Ségurant : à la découverte d’un chevalier arthurien inconnu avec Emanuele Arioli

Emanuelle Arioli, brillant médiéviste découvreur de Ségurant, le chevalier au dragon

Sujet : roman arthurien, légendes arthuriennes, chevaliers de la table ronde, manuscrits anciens, littérature médiévale, Ségurant, découverte médiévale.
Période : Moyen Âge central à tardif, XIIIe au XVe siècle
Titre : Ségurant ou le chevalier au dragon
Auteur : Emanuele Arioli
Média : Conférence à la Fondation Martin Bodmer, (juillet 2023) et ouvrages de l’auteur.

Bonjour à tous,

u cours des dernières semaines, ceux qui s’intéressent aux légendes arthuriennes n’ont pu manquer le grand bruit fait par les découvertes d’un archiviste- paléographe et universitaire du nom d’Emanuele Arioli. Après une décennie de recherches, ce dernier a, en effet, mis au jour l’existence littéraire et les faits d’un chevalier de la table ronde jusque lors tombé dans l’oubli : Ségurant le Brun.

Dans cet article, nous revenons dans le détail sur cette découverte inattendue. Nous vous présentons également une conférence de l’auteur ainsi qu’un récapitulatif des nombreux ouvrages qu’il a fait paraître sur le sujet.

Un chevalier oublié et quel chevalier !

La révélation de l’histoire de Ségurant est d’autant plus étonnante qu’on nous présente d’emblée ce chevalier comme l’un des plus brillants de l’épopée arthurienne.
Alerte divulgâchage mais pas trop ! L’histoire raconte qu’il est si fort qu’il éclipsa les autres chevaliers durant les tournois organisés à la cour du roi breton.

L’apparition de ce héros médiéval dans le corpus arthurien est postérieure à celle de Lancelot ou Tristan. Pourtant, ces derniers auraient peut-être eu leur blason moins doré à Camelot sans l’intervention de la perfide fée Morgane. A l’occasion d’un tournoi, la terrible demi-sœur d’Arthur invoquera, en effet, le diable pour écarter ce chevalier décidemment trop talentueux. Le Malin s’étant changé en dragon, Ségurant se lancera à ses trousses. Emporté par son courage, il se laissera entraîner loin du lieu dans une poursuite effrénée de la bête. Entre-temps, la fourbe et fallacieuse fée aura convaincu Arthur que le vainqueur du tournoi, comme le dragon, n’étaient qu’une illusion.

A peine apparu à la cour, Ségurant se trouvera donc condamné à l’oubli. La malédiction de Morgane a-t-elle traversé le papier pour s’exercer sur la postérité du preux chevalier dans le monde réel ? De fait, pour étonnant que cela paraisse, les faits de Ségurant restaient jusque là oubliés du roman arthurien.

Voir la conférence présentation d’Emanuele Arioli à la Fondation Martin Bodmer

Une aventure dans l’aventure

Dans les faits, les recherches d’Emanuele Arioli sur Ségurant débutent aux archives et dans une bibliothèque. Ce jour là, le jeune médiéviste trouve dans un manuscrit médiéval une partie de l’histoire de Ségurant passée jusque là inaperçue. Le manuscrit en question est le Ms 5229 de la Bibliothèque de l’Arsenal. L’ouvrage contient les Prophéties de Merlin. Il est, aujourd’hui, consultable en ligne sur Gallica.

Trouvant le récit interrompu au milieu d’une phrase, Emanuele Arioli décide de ne point s’en ternir là. Il se lance alors dans des recherches qui le mèneront dans les plus grandes bibliothèques d’Europe en quête d’autres manuscrits. Epluchant des centaines de codex, il s’attachera à débusquer le moindre fragment de parchemin, en quête du chevalier arthurien perdu.

Une longue quête dans les manuscrits médiévaux

Obnubilé par la poursuite de son dragon, Ségurant ne recherche pas le Graal mais l’apprenti docteur semble avoir trouvé le sien. Dix ans plus tard, il aura pisté le héros chevaleresque dans 28 manuscrits, mettant à jour une trame principale, mais aussi des variantes. Les ouvrages s’étalent sur une période qui débute en 1272-1273 pour les sources les plus anciennes et s’achève au Moyen Âge tardif. Les épisodes étaient disséminés dans diverses bibliothéques en France, en Belgique, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Grande Bretagne et aux Etats-Unis.

