Archives de catégorie : Citations médiévales ou sur le moyen-âge

Le monde médiéval en question : une large sélection de citations regroupant des auteurs du moyen-âge à des penseurs du passé, mais aussi des historiens plus contemporains.

Une Épigramme de Bonne Conduite de Jean Meschinot

Sujet : poésie satirique, huitain, épigramme, poésie médiévale, poésie morale, poète breton, code de conduite, citation médiévale, Bretagne médiévale.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Manuscrit  : Jehan Meschinot, sieur des Mortières. Poésies diverses, MS 905, Bibliothèque de Tours.

Bonjour à tous,

n ces mois d’été, nous relâchons un peu nos efforts sur les publications mais voici tout de même une jolie épigramme médiévale de Jean Meschinot pour vous inspirer.
Dans le courant du XVe siècle, cet homme d’armes et poète breton s’est distingué par un vrai talent de plume et une œuvre morale et satirique dans laquelle il n’a pas hésité à dénoncer les mauvais princes et leurs abus de pouvoirs.

Rien dire sans faire, un rondeau de Jean Meschinot avec le portrait du poète médiéval tiré d'une enluminure

Un huitain sur dire et faire

A l’exception de ses Lunettes des Princes (son legs le plus célèbre), Jean Meschinot a particulièrement excellé dans l’art de la ballade en matière poétique. On se souvient notamment de ses 25 ballades vitriolées contre Louis XI (1). La pièce du jour est plus courte et plus douce aussi dans l’approche. Du point de vue de la forme, il s’agit d’une épigramme et d’un huitain.

En quelques rimes enlevés, Meschinot plaide l’importance de la parole donnée et les vertus de l’action sur le verbiage. Opposition du faire et du dire, nécessité de cohérence entre les deux, le poète médiéval nous montre, une fois de plus, la grâce de son style. En fin d’épigramme, il soulignera aussi l’importance de la prévenance et de la douceur envers autrui, en toute circonstance. Qui dira encore après cela que le Moyen Âge ne connaissait que la violence et n’était pas civilisé ?

« Rien dire ne devez sans Faire« 
Une épigramme de Meschinot

NB : le moyen français de Meschinot ne pose guère de difficulté de compréhension. Aussi, nous laissons cette poésie dans sa forme originelle et sans l’annoter.

Rien dire ne devez sans faire,
Des choses qui touchent promesse.
Sans rien dire vous devez faire
Vaillance de corps et prouesse.
Vous devez faire et aussi dire,
En tout temps, doulceur à aultruy.
Et ne devez faire ne dire
Jamais desplaisir à nully.


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NOTES :

(1) Voir par exemple Larmes et plaintes contre les abus d’un prince ou encore Un prince maudit de tous pour sa vie mauvaise.

PS : sur l’image d’en-tête, vous trouverez un détail du manuscrit MS 905 de la Bibliothèque de Tours. Cet ouvrage du XVe siècle qui contient des poésies variées de Jean Meschinot n’a pas été digitalisé dans son entier, à date. Seul le feuillet 73v est disponible en ligne. Voici une lien utile pour le consulter.

Saadi : Injustice et Fardeau véritable du tyran

Sujet   : sagesse persane,  conte moral, tyrannie, violence politique, injustice, citations médiévales, citations.
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291)
Ouvrage  :  Gulistan ou Le Parterre de Roses par Saadi, traduit de persan par Charles Defrémery, Librairie Firmin Diderot Frères, Paris (1858)

Bonjour à tous,

u fil de nos pérégrinations à la découverte de la littérature médiévale, nous nous sommes éloignés plus d’une fois de la France et même de l’Europe du Moyen Âge, pour débusquer d’autres perles de sagesse ou de poésie produites par d’autres cultures ou univers de croyances de cette période. Aujourd’hui, nos pas nous entraînent, à nouveau, du côté du Proche-Orient médiéval, aux côtés du célèbre auteur et conteur Mocharrafoddin Saadi et de son Gulistan ou Jardin de roses.

La réelle punition de l'homme injuste, une citation médiévale illustrée de Saadi

Les Leçons d’un poète voyageur
dans la Perse du Moyen-Âge central

Dans la perse du XIIIe siècle, Saadi est tout à la fois poète, conteur, voyageur mais aussi conseiller à la cour des émirs et des puissants. L’homme nous a légué une œuvre abondante entre traités et poésies en langue perse et en langue arabe. Ses plus célèbres ouvrages Le Boustan (Boustân, le Verger) et Le Gulistan (Golestân, le Jardin des Roses) ont traversé les âges et sont encore étudiés de nos jours, pour leur profondeur morale.

