Rondeau : « De triste cœur chanter joyeusement », Christine de Pizan

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Sujet  : rondeau, poésie courte, poésie médiévale,  auteur(e) médiéval(e), deuil, oxymore, tristesse.
Auteur  :  Christine de Pizan (Pisan) (1364-1430)
Période : Moyen Âge central à tardif
Ouvrage :   Œuvres poétiques de Christine de Pisan, publiées par Maurice Roy, Tome 1 (1896)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous partons pour le Moyen Âge tardif à la découverte d’un joli rondeau de Christine de Pizan. Si la grande auteur(e) du XIVe siècle nous a légué un héritage riche et varié, loin de s’y réduire, la tristesse et le deuil ne manquent pas de traverser son œuvre. La poésie courte du jour nous en fournira un nouvel échantillon.

Le choix de l’écriture

Le deuil frappa Christine de Pizan assez jeune puisqu’elle devint veuve à l’âge de 25 ans. Son mari Étienne de Castel, secrétaire du roi, fut alors emporté par une des funestes épidémies de peste qui sévissaient en cette fin de XIVe siècle.

Fille de Tommaso di Benvenuto da Pizzano, médecin, astrologue et savant à la cour de Charles V, Christine avait hérité du gout des lettres et d’une éducation qui lui avait permis de se faire quelques premières armes. Mère de trois enfants au moment de son veuvage, elle fit le choix de rester seule et de s’adonner pleinement à l’écriture pour pouvoir subsister.

L’affaire lui réussit. Son talent aidant, elle compta même parmi les premières auteures du Moyen Âge à vivre de sa plume. Plus de deux siècles après Marie de France, elle s’inscrivit donc, à son tour, au panthéon des premières femmes écrivains de langue française.

Une œuvre variée et prolifique

Christine de Pizan nous a laissé une œuvre prolifique dans laquelle elle aborde les sujets les plus divers : traités politiques et de bon gouvernement, éducation et morale, poésies courtoises, rôle de la femme dans la société de son temps, … Ces derniers écrits en ont même fait une des égéries du féminisme. Elle est souvent considérée comme une pionnière en la matière, au risque quelquefois de s’y trouver un peu réduite.

Froissard, Deschamps, Petrarque, Boccace, …, les auteurs talentueux ne manquent pas au temps de Christine de Pizan. Si elle eut d’abord quelques difficultés à être distinguée par les érudits de littérature médiévale, la postérité lui a depuis rendu justice 1. Aujourd’hui, on continue de l’étudier abondamment et de découvrir ses écrits.

Christine de Pisan, rondeau et enluminure médiévale de la poétesse et philosophe

Un rondeau doux-amer sur la réalité du deuil

Comment allier tristesse et joie ? Comment cacher son deuil en se montrant sous un jour plus joyeux ? Quand on connait la vie du Christine de Pizan, la poésie du jour ne peut qu’avoir des résonnances autobiographiques. Le poids du deuil et les difficultés qui s’ensuivirent ont, en effet, pesé lourdement sur sa situation.

Sur la forme, ce rondeau joue un peu sur le tableau des oxymores et des contradictions chères à un François Villon ou un Charles d’Orléans. Signe précurseur d’une époque ? On se souvient d’un concours de poésie à Blois, un peu plus tard dans le temps. Entourés de quelques autres poètes, le duc d’Orléans et l’enfant terrible de la poésie « mourraient alors de soif auprès de la fontaine ».

Cette contradiction du « triste cœur » de Christine de Pizan qui déploie tous les efforts pour « chanter joyeusement » ne peut manquer d’évoquer un certain goût de cette période pour ces belles figures de style.

De triste cuer chanter joyeusement
un rondeau de Christine de Pizan

De triste cuer chanter joyeusement
Et rire en dueil c’est chose fort a faire,
De son penser monstrer tout le contraire,
N’yssir doulz ris de doulent sentement.

Aini me fault faire communement,
Et me convient, pour celer mon affaire,
De triste cuer chanter joyeusement.

Car en mon cuer porte couvertement
Le dueil qui soit qui plus me puet desplaire,
Et si me fault, pour les gens faire taire;
Rire en plorant et très amerement
De triste cuer chanter joyeusement.


NB : l’enluminure utilisée pour l’en-tête de cet article et pour notre illustration est tirée du Harley MS 4431 ou Book of the Queen. Ce manuscrit médiéval, daté des débuts du XVe siècle, est actuellement conservé à la British Library. Depuis le hack des collections de la BL il y a quelque temps ce manuscrit n’a pas encore été remis en ligne. Vous pouvez cependant trouver un article à son sujet sur le blog de la prestigieuse bibliothèque anglaise.


En vous souhaitant une belle journée.
Fred

Pour Moyenagepassion.com
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Notes

  1. Voir Christine de Pizan : du bon usage du deuil , Yvan G Lepage, revue @nalyses, hiver 2008 (télecharger le pdflien alternatir) ↩︎

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