l’approche de Noël, nous tenions à vous souhaiter d’heureuses fêtes de fin d’année, si vous les célébrez. Nos pensées particulières vont à ceux qui seront d’astreinte et les passeront au service mais aussi à tous ceux qui les passeront dans la solitude et le besoin.
Pour cette carte 2023, nous avons choisi une œuvre du XVe siècle italien. Plus renaissante que médiévale, il s’agit d’une représentation de la nativité du peintre Fra Filippo Lippi (1406-1469). Cette peinture tardive de l’artiste florentin du quattrocento a pour titre « adorazione del bambino » : adoration de l’enfant. Elle est actuellement conservée au Musée du Palazzo Pretorio à Prato en Italie.
Un joyeux Noël et de belles fêtes fin d’année 2023 à vous tous.
Frédéric EFFE. Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : poésie morale, poésie médiévale, poète breton, ballade médiévale, ballade satirique, auteur médiéval, Bretagne médiévale, grands rhétoriqueurs. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491) Titre : Le baston dont il est bastu Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF Ouvrage : poésies et œuvres de Jean MESCHINOT, éditions 1493 et 1522.
Bonjour à tous,
ous repartons, aujourd’hui, pour les rives du Moyen Âge tardif pour y découvrir une nouvelle ballade morale de Jean Meschinot. Ce poète du XVe siècle occupa diverses fonctions à la cour de Bretagne. Il y fut notamment écuyer et hommes d’armes sous quatre ducs et fut aussi maître d’hôtel de Anne de Bretagne.
L’œuvre et le legs de Jean Meschinot
Son œuvre principale « Les Lunettes des Princes » valut longtemps à Meschinot une popularité posthume qu’atteste le grand nombre d’éditions produites après sa mort. Ce legs fut bientôt éclipsé par la renaissance. On le connaît aussi pour ses 25 ballades contre Louis XI dans lesquelles il emprunta les envois au Prince de Georges Chastellain. Il composa encore d’autres poésies, ballades et rondeaux dont même quelques pièces religieuses.
La poésie grave & vertueuse du banni de liesse
Jean Meschinot se distingue par une poésie morale et satirique qui ne s’épanche guère dans la farce et l’amusement. Quand ses préoccupations ne portent pas sur ses propres misères et déboires, elles vont aux devoirs de la noblesse et à la dénonciation des déviances et du manque de valeurs morales chrétiennes de son temps (abus politiques, cupidité, perfidie, etc…).
Cette œuvre dense et engagée a même valu à Meschinot un surnom qu’il reprend volontiers à son compte : « le banni de liesse ». Il se désigne notamment ainsi, à maintes reprises dans une pièce intitulée « la supplication que fist ledit Meschinot au duc de Bretaigne, son souverain seigneur« . Plus qu’un exercice littéraire, il s’agit d’une requête officielle qu’il déposa auprès de François II de Bretagne suite à un différent l’opposant à un autre noble du nom de Jean de BoisBrassu (1).
La postérité littéraire de Jean Meschinot
Cette gravité et cette mélancolie n’empêcheront pas Clément Marot de rendre un hommage posthume au poète breton dans ses vers, même si la postérité de ce dernier restera finalement de courte durée, à l’échelle de la littérature médiévale française. Après que ses Lunettes des Princes furent éditées dans le courant du XVIe siècle et sa première moitié, l’œuvre de Jean Meschinot fut peu reprise aux temps suivants. Le Moyen Âge entrait dans son hiver littéraire.
Pour ne rien ôter à Meschinot de sa renommée, ni du prestige de son œuvre, précisons que de 1492 à 1539, on compte 25 éditions de ses Lunettesdes Princes, ce qui en fait un vrai best seller, médiéval ou renaissant suivant les préférences de chacun en matière de chronologies.
Bien plus tard, à la fin du XIXe siècle, l’historien et chartiste Arthur de La Borderie fit paraître une belle biographie qui contribua à rediffuser l’œuvre du banni de liesse, en lui donnant un souffle nouveau (op cité). Reste que Meschinot n’a pas, pour autant, la reconnaissance d’un Rutebeuf, d’un Chartier ou d’un Villon pour une œuvre qui garde pourtant de l’intérêt.
