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D’un coq découvrant une gemme, une fable de Marie de France

Enluminure de Marie de France

Sujet  : poésie médiévale, fable médiévale, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poésie morale, oïl.
Période : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre : D’un coc qui truva une Gemme…
Auteur  : Marie de France (1160-1210)
Ouvrage  :  Poésies de Marie de France, T2, B de Roquefort (1820)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous irons chercher notre inspiration médiévale du côté de la poésie de Marie de France. Cette première écrivaine en langue vernaculaire française et, plus précisément, en anglo-normand, nous a laissé une œuvre fournie, connue pour ses lais mais aussi ses fables inspirées des auteurs antiques.

De l’indifférence d’un coq face au diamant

Une fois de plus, c’est donc une fable qui nous donnera l’occasion de nous rapprocher de l’auteur(e) médiéval. Il y sera question d’un coq, d’une gemme et, en définitive, pour le dire de manière triviale, d’une morale assez voisine du dicton populaire qui parle de « confiture donnée aux cochons ».

Dans le récit, il ne s’agit pas, toutefois, de complète ignorance de la part du coq. Ayant débusqué une pierre précieuse dans un tas de fumier, il ne s’intéresse simplement pas à la valeur du trésor exhumé. Il sait qu’il s’agit d’une gemme. Il est même conscient qu’entre des mains plus expertes, la pierre précieuse se trouverait sublimée. Sertie d’or, elle brillerait alors de mille feux mais cela ne change rien pour lui. Il ne la trouve absolument d’aucune utilité et lui préférerait largement un peu de pitance.

Peu vif, l’animal passera donc à côté de la valeur réelle de sa trouvaille, ne daignant même pas la remuer, et la poétesse médiévale étendra la morale de sa fable à toute chose de valeur (bien, honneur) que, selon elle, nombre de ses contemporains dédaignent, pour leur préférer des choses plus triviales ou bien pires.

La fable du coq et de la perle de Marie de France, illustrée d'une enluminure.

D’un coc qui truva une Gemme sor un Fomeroi
dans la langue d’oïl de Marie de France

Du coc racunte ki munta
Sour un fémier, è si grata
Selunc nature purchaceit,
Sa viande cum il soleit:
Une chière jame truva,
Clère la vit, si l’esgarda;
Je cuidai, feit-il, purchacier,
Ma viande sor cest fémier,
Or ai ici jame travée,
Par moi ne serez remuée.
S’uns rices hum ci vus travast,
Bien sei ke d’or vus énurast;
Si en creust vustre clartei,
Pur l’or ki a mult grant biautei
Qant ma vulentei n’ai de tei
Jà nul hénor n’auraz par mei.

Autresi est de meinte gent,
Se tut ne vient à lur talent,
Cume dou Coc è de la Jame;
Véu l’avuns d’Ome è de Fame:
Bien, ne hénor, noient ne prisent,
Le pis prendent, le mielx despisent.

Une adaptation en français actuel

NB : cette fois-ci, nous avons choisi d’une adaptation plutôt qu’une traduction mot à mot. C’est un premier jet perfectible mais il a au moins le mérite d’être maison.

Juché sur un tas de fumier
Un coq s’affairait à gratter
Y cherchant, avec insistance,
Suivant son instinct, sa pitance.
Une belle gemme il exhuma,
De grand valeur et l’observa :
« Je pensais, fit-il, débusquer
De quoi manger dans ce fumier,
Et c’est toi, pierre, qui m’est échu,
Pas question que je te remue…
Qu’un riche homme t’ait découvert
Et d’or il t’aurait recouvert.
Ton éclat ressortirait mieux
Mis en valeur par l’or précieux.
Mais je ne veux rien de tout cela

Point d’honneur, tu n’auras de moi. »

Il en va ainsi de beaucoup
Si tout ne tombe à leur goût,
Comme du coq et son diamant,
Hommes et femmes sont ressemblant,
ni bien, ni honneur, ils ne prisent,
Le pire prennent, le meilleur méprisent.

Aux origines de cette fable médiévale


En remontant le fil de cette fable, on la retrouve chez les fabulistes antiques bien avant Marie de France, Esope d’abord puis Phèdre dans son sillage. Dans les deux cas, elle y avait déjà, un sens assez voisin que celui que lui donne Marie de France, même s’il faut reconnaître que le propos originel de cette fable est si général que le symbole de la perle peut recouvrir bien des choses suivant le sens qu’on veut bien lui donner : valeurs morales, science, savoir, éducation, etc…

Le Coq et le diamant d’Esope

Le coq sur un fumier grattoit , lorsqu’à ses yeux parut un diamant : « Hélas, dit-il ! Qu’en faire ? Moi qui ne suis point lapidaire (artisan joaillier) Un grain d’orge me convient mieux. »

Les Fables d’Esope mises en françois avec le sens moral
en quatre vers et des figures à chaque fable (1775).

