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Au XIVe s, un rondeau sur la Franchise, signé Eustache Deschamps

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, rondeau, manuscrit ancien, poésie morale.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur  :   Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Ne porroit pas Franchise estre vendue»
Ouvrage  :  Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, Tome IV,   Marquis de Queux de Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle incursion au Moyen Âge tardif avec une poésie courte d’Eustache Deschamps. Ce rondeau porte sur la franchise et s’inscrit dans la lignée des nombreuses poésies que nous légua cet auteur médiéval sur les valeurs et la morale. Il nous donnera l’occasion de réfléchir sur la notion de franchise telle qu’employée dans le moyen-français d’Eustache.

Eloge de la sincérité et du franc-parler ?

En ce qui concerne la franchise au sens étroit et moderne de sincérité, liberté de ton, Eustache Deschamps l’a souvent portée haut. Il s’est exprimé, à ce sujet, dans de nombreuses ballades et poésies.

« Chascuns doit faire son devoir
Es estas
(condition sociale)  ou il est commis
Et dire a son seigneur le voir
(la vérité)
Si que craimte, faveur n’amis,
Dons n’amour ne lui soient mis
Au devant pour dissimuler
Raison, ne craingne le parler
Des mauvais, soit humbles et doulz;
Pour menaces ne doit trembler :
On ne puet estre amé de tous. »


Eustache Deschamps On ne puet estre amé de tous

Il n’a pas fait que vanter les vertus de la sincérité, il a aussi souvent critiqué les travers inverses en prenant, très ouvertement à partie notamment, l’ambiance des cours royales dont il était familier et la fausseté des relations qui y régnait : menteries, flatteries, flagorneries, …

« Mentir, flater, parler de lécherie* (débauche) :
Va à la court, et en use souvent. »

Eustache Deschamps – BaladeVa à la court, et en use souvent.

Cette « franchise » au sens de franc-parler, Eustache en a aussi fait les frais, en essuyant un certain nombre de déboires pour ne pas en avoir manqué. Pour n’en donner qu’un exemple, on citera cet épisode conté par Gaston Raynaud, dans le tome XI des Œuvres complètes (opus cité). On était en 1386, en Flandres. Le temps était gros. Retenue par quelques barons et conseillers frileux, la flotte française hésitait à s’embarquer pour l’Angleterre ; pressé d’en découdre avec l’angloys, Eustache fustigea, auprès du jeune roi Charles VI, certains de ses amis qui se trouvaient là, pour leur mollesse et leur lâcheté. Las, on ne prit pas la mer et le vent tourna bientôt en défaveur de notre auteur. Non seulement, on n’embarqua pas mais pire : « irrités de sa franchise et de ses satires, les jeunes hommes dont il s’est moqué pénètrent un jour dans sa tente, le battent et, menottes aux poings, le promènent dans le camp comme un larron ». (op cité Tome XI p 51 Vie de Deschamps). On ne peut manquer d’imaginer qu’il paya ce ton moralisateur et critique par certaines autres mises à distance, même s’il ne faut pas non plus les surestimer.

Tout cela étant dit, voyons, d’un peu plus près, le sens que peut recouvrir cette notion de « franchise » au temps médiévaux, mais surtout chez Eustache.

liberté, noblesse, affranchissement :
les autres sens de « franchise »

Dans le Petit dictionnaire de l’ancien français de Hilaire Van Daele, on trouve « franchise » définie comme franchise, mais encore comme noblesse d’âme et générosité. Ces deux définitions sont également reprises dans le Godefroy court : noblesse de caractère, générosité (Lexique de l’Ancien français, Frédéric Godefroy, 1901).

Dans le Cotgrave, A dictionarie of the french and english tongues, compiled by Randle Cotgrave (1611), franchise rejoint d’abord l’idée de « freeness, libertie, freedom, exemption ». Viennent s’y adjoindre ensuite des notions comme « good breeding, free birth, tamenesss, kindliness, right kind » (bonne éducation, bon lignage, naissance libre, raison, gentillesse, noblesse de cœur, …) et enfin des notions proches de franchise au sens juridique (charte de franchise, affranchissement, lieu privilégié, …).

