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La damnation d’un ménestrel joueur et blasphémateur dans la Cantiga de Santa Maria 238

Sujet : Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Sainte-Marie, démon, damnation, blasphème, joueurs de dés.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre : CSM 238  « O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou. » 
Interprète : Ensemble Alfonsie, Jota Martinez,
 Instruments pour louer Sainte Marie (2019)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous repartons en direction de l’Espagne médiévale pour découvrir une nouvelle Cantiga de Santa Maria du roi Alphonse X. Cette fois-ci, en fait de miracle et de salvation, ce chant marial portera sur le sort funeste réservé à un ménestrel dévoyé et de peu de foi.

Dans le courant du XIIIe siècle, les lieux de pèlerinages à la vierge étaient légion au cœur de l’Europe médiévale, et de nombreux miracles y circulaient. A la cour d’Espagne, Alphonse le savant, souverain de Castille, s’est attelé à leur compilation et même (selon ses propres dires) à leur mise en vers et en musique. Il en est résulté le riche corpus des Cantigas de Santa Maria, soit plus de 420 chants mariaux en Galaïco-portugais, annotés musicalement.

La plupart des Cantigas de Santa Maria sont des récits de miracles, entrecoupés de chants de louanges à la Sainte. Dans cet article, nous partons à la découverte de la Cantiga de Santa Maria 238, et donc, l’histoire d’un ménestrel joueur et blasphémateur qui ne sera pas sauvé.

Miracle et intercession du divin ou du diabolique dans le quotidien

Qu’est-ce que le blasphème ? Quel prix peuvent payer ceux qui s’y aventurent ? Au Moyen Âge, la séparation entre le monde spirituel et le monde matériel est assez ténue. On admet même assez facilement que le surnaturel puisse se manifester, à tout moment, dans le quotidien de l’homme médiéval. Du haut Moyen Âge au XIIe siècle, des jugements comme l’ordalie montrent bien à quel point on pense que le divin peut intervenir instantanément au soutien du juste, pour empêcher qu’il ne se brûle ou s’ébouillante. De la même façon, le mécréant s’expose au châtiment direct du divin et les portes du salut, comme celles des miracles, lui resteront, le plus souvent, fermées.

Avec les miracles des Cantigas de Santa Maria, nous sortons du registre de l’ordalie judiciaire pour entrer dans le culte marial et la dévotion à la vierge. C’est donc la mère du « Dieu mort en croix » qui viendra intercéder par sa bonté et sa miséricorde en faveur des croyants et des dévots qui l’invoquent. Certes, le diable ou les démons font aussi quelques apparitions dans le corpus d’Alphonse X. S’ils interviennent sous des formes diverses pour jouer des tours aux protagonistes, les tenter ou les remplir d’effroi, c’est souvent pour mieux être congédiés ou repoussés par la vierge. Face à la puissance de la mère du Christ, ils n’ont, en effet, guère de poids.

Fait intéressant, dans la plupart des miracles des Cantigas de Santa Maria, l’innocent, le malade, ou même encore l’impie ou le pèlerin égaré sur le chemin de la foi trouvent leur rédemption par des travers plus ou moins spectaculaires. La mansuétude et la miséricorde de la vierge restent le trait le plus souvent mis en avant. Quelques cantigas de Santa Maria comme celle du jour y font, toutefois, exception et se soldent par le châtiment cuisant du blasphémateur.

Pas de rédemption pour un ménestrel joueur et blasphémateur

La Cantiga de Maria 238 dans le Manuscrit de Florence (BNCF 20 Banco Rari), chant marial et enluminure du XIVe siècle
La Cantigas 238 et ses enluminures dans le Banco Rari 20 de la Bibliothèque de Florence

Le miracle de la Cantiga de Santa Maria 238 nous met en présence d’un ménestrel à la vie plutôt dissolue. Originaire de la ville portugaise de Guimarães, l’homme est un joueur de dés invétéré que rien ne semble pouvoir convaincre de renoncer à son goût du blasphème, ni de respecter la morale chrétienne.

La Cantiga 238 conte comment l’homme conspuait sans cesse Dieu et la Sainte Vierge en les rendant responsables de ses pertes au jeu. Comme un chapelain passait par là, l’audience se courba respectueusement à sa vue sauf le jongleur qui continua de blasphémer et cracha même sur son passage. Revenu un peu plus tard dans les parages, le chapelain lui conseilla de faire pénitence. Il lui rappela les Saintes Écritures, le rôle de Marie et du Christ, autant que ses devoirs de croyant, en vain. Le ménestrel campa sur ses positions. Il railla même le religieux et continua de le provoquer, demandant même ouvertement qu’on le conduise au châtiment éternel et qu’on le brûle dans les flammes de l’enfer.

