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Grandes compagnies et Routiers, une ballade médiévale d’Eustache Deschamps

poesie_ballade_medievale_guerre_de_cent_ans_eustache_deschamps_moyen-age_tardif_XIVSujet : poésie médiévale, poésie morale, réaliste,  ballade, français ancien, guerre de cent ans, grandes compagnies, compagnies de routiers.
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle.
Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406)
Titre : «Geline, oe, ne poucin ne chapon.»
Ouvrage :  Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, par Le Maquis de Queux de Saint-HilaireTome V (1887)

Bonjour à tous,

O_lettrine_moyen_age_passionn connait les ballades poétiques et réalistes d’Eustache Deschamps sur la guerre de cent ans et ses ravages, et nous en avions notamment posté une il y a quelque temps, où il décrivait les conséquences des campagnes anglaises sur la Champagne et sur ses terres, mais nous vous proposons aujourd’hui un texte dans lequel le poète médiéval témoigne d’un fléau qui, en quelque sorte, découla de cette guerre médiévale: il s’agit, en effet, des mercenaires et même de certaines parties des armées qui, même une fois les trêves signées et les batailles finies, se tenaient encore sur le terrain des conflits.

Laissées sans solde et sans pitance, désœuvrées mais au demeurant fortement armées, ces compagnies de routiers, encore appelées les grandes compagnies, quelquefois menées par des gradés ou de hauts chefs militaires, pillaient et battaient les campagnes jusqu’à les rendre exsangues, enlevant et rançonnant aussi au passage les petits nobles. Ce sont donc de ces exactions et de ces pillages dont nous parle Eustache Deschamps dans la ballade que nous vous proposons de découvrir aujourd’hui.

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Les compagnies de routiers: fléau et pillages à la traîne des batailles médiévales

Historiquement attachée aux armées anglaises qui commencèrent à les utiliser dans le courant du moyen-âge central et particulièrement au XIIe siècle, ces compagnies de mercenaires venues des quatre coins d’Europe furent bientôt sollicitées par d’autres souverains. Philippe-Auguste lui-même ne s’en priva pas et c’est d’ailleurs grâce à leur aide que ce dernier pu faire tomber Château-gaillard, la bien aimée forteresse de Richard Coeur de Lion.  Plus tard, dans le courant du XIVe siècle, les troupes de mercenaires employées par les armées royales anglaises dans le cadre des batailles de la guerre de cent ans, et qui restaient stationnés sur les terres de France en temps de trêve comme en temps de paix constituèrent une véritable plaie.

Quand on ne pouvait les réengager à la faveur de nouvelles batailles, on a même tenté quelquefois de les soudoyer et les couronnes connurent, avec cette méthode qui s’avéra infructueuse, quelques déboires. Autour de 1363, Jean Le bon et Philippe le Hardi en firent les frais avec « l’archiprêtre » Arnaud de Cervole, célèbre chef des grandes compagnies d’alors. Au vu des ravages et de la ruine que ces routiers occasionnaient, une tentative de croisade a même été lancée par le pape pour les emmener batailler au loin, qui ne connaîtra guère plus de succès. On prête en général et véritablement à Charles V d’avoir su mener des campagnes efficaces contre ces compagnies pour en venir à bout,  à partir de 1365, Au passage, si le sujet vous intéresse, nous l’avions abordé dans deux  vidéos consacrées au château de Bodiam puisque son propriétaire et seigneur,   Edward Dalyngrigge  avait été, un temps, à la solde du célèbre  exaction_routiers_grandes_compagnies_guerre_de_cent_ans_eustache_deschamps_auteur_medievalchef routier Robert Knolles.

Compagnies de routiers,
miniature,  XIVe siècle,
BnF, département des manuscrits.