Pour finir, dans le très fouillé Dictionnaire historique de l’ancien langage françois ou Glossaire de la langue françoise de son origine jusqu’au siècle de Louis XIV, par la Curne de Sainte-Palaye, la franchise recouvre tout à la fois des notions de loyauté, crédit, liberté, privilège, exemption… A la définition de Franc : « noble, libre, sincère », donné par ce dernier dictionnaire viennent aussi se greffer tous les aspects juridiques de la franchise, pris dans le sens d’affranchissement (terre en franchise, asiles, droits dans les forêts, lettre de grâce…).

L’usage du mot franchise chez Eustache

Chez Eustache, On retrouvera un usage abondant de la notion de franchise. Il l’a mise mise à l’honneur dans plusieurs ballades : Noble chose est que de franchise avoir ou Rien ne vaut la franchise. Il en a même fait un lai : le lay de franchise. Pour mieux cerner l’usage qu’il fait de ce terme, voici quelques exemples pris dans son œuvre.

Dans la plupart des contextes, nous constaterons un sens différent de notre définition moderne de franc-parler ou de sincérité. Bien sûr, il ne s’agit pas non plus de la notion de « franchise » qui se réfère aux contrats commerciaux régissant l’exploitation ou la concession d’une marque et de ses produits. Si dans son approche de la notion, Eustache lui prête à l’évidence une noblesse « de fait », nous sommes plus proches de son sens dérivé de « franc », soit l’idée de liberté et d’indépendance.

« Les serfs jadis achaterent franchise
Pour estre frans et pour vivre franchis.

Car li homs serfs est en autrui servise
Comme subgiez en servitute chis ;
Mais quant frans est, il est moult enrrichis
Et puet partout aler ou il lui plaist,
Mais ce ne puet faire uns homs asservis,
Pour ce est li homs eureus qui frans se paist. »

E Deschamps – Balade contre le mariage, bonheur de l’indépendance

« Prince, en net lieu, en corps de souffisance
Fait bon avoir sa chevance et franchise.
Ces .III. dessus avoir en desplaisance.
Tiers hoir ne jouist de chose mal acquise. »

E Deschamps – Balade aveques quelz gens on doit eschiver mariage

« Laissez aler telz tribulacions,
A telz estas n’acomptez .ii. festus;
Cognoissez Dieu, fuiez decepcions ;
Souffise vous que vous soiez vestus,
Que vivre aiez; entendez aux vertus ;
Aprenez art qui bien régner vous face ;
Soiez joieus et aiez liée face;
Sanz plus vouloir, tel estat vous souffise ;
Lors vivrez frans, sanz paour et sanz chace :
II n’est trésor qui puist valoir franchise. »

E Deschamps – Balade Rien ne vaut la franchise.

Voie moyenne & liberté plutôt que servitude

Dans ces trois exemples, il est bien question de liberté et d’indépendance et il semble que ce soit encore ce sens qui l’emporte dans le rondeau du jour. Pour éclairer cet usage, on pourrait encore y ajouter la notion de Franc-vouloir : autrement dit franc arbitre, libre arbitre.

On notera que cette notion de franchise s’articule souvent chez Eustache avec la nécessité de conduire la voie moyenne. Autrement dit, l’indépendance n’a pas de prix et il faut mieux vivre libre et dans la modestie que servile ou servant, dans l’opulence. Voici un quatrième exemple pour illustrer cette idée :

Qui sert, il a moult de soing et de cure ;
Se femme prant, d’acquerre art trestous vis;
S’il est marchant trop a grief pointure.
Et se il est gouverneur d’un pais,
II est souvent de pluseurs envahis,
Et s’il a foison de mise,
Lors li sera mainte doleur amise
Et lui faurra laissier de son avoir;
Qui assez a franchement, lui souffise,
Noble chose est que de franchise avoir.

E Deschamps Noble chose est d’avoir la Franchise.

Comme vous l’aurez compris (et c’est un autre leçon de cet article), au delà des apparences et même quand leur langage nous semble immédiatement accessible, il ne faut pas sous-estimer le sens caché des textes médiévaux. La langage évolue à travers le temps et même quand les vocables sont les mêmes, il n’est pas toujours aisé d’en percer le sens véritable. C’est d’autant plus vrai face à un moyen-français qui nous semble parfois si proche mais qui nous est distant de plus de 600 ans.