On peut trouver un commentaire en vers de cette fable dans l’ouvrage en question :

Ce trésor qu’un coq mal habile
Rebute & vois ici d’un œil indifférent
C’est Homère ou Virgile
Entre les mains d’un ignorant.

Le contenu de la fable d’Esope est assez laconique et succinct mais comme on le voit, l’auteur du XVIIIe siècle penchait de son côté pour une valeur culturelle, philosophique et éducative du symbole quand Marie de France l’avait plus résolument tiré du côté des valeurs morales.

Le poulet à la perle de Phèdre

Au premier siècle de notre ère et près de six siècles après Esope, Phèdre a repris cette fable à son compte, en restant dans un esprit sensiblement identique à celui d’Esope.

Pullus ad margaritam : In sterquilino pullus gallinaceus dum quaerit escam, margaritam repperit. “Iaces indigno quanta res”, inquit, “loco! Hoc si quis pretii cupidus vidisset tui, olim redisses ad splendorem pristinum. Ego quod te inveni, potior cui multo est cibus, nec tibi prodesse nec mihi quicquam potest.” Hoc illis narro, qui me non intellegunt.

Un jeune Coq, en cherchant sa nourriture sur un tas de fumier, trouva une Perle.  » Précieux objet, dit-il, tu es là dans un lieu indigne de toi ! Si un avide connaisseur t’apercevait, il t’aurait bientôt rendu ton premier éclat. Pour moi qui t’ai trouvé, le moindre aliment me serait meilleur ; je ne puis t’être utile et tu ne peux rien pour moi. « 
J’adresse cette fable à tous ceux qui ne peuvent me comprendre.

Fables de Phèdre, traduction nouvelle
par Ernest Panckoucke (1839).

Le coq confesse encore ici son incapacité à exploiter le trésor et on y ressent presque une pointe de fatalisme. Pour le gallinacé, la pierre précieuse (devenue au passage une perle) n’est définitivement pas à sa place dans ce tas de fumier. Sa valeur ne sera pas honorée et le volatile restera frustré de ne pas trouver de nourriture. En guise de conclusion, Phèdre adresse plus spécifiquement sa morale à tous ses détracteurs ou ceux qui ne savent apprécier ses écrits. On est donc, une fois encore, dans la valeur littéraire et philosophique ou la connaissance, mais sur une morale un peu plus ciblée.

Le Coq et la perle de Lafontaine

En faisant un bond dans le temps par dessus le Moyen Âge, cinq siècles après Marie de France, on retrouvera encore ce coq et sa perle chez Jean de Lafontaine. Le fabuliste moderne procédera même à une mise en miroir pour être bien certain que ses lecteurs en comprennent le sens qui reste, là encore, littéraire, éducatif et culturel :

Un jour un Coq détourna
Une perle qu’il donna
Au beau premier Lapidaire :
« Je la crois fine, dit-il ;
Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mon affaire. »


Un ignorant hérita
D’un manuscrit qu’il porta
Chez son voisin le Libraire.
« Je crois, dit-il, qu’il est bon ;
Mais le moindre ducaton
Serait bien mieux mon affaire. »


Pour finir, notons qu’en un temps contemporain de Lafontaine, se trouvait dans les jardins de Versailles, une fontaine du coq et du diamant, en hommage à cette fable antique d’Esope.

Daté de 1673, ce monument arborait un petit bassin au centre duquel figurait un coq tenant une pierre précieuse dans une de ses pattes et recrachant l’eau de la fontaine par son bec tourné vers le ciel. Cette fontaine était l’œuvre de Étienne Le Hongre (1628-1690). A ce jour, il ne nous en reste plus rien qu’une gravure présente dans un ouvrage daté la fin du XVIIe siècle (Labyrinthe de Versailles, Charles Perrault, 1677)


En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : le coq utilisé en premier plan de nos illustrations provient du manuscrit médiéval côté BM ms 399, actuellement conservé à la Bibliothèque Municipale d’Amiens. Cet ouvrage ancien, daté de la dernière partie du XVe siècle, contient le Livre des propriétés des choses de Barthélémy l’Anglais. Je vous propose de découvrir ce superbe livre ancien sur le catalogue de manuscrits illuminés Initiale. Quant au reste de notre enluminure du coq de Marie de France, il s’agit d’un montage original à partir d’extraits d’autres enluminures et illustrations.