Ballade morale du bâton pour se faire battre
Nous voilà donc rendu à la ballade du jour. En fait de refrain, Meschinot se sert d’un proverbe alors déjà connu depuis plusieurs siècles : « Tel garde et tient en sa maison Le baston dont il est bastu » nous dit il.
Si cette idée est encore en usage en français, sous une forme un peu différente (tendre le bâton pour se faire battre), on la retrouvait déjà dans un vieux poème occitan du milieu du XIIe siècle : « molt i fai grant foldat Cil qui nurrist lo basto ab que·s bat » autrement dit : « Il fait grande folie celui qui porte le bâton avec lequel on le bat”, Aigar et Maurin, chanson de geste provençale (vers 1152). Cet adage continuera, semble-t-il, de circuler en langue française aux siècles suivants et jusqu’au Moyen Âge tardif de l’auteur breton.
Pour Meschinot, cette ballade sera une nouvelle façon d’adresser les valeurs morales chrétiennes. Dans la fougue de la jeunesse, on peut se distraire mais attention à ne pas perdre de vue, son honneur, ni à s’égarer sur les sentiers de l’orgueil ou de la mécréance, au risque d’en payer le prix en retour. Entre plaisir, orgueil et folie, la vertu l’emporte toujours chez l’auteur breton. L’histoire ne dit pas si cette ballade s’adressait à un fils ou une fille de puissant dont il aurait pu avoir l’éducation en charge ? Mais peut-être ne fait-il que nourrir ici le même propos que ses lunettes de princes, en offrant un miroir pour éduquer les puissants.
Exercice de style et réthorique
Au delà du fond, Meschinot étale, dans cette poésie, son goût des pirouettes et des jeux de mots virtuoses : « le fol lye« , « se aise on« , « esbat eu« ,…). Avec le recul du temps, d’aucuns trouveront que le parti-pris alourdit un peu le propos et peut même nuire à la compréhension. D’autres en goûteront la saveur un peu désuète. Dans tous les cas, ces exercices de style sont assez caractéristiques des grands rhétoriqueurs dont Meschinot fut un des représentants reconnus au XVe siècle, avec Henri Baude, Olivier de la Marche, Georges Chastellain et quelques autres.
Aux sources anciennes de la ballade du jour
Cette pièce fait partie d’une série de poésies qui fait immédiatement suite aux ballades adressées à Louis XI dans les éditions complètes des œuvres de Meschinot.
Du point de vue des sources, vous pourrez la retrouver dans le très coloré manuscrit médiéval Français 24314 de la BnF (à consulter sur Gallica). Pour la transcription en français moderne, nous nous sommes appuyés sur les éditions imprimées de 1493 et 1522.
Ballade morale du retour de bâton dans le moyen français de Jean Meschinot
Jeunesse mère de folie Partie adverse de raison Par plusieurs façons le fol lye (lie) Pour le mener a desraison Commettre luy fait maulx foison Mais en fin tout bien debatu Tel garde et tient en sa maison Le baston dont il est bastu.
La maniere n’est pas jolie De foloyer (s’égarer, faire le fou) toute saison Bien pour chacer mélencolie En folie honneste se aise on Mais pour dieu jamais ne faison Que notre honneur soit rabatu Car le maulvais a de moeson (moisson) Le baston dont il est bastu.
Un orgueilleux a chere lye (à la mine joyeuse) Prent peine sans comparaison Plus que celluy qui s’humilie En aymant dieu et oraison Se bien nostre corps or aison (aisier,satisfaire, mettre à l’aise) Quand le foul est bien esbatu (diverti, agité,… ) Son vice est sans aultre achoison (prétexte, motif) Le baston dont il est bastu.¨
Prince du jeune nous taison Ayt mal plaisir ou esbat eu Il doit hayr plus que poyson Le baston dont il est bastu.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE. Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Notes
(1) voir « Jean Meschinot, sa vie et ses œuvres, ses satires contre Louis XI », Arthur de la Borderie 1895, Bibliothèque de l’École des chartes.
Sujet : roman arthurien, légendes arthuriennes, chevaliers de la table ronde, manuscrits anciens, littérature médiévale, Ségurant, découverte médiévale. Période : Moyen Âge central à tardif, XIIIe au XVe siècle Titre : Ségurant ou le chevalier au dragon Auteur : Emanuele Arioli Média : Conférence à la Fondation Martin Bodmer, (juillet 2023) et ouvrages de l’auteur.