Ne porroit pas Franchise estre vendue
un rondeau d’Eustache Deschamps

NB : dans l’ouvrage du Marquis de Queux de Saint-Hilaire (op cité), le titre adopté pour ce rondeau est « Il faut garder la franchise. » On ne retrouve pas ce titre dans le Français 840. Les autres rondeaux n’en possèdent pas non plus. Il est donc plus sûrement le fait de l’auteur moderne que d’Eustache Deschamps.

Pour trestout l’or qui est et qui sera
Ne porroit pas Franchise estre vendue ;

Cilz qui la pert ne la recouverra
Pour trestout l’or qui est et qui sera.

Or la garde chascuns qui le porra,
Car d ‘omme franc ne doit estre rendue :
Pour trestout l’or qui est et qui sera
Ne porroit pas Franchise estre vendue.


Sources médiévales et historiques

On pourra retrouver ce rondeau, aux côtés de nombreux autres, dans le tome IV des Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps (op cité)

Du point de vue des sources manuscrites, il est présent dans le Manuscrit médiéval Français 840 conservé à la BnF. Cet ouvrage daté du XVe siècle et dont nous vous avons déjà dit un mot, contient essentiellement les poésies « d’Eustache Deschamps dit Morel ». Elles sont suivies d’une poésie latine datée de la fin du XIVe siècle. On peut consulter le Français 840 en ligne sur Gallica. Ci-dessus, vous trouverez également le feuillet de ce manuscrit sur lequel on retrouve notre rondeau du jour.

En vous remerciant de votre lecture.
Une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

NB : l’image en tête d’article présente, en arrière plan, la page du rondeau d’Eustache Deschamps tirée du Ms Français 840. Le premier plan est un clin d’œil aux valeurs chevaleresques : il s’agit du chevalier Gauvain. Nous l’avons tiré d’une miniature/enluminure du Manuscrit Français 115 de la BnF. Cet ouvrage de la fin du XVe siècle présente une version illuminée du Lancelot en Prose de Robert Boron. Il fait partie d’un ensemble de plusieurs tomes consacrées au Saint-Graal et au roman arthurien.

« Retrowange Novelle » une chanson imprégnée de dévotion mariale et de lyrique courtoise par Jacques de Cambrai

moyen-age_culte_marial_lyrique_courtoise_trouveres_jacques_de_cambrai_rotrouenge_nouvelle_XIIIe_siecleSujet : trouvère, chanson médiévale, poésie médiévale, retrouange, culte marial, rotrouenge, lyrique courtoise, amour courtois, vieux français, langue d’oil
Période : Moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur : Jacques de Cambrai (1260-1290)
Titre : Retrowange Novelle
Interprètes : Ensemble Oliphant
Album :    Chansons pieusesJoie Fine  Medieval Pious Trouvère Songs (2006)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn continuant d’explorer la poésie et les chansons médiévales du côté du nord de la France, notre route croise aujourd’hui celle d’un trouvère du moyen-âge central du nom de Jacques de Cambrai  (orthographié encore Jaque, Jaikes ou Jacquemes). Il a laissé derrière lui douze pièces en tout et pour tout : sept chansons religieuses, vouées au culte marial, dont celle du jour, une pastourelle et encore quatre autres chansons d’amour courtois.

Eléments de biographie

Ils demeurent à peu près inexistants. D’après ses œuvres, on a pu déduire que le trouvère avait vécu vers la fin du XIIIe siècle et qu’il était en activité quelque part entre les années 1260 et 1290.

Etait-il jongleur ? Avait-il fait de l’art de trouver son métier ou n’était-ce qu’un clerc qui s’adonnait à cet exercice en dehors d’autres activités ? On ne le sait pas. Les plus pieuses de ses chansons font en tout cas état d’une véritable dévotion et de certaines connaissances théologiques sur ces sujets, même si la religion était loin de demeurer à cette période, l’apanage unique des clercs ou du personnel ecclésiastique ou épiscopal.

Manuscrit principal et mélodies

Du côté des manuscrits, on trouve la majeure partie de son oeuvre dans le Manuscrit de Berne MS 389, connu encore sous le nom de Chansonnier français C que nous avons déjà cité par le passé. Vous trouverez ci-dessous  la reproduction du feuillet sur lequel on peut trouver la chanson du jour (l’ouvrage est également consultable en ligne ici).