Après le XIVe siècle, la France connaîtra encore d’autres épisodes de ce type notamment au début du XVe avec les écorcheurs, à la faveur de la reprise des conflits avec l’Angleterre et de la rivalité en la maison d’Orleans de de Bourgogne. Vers la fin de ce même siècle, le problème sera partiellement résolu par l’intégration de certaines de ces bandes organisées au sein des armées royales de  Louis XI,

Au XVIe siècle, François 1er aura, à nouveau, à faire avec ce même phénomène qui demeure étroitement lié –  on pourrait même dire de manière endémique –  au fonctionnement des guerres et des batailles médiévales, dans un contexte où les armées royales ne sont pas encore suffisantes pour faire face, ni entièrement professionnalisées. A la faveur d’un conflit, des mercenaires professionnels, mais aussi des criminels et plus généralement toute personne désireuse de gagner quelques sous et d’en découdre sont enrôlés et une fois les hostilités réglées, les financements s’arrêtent. Sur le terrain, les bandes errantes, devenues bien souvent apatrides et laissées sans solde, ne se dissolvent pas pour autant d’elles-mêmes. En réalité, elles ont même plutôt tendance à se regrouper et comme elles sont armées, elles en tirent partie. Au passage et dans une certaine mesure, ce phénomène perdure aujourd’hui dans certaines régions très conflictuelles du monde.

Ballade contre les exactions des routiers
ou  « Geline, oe, ne poucin ne chapon »

Ce titre « contre les exactions des routiers » est donné par le Marquis de Saint-Hilaire (opus cité), nous lui adjoignons le refrain de la ballade originale : « Geline, oe, ne poucin ne chapon » ou « ni poule, ni oie, ni poussin, ni chapon ».

Las! il n’est mais pastour ne pastourelle
Ne nul qui puist a droit garder brebis,
Car li mastin ont perdu leur querelle
Par le default d’avoir assez pain bis,
Et les loups vont tout courre le pais,
Qui n’y laissent aignel, brebis, mouton,
Vache ne veel, cheval noir, blanc ne gris,
Geline, oe (poule,oie) ne poucin ne chapon.

He! Dieu, que c’est dolereuse nouvelle !
Car du bestail estoit chascuns nourris;
De leur laine faisoit telz sa cotelle* (robe)
Qui sera nuz, povres et esbahis ;
Labours faurront, et si a encor pis,
Qu’estranges loups s’assemblent a bandon*, (en bandes)
Qui ne lairont a nul, ce m’est advis,
Geline, oe, ne poucin ne chapon.

Et j’ay veu vers la saison nouvelle
Que l’en chaçoit telz loups comme ennemis
Par cri royal et commission belle,
Dont chascun feu paioit .ii. parisis (1) ;
L’en les tuoit et pandoit on aussis.
Lors paissoient sûrement li chastron* (moutons)
Autrement va; plus n’arons, doulz amis,
Geline, oe, ne poucin ne chapon.

(1) payait deux parisis (sous de Paris)

Telz loups rapaulx (rapaces) valent pis que gabelle :
Frommaige, let, burre et oeufs sont péris,
Douce crayme, le maton en foisselle (2) ;
Far eulx seront après li enfant prins.
Que font lévrier et li alant* (chiens) de pris?
Que font veneurs, et pourquoy ne chaç’on ?
S’ilz ne chacent, plus n’aront, je leur dis,
Geline, oe, ne poucin ne chapon.

(2) Panier de Jonc, Maton en faisselle, Jonchée,

Noble Lion, le bestail vous appelle,
Et vous devez secourre voz subgis*. (sujets)
Chacez ces loups, et se nulz s’atropelle* (s’attroupe)
En voz marches, ne souffrez le logis*; (la présence)
Car vous pourriez par eulx estre honnis
Et acqueillir par leur fait povre nom ;
Briefment n’arez, se conseil n’y est mis,
Geline, oe, ne poucin ne chapon.

L’envoy
Princes, qui veult estre bien seignouris,
Et de bestail gras, peuz et nourris,
Le doit garder de loups et de larron
Et gouverner par bel et bon advis,
Ou autrement il n’ara, ce m’est vis*, (à mon avis)
Geline, oe, ne poucin ne chapon.