Bonjour à tous,
u cours des dernières semaines, ceux qui s’intéressent aux légendes arthuriennes n’ont pu manquer le grand bruit fait par les découvertes d’un archiviste- paléographe et universitaire du nom d’Emanuele Arioli. Après une décennie de recherches, ce dernier a, en effet, mis au jour l’existence littéraire et les faits d’un chevalier de la table ronde jusque lors tombé dans l’oubli : Ségurant le Brun.
Dans cet article, nous revenons dans le détail sur cette découverte inattendue. Nous vous présentons également une conférence de l’auteur ainsi qu’un récapitulatif des nombreux ouvrages qu’il a fait paraître sur le sujet.
Un chevalier oublié et quel chevalier !
La révélation de l’histoire de Ségurant est d’autant plus étonnante qu’on nous présente d’emblée ce chevalier comme l’un des plus brillants de l’épopée arthurienne. Alerte divulgâchage mais pas trop ! L’histoire raconte qu’il est si fort qu’il éclipsa les autres chevaliers durant les tournois organisés à la cour du roi breton.
L’apparition de ce héros médiéval dans le corpus arthurien est postérieure à celle de Lancelot ou Tristan. Pourtant, ces derniers auraient peut-être eu leur blason moins doré à Camelot sans l’intervention de la perfide fée Morgane. A l’occasion d’un tournoi, la terrible demi-sœur d’Arthur invoquera, en effet, le diable pour écarter ce chevalier décidemment trop talentueux. Le Malin s’étant changé en dragon, Ségurant se lancera à ses trousses. Emporté par son courage, il se laissera entraîner loin du lieu dans une poursuite effrénée de la bête. Entre-temps, la fourbe et fallacieuse fée aura convaincu Arthur que le vainqueur du tournoi, comme le dragon, n’étaient qu’une illusion.
A peine apparu à la cour, Ségurant se trouvera donc condamné à l’oubli. La malédiction de Morgane a-t-elle traversé le papier pour s’exercer sur la postérité du preux chevalier dans le monde réel ? De fait, pour étonnant que cela paraisse, les faits de Ségurant restaient jusque là oubliés du roman arthurien.
Une aventure dans l’aventure
Dans les faits, les recherches d’Emanuele Arioli sur Ségurant débutent aux archives et dans une bibliothèque. Ce jour là, le jeune médiéviste trouve dans un manuscrit médiéval une partie de l’histoire de Ségurant passée jusque là inaperçue. Le manuscrit en question est le Ms 5229 de la Bibliothèque de l’Arsenal. L’ouvrage contient les Prophéties de Merlin. Il est, aujourd’hui, consultable en ligne sur Gallica.
Trouvant le récit interrompu au milieu d’une phrase, Emanuele Arioli décide de ne point s’en ternir là. Il se lance alors dans des recherches qui le mèneront dans les plus grandes bibliothèques d’Europe en quête d’autres manuscrits. Epluchant des centaines de codex, il s’attachera à débusquer le moindre fragment de parchemin, en quête du chevalier arthurien perdu.
Une longue quête dans les manuscrits médiévaux
Obnubilé par la poursuite de son dragon, Ségurant ne recherche pas le Graal mais l’apprenti docteur semble avoir trouvé le sien. Dix ans plus tard, il aura pisté le héros chevaleresque dans 28 manuscrits, mettant à jour une trame principale, mais aussi des variantes. Les ouvrages s’étalent sur une période qui débute en 1272-1273 pour les sources les plus anciennes et s’achève au Moyen Âge tardif. Les épisodes étaient disséminés dans diverses bibliothéques en France, en Belgique, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Grande Bretagne et aux Etats-Unis.
Les manuscrits sont principalement d’origine française, flamande et Italienne mais demeurent en langue française. On y trouve de tout : codex entiers, fragments, parties de manuscrits brûlés ayant miraculeusement survécu à des incendies, … Selon le chercheur médiéviste, l’association du chevalier au dragon aux Prophéties de Merlin peut expliquer, en partie, son invisibilisation. L’ouvrage sera, en effet, interdit à la parution par l’Eglise romaine, dès le milieu du XVIe siècle. Vient sans doute s’ajouter l’apparition tardive de Ségurant dans le corpus arthurien et la baisse d’intérêt pour ce dernier à la Renaissance.