Dans la cantiga, son vœu fut exaucé au delà de ses espérances et s’il y eut « miracle », ce fut à ses dépens. L’ecclésiastique le prit, en effet, au mot. Il invoqua la vengeance de Jésus Christ et de la vierge et un démon ne tarda pas à apparaître pour emporter le joueur blasphémateur tout droit en enfer. Et le refrain de ce récit de vengeance céleste et divine de scander tout du long :

« O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou,
Se pois del filla vinganç’ a maravilla nono dou »


« Celui qui veut avilir la Vierge qui a donné chair à Dieu,
S’il en reçoit, par la suite,
la vengeance, il ne faudra pas s’en étonner. »

La Cantiga de Santa Maria 238 en musique

L’ensemble Alfonsi de Jota Martinez : ethno-musicologie et recherche instrumentale

La 238 nous fournit l’occasion de découvrir une nouvelle formation musicale d’origine espagnole. Fondé en 2017 par Jota Martinez, l’ensemble Alfonsí explore le répertoire médiéval avec un parti-pris de restitution sonore et d’ethnomusicologie.

Dès la fin des années 89, son directeur artistique se passionnait déjà pour la restitution d’instruments en usage dans l’Espagne médiévale. En 2004, il forma même le projet ambitieux de reconstituer tous les instruments musicaux représentés dans les manuscrits des œuvres musicales d’Alphonse X de Castille. Quand on connaît un peu les manuscrits médiévaux des Cantigas, on réalise l’ampleur de l’entreprise. Les différents codex qui ont traversé le temps regorgent, en effet, d’enluminures de troubadours et musiciens en action.

La concrétisation d’un ambitieux projet

Quelques années plus tard, le musicologue et médiévaliste a tenu son pari. Une collection unique de soixante-dix instruments a vu le jour qu’il a pu restituer en s’appuyant sur des sources historiques variées, au delà même de l’œuvre d’Alphonse X.

En 2017, cette vaste collection entra, finalement, en action. Elle donna lieu à l’ensemble Alfonsi (ou Alfonsies, soit Alphonsien), une formation musicale ayant pour objectif de s’appuyer sur ce patient travail d’ethno-musicologie et de restitution, pour faire revivre autrement les musiques du temps du roi de Castille et ses cantigas de Santa Maria.

Ajoutons que, depuis le début des années 2000, on a pu retrouver Jota Martinez dans de nombreuses collaborations avec des groupes reconnus de la scène médiévale espagnole dont la célèbre formation d’Eduardo Paniagua ou encore la Capella de Ministrers valencienne.

Autre version de la CSM 238 par Jota Martinez & des instruments médiévaux anciens

Instruments pour louer Sainte Marie, l’album

Album musique médiévale et Cantigas de Santa Maria : "Instrumentos para Loar a Santa María par l'ensemble Alfonsí & Jota Martínez

En 2019, le projet de restitution de Jota Martinez donne donc naissance à un album signature de l’ensemble Alfonsi, centré sur les Cantigas de Santa Maria.

Il a pour titre : Instrumentos para Loar a Santa María et on y retrouve la CSM 238, aux cotés de 10 autres titres pour 63 minutes d’écoute. L’album recevra le prix Carles Santos de l’Institut de la Culture de Valence. Il sera notamment salué comme « Le Meilleur travail de restitution du patrimoine musical ».

Aujourd’hui, cette production de l’ensemble Alfonsi est disponible au format CD sur le site officiel de son directeur. On peut également la trouver en ligne au format numérique MP3.

Musiciens ayant participé à cet album 

Andrés Belmonte (flûte et flûte traversière), Ángel Vallverdú (flûte et percussions), Arturo Palomares (chant), Carles Magraner (rebel), Emilio Villalba (psaltérion), Fernando Depiaggi (ta´arilla), Gloria Aleza (chant et viole), Ismael Cabero (cornemuse espagnole médiévale, flûte et instruments à vents), Joansa Maravilla (percussions, Tabal), Jota Martínez (chant, rebab, maurache, vihuela), Juanma Rivero (chant), Lluna Issa Casterà (chant), Mara Aranda (chant), Mercedes Trujillo (chant), Miguel Ángel Orero (percussions, tabal), Patricia García (viole), Pedro Víctor López Meseguer (chant), Spyros Kaniaris (vieille orientale), Voro García (nafir).

La Cantiga de Santa Maria 238 et sa partition dans le Manuscrit Codice de los Musicos de la Bibliothèque de L'Escurial de Madrid
La CSM 238 dans le Codice de los Musicos, Bibliothèque de l’Escurial (consulter en ligne)

La Cantiga 238 en Galaïco-portugais original

NB : du fait des périodes de vacances, nous avons différé la traduction complète de cette Cantiga de Santa Maria. Dans l’attente, nous espérons que vous saurez vous contenter de son commentaire détaillé (plus haut dans cet article). Merci de votre compréhension.