« Amours & ma Dame aussi », un rondeau amoureux du trouvère Adam de La Halle

Sujet : musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvère d’Arras,  chant polyphonique, rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur :  Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Amours et ma dame aussi
Interprète : Ensemble Micrologus
Album: 
Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion (2004)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons la découverte d’une nouvelle pièce du trouvère Adam de la Halle. Cet auteur compositeur prolifique du XIIIe siècle, nous a légué une œuvre abondante et variée qui a fait de lui, plus que « le dernier des trouvères » comme on l’a souvent appelé, un des premiers compositeurs en langue d’oïl de la France médiévale.

Un rondeau courtois à mains jointes

La chanson médiévale du jour a pour titre « Amours et ma dame aussi« . Il s’agit d’un rondeau polyphonique à 3 voix et donc d’une pièce courte. Dans le registre profane, elle nous offre un nouvel échantillon de la lyrique courtoisie du trouvère d’Arras.

Sur le fond, le contenu de ce rondeau reste simple et épuré. Le poète a aperçu la grande beauté d’une dame et son cœur en a été transpercé. Désormais, il est condamné à implorer cette dernière, mais aussi « Amour », autrement dit, le sentiment amoureux personnifié auquel les troubadours et les trouvères ne cessent de s’adresser directement. Que l’un ou l’autre veuillent bien lui accorder miséricorde et le délivrer de cet aiguillon ardent qui l’a enchaîné d’un seul regard, car si la belle n’accepte de lui céder, il lui faudra souffrir le martyre d’amant courtois : incapable de se soustraire à l’emprise de la dame, ce sera alors un bien funeste jour que celui où il aura découvert sa beauté.

Sources manuscrites médiévales

On pourra retrouver ce rondeau avec sa partition ancienne dans le manuscrit médiéval ms Français 25566. Cet ouvrage ancien mêle partitions, chansons et autres pièces littéraires des XIIe et XIIIe siècles. Il est également connu sous le nom de chansonnier W. Daté de la fin du XIIIe ou des débuts du XIVe siècle, il est originaire de la cité d’Arras qui a donné naissance, durant cette période du Moyen Âge central, à de nombreuses vocations artistiques.

L’œuvre d’Adam de la halle tient une place de choix dans ce manuscrit d’époque entre chansons, rondeaux, motets, mais encore pièces de théâtre. Avec plus de 280 feuillets, cet ouvrage enluminé et annoté musicalement permet aussi au trouvère d’Arras de côtoyer un grand nombre d’autres auteurs de cette période dont Jean Bodel, Richard de Fournival, Huon de Méri, Baudouin de Condé.

Le rondeau d'Adam de la Halle dans le manuscrit médiéval Français 25566 de la BnF.
Le rondeau du jour dans le manuscrit médiéval ms Français 25566 de la BnF (gallica.fr)

Une version de l’ensemble Micrologus

Pour l’interprétation en musique de la pièce du jour, nous avons penché pour la version de l’Ensemble Micrologus et sa belle orchestration.

Depuis sa fondation, dans le courant de l’année 1984, cette formation italienne dont la musicienne et chanteuse Patrizia Bovi est devenue l’une des figures emblématiques, s’est fait une spécialité des musiques du Moyen Âge. En privilégiant une approche ethnomusicologique, l’ensemble a produit pas moins de 36 albums, dont 26 collent au répertoire médiéval, pour une dizaine d’autres plus libres et expérimentaux. A l’occasion d’une carrière exceptionnelle qui fêtera bientôt ses 40 ans, le travail de Micrologus a été récompensé, à de nombreuses reprises, par des prix et mentions.

Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion, l’album

L'album de Micrologus sur Adam de la Halle et le jeu de Robin et Marion

En 2004, l’ensemble médiéval faisait paraître un album sur les pas d’Adam de la Halle. Sous le titre Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion et sur près de soixante minutes d’écoute, on y trouvait un mélange de nombreuses pièces du trouvère.