Quelques traits marquants de Ségurant
Dans son entreprise, Emanuele Arioli a établi des rapprochements entre Ségurant et Sigfried, autre héros des épopées germaniques. Il a également trouvé des correspondances manifestes entre ce dernier et Sigurd, son homologue chasseur de dragons né du côté des mondes scandinaves. Suivant l’auteur, il est fort probable qu’il se soit trouvé intégré, après coup, dans les récits arthuriens, comme se fut le cas pour Tristan.
Pourfendeur de lions, vainqueur aux tournois, Ségurant se distingue encore dans les légendes arthuriennes par d’autres traits. Destiné à un public peut-être plus aristocratique que bourgeois, son récit tardif semble bien entériner la fin de la courtoisie. Un auteur médiéval tardif s’efforcera de lui dégotter une princesse mirobolante. Cela relève toutefois de l’exception. Victime du sortilège de Morgane, le chevalier au dragon échappe aux choses de l’amour.
Par son humour et certains autres traits, l’histoire de Ségurant à la poursuite de son dragon illusoire pourrait encore annoncer la fin de la chevalerie. Cet idée n’est pas rare, cela dit, au Moyen Âge central et surtout tardif. En lisant certains auteurs médiévaux des XIIIe, XVe, on a souvent l’impression que la chevalerie reste un ailleurs insaisissable qui ne cesse d’agoniser. Un peu plus tard, Cervantes enfoncera le clou avec Don Quichotte et Emanuele Arioli établit certaines parentés entre l’auteur castillan et l’histoire de Ségurant.
Des recherches aux publications
Après un long travail de terrain, d’analyse et de classification, Emanuele Arioli a présenté sa thèse en 2017 devant la Sorbonne et le Collège de France. Mené sous la direction de Sylvie Lefèvre et de Michel Zink, ce travail lui a valu une mention très honorable. En dehors de la reconnaissance de ses pairs et comme à peu près toutes les thèses, elle passera à peu près inaperçue du grand public. Rien d’étonnant. C’est un peu la loi du genre.
Profitons en pour ajouter ici que les parutions de ce brillant médiéviste n’ont cessé d’être saluées par diverses académies depuis. Ses premiers travaux thèse présentés en 2013 devant l’Ecole des Chartes lui avaient déjà valu deux prix prestigieux et d’autres sont venus s’y ajouter.
« Ségurant ou le chevalier au dragon : étude d’un roman arthurien retrouvé », chez Honoré Champion
Quelques années plus tard, en 2019, l’auteur fera publier une première version remaniée de cette thèse chez Honoré Champion. Présenté en 2 tomes, l’ouvrage reste alors relativement confidentiel. On y trouve les versions en vieux Français et des notes propices à intéresser le public averti de la grande maison d’édition.
Le tome 1 présente le corpus central des écrits médiévaux attachés à Ségurant. On a là la version la plus fournie et la plus datée. Le tome 2 expose, quant à lui, les versions ultérieures et variantes retrouvées et réunies par l’auteur. Une réédition des deux ouvrages, datée de mars 2023, avancera encore dans la diffusion de Ségurant auprès du même public. On peut la trouver au lien suivant : Ségurant ou le chevalier au dragon, version cardinale, deuxième édition, Editions Honoré Champion.
Malgré cela, il faudra attendre sept mois pour voir la presse et les médias commencer à tendre plus sérieusement l’oreille. Ils le feront, au point d’élever Ségurant, au rang de véritable buzz médiatique automnal dans le monde du livre. Il faut dire qu’en plus du patient travail d’Honoré Champion, le jeune médiéviste, désormais professeur des universités, aura déployé de nouvelles stratégies et de nouveaux moyens pour faire connaître son chevalier arthurien au plus grand nombre.
Des livres tous publics pour découvrir Ségurant
Dans sa volonté de diffusion et comme on pourra le relever dans la conférence ci-dessus, Emanuele Arioli a eu à cœur de partager l’aventure de son héros médiéval oublié, autant que de mettre en scène sa propre course au trésor médiéval. Les amateurs de légendes arthuriennes se retrouvent donc gâtés à l’approche de Noël avec trois productions, en plus de celle susmentionnée.
Ségurant, le chevalier au dragon, Les belles lettres
Cet ouvrage présente une version plus compacte et plus orientée grand public de l’épopée de Ségurant que celle sortie chez Honoré Champion.