Jaque_de_cambrai_trouvere_chanson_poesie_medieval_lyrique_courtoise_trouvere_culte_marial_moyen-age_centralDu point de vue musical, Jacques de Cambrai a fait de nombreux  emprunts mélodiques à des trouvères l’ayant précédé ou qui lui étaient contemporains pour y greffer ses propres textes. C’est entre autre une des manières qui a permis de le situer un peu plus précisément dans le temps.

La chanson du jour fait partie de celles dont l’emprunt mélodique n’est pas sourcé ni certain, même il est difficile de se fier à l’absence de mentions explicites des manuscrits pour en déduire que notre trouvère en fut l’auteur. Six autres de ses chansons mariales ont, en effet, pris des mélodies existantes et identifiées pour modèle (entre autres chez Thibaut de Champagne, Gauthier d’Espinal, Raoul de Soissons, Gace Brûlé, etc…). De fait concernant cette « rotrouenge », certaines hypothèses penchent favorablement sur un emprunt de la part de Jacques de Cambrai à une autre chanson dont l’auteur est demeuré également anonyme et qui a pour titre « quand voi la flour novele » (Voir Songs of the Troubadours and Trouveres : An Anthology of Poems and Melodies, publié par Samuel N. Rosenberg, Margaret Switten, Gerard le Vot, Garland Publishing, 1998).

La « Rotrowange Novelle » de Jacques de Cambrai par l’Ensemble Oliphant


L’Ensemble Oliphant et les chansons pieuses des trouvères du moyen-âge central

En 2006, les artistes d’origine finlandaise de l’Ensemble Oliphant sortaient un album sur le thème de la « joie fine » et des chansons pieuses des trouvères du moyen-âge central.

On pouvait y retrouver 15 pièces :  Guillaume de Bethune, Adam de la Halle, Thibaut de Champagne et Aubertin d’Araines, s’y trouvaient aux côtés de cette rotrouenge « nouvelle » signée de Jacques de Cambrai. Le reste des compositions et chansons se partageaient entre neuf pièces musique_chanson_medievale_ensemble_oliphant_joie_fine_chanson_pieuse_jacques_de_cambrai_trouvere_Moyen-ageanonymes de cette même période.

Cet album d’intérêt est encore distribué. Il a entre autre mérite de proposer une sélection originale de chansons médiévales dont certaines sont assez peu connues et, en tout cas, peu fréquemment reprises. A toutes fins utiles, voici un lien sur lequel vous pourrez le découvrir ou l’acquérir au format MP3 ou au format CD : Ensemble Oliphant – Joie Fine – Chanson pieuses – Trouvère songs

La Retrowange novelle  de Jacques de Cambrai

Comme nous l’avons déjà mentionné ici,  à propos du culte marial au moyen-âge central, à un certain point, les thèmes de la lyrique courtoise, ses codes et les formes du sentiment amoureux que cette dernière mettait en exergue, ont été en quelque sorte repris et calqués par des clercs ou mêmes des ecclésiastiques pour les appliquer à la dévotion pour la Sainte (voir aussi article suivant). On retrouve à nouveau ce procédé chez Jacques de Cambrai et on lui reconnait même semble-t-il, d’avoir été l’un des derniers à l’utiliser sous cette forme chantée. (voir ici reprise de sources wikipédia par la Bnf sur cette question).

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Retrowange novelle
Dirai et bone et belle
De la virge pucelle,
Ke meire est et ancelle *(servante)
Celui ki de sa chair belle
Nos ait raicheteit.
Et ki trestous* (tous) nos apelle
A sa grant clairteit.

Je chanterai une chanson nouvelle
Bonne et belle
Sur la vierge pucelle
Qui est mère et servante
Celle qui avec sa belle chair
Nous a racheté
Et qui tous nous appelle
A sa grande clarté.

Ce nos dist Isaïe
En une profesie:
D’une verge delgie* (tige délicate),
De Jessé espanie,* (épanouie, ouverte) (1)
Istroit* (de issir, eissir : sortir, jaillir) flors per signorie
De tres grant biauteit.
Or est bien la profesie
Torneie a verteit.

C’est ce  que nous dit Esaïe
Dans sa prophétie :
D’une tige délicate
De Jessé épanouie,
Jaillirait une fleur noble 
D’une très grande beauté
Et cette prophétie 
s’est bien réalisée.