Les manuscrits sont principalement d’origine française, flamande et Italienne mais demeurent en langue française. On y trouve de tout : codex entiers, fragments, parties de manuscrits brûlés ayant miraculeusement survécu à des incendies, … Selon le chercheur médiéviste, l’association du chevalier au dragon aux Prophéties de Merlin peut expliquer, en partie, son invisibilisation. L’ouvrage sera, en effet, interdit à la parution par l’Eglise romaine, dès le milieu du XVIe siècle. Vient sans doute s’ajouter l’apparition tardive de Ségurant dans le corpus arthurien et la baisse d’intérêt pour ce dernier à la Renaissance.

Quelques traits marquants de Ségurant

Dans son entreprise, Emanuele Arioli a établi des rapprochements entre Ségurant et Sigfried, autre héros des épopées germaniques. Il a également trouvé des correspondances manifestes entre ce dernier et Sigurd, son homologue chasseur de dragons né du côté des mondes scandinaves. Suivant l’auteur, il est fort probable qu’il se soit trouvé intégré, après coup, dans les récits arthuriens, comme se fut le cas pour Tristan.

Pourfendeur de lions, vainqueur aux tournois, Ségurant se distingue encore dans les légendes arthuriennes par d’autres traits. Destiné à un public peut-être plus aristocratique que bourgeois, son récit tardif semble bien entériner la fin de la courtoisie. Un auteur médiéval tardif s’efforcera de lui dégotter une princesse mirobolante. Cela relève toutefois de l’exception. Victime du sortilège de Morgane, le chevalier au dragon échappe aux choses de l’amour.

Par son humour et certains autres traits, l’histoire de Ségurant à la poursuite de son dragon illusoire pourrait encore annoncer la fin de la chevalerie. Cet idée n’est pas rare, cela dit, au Moyen Âge central et surtout tardif. En lisant certains auteurs médiévaux des XIIIe, XVe, on a souvent l’impression que la chevalerie reste un ailleurs insaisissable qui ne cesse d’agoniser. Un peu plus tard, Cervantes enfoncera le clou avec Don Quichotte et Emanuele Arioli établit certaines parentés entre l’auteur castillan et l’histoire de Ségurant.

Des recherches aux publications

Après un long travail de terrain, d’analyse et de classification, Emanuele Arioli a présenté sa thèse en 2017 devant la Sorbonne et le Collège de France. Mené sous la direction de Sylvie Lefèvre et de Michel Zink, ce travail lui a valu une mention très honorable. En dehors de la reconnaissance de ses pairs et comme à peu près toutes les thèses, elle passera à peu près inaperçue du grand public. Rien d’étonnant. C’est un peu la loi du genre.

Profitons en pour ajouter ici que les parutions de ce brillant médiéviste n’ont cessé d’être saluées par diverses académies depuis. Ses premiers travaux thèse présentés en 2013 devant l’Ecole des Chartes lui avaient déjà valu deux prix prestigieux et d’autres sont venus s’y ajouter.

« Ségurant ou le chevalier au dragon : étude d’un roman arthurien retrouvé », chez Honoré Champion

Quelques années plus tard, en 2019, l’auteur fera publier une première version remaniée de cette thèse chez Honoré Champion. Présenté en 2 tomes, l’ouvrage reste alors relativement confidentiel. On y trouve les versions en vieux Français et des notes propices à intéresser le public averti de la grande maison d’édition.

Couverture du livre sur Ségurant paru chez Honoré Champion en deux volumes

Le tome 1 présente le corpus central des écrits médiévaux attachés à Ségurant. On a là la version la plus fournie et la plus datée. Le tome 2 expose, quant à lui, les versions ultérieures et variantes retrouvées et réunies par l’auteur. Une réédition des deux ouvrages, datée de mars 2023, avancera encore dans la diffusion de Ségurant auprès du même public. On peut la trouver au lien suivant : Ségurant ou le chevalier au dragon, version cardinale, deuxième édition, Editions Honoré Champion.

Un troisième livre est également paru chez le même éditeur « Ségurant ou le chevalier au dragon (XIIIe, XIVe siècle : étude d’un roman arthurien retrouvé« . Il expose le patient travail de codicologie et de philologie ayant permis d’aboutir à la restauration de l’histoire du chevalier oublié.