En terme de sources manuscrites, le ms Français 25566 y tenait une bonne place, aux côtés du codex de Montpellier H196, du codex Bamberg (Staatsbibliothek Bamberg Msc Lit 115) ou même encore du manuscrit du Roy (le ms français 844). A sa sortie, ce bel album fut largement salué par la scène médiévale et les revues spécialisées dans les musiques anciennes. Près de 20 ans après sa sortie, on peut encore le trouver édité chez Harmonia Mundi, à la commande chez votre disquaire préféré ou en ligne au lien suivant.

Membres de Micrologus présents sur cet album

Patrizia Bovi (voix, harpe gothique, instruments à vent), Adolfo Broegg (luth, guiterne), Gabriele Russo (viole, cornemuse, instrument à vent), Leah Stuttard (harpe médiévale et gothique), Goffredo Degli Esposti (chalemie, percussions, flute traversière, instruments à vent), Sofia Laznik-Galves (voix), Olivier Marcaud (voix), Mauro Borgioni (voix), Simone Sorini (voix), François Lazarevic (cornemuse), Luigi Germini (trompette), Gabriele Miracle (percussions).

La partition moderne du rondeau médiéval "Amours et ma dame aussi" de Adam de la Halle
« Amours et ma dame aussi » partition ancienne et moderne de ce rondeau du XIIIe siècle

Amours et ma Dame aussi*,
en langue d’oïl & en français actuel

Amours et ma Dame aussi,
Jointes mains vous proi merchi.
Votre grant biauté mar vi
Amours et ma Dame aussi.


Jointes mains vous proi merchi
Se n’avés pité de mi
Votres grant biautés mar vi
Amours et ma Dame aussi, etc.

Amours et ma Dame aussi,
J’implore votre grâce (miséricorde) à mains jointes
Hélas, pour mon malheur
(1), je vis votre grand beauté
Amours et ma Dame aussi.

Je vous implore à mains jointes
Si vous ne me prenez en pitié
Hélas, pour mon malheur, je vis votre grand beauté
Amours et ma Dame aussi, etc.


Notes

(1) mar : par malheur, mal à propos. On comprend bien la nature déguisée et la flatterie sous-jacente de la tournure.

* NB : ce rondeau est à rapprocher d’un autre rondeau très semblable d’Adam de la Halle. La parenté des deux pièces montrent bien la nature littéraire de l’exercice courtois :

A jointes mains vous proi,
Douche dame, merchi.
Liés sui quant (je) vous voi.
A jointes mains vous proi,

Ayez merchi de moi
Dame, je vous en pri.
A jointes mains vous proi,
Douche dame, merchi.



En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Le rondeau joyeux d’un amant amoureux par Adam de la Halle

Sujet : musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvère d’Arras,  chant polyphonique, rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur :  Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Bonne amourete me tient gai
Interprète : Ensemble Sequentia
Album: 
Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil (1987)

Bonjour à tous,

ous repartons, aujourd’hui, au XIIIe siècle et dans le nord de France, pour y découvrir un nouveau rondeau courtois d’Adam de la Halle. Ce célèbre trouvère qu’on trouve aussi référencé dans les manuscrits comme le bossu d’Arras, est considéré comme un des derniers trouvères. Il préfigure, en effet, par son œuvre à la fois monodique et polyphonique, les premiers compositeurs du Moyen Âge central et nous a laissé des pièces variées qui sont encore jouées, de nos jours, par les meilleurs ensembles médiévaux.

Un rondeau courtois plein de légèreté

La chanson du jour est un nouveau rondeau polyphonique courtois. On y trouvera le poète tout en joie d’être en amour et d’avoir trouvé une compagne. La pièce est courte, rondeau oblige, et bien qu’elle soit dans la vieille langue d’Oïl d’Adam de la Halle quelquefois un peu ardue, sa compréhension ne pose guère de difficultés.

La chanson Bonne Amourette d'Adam de la Halle dans le Chansonnier médiéval W ou MS Français 25566.

Pour ce qui est des sources manuscrites, nous avons choisi de vous présenter ce rondeau courtois tel qu’on le trouve dans le manuscrit médiéval Français 25566 de la BnF, connu également sous le nom de chansonnier français W. Sur plus de 280 feuillets, cet ouvrage originaire d’Arras et daté du XIVe siècle contient un grand nombre de pièces, entre chansons notées et pièces littéraires d’auteurs divers. Vous pouvez le consulter, à tout moment, sur le site Gallica.fr.

Les grands trouvères des XIIIe et XIVe siècles
par l’ensemble Sequentia

Bonne Amourette d’Adam de la Halle, par l’ensemble Sequentia

Une fois de plus, nous avons choisi, pour l’interprétation musicale de ce rondeau, l’incontournable double-album « Trouvères, Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich (Trouvères : chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil) de l’Ensemble médiéval Sequentia, sous la houlette de Benjamin Bagby et de Barbara Thornton.