Celle verge delgie
Est la Virge Marie
La flor nos senefie
De ceu ne douteis mie,
Jhesucrist, ki la haichie* (2)
En la croix souffri;
Fut por rendre ceaus en vie
Ki ierent peri.

Cette tige délicate 
C’est la vierge Marie
Quant à la fleur, il s’agit,
De cela ne doutez pas,
De Jésus-Christ, qui les pires tourments (la  mort?) 
endura sur la croix,
Afin de faire revenir à la vie
ceux qui avaient péri.


(1) Livre d’Isaïe, chap XI, Is 11.1 « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine »

(2)  On ne trouve le mot « Haichie » dans le Dictionnaire Saint-Hilaire Vandaele où il est défini comme suit : « haichie (?), Sf, mort ». C’est une piste. En réalité, orthographié tel quel, de nombreux autres dictionnaires ne mentionnent pas ce mot. En revanche, on trouve à « Hachier » ou à « Haschier » beaucoup plus de définitions : tourments, tortures, supplices etc, qui pourraient parfaitement correspondre au contexte de la chanson de Jacques de Cambrai. Le Godefroy long pourrait même soutenir cette hypothèse puisqu’il nous indique (vol 4. page 441) que  « Haschies » au pluriel fait référence à la Passion du Christ. Le manuscrit référencé plus haut semble pourtant bien mentionner en toutes lettres gothiques : « Haichie ». Il peut s’agir d’une variante linguistique ou d’une erreur de copiste mais dans le contexte, cette définition pourrait faire autant sens, sinon plus que celle que le Saint-Hilaire est un des seuls à nous donner. 

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En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes

« Pauvreté est pire que mort. », Michault Caron Taillevent, le passe-temps, fragments (3)

poesie_medievale_michault_le_caron_taillevent_la_destrousse_XVe_siecleSujet : poésie, littérature médiévale, poète médiéval,  poète bourguignon, bourgogne médiévale, poésie réaliste, temps, vieillesse, pauvreté
Période :  moyen-âge tardif, XVe siècle
Auteur  :  Michault (ou Michaut) Le Caron, dit Taillevent  (1390/1395 – 1448/1458)
Titre  :  Le passe-temps

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionxtraits après extraits, fragments après fragments, nous suivons, pas à pas, le touchant Passe-temps de Michault Taillevent. Celui qui fut, durant la plus grande partie de sa vie, joueur de farces et organisateur de spectacles à la cour de Philippe III de Bourgogne a vieilli; il n’est vraisemblablement plus en activité. Seul et laissé sans rente, il nous livre ici ses réflexions sur l’hiver qui est déjà là et sur le temps qui passe; jeunesse et insouciance contre vieillesse et pauvreté, il nous conte ses angoisses avec une maîtrise et un style qui font sans doute de cette poésie, une des plus brillante du milieu de XVe siècle.

Le « je » au cœur du passe-temps

michault_caron_taillevent_extraits_litterature_poesie_medievale_passe_tempsDans ces élans qui mettent l’auteur, son expérience subjective  et ses déboires au cœur de son propre texte, on ne peut s’empêcher de voir préfigurer quelques traits de la poésie de Villon et, de l’autre côté de la ligne temporelle et vers le passé, d’y voir encore une filiation lointaine avec   Rutebeuf.

Pour autant, entre Michault Taillevent et ce dernier auteur qui le précède de deux siècles, une des différences  parmi d’autres à relever, réside sans doute dans l’intentionnalité ou la destination du texte. Quand Rutebeuf écrit ses complaintes, il est, en effet, encore en activité. Il met donc en scène ses misères pour et face à un public et en vue d’en obtenir quelques retours sonnants et trébuchants, De son côté, le Michault du Passe-temps n’est déjà plus celui de la détrousse (voir article) et il semble se tenir, seul, face à son propre miroir et dans un espace de non représentation. litterature_poesie_medievale_michault_taillevent_passe-temps_moyen-ageBien sûr, il écrit sans doute sa poésie pour qu’elle soit lue mais à quelques distances de Rutebeuf, qui exhibe ses malheurs, en force les traits, s’en rie même parfois entre les lignes et en joue, l’auteur du moyen-âge tardif et du XVe siècle ne cherche pas tellement ici à les mettre en scène, ni à s’en faire plaindre pour en tirer quelques  bénéfices immédiats ; il sait, il nous le dit, ne devoir s’en prendre qu’à lui-même pour n’avoir pas thésauriser ou anticiper. Il accepte même, de manière prosaïque, l’entrée dans l’âge de vieillesse. Ce qui le rend, par dessus tout, soucieux, ce sont les conditions économiques dans lesquelles il est rendu : misère et grand âge ne font pas bon ménage, aujourd’hui, comme au moyen-âge.