En vous souhaitant une très belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Une « invitation » au voyage en forme de Ballade par Eustache Deschamps

poesie_ballade_medievale_guerre_de_cent_ans_eustache_deschamps_moyen-age_tardif_XIVSujet : poésie médiévale, poésie morale, réaliste, littérature médiévale, ballade, français ancien, invitation au voyage
Période : moyen-âge tardif
Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406)
Titre : «Il ne scet rien qui ne va hors»
Ouvrage :  Oeuvres complètes d’Eustache Deschamps, Gaston Raynaud, Tome VII (1891)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passion‘orléans à la Lombardie en passant par la Flandre, la Hongrie, ou l’Allemagne, au cours de sa longue vie, mais surtout durant sa jeunesse, Eustache Deschamps dit Morel, eut l’occasion de voyager et de voir du pays.

S’il faut se fier à certains de ses biographes, il serait même encore allé au delà des mers parcourant la Syrie, l’Egypte, visitant Jérusalem et le Caire. Dans ses pérégrinations, il aurait aussi été, quelque temps, esclave des Sarrasins (voir introduction Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps, Georges Adrien Crapelet).

Concernant ces destinations lointaines et si on la prend au pied de la lettre, la ballade « Quand j’ai la terre et mer avironnée » que nous avons déjà présenté ici, semble aussi  l’attester :

« Quant j’ay la terre et mer avironnée,
Et visité en chascune partie
Jherusalem, Egipte et Galilée,
Alixandre, Damas et la Surie,
Babiloine, le Caire et Tartarie,
Et touz les pors qui y sont,… »

Comme Eustache Deschamps est un poète « réaliste » attaché aux éléments factuels, on peut supposer, sans en avoir pour autant la moindre confirmation documentaire, qu’il ne fait pas là qu’une simple licence poétique et, au bénéfice du doute, décider de mettre ces voyages à son crédit. C’est en tout cas et semble-t-il une position de principe que nombre de ces biographes ont adoptée.

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Il ne scet rien qui ne va hors,
dans le moyen-français d’Eustache

C’est donc une ballade en forme d’invitation au voyage à laquelle nous convie aujourd’hui le poète médiéval. Bien entendu, il le fait avec le tranchant habituel de sa plume et les absences de nuances dans lesquelles son caractère bien trempé l’ont si souvent conduit. Comme c’est aussi ce qui fait son charme, nous ne pouvons totalement l’en blâmer mas de fait, plus qu’une simple « invitation » au voyage, voilà bien plutôt une injonction dans le pur style qui le caractérise.

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Ceuls qui ne partent de l’ostel
Sanz aler en divers pais,
Ne scevent la dolour mortel
Dont gens qui vont sont envahis,
Les maulx, les doubtes, les perilz
Des mers, des fleuves et de pas,
Les langaiges qu’om n’entent pas,
La paine et le traveil des corps;
Mais combien qu’om soit de ce las,
Il ne scet rien qui ne va hors.

Car par le monde universel
Qui est des nobles poursuis,
Sont choses a chascun costel* (de tous côtés)
Dont maint seroient esbahis,
De la creance, des habis*, (moeurs)
Des vivres, des divers estas,
Des bestes, des merveilleux cas,
Des poissons, oiseaulx, serpens fors,
Des roches, des plains, des lieux bas:
Il ne scet rien qui ne va hors.

De vir les montaingnes de sel,
Les baings chaux dont maint sont garis,
Le cours desquelz est naturel
Par vaines de soufre tramis,
Les divers fruis, ermines, gris;
Minieres d’or, d’argent a tas,
De fer, d’acier, d’estain verras,
De plomb, cuivre, arain, et alors
A toutes gens dire pourras:
Il ne scet rien qui ne va hors.

L’envoy

Princes, nulz ne sera sutils,
Saiges, courtois ne bien apris,
Tant soit riches, puissans ou fors,
S’en divers voyages n’est mis
En jeunesce pour avoir pris;
Il ne scet rien qui ne va hors.

