseau qui, n’ayant point encore de force, vole de branche en branche en sortant du nid. Historique XIVe s . L’esprevier est dit branchier ou ramage, pour ce que, quant il soit pris, il vole sur les rainceaux ou sur les branches.

(3) Passatge : traversée, mais peut être aussi utilisé en relation à la croisade. S’il s’agit bien de cela, ce que nous croyons, on peut rattaché cette allusion au razo qui nous conte que Giraut de Bornelh partit, aux côtés de Richard Coeur de Lion, pour la 3ème croisade et le siège d’Acre.


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : l’image en tête d’article est un montage. On y voit l’enluminure de Giraut de Bornelh du Manuscrit Français 12473 (retouchée par nos soins) ainsi que le début de page correspondant dans l’ouvrage. Conservé au département des manuscrits de la BnF, ce manuscrit médiéval, daté de la deuxième moitié du XIIIe s, est encore connu sous le nom de Chansonnier provençal K ou même plus laconiquement Chansonnier K ( à consulter sur Gallica) .