Pas de vieux français ici. Sur 240 pages, le livre présente en français moderne le roman disparu ainsi que des enluminures issues des manuscrits originaux. Il est disponible en format broché ou Kindle à un prix plutôt abordable et rencontre déjà un franc succès.
Ségurant, le chevalier au dragon, Seuil Jeunesse
Le parti-pris de cet ouvrage est de faire découvrir, de manière illustrée, la quête entreprise par le chercheur et les méthodes utilisées pour mettre au jour le chevalier arthurien oublié.
Mettre à la portée des jeunes publics son métier de paléographe archiviste et ses recherches dans les manuscrits, reste un moyen original de partager ses péripéties, tout en suscitant des vocations. C’est plutôt une bonne idée dans laquelle transparaît le pédagogue et professeur qu’est aussi Emanuele Arioli.
Le Chevalier au Dragon, la BD chez Dargaud
Avec ce dernier format sous le mode pure BD, l’auteur-chercheur se propose de faire découvrir Ségurant d’une autre manière encore. Pour les besoins du scénario et du format, il se permet ici quelques incursions un peu plus fictionnelles. Elles permettent notamment de combler quelques vides laissés par les aventures reconstituées du chevalier arthurien.
Tous les produits sus-décrits sont à la vente chez tout bon libraire. Aussi, n’hésitez pas à les visiter pour leur commander. Pour ceux qui sont dans des zones privées de librairies ou même hors de France, vous pourrez, bien entendu, retrouver tous ces ouvrages dans les librairies en ligne. Voici un lien utile à cet effet.
Des productions complémentaires
Pour une histoire sortie d’un labo de recherches, l’idée d’une sortie rapprochée sur tous ces supports est assez novatrice. En fait de redondances, il faut plutôt y voir une heureuse complémentarité. En plus de toucher divers publics, ces différentes productions papier se renvoient, en effet, la balle de manière plutôt heureuse.
A l’heure où il est si difficile de s’arracher aux écrans pour se plonger dans de saines lectures, la BD est un bon moyen d’entrer dans l’histoire pour les aficionados du format illustré et pour les plus jeunes. Elle peut, par la suite, susciter l’envie d’aller chercher aux racines du texte médiéval dans le ou les livres disponibles. Aurait-on trouvé une nouvelle façon d’envisager le retour à la lecture par l’image papier et la BD ? Le sujet s’y prête mais l’originalité de cette triple sortie reste à saluer.
Documentaires et conférences
Dans la foulée de toutes ses sorties, l’auteur a également travaillé, de concert, avec la chaîne de télévision Arte sur un documentaire qui vient tout juste de sortir (le 25 novembre). La réalisatrice et l’auteur ont fait le choix d’y présenter, en parallèle, les aventures filmées de l’archiviste-paléographe et celle du chevalier Ségurant en format animation.
On espère que ce format participera de la dynamique de distribution des produits et ne l’éteindra pas comme c’est trop souvent le cas. On connait hélas trop l’effet « j’ai vu le film, pas besoin de lire le livre » (l’écran, encore lui). Quoi qu’il en soit, l’auteur, comme les publics ayant déjà vu ce documentaire, ont l’air de s’en déclarer largement satisfaits.
En dehors de cela, on peut trouver quelques conférences d’Emanuele Arioli en ligne comme celle partagée un peu plus haut dans l’article. Vous pourrez également le retrouver au lien suivant dans une conférence sur le site de l’Ecole des Chartes parue tout récemment. Etant lui-même chartiste, il revient en quelque sorte à la source de ses enseignements, pour sa découverte et son approche, en compagnie de son éditeur des Belles lettres.
Bon pour les chercheurs et pour le Moyen Âge
Pour conclure, il faut se féliciter de cet enthousiasme médiatique mérité autour de Ségurant. La découverte et l’opiniâtreté du chercheur auront payé même si, redisons-le, la mise au jour d’une telle nouveauté sur un corpus si largement étudié reste aussi rare qu’exceptionnelle.