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Une belle journée à tous!

Fred
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Eustache « Brûlé » Deschamps : une ballade sur les ravages de la guerre de cent ans

poesie_ballade_medievale_guerre_de_cent_ans_eustache_deschamps_moyen-age_tardif_XIVSujet : poésie médiévale,  satirique, morale, réaliste, littérature médiévale, ballade, français ancien, Vertus, guerre de cent ans.
Période : moyen-âge tardif
Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406)
Titre : «J’aray desor a nom  brûlé des champs »
Ouvrage :  Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps, Georges Adrien Crapelet (1832)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passionélèbre ballade d’Eustache Deschamps, la poésie que nous publions aujourd’hui nous conte par la bouche de l’auteur médiéval des ravages de la guerre de cent ans dans la plaine de Champagne. Les batailles ont laissé derrière elles tant de misère et de ruine qu’il faudrait désormais appeler le poète « brûlé Des Champs ».

Nous y apprenons des choses sur les origines du poète et sur sa ville de coeur et de naissance: Vertus, dont il nous conte les douceurs d’avant-guerre. Mal en point financièrement pour avoir dû restaurer son domaine, il en appelle aussi aux soutiens des plus grands, princes et seigneurs, pour l’aider à rétablir sa « maison ».

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Ballade  du domaine d’Eustache
brûlé
par les anglais

Ce titre est celui donné par G.A. Crapelet dans son ouvrage de 1832. Dans son édition des œuvres d’Eustache Deschamps,  le Marquis de Queux de Saint-Hilaire  donnera quant à lui comme « titre » à cette ballade :  « Il ne doit plus s’appeler Eustache, mais Brûlé  des Champs ».

Je fu jadiz de terre vertueuse,
Nez de Vertus, le paiz renommé
Ou il avoit ville tresgracieuse
Dont li bon vin sont en maint lieux nommé;
Jusques a cy avoit mon nom nommé,
Eustace fu appelle dès enfans;
Or sui tous ars, s’est mon nom remué: (1)
J’aray desor a nom Brûlé des Champs.

Dehors Vertus ay maison gracieuse
Ou j’avoye par long temps demouré,
Ou pluseurs ont mené vie joyeuse,
Maison des champs l’ont pluseurs appelle ;
Mais, Dieu merci (2), toute plaine de blé,
Ont les Angles le feu bouté dedens ;
Deux mille frans m’a leur gerre cousté:
J’aray desor a nom Brûlé des Champs.

Las ! ma terre est destruitte et ruyneuse,’
Je suis désert, destruit et désolé;
Fuir m’en fault, ma demeure est doubteuse,
Se je ne sui d’aucun reconforté; ,
Ainsi seray de mon lieu rebouté,
Comme essilliez, dolereux et meschans,(3)
Se mes seigneurs n’ont de mon fait pitié :
J’aray desor a nom Brûlé des Champs.

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NOTES

(1)« Or sui tous ars, s’est mon nom remué » : il ne me reste plus rien ou je suis à nu et j’ai perdu jusqu’à mon nom.
(2) « Dieu merci » : Dieu ait pitié de moi.
(3) Comme essilliez, dolereux et meschans : comme exilé, ruiné, triste et malheureux.

Vertus en Champagne, la ville de Eustache Deschamps, gravure du XVIIe par Claude Chastillon
Vertus en Champagne, la ville de Eustache Deschamps, gravure du XVIIe par Claude Chastillon

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred

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Qui pendra la sonnette au chat ?, une fable médiévale d’Eustache Deschamps

poesie_fable_litterature_monde_medieval_moyen-ageSujet : poésie médiévale,  satirique, morale, fables, valeurs humaines, métaphores animalières, Isopets, Ysopet,  littérature médiévale,  ballade, français ancien,
Période  : moyen-âge tardif
Auteur  :  Eustache Deschamps (1346-1406)
Titre  : « Le chat et les souris »
Ouvrage  :  Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps, Georges Adrien Crapelet  (1832)

Bonjour à tous,

F_lettrine_moyen_age_passion-copiailles d’Esope, écrivain grec des VIIe et VIe siècles avant Jésus-Christ, dont on a fait l’illustre père bien avant La Fontaine, les fables se sont perpétuées avec succès dans la France du moyen-âge central.