Le double-album Trouvères de l'ensemble médiéval Sequentia.

Enregistré en 1982 et sorti au format CD en 1987, ce double opus et ses 43 pièces continuent de faire référence en matière de musique médiévale des XIIIe et XIVe siècles. Comme nous lui avions déjà dédié un long article, nous vous invitons à vous y reporter pour en savoir plus sur cette anthologie musicale.

Bien qu’il ait été réédité chez Sony en 2009, ce double-album peut s’avérer un peu difficile à trouver. Pour le débusquer, quelques recherches seront donc à prévoir chez votre disquaire préféré. En ligne, il est disponible sur un certain nombre de plateformes, au format MP3. Voici un lien utile pour plus d’informations.

Musiciens & artistes ayant participé à cet album

Barbara Thornton (voix, chifonie), Benjamin Bagby (voix, harpe, organetto), Margriet Tindemans (violon, psaltérion), Jill Feldman (voix), Guillemette Laurens (voix), Candace Smith (voix), Josep Benet (voix), Wendy Gillespie (violon, luth).

Les partitions anciennes et modernes de la chanson médiévale "Bonne amourette" du trouvère Adam de la Halle.

Bonne amourete me tient gai
dans le vieux français d’Adam de la Halle

Bonne amourete
Me tient gai ;
Ma compaignete
* ;
Bonne amourete,
Ma cançonnete
Vous dirai.
Bonne amourete
Me tient gai.

*compaignete : petite compagne


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Fable médiévale : la guenon et son enfant de Marie de France

Enluminure de Marie de France

Sujet  : poésie médiévale, fable médiévale, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poésie morale, oïl.
Période : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre : D’une Singesse et de son Enfant
Auteur  : Marie de France (1160-1210)
Ouvrage  :  Poésies de Marie de France, T2, B de Roquefort (1820)

Bonjour à tous,

ntre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle, Marie de France nous a légué une œuvre fournie, connue notamment pour ses lais et ses ysopets. Pour rédiger ces derniers, la poétesse médiévale s’est inspirée de fables antiques qu’elle dit avoir traduites en anglo-normand depuis un manuscrit anglais ayant appartenu au roi Alfred (848-899). Hélas ! Pour l’instant, ce manuscrit du haut Moyen Âge n’a jamais été retrouvé et certains médiévistes en sont même venus à mettre en doute son authenticité ou, à tout le moins sa datation.

Quoi qu’il en soit, on peut toujours se consoler avec l’œuvre de Marie de France qui, elle, s’est conservée et, aujourd’hui, nous vous invitons à découvrir une nouvelle fable de cette auteur(e) médiévale considérée, à ce jour, comme une des premières poétesses en langue d’oïl.

Défiance & discrétion dans un monde incertain

Dans la fable du jour, Marie de France mettra en scène une guenon et son enfant pour nous proposer une réflexion sur la discrétion et la vigilance à tenir au moment de vouloir rendre publique notre vie privée, comme nos pensées. D’une part, la guenon de sa fable passera pour « folle » à vouloir à tout prix gagner l’adhésion de tous sur des choses qui l’agréent et l’enthousiasment mais qui restent, finalement, très personnelles. D’autre part, selon la fabuliste médiévale, le monde est peu sûr et tant d’étalage pourrait bien finir par se retourner contre celle-là même qui s’y adonne.

Dans un premier temps, nous vous proposerons le fable et ses traductions. Nous étudierons ensuite ses sources anciennes et leurs variations.

Concernant les images utilisées pour illustrer cet article, celle d’en-tête comme l’enluminure dans l’illustration ci-dessous, sont des créations réalisées à partir de deux sources principales. Le paysage en arrière plan et le fond de l’enluminure proviennent du Livre de la Chasse de Gaston Febus. Ce manuscrit médiéval, daté du XIVe siècle, est conservé à la BnF sous la référence ms Français 616 ; il est consultable sur Gallica. Pour la guenon, l’ours et le lion, nous les avons extraits du Rochester Bestiary. Ce superbe manuscrit, daté des débuts du XIIIe siècle ( 1230), est actuellement conservé à la British Library sous la référence Royal MS 12 F XIII.