Tout cela crée une certaine distance de l’auteur à lui-même qui fait de cette poésie une pièce qui échappe à la complainte pour prendre plus  de hauteur et se situer nettement plus dans l’essai et la réflexion. Si le « Je » est bien au coeur du passe-temps, la filiation avec Rutebeuf reste lointaine, michault_caron_taillevent_litterature_poesie_medievale_moyen-age_XVe-siecleau moins de ce point de vue là.

Du côté de la langue, le verbe de Michault Taillevent est un moyen-français déjà proche du nôtre. Peut-être est-ce d’ailleurs cette proximité, ajoutée à la profondeur de son propos et à l’élégance rare de son style, qui nous rend cette poésie si familière.

Bien que cet auteur médiéval fut redécouvert et retranscrit tardivement, il demeure étonnant que ce texte n’ait pas fait encore l’objet de plus d’intérêt (éducatif, culturel, théâtral, etc…). En publier quelques extraits est une façon d’y remédier.

Le Passe-Temps de Michault Caron
(vers 148 à 217)

La dernière fois, nous en étions resté à la strophe suivante :

Jeunesse, ou peu de gouverne a,
Pour ce que de bon cuer l’amoye,
Mon fait et mon sens gouverna
Se fault y a, la coulpe est moye.
Chose n’y vault que je lermoye,
Et ne feisse riens qu’ouvrer
Temps perdu n’est a recouvrer.

Pour remonter le fil de cette poésie, voir les articles suivants :

Jeunesse m’a donc introduit,
Qui conseil & corps a legier* (agile),
A sa plaisance* (plaisir, agrément) et non trop duit* (de duire : instruire),
Pour moy de viellesse alegier* (soulager).
Mais a mon docteur aleguier
Aucune honte peusse auoir:
Trop cuidier* (croire) vient de peu savoir.

Jeunesse, au temps que je la vis,
A sa guise me gouvernoit.
Je n’avoie mie l’advis
Que finer* (finir, mourir) il me convenoit,
Et pareillement, qu’on venoit
A viellesse devant sa mort:
Jeune serf (cerf) paist ou il s’amort.

Je fuz en jeunesse repeu
D’espoir de tousjours vivre en joye,
Doubtant d’estre a l’arriere peu* (var manuscrit veu).
Mais avoir des biens grant mout joye,
Ce propos jamaiz ne changoye,
Banis* (var manuscrit bains) de joye, ains n’en vy si flos
Nouvelle Saint-Jehan, neufz cifflos.

Tout se change & prent nouveau terme.
Assez de son compte on rabat
D’an en an et de terme en terme.
Viellesse, qui es cuers s’embat* (s’insinuer, se fondre),
En l’omme toute joye abat
& change maniere et propos:
Changer ne vault pintes pour pos.(1)

D’esperance diversement,
Puis que de viellesse ay ung rain,
je suis changie diversement,
Lies au premier, triste au derrain* (dernier).
Se je fuz d’or, je suiz d’arain.
Onques ne passay pire pas:
Qui bien change n’empire pas.

Esperance qui doulz lait a
De mon jouvent a ces grans cours
Si me nourry et alaita
Encor aprez assez grans cours
Et me promist aucun secours,
La m’ahoquay*  (de ahochier, accrocher) a ung chardon:
A grant promesse eschars* (parcimonieux, chiche) don.

A court mes ans legier passay,
En mengant mainte souppe grasse.
A espargner riens ne penssay,
Ne me chaloit fors d’estre en grace.
Mais viellesse, qui tout desbrasse* (défaire),
M’a ores prins a pié levé:
A mangier fault qui a lavé.

Je voy bataille, se me semble,
Qui me fait ja le cuer faillir.
Viellesse et povreté ensemble
Me commencent a assaillir.
Je sauroie bien ou saillir,
Au fort se povreté ne fust:
Armé ne craint ne fer ne fust* (bois, bâton).