Les fables au moyen-âge

Recopiées  tout d’abord en latin à partir des écrits de Phèdre, fabuliste du Ier siècle de notre ère, adaptateur d’Esope, mais aussi à partir des oeuvres du  fabuliste romain de langue grecque Babrius (IIe siècle) ou encore  du poète romain Avianus des IVe et Ve siècles, les fables gagneront leurs lettres de noblesse en anglo-normand et en français sous la plume de la célèbre poétesse Marie de France.  Un peu avant la fin du XIIe, cette dernière en écrira, en effet, plus de 100.

Enluminure,  Marie de France, Ms. 3142, BnF (retouche feuille d’or)

Sur l’ensemble, elle ne se contentera pas de retranscrire et de paraphraser l’héritage des auteurs latins et grecs des origines, elle créera aussi un bon nombre de fables inédites, consacrant là un véritable genre littéraire. Ses écrits seront,  par la suite,  largement repris contribuant à la diffusion du genre dans les siècles suivants. On les connaîtra alors sous le nom d’Isopets ou Ysopets, dérivés du nom de l’illustre Esope évoqué plus haut.  C’est indéniable, la satire de la comédie humaine derrière l’écran de l’image animalière séduit et ce n’est pas le Roman de Renart et son succès, dès la fin du XIIe et les débuts du XIIIe siècle qui viendront le démentir.

Ballade & Fable : Le chat et les souris d’Eustache Deschamps

Comme nous l’avions déjà évoqué dans un portrait précédent, au XIVe siècle et un peu plus près déjà du moyen-âge tardif, Eustache Deschamps s’essayera lui aussi au genre de la fable et même à quelques autres dérivés autour de la métaphore animalière. La fable du jour est devenue, sans nul doute, la plus célèbre d’entre elles qui se trouve être aussi une ballade. Elle doit, entre autre, son succès à son refrain : « Qui pendra la sonnette au chat?« .

Autrement dit : Qui viendra pendre le grelot au cou du chat ? Au moment de conseiller ou d’argumenter, tout le monde est bien d’accord, mais au moment d’agir et d’en avoir le courage, il en reste peu pour prendre le risque d’entreprendre une affaire périlleuse pour le bien de tous ? La question reste posée et ouverte dans cette fable qui inspirera d’ailleurs, à son tour, Jean de La fontaine dans son Conseil tenu par les Rats, et lui tirera cette morale :

« Ne faut-il que délibérer,
La cour en conseillers foisonne ;
Est-il besoin d’exécuter,
L’on ne rencontre plus personne. »

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Je treuve qu’entre les souris
Ot un merveilleux parlement
Contre les chas leurs ennemis,
A veoir manière comment
Elles vesquissent* seurement (* vécurent)
Sanz demourer en tel débat;
L’une dist lors en arguant :
Qui pendra la sonnette au chat?

Cilz consaulz fut conclus et prins ;
Lors se partent communément.
Une souris du plat pais
Les encontre et va demandant
Qu’om a fait: lors vont respondant
Que leur ennemi seront mat :
Sonnette aront ou coul pendant.
Qui pendra la sonnette au chat?

« Cest le plus fort », dist un rat gris
Elle demande saigement
Par qui sera cilz fais fournis.
Lors s’en va chascune excusant ; 
Il n’y ot point d’exécutant,
S’en va leur besongne de plat;
Bien fut dit, mais, au demeurant,
Qui pandra la sonnette au chat?

L’envoy

Prince, on conseille bien souvent,

Mais on puet dire, com le rat.
Du conseil qui sa fin ne prant :
Qui pendra la sonnette au chat?

Eustache Deschamps  (1346-1406)

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En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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