
Période : moyen-âge tardif
Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406)
Titre : « Puis qu’il n’y a d’autre querelle»
Bonjour à tous,

Si, comme nous l’avons dit, les rois finiront par interdire les duels judiciaires et si cette « preuve » par le jugement de dieu sera, peu à peu, rejetée au profit du témoignage ou du serment sur la bible, les affrontements entre deux parties continueront pourtant d’avoir la vie belle. Ils connaîtront même un nouveau souffle à partir du XVIe en prenant d’autres formes et perdureront encore jusqu’au XIXe siècle.

On parle quelquefois d’un glissement ou d’une évolution du duel judiciaire vers ses formes plus tardives de duels, appelés duels d’honneur, mais plus que l’aménagement ou la survivance d’une coutume féodale, d’autres historiens préfèrent parler de « réinvention », considérant que les duels auxquels on assiste, à partir du XVIe siècle, n’ont plus grand chose de commun avec ceux du haut moyen-âge ou du moyen-âge central.

Ces formes de duels seront donc encore en usage jusqu’au XIXe siècle et on assistera même, avec la propagation des armes à feu et dans le courant du XVIIIe, à des duels au pistolet entre femmes. Les images de western ne seront alors pas que du côté de l’Ouest américain et d’Hollywood.
Dans un premier temps, comme nous le mentionnions plus haut, on retrouvera leur pratique principalement dans les milieux nobles mais après la révolution française et dans le courant du XIXe, ils s’ouvriront également, aux milieux bourgeois et commerçants, sans doute par effet de mimétisme envers les classes dirigeantes.


Concernant la période médiévale et notamment durant le moyen-âge tardif, nous avons les exemples de ces affrontements pour des questions qui touchent au coeur ou à l’honneur ne manquent pas. Pour en donner quelques uns pris dans la littérature et la poésie, on se souvient de la ballade que François Villon écrivit au XVe siècle à un gentilhomme pour l’envoyer à sa belle par lui conquise à l’épée:
« Au poinct du jour, que l’esprevier se bat,
Meu de plaisir et par noble coustume,
Bruyt il demaine et de joye s’esbat,
Reçoit son per et se joint à la plume »
Quelques temps avant, nous avons encore un autre exemple de duel sous la plume d’Eustache Deschamps. Défié, en effet, par un certain Thomelin, pour une question amoureuse, ce dernier écrira quelques balades sur le sujet. Loin de l’image habituelle du gant relevé, le duel n’aura, en réalité, pas lieu puisque la belle du poète médiéval s’interposera, en lui disant qu’elle ne veut pas qu’il aille batailler en duel pour défendre son honneur puisqu’il n’y a aucune raison qui le justifie ou dit autrement : aucun motif de querelle. C’est une de ces ballades en forme de contre-pied sur un non événement que nous vous proposons de découvrir aujourd’hui.
Puis qu’il n’y a autre querelle
d’Eustache DESCHAMPS
J’ay a ma dame demandé
S’elle veult que je me combate,
Si com Thomelin m’a mandé,
Pour s’amour, mais de chiere mate,
M’a dit ne veult que je m’enbate
Pour elle a faire tel mestier,
Et qu’elle m’ara trop plus chier
Sain du corps, pour estre avec elle,
Que je moy mettre en ce dangier,
Puis qu’il n’y a autre querelle.
Et que pour bien recommendé
M’a, ne fault que nul s’en debate,
Ne rien n’en seroit amendé.
De mon fait gobelin s’esbate
Ailleurs, s’il veult, vende ou achate
Harnoiz pour un autre approchier,
Et qu’elle me deffent si chier
Que j’ay l’amoureuse estincelle,
De non la requeste octrier,
Puis qu’il n’y a autre querelle.
Et quant ainsi m’a commandé
Que je n’y mette main ne pate,
Et pour s’amour vient ce mandé,
Querir puet autre qui le bate.
Que le hault mal saint Leu l’abate,
Qui en montera sur destrier.
Quant a moy, plus parler n’en quier :
Heraulx, peliçon ne cotelle
N’aréz de moy pour ce adnoncier,
Puis qu’il n’y a autre querelle.
L’envoy
Prince, je ne suy pas bouchier
Pour cent cops de haiche emploier,
Autant de daque et d’alemelle,
D’espee et lance un grant somier,
Tel harnais ne vueil manier,
Puis qu’il n’y a autre querelle.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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