Se povreté, sans dire rente* (rens te)
Venoit pour moy la teste fendre,
Je n’ay pas ung denier de rente,
Pour moy encontre elle deffendre.
Si la me fault garder, deffendre
Qu’elle ne m’aguette au passage:
Celui qui ne craint n’est pas sage.

De viellesse suiz bien content.
Bien scay qu’il fault viel devenir,
Et aussi scay je bien qu’on tend
Tousjours a sa fin advenir.
Mais ou elle peut avenir.
& ou elle point picque & mort,
Povreté est pire que mort.

(1) Changer ne vault pintes pour pos : pot de Bourgogne et à Paris XVe siècle : 1 pot = 2 pintes

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Chanson médiévale : « De gracieuse dame amer » la lyrique courtoise de Jehannot de Lescurel aux portes de l’Ars Nova

musique_poesie_medievale_media_book_livre_disque_jehan_de_lescurel_moyen-age_XIIIe_XIVeSujet : musique médiévale, poésie médiévale, amour courtois, fine amor, langue d’Oil, vieux-français, rondeau, Ars Nova, compositeur médiéval, MS 146
Période : Moyen Âge central, XIIIe, XIVe siècle
Auteur : 
 Jehannot (ou Jehan) de Lescurel(ou L’escurel)
Interprète : Ensemble Syntagma, direction d’Alexandre Danilevsky
Album : 
livre-disque & media book sur Jehan de Lescurel

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons aujourd’hui, en musique et en chanson, au Moyen Âge du XIVe siècle avec Jehannot de Lescurel. Annonciateur de l’Ars nova, pour ses innovations autant que pour sa rigueur dans l’approche des formes, cet auteur et artiste médiéval, n’est déjà plus considéré comme un trouvère mais bien chanson_musique_poesie_medievale_jehannot_de_lescurel_manuscrit_ancien_bnf_francais_146comme un compositeur.

Comme  les autres pièces de l’auteur, la chanson du jour est tirée du MS Français 146. Manuscrit ancien daté du XIVe siècle, conservé à la Bnf, l’ouvrage contient, en plus du célèbre Roman de Fauvel, les dits du clerc Geoffroi de Paris, ainsi que les chansons et compositions de Jehannot de Lescurel. Voici d’ailleurs, ci-contre, le feuillet de ce manuscrit correspondant à la pièce du jour.

« Fine amor » d’Oc en Oil

On s’en souvient, du point de vue thématique, le legs de Jehannot de Lescurel gravite principalement autour de la « fine amor ». La chanson du jour, qui est un rondeau, se situe donc en plein dans cette tradition lyrique courtoise héritée des troubadours du sud de la France et largement retranscrite en langue d’Oil, par les trouvères du nord, dans le courant du XIIIe siècle.

jehannot_de_lescurel_de_gracieuse_dame_amer_musique_chanson_rondeau_medieval_MS_146_moyen-age_XVIe_siecleEn dehors du MS français 146 on peut encore retrouver cette pièce dans l’ouvrage « Chansons, poésies et rondeaux de Jehannot de Lescurel, poète du XIVe siècle » d’Anatole de Montaiglon (1855). Si vous préférez la version papier à la numérique, l’ouvrage a été également réédité en version brochée chez Forgotten books.

Concernant son interprétation, nous la devons à l’Ensemble Syntagma sous la direction de son talentueux directeur Alexandre Danilesky. (voir leur chaîne youtube officielle ici)

« De gracieuse dame amer », Jehannot de Lescurel – Ensemble Syntagma

Comme nous avons déjà consacré un article sur le travail de l’Ensemble Syntagma autour de Jehannot de Lescurel (notamment au sujet du livre disque et média book que la formation a dédié à ce compositeur), nous vous invitons à le consulter pour plus de détails. Vous y trouverez un portrait de la formation et de son directeur, ainsi que des éléments supplémentaires sur le compositeur médiéval.

« De gracieuse dame amer »,
de Jehannot de Lescurel (en français ancien)

De gracieuse dame amer
Ne me quier ( de querre, querir : désirer, vouloir) jamès departir (séparer).
Touz bienz en viennent, sanz douter,
De gracieuse dame amer,
Et tous deduiz* (plaisir, divertissement).N’en veil cesser :
Car c’est ma joie, sans mentir ;
De gracieuse dame amer
Ne me quier jamès departir.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
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