Malgré cela, il faudra attendre sept mois pour voir la presse et les médias commencer à tendre plus sérieusement l’oreille. Ils le feront, au point d’élever Ségurant, au rang de véritable buzz médiatique automnal dans le monde du livre. Il faut dire qu’en plus du patient travail d’Honoré Champion, le jeune médiéviste, désormais professeur des universités, aura déployé de nouvelles stratégies et de nouveaux moyens pour faire connaître son chevalier arthurien au plus grand nombre.

Des livres tous publics pour découvrir Ségurant

Dans sa volonté de diffusion et comme on pourra le relever dans la conférence ci-dessus, Emanuele Arioli a eu à cœur de partager l’aventure de son héros médiéval oublié, autant que de mettre en scène sa propre course au trésor médiéval. Les amateurs de légendes arthuriennes se retrouvent donc gâtés à l’approche de Noël avec trois productions, en plus de celle susmentionnée.

Ségurant, le chevalier au dragon, Les belles lettres

Ségurant, le livre et la version en français moderne

Cet ouvrage présente une version plus compacte et plus orientée grand public de l’épopée de Ségurant que celle sortie chez Honoré Champion.

Pas de vieux français ici. Sur 240 pages, le livre présente en français moderne le roman disparu ainsi que des enluminures issues des manuscrits originaux. Il est disponible en format broché ou Kindle à un prix plutôt abordable et rencontre déjà un franc succès.

Ségurant, le chevalier au dragon, Seuil Jeunesse

Ségurant, un livre au seuil jeunesse sur l'aventure du médiéviste et ses recherches

Le parti-pris de cet ouvrage est de faire découvrir, de manière illustrée, la quête entreprise par le chercheur et les méthodes utilisées pour mettre au jour le chevalier arthurien oublié.

Mettre à la portée des jeunes publics son métier de paléographe archiviste et ses recherches dans les manuscrits, reste un moyen original de partager ses péripéties, tout en suscitant des vocations. C’est plutôt une bonne idée dans laquelle transparaît le pédagogue et professeur qu’est aussi Emanuele Arioli.

Le Chevalier au Dragon, la BD chez Dargaud

Ségurant, le chevalier au Dragon, sorti en BD chez Dargaud

Avec ce dernier format sous le mode pure BD, l’auteur-chercheur se propose de faire découvrir Ségurant d’une autre manière encore. Pour les besoins du scénario et du format, il se permet ici quelques incursions un peu plus fictionnelles. Elles permettent notamment de combler quelques vides laissés par les aventures reconstituées du chevalier arthurien.

Tous les produits sus-décrits sont à la vente chez tout bon libraire. Aussi, n’hésitez pas à les visiter pour leur commander. Pour ceux qui sont dans des zones privées de librairies ou même hors de France, vous pourrez, bien entendu, retrouver tous ces ouvrages dans les librairies en ligne. Voici un lien utile à cet effet.

Des productions complémentaires

Pour une histoire sortie d’un labo de recherches, l’idée d’une sortie rapprochée sur tous ces supports est assez novatrice. En fait de redondances, il faut plutôt y voir une heureuse complémentarité. En plus de toucher divers publics, ces différentes productions papier se renvoient, en effet, la balle de manière plutôt heureuse.

A l’heure où il est si difficile de s’arracher aux écrans pour se plonger dans de saines lectures, la BD est un bon moyen d’entrer dans l’histoire pour les aficionados du format illustré et pour les plus jeunes. Elle peut, par la suite, susciter l’envie d’aller chercher aux racines du texte médiéval dans le ou les livres disponibles. Aurait-on trouvé une nouvelle façon d’envisager le retour à la lecture par l’image papier et la BD ? Le sujet s’y prête mais l’originalité de cette triple sortie reste à saluer.

Documentaires et conférences

Dans la foulée de toutes ses sorties, l’auteur a également travaillé, de concert, avec la chaîne de télévision Arte sur un documentaire qui vient tout juste de sortir (le 25 novembre). La réalisatrice et l’auteur ont fait le choix d’y présenter, en parallèle, les aventures filmées de l’archiviste-paléographe et celle du chevalier Ségurant en format animation.