Une Fable de Marie de France avec enluminure médiévale

D’une Singesse et de son Enfant
dans l’anglo-normand de Marie de France

Une Singesse aleit mustrant
A tutes Bestes sun Enfant,
Si l’en teneïent tuit pur fole
E par sanlant é par parole ;
Tant k’à un Liun le mustra.
Au commencier li demanda
Se il est biax : c’il li a dit
Qu’ains plus leide beste ne vit ;
Porter li reuve en sa meisun
E si recort ceste rèsun.
Chascun Houpix prise sa couwe
Si s’esmerveille qu’el est souwe.

Cele s’en vait triste et dolente,
Un Ors encuntre enmi lasente ;
Li Ors s’estut, si l’esgarda
Par cointise l’arèsonna.
Voi-jeo,fet-il, illec l’Enfant
Dunt les Bestes parolent tant,
Qui tant parest pruz è gentilx ?
Oïl, fet-ele, c’est mes filx.
Baille le ça tant que jel’ bès,
Qar gel’ wol véir de plus près
Cele li baille et l’Ors le prent
S’i l’a mengié hastiwement.

Moralité

Pur ce ne devriet nus mustrer
Sa priveté ne sun penser ;
Car tel cose puet-hum joïr
Que ne fet mie à tus plaisir.
Par descuvrance vient grand max
N’est pas li siècles tuz loiax.

D’une guenon et son enfant
adaptée en Français actuel


Une guenon allait montrant
A toutes bêtes son enfant
Celles-ci la prenaient pour folle
Pour ses actes comme ses paroles.
Elle le montra jusqu’à un lion
A qui, d’emblée elle demanda, en exhibant son rejeton
S’il était beau. Le lion lui dit
Que jamais bête plus laide ne vit ;
Qu’elle le ramène en sa maison,
Et se souvienne de ce dicton :
Tout renard admire sa queue
Et la voyant se sent glorieux.

Celle-ci s’en fut triste et peinée,
Puis, croise un ours sur le sentier ;
L’ours s’arrête et la regarde

Et lui dit d’un ton avisé (1) :
« Ainsi voilà donc l’enfant
Dont toutes et tous parlent tant
Qui a l’air si preux et gentil. »
« Oui, répond-elle, c’est mon fils. »
Tends-le moi pour que je l’embrasse
Car je veux le voir de plus près.
Celle ci lui tend. L’ours le prend
Et le dévore en un instant.

Moralité

Pour cela, on doit se garder
D’étaler secrets & pensées
(2);
Car certaines choses peuvent réjouir
Qui ne fassent à d’autres plaisir.
En les exhibant, vient grand mal
Ce siècle (les temps) n’est pas toujours loyal.

(1) Cointise : gentillesse, amabilité, affabilité, coquetterie mais aussi ruse, hardiesse.
(2) « Sa priveté ne sun penser » : choses privées, intimité, pensées, opinions. Il semble que Marie de France ait voulu ici tout englober.


En remontant le fil de cette fable

On trouve diverses sources qui, une fois croisées, peuvent permettre de remonter le fil de cette fable de Marie de France. Ici, nous reviendrons à Esope, à Phèdre mais aussi à Avianus, pour ce qui est des sources les plus anciennes. Puis, nous verrons au passage quelques versions plus modernes de ces mêmes sources avec La Fontaine et Isaac de Benserade.

Les deux besaces, d’Esope à Phèdre

« Jadis Prométhée, ayant façonné les hommes, suspendit à leur cou deux sacs, l’un qui renferme les défauts d’autrui, l’autre, leurs propres défauts, et il plaça par devant le sac des défauts d’autrui, tandis qu’il suspendit l’autre par derrière. Il en est résulté que les hommes voient d’emblée les défauts d’autrui, mais n’aperçoivent pas les leurs.
On peut appliquer cette fable au brouillon, qui, aveugle dans ses propres affaires, se mêle de celles qui ne le regardent aucunement.« 

Les fables d’Esope, Emile Chambry,
Ed Les belles Lettres (1927)

Longtemps après Esope (564 av. J-C), on retrouvera, à peu de chose près, la même fable chez Phèdre (14 av. J.-C-50 apr. J.-C) :

« Jupiter nous a fait porteurs de besaces ; il a rempli la poche de derrière de nos propres défauts, & a chargé celle de devant des défauts d’autrui.
Delà vient que nous ne pouvons voir nos défauts, & que nous censurons les autres aussitôt qu’ils manquent (commettent une faute). »

Fables de Phèdre affranchi d’Auguste en Latin et en François,
Ed Marc Michel Rey (1769)

La guenon et Jupiter, de Flavius Avianus

Les besaces des fables d’Esope et de Phèdre sont sans doute trop courtes et laconiques pour avoir inspiré Marie de France. En revanche, on trouvera d’évidente similitude entre la fable de cette dernière et celle de la Guenon et Jupiter du poète romain Flavius Avianus (IVe, Ve siècle avant notre ère). Lui-même s’est inspiré de ses prédécesseurs et on reconnaîtra, entre ses lignes, la paraboles des deux besaces du fabuliste grec ou de Phèdre même si elle est ici, largement remaniée et délayée.