Como Déus se vingou d’un jograr tafur que jogava os dados e porque perdera descreeu en Déus e en Santa María.

Comment Dieu se vengea d’un jongleur joueur (compulsif) qui jouait aux dés et diffamait Dieu et Sainte Marie parce qu’il perdait.

O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou,
Se pois del filla vinganç’ a maravilla nono dou.

Celui qui veut avilir la Vierge qui a donné chair à Dieu,
S’il en reçoit la vengeance, il ne faudra pas s’en étonner
.

A Sennor que nos adusse salvaçôn e lum’ e luz,
e que viu por nós séu Fillo mórte prender ena cruz,
des i ten-nos amparados do démo que nos non nuz;
en bõo día foi nado quena serviu e honrrou.
O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…

E desto vos direi óra ũa vengança que fez
Jesú-Crist’ en Guimarães d’un jograr mao rafez,
que el e sa Virgen Madre santa e o séu bon prez,
per que o mundo foi salvo, ante todos dẽostou.
O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…

Aqueste jograr jogava os dados, com’ aprendí,
E descreía tan muito, que quantos seían i
Foron ên tan espantados que se foron os mais d’ i;
Mais el de viltar a Virgen e Déus sól non s’ enfadou.
O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…

Non quis catar o maldito como prendeu carne Déus
Na Virgen e pois prendeü por el mórte dos judéus,
Mais o coraçôn proposo e todos los sisos séus
En viltar Santa María, de que Déus carne fillou.
O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…

E dezía que non éra Déus nada neno séu ben,
E que o da Virgen fora chufa, ca non outra ren.
E el est’ e mais dizendo, ei-vos un capelán ven
Que levava Córpus Crísti a un que i enfermou

Na vila. E os gẽollos ficaron todos entôn
Ant’ aquel que da cadẽa nos foi tirar do dragôn;
E o jograr mal-andante cospiu e disse que non
Vira gente tan bavéca, e mui mal os dẽostou.
O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…

O capelán, quand’ oiü dizer mal do Salvador
Do mundo, mui gran despeito houve daquel traedor;
E pois se tornou du ía, diss’ entôn: “Ai, pecador
D’ hóme, porquê dẽostavas óra o que te formou,

O que te fez de nïente e pois há t’a desfazer,
E no día do joízo estarás a séu poder,
Cativ’? E non sabes esto, nen t’ar quéres connoscer
A aquel que do dïabo per séu sángui te livrou?
O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…

E da Virgen grorïosa te nembra, e ben farás,
E filla ta pẽedença por aquesto que dit’ hás.”
El respondeu escarnindo: “Crérigo, que torp’ estás!
O ben, de Déus e da Virgen renégu’, e aquí me dou

Que non hajan en min parte e que xe me façan mal
E me metan, se podéren, dentro no fógu’ infernal.”
Quand’ est’ o crérig’ oiü, diss’: “Ai, Grorïosa, val!
Déus fille de ti vingança, assí como se vingou


Do traedor Simôn Magos, encantador que viltar
Foi assí Santa María e séu Fillo desdennar.”
Esto diss’ o prést’ e foi-s’; e o démo vẽo travar
Eno jograr que vos dixe, e assí o apertou

Que o torceu entôn todo. E assí vingar-se quis
Déus por si e por sa Madre, e desto seede fis
Que nunca mais falou nada; e porên, pa-San Dinís,
Atanto o tev’ o démo ta que ll’ a alma sacou

Do córpo e no inférno a foi lógo sobolir;
Ca assí ir devería quen quér que foss’ escarnir
Da Virgen e do séu Fillo, que nos vẽo remĩir;
Qual sennor ele serviü, assí llo gualardõou.
O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…


Vous pouvez retrouver ici l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria étudiées et traduites jusqu’à présent.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Le miracle de la cantiga de Santa Maria 47 et l’apparition du démon à un moine ivre

Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Sainte-Marie, démon, apparition, vin, ivresse.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre : CSM 47  « Virgen Santa María,
guarda-nos, se te praz
« 
Interprète : ArteFactum
Album : En el scriptorium (2006)

Bonjour à tous,

os pérégrinations médiévales du jour nous entraînent à la cour d’Alphonse X de castille, au cœur de l’Espagne du XIIIe siècle. Nous y recroiserons le large corpus des Cantigas de Santa Maria que le sage et savant monarque espagnol compila sous son règne.

C’est la cantiga de Santa Maria 47 qui sera, aujourd’hui, l’objet de notre intérêt. A l’habitude, nous vous proposerons un commentaire de ce chant médiéval, accompagné de sa partition ancienne, de sa traduction en français moderne, mais encore une belle version en musique.