On espère que ce format participera de la dynamique de distribution des produits et ne l’éteindra pas comme c’est trop souvent le cas. On connait hélas trop l’effet « j’ai vu le film, pas besoin de lire le livre » (l’écran, encore lui). Quoi qu’il en soit, l’auteur, comme les publics ayant déjà vu ce documentaire, ont l’air de s’en déclarer largement satisfaits.

En dehors de cela, on peut trouver quelques conférences d’Emanuele Arioli en ligne comme celle partagée un peu plus haut dans l’article. Vous pourrez également le retrouver au lien suivant dans une conférence sur le site de l’Ecole des Chartes parue tout récemment. Etant lui-même chartiste, il revient en quelque sorte à la source de ses enseignements, pour sa découverte et son approche, en compagnie de son éditeur des Belles lettres.

Bon pour les chercheurs et pour le Moyen Âge

Pour conclure, il faut se féliciter de cet enthousiasme médiatique mérité autour de Ségurant. La découverte et l’opiniâtreté du chercheur auront payé même si, redisons-le, la mise au jour d’une telle nouveauté sur un corpus si largement étudié reste aussi rare qu’exceptionnelle.

De fait, bien des archivistes ou médiévistes peuvent lui envier cette trouvaille mais aussi s’en trouver d’autant plus motivés dans leur travail. La chasse au trésor est encore possible et l’on peut avec un peu de ténacité se changer tout soudain en une sorte d’Indiana Jones des temps modernes, toute mesure gardée. Au delà, tout cet écho dont bénéficie aujourd’hui Emanuele Arioli est bon pour la recherche en Histoire, pour les légendes arthuriennes, autant que pour la connaissance du Moyen-Âge et de sa littérature. On peut donc l’en féliciter doublement.

Des labos aux échos médiatiques

Ses mésaventures permettent aussi de mesurer le fossé existant entre le monde de la recherche et celui des médias, même quand les sujets s’y prêtent. Sans les supports appropriés en terme de ciblage, de marketing et de communication, il aura fallu près de 6 ans pour que la découverte d’un chevalier oublié de la cour d’Arthur passe des bancs de l’Université aux médias plus grand public. Entre l’univers Kamelott d’Alexandre Astier mais encore les séries et autres productions hollywoodiennes diverses, le roman arthurien n’a pourtant cessé de démontrer sa popularité actuelle. Il y a là peut-être un leçon à tirer.

Pour les amateurs de toutes ces déclinaisons filmées autour du roi des bretons, reste à savoir si Ségurant fera bientôt une apparition, fugace ou plus consistante, sur les grands écrans. L’auteur en rêve certainement mais ne soyons pas trop pressés et donnons au public le temps de lire un peu, puisqu’il semble en reprendre le goût grâce à ce chevalier oublié.

Sur le roman arthurien, voir également :

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Un rondeau fataliste d’Eustache Deschamps sur la chance et le sort

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, rondeau, malheur, malchance, chance.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Eur et meseur, a tout considerer»
Ouvrage  :  Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, T IV,   Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1878)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous retrouvons Eustache Deschamps, le temps d’un rondeau. Cette courte pièce fera écho à quelques autres ballades déjà croisées chez ce poète et officier de cour du Moyen Âge tardif, sur le thème de la fortune : « eur », « heur » (la chance, le sort, la bonne fortune) et son opposé « meseur » (le malheur, le mauvais sort, la malchance).

Roue de fortune et fatalisme

Comment échapper à la roue de fortune ? Dans les mentalités médiévales, elle tourne inexorablement entrainant, sans distinction, les plus puissants comme tous les autres dans la chute au moment où ils s’en croyaient prémunis, ou faisant, au contraire, monter au pinacle (mais pour combien de temps ?) ceux qui se pensaient condamnés à rester indéfiniment déshérités et malchanceux.

Cette roue du sort aurait-elle arrêté de tourner pour le pauvre Eustache Deschamps ? A maintes reprises dans son œuvre, il nous aura conté ses misères et ses déboires, qu’ils siègent dans l’ingratitude et le manque de reconnaissance de son travail par les puissants, ou encore dans sa pauvreté, son domaine pillé et mis à sac, ou dans la vieillesse qui l’assaille et le trouve sans grand moyen et en santé précaire à l’hiver de sa vie.