« Jupiter voulut une fois connaître lequel de tous les êtres qui peuplent l’univers produisait les plus beaux rejetons. Toutes les espèces de bêtes sauvages accourent à l’envi aux pieds de sa grandeur, et celles des champs sont forcées de s’y rendre avec l’homme. Les poissons écailleux ne manquent point à ce grand débat, non plus que tous les oiseaux qui s’élèvent aux régions les plus pures de l’air. Au milieu de ce concours, les mères, tremblantes, conduisaient leurs petits, sur le mérite desquels devait prononcer un si grand dieu. Alors, à la vue d’une Guenon à la taille courte et massée qui tramait après elle son hideux enfant, Jupiter lui-même fut pris d’un fou rire. Cependant cette mère, la plus laide de toutes, essaya de dissiper les préventions dont sa progéniture était l’objet. Que Jupiter le sache bien, dit-elle : si la palme soit appartenir à quelqu’un, c’est à celui-ci qui l’emporte sur tous les autres, à mon avis.

L’homme est ainsi fait : il se complaît dans ses œuvres, tout imparfaites qu’elles puissent être. Pour vous, ne louez rien de ce que vous avez fait avant d’être sûr déjà de l’approbation d’autrui. »

Les Fables d’Avianus par Jules Chenu
Edition CLF Panckoucke (1843)

Les enfants de la guenon, d’Esope

Revenons chez Esope à nouveau pour mentionner une autre fable qui pourrait avoir fait partie des sources ayant inspiré Marie de France. Dans ce récit antique, il est encore question d’une Guenon. Cette fois-ci, ayant donné naissance à deux petits, cette dernière négligera totalement l’un deux et reportera tous ses soins sur l’autre, au risque de l’étouffer par amour et de le tuer involontairement. De son côté, celui qu’elle avait délaissé, deviendra grand et fort.

Les guenons, dit-on, mettent au monde deux petits ; de ces deux enfants elles chérissent et nourrissent l’un avec sollicitude, quant à l’autre, elles le haïssent et le négligent. Or il arrive par une fatalité divine que le petit que sa mère soigne avec complaisance et serre avec force dans ses bras meurt étouffé par elle, et que celui qu’elle néglige arrive à une croissance parfaite.


Cette fable montre que la fortune est plus puissante que toute notre prévoyance.

Fables d’Ésope, Émile Chambry,
Les belles Lettres (1927)

Comme on le voit, dans cette fable, la morale d’Esope se dirige plus vers le sort contre lequel on ne peut rien. Elle n’a donc pas grand chose en commun avec la « Singesse » de Marie de France, si ce n’est l’amour que la primate porte à son rejeton et qui finira, dans les deux cas, par tuer ce dernier. Au passage, Avianus reprendra également cette fable à la suite d’Esope mais, chez lui, la négligence de la mère aura permis de fortifier celui qui a su grandir humblement et dans l’adversité : « Ainsi l’indifférence est parfois utile ; la chance tourne, et les plus humbles s’élèvent d’autant plus haut. » (op cité)

En faisant un grand bond dans le temps, par dessus le Moyen Âge, au XVIIe siècle, l’écrivain et dramaturge Isaac de Benserade tirera de cette même fable de la guenon et ses deux petits, un quatrain qui pourrait s’approcher, indirectement, des leçons que tire Marie de France dans sa fable :

« Embrassant ses petits le singe s’en défait
Par une tendresse maudite.
À force d’applaudir soi-même à ce qu’on fait
L’on en étouffe le mérite.
« 


Fables d’Ésope en quatrains, Isaac de Benserade,
Editions Sebastien Mabre-Cramoisy (1678).