De fait, bien des archivistes ou médiévistes peuvent lui envier cette trouvaille mais aussi s’en trouver d’autant plus motivés dans leur travail. La chasse au trésor est encore possible et l’on peut avec un peu de ténacité se changer tout soudain en une sorte d’Indiana Jones des temps modernes, toute mesure gardée. Au delà, tout cet écho dont bénéficie aujourd’hui Emanuele Arioli est bon pour la recherche en Histoire, pour les légendes arthuriennes, autant que pour la connaissance du Moyen-Âge et de sa littérature. On peut donc l’en féliciter doublement.
Des labos aux échos médiatiques
Ses mésaventures permettent aussi de mesurer le fossé existant entre le monde de la recherche et celui des médias, même quand les sujets s’y prêtent. Sans les supports appropriés en terme de ciblage, de marketing et de communication, il aura fallu près de 6 ans pour que la découverte d’un chevalier oublié de la cour d’Arthur passe des bancs de l’Université aux médias plus grand public. Entre l’univers Kamelott d’Alexandre Astier mais encore les séries et autres productions hollywoodiennes diverses, le roman arthurien n’a pourtant cessé de démontrer sa popularité actuelle. Il y a là peut-être un leçon à tirer.
Pour les amateurs de toutes ces déclinaisons filmées autour du roi des bretons, reste à savoir si Ségurant fera bientôt une apparition, fugace ou plus consistante, sur les grands écrans. L’auteur en rêve certainement mais ne soyons pas trop pressés et donnons au public le temps de lire un peu, puisqu’il semble en reprendre le goût grâce à ce chevalier oublié.
Sujet : poésie satirique, poésie médiévale, poète breton, ballade médiévale, ballade satirique, auteur médiéval, Bretagne Médiévale. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491) Titre : Tout est perdu par default de raison. Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF Ouvrage : poésies et œuvres de Jean MESCHINOT, édition 1493 et édition 1522.
Bonjour à tous,
u Moyen Âge tardif, le poète et écuyer breton Jehan Meschinot s’adonne à la poésie politique et morale. Virtuose du verbe et de la rime, il a notamment légué à la postérité un ouvrage intitulé Les Lunettes des Princes, petit précis qui s’apparente un peu à un miroir des princes et dans lequel il dénonçait les vices de son temps autant qu’il partageait certains de ses déboires. L’ouvrage connut en son temps un beau succès et fut bientôt relayé par les premières imprimeries qui ouvraient alors une nouvelle ère sans précédent aux écrits et à leurs auteurs.
En plus de divers ballades, rondeaux et autres poésies, on peut également ajouter aux productions les plus remarquées de Jean Meschinot, ses vingt-cinq ballades satiriques contre le pouvoir politique en place.
Pour former ces dernières, il emprunta ses envois à une longue diatribe de Georges Chastelain. Ce poète flamand officiant à la cour de Bourgogne s’y signalait alors pour ses nombreux écrits et, en particulier, ses chroniques historiques. Mais Chastelain avait aussi rédigé une poésie intitulée Le Princedans laquelle il dénonçait les vices des mauvais gouvernants et surtout le règne de Louis XI. La Bourgogne et la Bretagne trouvèrent alors cause commune contre la couronne française et se rejoignirent en poésie sous la plume des deux plus talentueux auteurs de leur province respective.
Ronde des vices dans un monde en perdition
Pour varier un peu, la ballade que nous vous proposons aujourd’hui ne fait pas partie du corpus des 25 ballades satirique ; Louis XI et sa couronne y sont donc moins directement ciblées. le poète médiéval y adresse plutôt une certaine folie des temps, accompagnée d’une ronde incessante des vices. On y retrouvera leur cohorte habituelle entre luxure, gloutonnerie, avarice, envie, orgueil, paresse,… Face à ce tableau dramatique d’une dépravation qui lui semble toucher toute chose et dans un monde où guerre, cruauté et pauvreté règnent dans l’indifférence générale, Meschinot n’aura pour seul recours que de s’en remettre à la seule autorité capable selon lui d’y mettre de l’ordre : le Tout Puissant. Hors de lui point de salut, le monde sera définitivement perdu.
Notre auteur breton n’est, certes, pas le premier poète du Moyen Âge à soulever le sujet de valeurs en perdition. Un peu avant lui, Eustache Deschamps y avait dédié de nombreuses ballades. En remontant quelques siècles auparavant, Rutebeuf s’y adonnait lui aussi à sa manière dans sa poésie sur l’Estat du monde. A travers tous ces auteurs, comme c’est aussi le cas chez Meschinot, il est toujours question, bien sûr, de valeurs chrétiennes en déroute et les références à la bible et aux évangiles sont presque toujours omniprésentes, explicitement, ou entre les lignes.