Dans le rondeau du jour, on retrouvera notre poète du XIVe siècle résigné et fataliste. L’homme aura beau y faire si fortune ne l’accompagne pas et que le malheur suit ses pas, quoi qu’il entreprenne, il ne fera que se trouver encore plus accablé. A l’inverse, si le sort lui sourit, il aura gagné, quoiqu’il fasse, une sorte d’immunité contre l’adversité. Le propos semble générique mais ne laisse guère de doute sur l’humeur de celui qui tient la plume. Il peut même personnellement témoigner que chacun peut nuire à celui pour lequel le vent de la chance a tourné.

Le rondeau D'Eustache Deschamps accompagné d'une enluminure sur la roue de Fortune tirèe d'un Manuscrit médiéval du XIVe siècle.

Aux sources manuscrites de ce rondeau

Aux sources de cette poésie, nous revenons, une fois encore, au Français 840 de la BnF (consultable sur le site Gallica.fr). Ce manuscrit, daté du début du XVe siècle, est tout entier consacré à Eustache Deschamps. Sans grandes fioritures, il étale sur près de 1200 feuillets, l’œuvre extrêmement prolifique de l’auteur du Moyen Âge tardif.

Pour la transcription moderne de ce rondeau, nous nous dirigeons, à l’habitude, sur le large travail de compilation effectué entre la deuxième moitié du XIXe siècle et le début du XXe par le Marquis de Queux de Saint-Hilaire et Gaston Paris. Vous pourrez donc retrouver cette pièce au Tome IV des Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps établies par le bon soin de ces deux auteurs.

La mise en scène de soi dans la poésie d’Eustache

Le rondeau D'Eustache dans le manuscrit médiéval Français 840 de la BnF.

Comme les goliards ou un Rutebeuf l’avaient fait avant lui et comme un François Villon ou un Meschinot y souscriront un peu plus tard, dans son œuvre, Eustache Deschamps ne s’est pas privé de mettre en scène ses propres déboires et les revers de sa destinée.

Dans cette posture du poète qui cible un auditoire, en général, plutôt aristocratique (princes, courtisans, gens de cour, etc…), afin de le prendre à témoin de ses malheurs personnels, on est bien enclin d’imaginer que l’auteur force quelquefois le trait pour s’attirer quelques faveurs. A défaut d’en appeler à des jauges psychologiques mal calibrées, il faut au moins faire le constat qu’Eustache Deschamps s’inscrit ici dans une tradition littéraire qu’il prolonge et étoffe à la lumière de son propre chemin de vie (1).

Dans d’autres textes, la mise en scène de ces traits ira même chez lui jusqu’à l’exagération comique et l’auto-dérision. L’humour prendra alors, des tours physiques et burlesques quand il se couronnera, lui-même, « roi des laids ». Ce n’est pas le cas dans le rondeau du jour dont le ton assez fataliste et impersonnel laisse deviner un Eustache plutôt désabusé face à son propre sort.


Eur et meseur, a tout considerer
dans le Moyen Français d’Eustache

Au monde n’a au jour d’hui que ces deux
Eur et meseur, a tout considerer,
Dont l’un fait bien et l’autre desperer:
Aler partout peu cil qui est eureux
On ne lui peut ne nuire ne grever ;
Au monde n’a au jour d’hui que ces deux
Eur et meseur, a tout considerer.


Maiz bien se gard toudiz le maleureux
Car il ne peut fors meschance trouver :
Chascuns li nuit si puis dire et prouver ;
Au monde n’a au jour d’uy que ces deux
Eur et meseur, a tout considerer,
Dont l’un fait bien et l’autre desperer:

Traduction en Français actuel

A notre époque, tout bien considéré,
seul importe la chance ou le mauvais sort
l’un fait le bien, l’autre le désespoir.
Celui qui est chanceux peut aller en tout lieu
Nul ne pourra lui nuire ni lui faire du tort ;
De nos jours, tout bien considéré,
Seuls comptent la chance ou le mauvais sort.


Mais qu’il se défie bien de tout, le malheureux,
Car, quoiqu’il fasse, il ne pourra trouver que malchance.

Chacun lui nuira, ainsi puis-je l’affirmer et le prouver ;
En notre temps, tout bien considéré,
Il n’y a que la chance ou le mauvais sort qui comptent
l’un fait le bien, l’autre le désespoir
.