Une fable « sociale » chez Marie de France

Près de 15 siècles après Esope et 5 siècles avant Benserade, on voit bien comment chez Marie de France, la leçon prend, au passage, une dimension plus sociale. Sa fable interpelle, en effet, le bavard ou le vantard autant que le monde autour de lui. Il ne s’agit plus seulement de la relation critique à autrui et du manque de recul. Chez la poétesse du XIIe siècle, « le siècle est devenu déloyal ». Autrement dit, les temps sont à la défiance : il y a danger à exposer ses secrets, ses pensées ou son intimité aux autres pour des raisons qui touchent au contexte social lui-même.

Certes, la guenon est marginalisée par la société des bêtes, pour son insistance à exhiber aux yeux de tous sa progéniture. Dans sa grande noblesse, le lion aura la bonté de ne pas tirer parti de la faiblesse de la primate. Il lui fera même ouvertement la leçon. Hélas pour elle, l’ours ne sera pas si clément, ni loyal. Pourtant, au sortir, Marie ne blâme pas tant la guenon pour son excès de confiance ou sa naïveté qu’elle ne nous alerte sur des temps devenus dangereux et un monde qui n’est plus bienveillant : mieux vaut voiler ses choses privées, ses pensées et user de méandres pour s’exprimer en public et c’est d’ailleurs ce qu’elle fait en utilisant le genre de la fable. L’usage de la métaphore animalière contient, en quelque sorte, un renforcement de son propos. En terme de moralité, nous nous sommes éloignés des fables des anciens.

La besace de Jean de La Fontaine

Longtemps après Marie de France, on retrouve chez La Fontaine, une fable du nom de La Besace qui reprend la même mise en scène que celle utilisée par Avianus.

Jupiter y convoque les animaux pour qu’ils s’expriment, chacun, sur leur propre forme et les défauts qu’ils se trouvent. Le singe passe en premier. Puis suivent l’ours, l’éléphant, la fourmi, la baleine, et tous se comparant aux autres se trouveront mieux formés. En terme de moralité, cette fable de La Fontaine renouera avec Esope en revenant à l’adage de « la poutre dans son propre œil contre la paille dans celui du voisin » :

Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes
On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.
Le Fabricateur souverain
Nous créa Besaciers (porteurs de besace) tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui.

Fables de La Fontaine illustrées par Grandville,
Livre premier, Ed Furne et Cie Libraire (1842)

Sur les inspirations de Marie de France

Bonne nouvelle ! Si le manuscrit du roi Alfred sur lequel Marie de France dit s’être appuyée n’a jamais été retrouvé, en 2020, Baptiste Laïd, agrégé en lettres classiques et expert en littérature médiévale, s’est attaqué au sujet des sources ayant pu inspirer la poétesse du Moyen Âge central. Il leur même a consacré sa thèse avant de la faire publier, en 2020, chez Honoré Champion. Vous pourrez la trouver en librairie sous le titre, L’élaboration du recueil de fables de Marie de France. Trover des fables au XIIe siècle. C’est un ouvrage que nous vous recommandons si vous voulez approcher de peu plus près ces questions. Il est également disponible en ligne ici.


Une pensée sur notre modernité

Sur une note plus actuelle, cette fable nous semble résonner de manière plutôt édifiante, notamment à l’heure des réseaux sociaux. Depuis l’avènement de ces derniers, il semble, en effet, qu’on ait assisté à une exposition toujours plus avancée de choses qui, naguère, relevaient encore du privé. L’évolution a été foudroyante. Elle ne s’est étalée que sur quelques années, deux décennies tout au plus, mais elle a touché en profondeur les frontières du privé et du public, avec des conséquences dont les gens ne sont pas toujours conscients et dont ils ont, quelquefois, fait les frais à leur dépens.

A ce propos, on pourra citer, par exemple, ce faux magicien (hollandais, je crois) qui, il y a quelques années, avait fait le buzz avec une expérience assez intéressante. Cette dernière consistait à faire entrer des gens sous une tente aménagée pour l’occasion et à les filmer. Après quelques « rituels » divinatoires » (simulés donc), il leur faisait des révélations très privées et personnels sur eux-mêmes qui les laissaient tous, sous le choc, et littéralement subjugués par son grand pouvoir.

L’effet durait jusqu’au moment où il leur confessait avoir trouvé toutes ces informations à leur égard, simplement en épluchant leur compte Facebook et leur profil sur les réseaux sociaux. N’étant en rien magicien, il faisait justement cela pour faire prendre conscience au public de ce qu’une fois pris dans le jeu des réseaux sociaux et du partage d’informations sur sa vie privée, on peut finir par divulguer de soi-même et sans s’en rendre compte, bien plus de choses que l’on a conscience.

En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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