
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle
Auteur : Alain Chartier (1385(?)-1430)
Ouvrage : L’Espérance ou Consolation des Trois Vertus tirée de Les Oeuvres de Maistre Alain Chartier (1617)
Bonjour à tous,

L’Espérance ou Consolation des Trois Vertus
Mélange de prose et de vers, L’Espérance ou Consolation des Trois Vertus met en scène un bachelier. Pris dans les filets de la vieille Mélancolie qui l’a enivré à l’aide d’un breuvage soporifique, le personnage songe et verra ainsi défiler, à son chevet, divers travers personnifiés sous les formes les plus monstrueuses : défiance, désespérance, indignation. Les calamités et disgrâce du temps seront passées en revue, pour finalement mettre le personnage face à trois vertus : Foi, Espérance et Charité. Concernant cette dernière, Alain Chartier n’a pas eu le temps de la traiter puisqu’il a laissé son traité inachevé.

« Valurent miex cil qui ja furent
De seux qu’or sont, et il si durent,
Car ciz siecles est si changiez
Que un leux blans a toz mangiez
Les chevaliers loiaux et preux.
Por ce n’est mais ciz siecles preuz. »
Rutebeuf – Les plaies du monde
Concernant l’exil d’Alain Chartier dont il est question dans cet extrait, il a sans doute débuté autour de 1428 et fait suite à des manoeuvres politiques de Georges Ier de La Trémoille (la Trémouille), grand chambellan et conseiller de Charles VII désireux d’éloigner du roi tous ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre (voir Etude sur Alain Chartier de Didier Delaunay, 1876).

Au dixiesme an de mon dolent exil
« Comment M. Alain Chartier regrette les nobles Chevaliers du temps passé, qui par bonne discipline militaire maintenoient France en liberté, depuis par lascheté mise en souffrance et servitude.
Au dixiesme an de mon dolent exil,
Apres maint dueil et maint mortel peril
Et des dangiers qu’ay jusques cy passez,
Dont j’ai souffert graces à Dieu assez
N’a pas grantment ès chroniques lisoye,
Et és hauts faiz des anciens visoye,
Qui au premier noble France fonderent.
Ceulx en vertus tellement habonderent
Que du pays furent vrais possesseurs,
Et l’ont laissé à leurs bons successeurs,
Qui tant leur moeurs et leurs doctrines creurent
Que leur royaume et leur pouvoir accreurent.
Et se firent honorer et aimer,
Craindre et (re)douter deça et delà mer,
Justes en fais, secourans leurs amis,
Durs aux mauvais, et fiers aux ennemis,
Ardans d’onneur, et hauts entrepreneurs,
Amans vertus, des vices réprimandeurs,
Regnans par droit, heureux et glorieux,
Et contre tous forts et victorieux.
Or ont regné en grant prospérité
Par bien amer justice et équité,
Et ont lessé après mainte victoire
Le pays en paix, en hautesse et en gloire.
Et nos peres, qui devant nous nasquirent,
En ce bon temps durèrent et vesquirent.
Et passerent le cours de leur âge
Seurs* (sûrs) de leur corps, en repos de courage,
Las ! nous chétifs et de male heure nez
Avons esté à naistre destinez I
Quant le hault pris du Royaume dechiet
Et nostre honneur en grief reprouche chiet ;
Qui fut jadis franc, noble et bien heuré,
Or est faict serf, confus et espeuré ;
Et nous fuitifs, exiliez et dispers,
Avons tous maulx esuyez et expers ;
Et tous les jours en douleurs gémissons,
Povres, chassez, à honte vieillissons
Desers, despiz, nuz et desheritez
Pour droit suyvir et amer veritez.
Portans en cueur dur regret et remors
Du temps perdu, pays conquis, amis mors,
En l’avenir que penser ne savons
Fors que petit d’Espérance y avons
Quant nous voyons ainsi France déchoir
Et à nous tous du dechiet* (chute perte) mescheoir* (nous faire du mal).
Je souloye* (j’avais coutume) ma jeunesse aquitter
A Joyeuses escritures dicter :
Or me convient autre ouvrage tisser,
De cueur dolent ne pourroit joye yssir* (sortir),
Paine, paour, pouvreté, perte et doute
Ont assiegé si ma pensée toute
Qu’il n’en saut rien fors que par leur dangier
Ainsi me faut mon sentement changier.
Car en moy n’est Entendement ne sens
D’escrire, fors ainsi comme je sens,
Douleur me fait par ennuy, qui trop dure,
En jeune aage vieillir malgré nature,
Et ne me veult laissier mon droit cours vivre,
Dont par douleur ay commencé ce livre. »
En vous souhaitant une excellente journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.