Les écrits et les leçons de sagesse de Saadi ont également donné naissance à de nombreuses locutions proverbiales et une partie de son œuvre est ainsi entrée dans la sagesse populaire des mondes perse et arabe du Moyen-Âge et des siècles suivants.

La beauté de la langue de Saadi a été louée de son vivant et, bien après sa mort, par de nombreux poètes du Proche-Orient et au delà. Elle n’a guère pu survivre entièrement à ses traductions en langue française mais on peut tout de même l’effleurer par endroits. A défaut de restituer toute son intensité poétique et stylistique, le fond moral et les valeurs mises en avant par le conteur du XIIIe siècle y ont plutôt bien résisté. On peut donc encore, aujourd’hui, se plonger dans ses œuvres et trouver de quoi s’y nourrir.

Des contes moraux, sociaux et politiques

Gravure de Saadi dans un manuscrit de ses oeuvres complètes du XIXe siècle (Collections du Louvre - MAO 2314)
Saadi dans le manuscrit MAO 2314 des collections du Louvre

De sa longue expérience et de ses aventures, Saadi extrait des petits contes et des vers dont ses contemporains sont friands. A-t-il voyagé aussi loin et aussi longtemps que sa poésie le laisse entendre ? On ne peut guère l’attester et sa biographie laisse quelques flottements sur son itinéraire véritable. Quoi qu’il en soit, le champ thématique qu’il aborde reste riche et ses leçons ont toujours l’agréable parfum d’anecdotes glanées au cours de ses nombreux (et supposés) voyages.

Sur le fond, les contes de Saadi prennent souvent un tour plus social, politique ou philosophique que dogmatique : rappel des devoirs des puissants et miroir des princes, précis de valeurs et de conduite en toute chose, plaidoyer pour la sagesse ou la foi dans l’action contre le verbiage et la culture des apparences, appel à la mansuétude et la charité contre la sécheresse de cœur, la tyrannie ou l’avarice, grandeur et misère des âges de la vie, etc…

Finalement, par le truchement de contes et d’anecdotes accessibles à tout un chacun, Saadi fait œuvre d’éducation pour les princes, comme pour un public plus large. Il suffit de feuilleter un instant le Boustan ou le Gulistan pour y découvrir des sujets qui touchent tant à l’exercice du pouvoir, à l’éducation qu’aux sentiments ou aux réalité de la vie. On verra que, comme dans toute bonne poésie morale indépendamment du contexte, certains préceptes et conseils ont largement résisté au temps.

Aujourd’hui, nous retrouvons notre auteur perse dans un conte qui touche les actes injustes des tyrans, des princes ou des hommes abusifs. On verra que la première victime de l’injustice devant le temps de la vie et même l’éternité n’est pas forcément celle que l’on croit.


De la conduite des rois : Injustice, un fardeau éternel pour le tyran


Un roi donna l’ordre de tuer un innocent. Celui-ci dit :
— Ô roi ! Ne cherche point ta propre peine, à cause de la colère que tu as contre moi.
— Et comment ? demanda le roi.
L’innocent répondit : « Ce châtiment passera sur moi en un instant, mais le péché en restera éternellement sur toi. »

« Le temps de la vie s’est écoulé comme le vent du désert. L’amertume et la douceur, le laid et le beau ont passé. L’homme injuste a pensé avoir commis une injustice envers nous. Elle est restée attachée sur ses épaules comme un fardeau et a passé au-dessus de nous. »

Ce conseil parut profitable au roi ; il renonça à verser le sang de cet homme et lui fit ses excuses.

Gulistan ou le parterre de Roses, Chap 1er touchant la conduite des rois, trentième historiette. Mocharrafoddin Saadi (op cité)


Les thèmes de la violence politique, de l’injustice et de l’abus de pouvoir sont récurrents chez Saadi. Ils courent sur de nombreux chapitres de ses deux plus célèbres ouvrages. Vous pourrez les retrouver, notamment, dans les contes suivants :

Bien qu’exprimée différemment, on retrouver ici cette condamnation du sang versé injustement déjà croisé dans le Livre des Secrets du Pseudo-Aristote.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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NB : le détail de gravure sur l’image d’en-tête représente le conteur Saadi dispensant son savoir. L’illustration est tirée d’un beau manuscrit iranien daté du XIXe siècle contenant le Kulliyat de Saadi ou ses œuvres complètes (référence MAO 2314). Il appartient actuellement aux collections du Louvre et peut être consulté en ligne sur le site du musée.