Quelques autres poésies médiévales & articles sur le même sujet :
La roue de fortune, Anonyme
Fortune & ses joies, Christine de Pizan
De Fortune me doit Plaindre, Guillaume de Machaut
La paix de Rutebeuf, sur le je & le jeu du poète médiéval

En vous souhaitant une belle journée
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

(1) Voir l’article François Villon au miroir d’Eustache Deschamps Florence Bouchet Université Toulouse – Jean Jaurès PLH : Patrimoine, Littérature, Histoire, dans Villon à la lettre, articles réunis par Nathalie Koble, Amandine Mussou, Anne Paupert et Michelle Szkilnik,

NB : l’enluminure de l’illustration (roue de fortune) provient du Manuscrit 0264 de la Bibliothèque de l’Institut de Paris. Daté du XIVe siècle, cet ouvrage contient la Consolation de Philosophie texte demeuré anonyme, ainsi que le testament de Jean de Meun et divers autres textes liturgiques. Vous pouvez consulter quelques-unes de ses enluminures sur le site de la bibliothèque.

L’ApHV, ses Fous d’Histoire & son marché historique reviennent à Margny-lès-Compiègne

Heraldique Margny-lès-Compiegne, Oise, Hauts-de-France

Sujet : festival, animations historiques, histoire vivante, artisanat, marché historique, compagnies médiévales, spectacles historiques, salon historique.
Evénement : Fous d’Histoire 2023 et marché de l’histoire.
Lieu : Espace Le Tigre, Margny-lès-Compiègne, Oise, Hauts-de-France.
Date : les 18 et 19 Novembre 2023

Bonjour à tous,

omme chaque année, à la mi-Novembre, le festival du spectacle historique Fous d’Histoire sera de retour, le week-end prochain, à Margny-Lès-Compiègne, sous l’égide de l’Association pour l’Histoire Vivante (APHV).

Désormais bien rodé, l’événement connaîtra là sa 7ième édition. Durant ses deux jours, il sera, à l’habitude, hébergé par l’Espace d’exposition le Tigre avec certaines parties couvertes et d’autres plus en extérieur.

Un programme sans temps mort

Affiche du festival Fous d'Histoire 2023 et son marché de l'Histoire

Ceux qui nous lisent connaissent bien le concept du Festival Fous d’Histoire, puisque nous lui dédions un article à chaque nouvelle édition. Ce Salon international du Spectacle Historique comme ont choisi aussi de le baptiser ses organisateurs, propose un grand salon doublé d’un marché sur le thème de l’histoire.

Avec une pléthore de spectacles programmés, la partie salon est propice à enjouer les visiteurs, mais elle affiche également l’ambition de proposer aux professionnels de l’événementiel d’y repérer d’éventuelles animations pour leurs futurs fêtes ou célébrations.

Du point de vue de sa programmation, l’édition 2023 de Fous d’Histoire ne faillira pas à la règle. Comme l’année passée, pas moins de 120 compagnies de reconstituteurs, comédiens, amateurs ou associations spécialisées dans le spectacle ou l’évocation historiques y sont attendus sur la partie salon. Ces dernières couvriront des domaines aussi divers que la vie civile et militaire, les contes, les arts de rue et le théâtre, les musiques et les danses d’époque, l’artisanat et les ateliers les plus variés, mais encore les spectacles animaliers.

Le Marché de l’Histoire 2023

Le marché de l’Histoire sera, lui aussi, à la hauteur des éditions précédentes avec près de 200 exposants et artisans, venus des 4 coins de France et d’Europe. L’événement devrait encore proposer, comme à l’accoutumée, sa bourse d’échanges pour permettre aux passionnés puissent se dessaisir de certaines pièces ou d’y trouver la perle rare.

A noter que cette édition 2023 de Fous d’Histoire verra également la remise de Trophée divers aux plus méritants dans les domaines du spectacle comme de l’artisanat.

Animations historiques, compagnies et spectacles au festival Fous d'histoire 2023

Périodes historiques représentées

Sur le marché comme sur les spectacles, de larges périodes historiques sont, en général, représentées à l’occasion de cet événement depuis la préhistoire jusqu’aux guerres modernes.

Les amateurs de Moyen Âge devraient y trouver également leur bonheur puisque le monde médiéval y est, en général, bien représenté. Les nombreuses fêtes médiévales organisées en France permettent aussi d’entretenir et de faire vivre bon nombre d’associations ce qui n’est pas forcément vrai de toutes les périodes historiques. Sur cette partie touchant aux temps médiévaux, notez que les compagnies invitées proposent des thèmes qui vont de la reconstitution historique la plus stricte pour s’étendre aux frontières les plus fantastiques du médiévalisme et donc au Moyen Age fantastique.