Pardon d’insister un peu sur cet aspect, cela paraîtra une évidence à tout ceux qui étudient un peu sérieusement les temps médiévaux ou ceux qui sont coutumiers de ce site. Dans sa réalité politique et sociale, comme dans ses mentalités et sa littérature, le Moyen Âge occidental est profondément chrétien, n’en déplaise à certains modernes peu éclairés qui soutiennent, quelquefois, c’était un peu plus « une auberge espagnole » ou n’en déplaise encore à ceux qui pourraient trouver la question religieuse un peu « encombrante » rétrospectivement, pour des raisons diverses et qui préféreraient en faire l’économie. En réalité, si l’on veut demeurer un peu sérieux intellectuellement, on ne peut pas éluder la dimension chrétienne du Moyen Âge occidental. On la retrouve partout et c’est simplement une donnée incontournable. Voilà, c’est dit.
Quant aux vices de ses contemporains et la tristesse de son monde, et pour y revenir, Meschinot les dénonça lui-même, plus qu’à son tour, dans d’autres textes que celui du jour. On se souvient, par exemple, de ces vers issus de sa ballade des Misères du monde :
Vertus s’enfuient, péché partout abonde : C’est grant pitié des misères du monde !
On notera toutefois que dans la poésie étudiée ici, l’envoi du poète breton prend des accents particulièrement désespérés même s’il demeure difficile de savoir s’ils se rattachent à un contexte historique précis et auquel, le cas échéant.
Aux sources médiévales de cette ballade
Vous pourrez retrouver cette ballade dans le Manuscrit Français 24314 de la BnF. Daté du XVe siècle, cet ouvrage médiéval est entièrement dédié aux poésies de Meschinot. Il est à la libre consultation sur gallica.fr. De notre côté, pour sa retranscription en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur les éditions suivantes : Jehan Meschinot, escuier, en son vivant grant maistre d’hostel de la royne de France, Nicole Vostre (1522) et poésies de Jehan de Meschinot, Edition Étienne Larcher, Nantes (1493).
Tout est perdu par default de raison dans la langue originale de Jean Meschinot
NB : pour vous aider à mieux décrypter le moyen français de cette ballade, nous vous fournissons quelques clés utiles de vocabulaire.
Orgueil a lieu avecques les humains Envie mect debat en plusieurs lieux Avarice porte dommage a maints Ire a grant bruyt entre jeunes et vieulx Gourtonnie fait excez merveilleux Luxure veult tout mener a la corde Paresse en fin a nul bien ne s’acorde Guerre s’esmeut a bien peu d’achaison (occasions) Crudelité (cruauté) chace miséricorde Tout est perdu par default de raison.
Folie quiert (de quérir) tout avoir en ses mains Oultrage ayme son plaisir pour le mieulx Pourete (pauvreté) vient o ses dards inhumains Maleur mettra se dit fin a nos jeux Impatience estonnera les cieulx Iniquité destruict paix et concorde Rigueur n’attend fors que toute discorde Exil mettra le feu en la maison Homme ne vault (veult) mener vie aultre que orde (mauvaise, laide) Tout est perdu par default de raison.
Confusion nous conduit soirs et mains (matins) Langueur nos mect la mort devant les yeulx Travail en vain nous fait d’angoisse plains Misere accourt qui gette dards mortelz Tourment nous rend comme gens furieux Dangier guyde le mal qui nous aborde Courroux s’attend que force est qu’il nous morde Necessité fera des maulx foison Estrif (conflit, debat, querelle) est prest a saillir de la borde (bord, maison) Tout est perdu par default de raison.
Prince puissant quand bien je me recorde (me remémore, m’en souviens) Toute bonté se deffait et discorde (se détruit et diverge) Vices regnent par tout ceste saison Se dieu piteux (compatissant) a lui ne nous accorde (réconcilie), Tout est perdu par default de raison.
En vous souhaitant une belle journée. Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : en tête d’article, vous trouverez les pages du manuscrit médiéval Ms Français 24314 de la BnF, correspondant à la ballade du jour, ainsi que l’enluminure représentant l’auteur breton présente au début de cet ouvrage du XVe siècle.