L’importance de la poésie au Moyen Âge, avec Régine Pernoud

Sujet  :   citations, Moyen Âge,  historien, médiéviste, valeurs médiévales, valeurs actuelles, poésie médiévale, littérature médiévale, culture orale.
Auteur : Régine Pernoud (1909-1998)
Ouvrage : Lumière du Moyen Âge (1946)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous revenons aux réalités du monde médiéval avec une citation de l’historienne Régine Pernoud. Elle est extraite de son ouvrage Lumière du Moyen Âge. Sorti en 1946, cet essai prenait le contrepied d’une foule d’idées reçues sur le Moyen Âge.

Contre les idées reçues sur le monde médiéval

"Lumière du Moyen Âge" de Régine Pernoud

Bien que situé dans les premières publications de Régine Pernoud, Lumière du Moyen Âge semble préfigurer son œuvre toute entière. Dès lors, la médiéviste n’a cessé de combattre les préjugés à l’égard du Moyen Âge. Place des femmes, structure du pouvoir, rôle de l’Eglise, vie rurale et urbaine, « nouveauté » du Moyen Âge, particularités médiévales, peu de sujets ont échappé à sa sagacité.

A 80 ans de la sortie de ce livre, de nombreux médiévistes ont repris, depuis, ce même effort de déconstruction des préjugés à l’encontre du Moyen Âge. Aujourd’hui encore, cet ouvrage de Regine Pernoud reste, cependant, un classique facile d’accès et agréable à lire. On peut donc le recommander à tous ceux qui veulent appréhender, de manière plus juste et nuancée, la période médiévale.

Une citation de Régine Pernoud sur la poésie médiévale et sa place dans la vie de l'homme médiéval

Le goût du Moyen Âge pour la poésie

Dans la citation du jour, il est question de la poésie médiévale et de sa place dans la vie de l’homme du Moyen Âge. Régine Pernoud lui portait là un vibrant hommage. Elle parvenait même à nous la faire sentir de manière palpable dans le quotidien de l’homme médiéval, toutes classes confondues.

Nos lecteurs le savent, ce thème ne peut que nous parler. Depuis 2016, nous avons, en effet, mis en ligne plus de 560 textes issus de la littérature médiévale. Entre poésies, chansons, extraits divers, ces productions nous on permis de vous présenter, à date, plus de 80 auteurs médiévaux.

Pour les rendre accessibles, tous ces textes ont été traduits depuis leur langue d’origine (langue d’oïl, langue d’oc, anglo-normand, galaïco-portugais, …) en français actuel. Il nous est même arrivé de faire quelques incursions vers l’Italien, l’Anglais ou l’Espagnol anciens. Finalement, toutes ces langues reflètent la variété des langages de la France d’alors mais aussi d’une partie de l’Europe médiévale.

En matière de thème, les textes approchés portent sur l’amour courtois, la poésie morale et satirique, les fables, ou la vie médiévale. Toutefois, la prose y occupe une place bien moindre que la poésie et les formes versifiées. La citation du jour ne pouvait donc que nous ravir. C’est une évidence, le Moyen Âge a particulièrement aimé et célébrer ses langues et leurs richesses, à travers la poésie.


La poésie dans le monde médiéval, Régine Pernoud

« Jaillie tout entière de notre sol, la littérature médiévale en reproduit fidèlement les moindres contours, les moindres nuances ; Toutes les classes sociales, tous les événements historiques, tous les traits de l’âme française y revivent, en une fresque éblouissante. C’est que la poésie a été la grande affaire du Moyen Âge, et l’une de ses passions les plus vives. Elle régnait partout, à l’Eglise, au château, dans les fêtes et sur les places publiques : il n’y avait pas de festin sans elle, pas de réjouissances où elle ne joua pas son rôle, pas de société, université, association ou confrérie où elle n’eut accès.

(…) Dire des vers ou en écouter apparaissait (au Moyen Âge) comme un besoin inhérent à l’homme. On ne verrait guère, de nos jours, un poète s’installer sur des tréteaux, devant une barraque de foire, pour y déclamer ses œuvres : spectacle qui était alors commun. Un paysan s’arrachait à son labour, un artisan à sa boutique, un seigneur à ses faucons, pour aller entendre un trouvère ou un jongleur. Jamais peut-être, sauf aux plus beaux jours de la Grèce ancienne, ne se manifesta un tel appétit de rythme, de cadence et de beau langage. »

Régine Pernoud (1909-1998) – Lumière du Moyen-âge (1946).