Pour toutes réservations ou besoin d’information, nous vous invitons à consulter directement le site de l’espace le Tigre.

Voir nos articles sur les éditions précédentes de cet événement : Fous d’Histoire 2022Edition 2022 (marché historique) – Edition 2021 – Edition 2020 (marché à Orange) – Edition 2019 – Edition 2019 (marché historique) – Edition 2018 – Edition 2017 (marché historique) – Edition 2017 – Edition 2017 (Fous d’Histoire Dinan) – Edition 2016.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Retour en images sur la Médiévale du Château de Tiffauges 2023

Armoirie et blason de la ville de Tiffauges (Vendée)

Sujet :  animations médiévales, reconstituteurs, compagnies médiévales, histoire vivante, guerre de cent ans, reconstitution, Du Guesclin.
Période :  Moyen Âge central, XIVe siècle.
Evénement  :  les Médiévales de Tiffauges 2023
Lieu :  château de TiffaugesVendée
Pays de la Loire.

Bonjour à tous,

lles ne sont pas si nombreuses, en terres de France, les manifestations qui proposent de nous faire revivre le Moyen Âge historique, de manière réaliste et sourcée.

Bien souvent, dans les célébrations dites médiévales, les troupes de reconstituteurs passionnés se trouvent mêlées à des thèmes plus fantaisistes et plus imaginaires, dans un joyeux fourre-tout. La frontière entre animations et reconstitution devient alors ténue ; les marchés « médiévaux » se font artisanaux et les petites entorses au Moyen Âge déclaré sur le papier jouent la carte furtive sous l’indulgence bonhomme de l’ambiance festive, et d’un monde médiéval devenu médiévaliste.

Le Moyen Âge des fêtes médiévales :
des mondes fantaisistes à l’histoire vivante

Il en faut pour tous les goûts, nous l’avons déjà dit ailleurs. Dans ce Moyen Âge western à la Duby, devenu le terrain de jeux de tous les possibles et de tous les imaginaires, l’influence du médiéval fantastique anglo-saxon a, de longtemps, laissé son empreinte chez nombre d’entre nous. Entre mondes ludiques, cinéma et littérature, difficile pour les générations ayant grandi à partir des années 70/80 (dont nous sommes) d’être restées imperméables aux visions d’un Moyen Âge revisité par un JRR Tolkien, un David Gemmell ou même, plus récemment, un GRR Martin.

D’un Moyen Âge à l’autre, de notre histoire véritable à celles prolifiques et multiples du Medieval Fantasy, le réalisme n’est souvent plus un critère, sauf pour un nombre réduit de puristes, dans cette mer de définitions plurielles. De fait, la qualité d’une manifestation finit par se juger plus souvent dans la clarté de ses partis-pris, dans la richesse et l’originalité de ses animations, ou encore dans les heures et le soin apportés à ses finitions, sous l’égide du divertissement. Il suffit d’approcher la densité de programmation d’un festival Cidre & Dragon ou d’un Normannia pour comprendre qu’on y est en présence de grands événements dans leur genre particulier, plus hybride et fantastique que réaliste.

Faire revivre le Moyen Âge historique

Animations médiévales et reconstitution à Tiffauges : revue d'armes avant le siège
Montre d’armes (ou revue d’armes) en vue du siège de Thouars, Médiévale de Tiffauges

Quoi qu’il en soit, si l’imagination médiévaliste débridée reste peu regardante sur l’authenticité historique dans un nombre infini d’événements, en d’autres endroits plus rares, la reconstitution demeure au cordeau. A l’occasion de ces manifestations, les organisateurs préfèrent proposer un voyage au cœur d’un Moyen Âge le plus précis et le plus cohérent possible, dans une attention infinie aux détails. Quand la magie opère, l’histoire s’invite alors dans le présent, pour devenir vibrante et refaire pleinement sens sur les terres qui la voit renaître le temps d’un événement, insufflant ainsi une nouvelle vie à leurs patrimoines culturels originels.

Souvent, ces événements se tiennent autour de fleuron de notre patrimoine monumental ou de forteresses médiévales classées : le château de Foix, les remparts d’Aigues-Mortes, la forteresse de Montrond-les-Bains, pour n’en citer que quelques-uns. De rares endroits à préserver pour de belles manifestations qui leur font honneur. C’est le cas de celle, exceptionnelle, qui fait l’objet de cet article : la médiévale du château de Tiffauges en Vendée.

Un retour au château de Tiffauges

« …Un éblouissant voyage dans le temps qui aiguise tous vos sens. Vos yeux en premier, qui ne savent où se poser tant il y a de choses à découvrir, de couleurs éclatantes, d’armures rutilantes, d’oriflammes, de costumes chamarrés, d’objets précieux ou juste usuels dont aucun ne sonne faux. Votre nez ensuite, chatouillé par le fumet alléchant des chaudrons sur les feux de camp ou par les effluves des échoppes des marchands, dont les délices ravissent aussi vos papilles…
Et pour finir votre oreille, particulièrement sollicitée ! Par la musique qui vous donne aussitôt envie de danser, mais aussi par le fracas des armes sur le champ de bataille et les tirs d’artillerie qui à tout moment vous font sursauter. Car là encore tout est vrai. »

Virginie – Visiteuse aux Mediévales de Tiffauges 2023

Animations médiévales et reconstitution à Tiffauges : Bertrand Duguesclin, connétable de France
Bertrand Duguesclin, connétable de France, Médiévale de Tiffauges

Aujourd’hui, l’Association Roi Uther, organisatrice d’événements historiques et le studio Barry’s photography nous ont fait l’amitié de nous gratifier de quelques sublimes photos, en provenance de l’édition 2023 de la Médiévale de Tiffauges.

Cet événement ambitieux reçoit, chaque année, plusieurs centaines de reconstituteurs en armure d’époque, pour un vrai parti-pris de reconstitution historique. Il a été impulsé en 2018 par le département de Vendée qui continue de le soutenir depuis. Sa dernière édition s’est tenue en septembre 2023 ; nous vous l’avions annoncée dans un article détaillé. Dans le contexte de la guerre de cent ans et des guerres de Bretagne, elle s’apprêtait à mettre en scène un Bertrand Du Guesclin sur le pied de guerre et à la préparation d’un futur siège.

Ici, en plus d’une belle galerie de photos qui vous fera revivre en images, ou découvrir un peu mieux cette manifestation médiévale si vous ne vous y êtes pas encore rendus, nous avons également le plaisir de partager un billet de Gérard Paugam, président de l’association Roi Uther, au sujet de cette édition passée. Nous lui laissons donc la parole sans plus attendre et faisons aussi place à cette belle galerie d’images.


Tiffauges l’autre fête médiévale !

Gérard Paugam de l'Association Roi Uther, organisations d'événements historiques

A l’heure ou chaque petite cité médiévale se dote de sa fête, carnaval, où bien souvent se côtoient sorcières, viking et adeptes de fantaisies ou d’arthurien, le château de Tiffauges lui, fait le choix de la reconstitution historique.

La médiévale de Tiffauges c’est une immersion, un livre ouvert par près de 500 reconstituteurs, hommes, femmes et enfants en armures, costumes civils, campements et échoppes historiques.

Le public est plongé dans un quotidien médiéval : odeurs de feux de camps, cliquetis des armures, danse et musique, marché médiéval …l’expérience immersive est unique et totale.

Chaque année, Roi Uther met en valeur un événement. Ces thèmes vont construire l’âme de la fête, donner des temps forts où les reconstitueurs vont présenter l’histoire vivante, vivre durant 48h00 au plus près de la réalité des hommes et des femmes de cette époque.

Pour cette 6ème édition, 10500 visiteurs ont profité d’un nouveau scénario bâti autour de Bertrand Duguesclin, connétable de France et son appel aux armes pour prendre la cité de Thouars. Amaury de Craon, époux de Péronnelle de Thouars rendra les clefs de la ville début novembre 1372 !

Nous avons maintenant une équipe de 4 Hérauts qui commentent les moments forts, une équipe de maréchaux de lice garantissent la bonne tenue des engagements et pour 2024 de nouvelles améliorations.

Bertrand Duguesclin sera à nouveau le héros les 28 et 29 septembre 2024.

Gérard Paugam
Association Le Roi uther


Histoire vivante au château de Tiffauges

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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