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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« Sagesse et ordonnance du roi » dans le Secret des Secrets du Pseudo Aristote

Enluminure du philosophe Aristote à son pupitre ( XVe siècle)

Sujet : miroir des princes, précis politique, guide morale, bon gouvernement, roi, devoirs politiques, Aristote, Alexandre le Grand, citation médiévale, action politique
Période : Moyen âge central (à partir du Xe siècle)
Livre : Sirr Al-Asrar, le livre des secrets du Pseudo-Aristote, ouvrage anonyme du Xe siècle. Le Secret des Secrets, édition commentée par Denis Loree (2012).

Bonjour à tous,

u’est-ce qu’un bon roi ? Comment doit-il gouverner et s’occuper de son royaume et de ses sujets ? Qu’est-ce que le bon gouvernement ? Que sont en droit d’attendre des sujets de leur souverain ?

Au Moyen Âge central, les guides et manuels à l’attention de puissants et de leur éducation ont connu un succès certain. Soucieux du maintien de la paix sociale et de la bonne marche du royaume, ces « miroirs des princes », comme on les nomme alors, proposent des conseils et réflexions aussi morales que stratégiques sur la conduite de l’action politique.

Parmi les plus populaires, on retrouve en latin le secretum, secretorum, qui donnera, une fois traduit en langue d’oïl le Secret des Secrets. L’ouvrage est supposé rassembler une correspondance épistolaire qu’Aristote aurait eu, en son temps, avec Alexandre le grand, et dans laquelle le philosophe essayait d’éclairer l’empereur sur le meilleur exercice du pouvoir. L’ouvrage traduit de l’arabe, semblait trouver son berceau d’origine en orient, bien plus que dans la Grèce antique et l’on désigne désormais son auteur demeuré anonyme, du nom de « Pseudo-Aristote ». Voir aussi notre article détaillé sur le secret des secrets

Citation médiévale du Secrets des Secrets du Pseudo-Aristote avec enluminure médiévale d'Aristote dans le Naf 18145 de la BnF

Concertation contre servitude ou sagesse contre folie, dans l’exercice du pouvoir

Aujourd’hui, nous vous partageons une nouvelle extrait de cet ouvrage médiéval en forme de citation. Comme on le verra, elle touche la capacité du bon souverain à se tenir proche de ses sujets et de tenir une gouvernance éclairée et concertée de son royaume :

« Il est chose juste et convenable que la bonne renommee du roy soit en la louable science et preudommie espandue par toutes les parties de son royaume et qu’il ait parlement et saige conseil souvent avec les siens. Et par ainsi, il sera loué, honnouré et doubté* (redoubté, craint) de ses subgiéz quant ilz le verront parler et faire ses besoingnes sagement. Et sachiez que legierement *(facilement) se puet congnoistre la sagesse ou la folie du roy. Car quant il se gouverne en preudommie vers Dieu, il est digne de regner et honnourablement seignourisier* (gouverner). Mais cil qui met son royaume en servitude et en mauvaises coustumes, il trespasse la voie et le chemin de vérité car il mesprise la bonne voie et la loy de Dieu et il sera en la fin mesprisié de tous. »

De la sagesse et ordonnance du roy, chap XII, le secret des secrets.

En montrant sa capacité à dispenser sa sagesse et sa bonté, autant qu’en sachant se concerter avec ses gens pour en obtenir de sages conseils, le roi gagnera le respect de ses sujets et sera loué et honoré par eux. En revanche, pour le roi qui se détourne du chemin de la sagesse et cherche à asservir son peuple, le mépris sera la seule récompense. Bien sûr, il est aussi question pour lui de suivre la loi de Dieu et les valeurs morales chrétiennes : comment pourrait-il en être autrement ? le Moyen Âge occidental en est pétri.

Fait intéressant qu’on relèvera également, ici : quand le prince cède aux vices, à l’avidité, à la tyrannie, non seulement sa perte le guette, mais l’ombre de la folie n’est jamais, non plus, très loin. Le roi est-il sage, est-il fou ou est-il mal conseillé ?

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : sur l’image d’en-tête, on peut voir un détail d’enluminure sur laquelle Alexandre Le Grand reçoit un messager porteur d’une missive d’Aristote. Sur l’illustration avec citation, la deuxième enluminure représente Aristote à son pupitre en train de rédiger une lettre à l’Empereur. Ces deux enluminures sont tirées du manuscrit médiéval Nouvelles Acquisitions française 18145 de la BnF. Ce codex du XVe siècle (consultable sur Gallica) contient une édition en vieux français du Secrets des Secrets, suivie du Bréviaire des Nobles d’Alain Chartier.