L’importance des cantigas de Santa Maria

Avec plus de 420 chants dédiés à la vierge Marie, les cantigas de Santa Maria d’Alphonse X restent un témoignage essentiel de la musique comme du culte marial de cette partie du Moyen Âge. C’est aussi une source importante pour l’étude du galaïco-portugais, langue largement en usage dans la littérature de la péninsule ibérique médiévale de cette période.

En matière de legs, les partitions comme les paroles des cantigas de Santa Maria ont été consignées dans de très beaux manuscrits médiévaux. S’ils n’abondent pas, ils nous sont parvenus en nombre suffisant pour restituer l’ensemble du corpus. Ils sont aussi superbement conservés.

Sur la scène des musiques anciennes et médiévales, les plus célèbres formations comme les plus modestes ont d’ailleurs été nombreuses à s’attaquer à la restitution de ces chants mariaux. Les enluminures foisonnantes de certains manuscrits des cantigas se sont aussi avérées très utiles pour les musicologues et les amateurs d’ethnomusicologie. Elles ont, en effet, permis (et permettent encore) à tous ces musiciens et experts de retrouver les instruments d’époque utilisés pour jouer les cantigas d’Alphonse X.

Un roi troubadour sur les traces du culte marial

Quelle est l’origine des cantigas de Santa Maria ? En suivant leur préface, elles sont nées du désir d’Alphonse X d’exercer son « art de trobar », tout en rendant hommage à la vierge Marie. De fait, on prête généralement au souverain une partie importante de la composition de ces chants aux influences musicales et poétiques troubadouresques. Certaines de ses chansons hors du corpus de CSM nous apprennent, par ailleurs, que le roi espagnol était un grand amateur et connaisseur de l’art de trobar.

Dans cette même tradition des troubadours du sud de la France médiévale, les chants mariaux des CSM restent monodiques. On retrouve aussi, tout au long des textes, un poète très soucieux d’entretenir une relation étroite à son auditoire, un peu à la façon d’un jongleur itinérant ou d’un conteur de fabliau : « on m’a dit », « j’ai entendu dire », « je vais vous conter ici » ….

Des miracles en provenance de multiples lieux

Dans les cantigas de Santa Maria, le souverain espagnol, aussi pieux que féru de littérature, nous invite à parcourir les différentes routes et lieux de pèlerinages médiévaux dédiés à la Sainte. L’angle choisi est principalement celui des miracles mais le corpus contient également des chants de louanges (quarante-quatre en tout) qui viennent rythmer ce corpus et s’insérer entre les récits miraculeux.

Concernant leurs origines, les récits de miracles des CSM viennent en grand nombre des différentes provinces de l’Espagne médiévale. Toutefois, ils peuvent aussi déborder largement des frontières de la péninsule ibérique. Des histoires venues de l’Europe médiévale, de l’Afrique du nord, et même du Moyen-Orient y sont mentionnées. C’est donc un voyage dans le monde spirituel autant que dans la géographie médiévale et ses pèlerinages qui nous est proposé.

Exemplarité et dévotion à portée de tous

En plus des louanges faites à Marie, l’occasion est aussi donnée à l’auteur des cantigas de sensibiliser son auditoire à l’exemplarité de la foi et aux bénéfices directs que tout sujet peut en retirer, si modeste et humble soit-il. Les miracles des cantigas de Santa Maria sont, en effet, presque tout entiers centrés sur les individus, leurs misères et leur dévotion (grande, absente ou défaillante).

Qu’il suffise au lecteur de feuilleter ces récits ou de découvrir leur traduction. Il se rendra vite compte qu’au delà de leur dimension fantastique, la vocation de ces chants mariaux est d’illustrer, dans les grandes largeurs, à quel point la foi mariale peut soulever des montagnes pour tout un chacun, par delà sa condition et même sa religion.

On notera aussi que ces miracles ont toujours des refrains simples à retenir. En scandant le récit, ils semblent inviter l’audience à la reprise en chœur des louanges à la Sainte et on se prend à imaginer leur usage sur les routes des pèlerinages.

Culte marial et dévotion médiévale à la vierge

Au Moyen Âge central et particulièrement au XIIIe siècle, le culte marial est à la génèse d’un grand nombre de récits de miracles qui nourrissent la foi des pèlerins alors nombreux à se rendre vers les lieux saints édifiés en dévotion à la vierge. Les cantigas reflètent cette grande diversité, autant que cette effervescence et cette ferveur à l’endroit de l’image de la vierge.

La dévotion mariale traversera cette partie du Moyen Âge et la suivante en inspirant les auteurs les plus divers, clercs, religieux, troubadours et trouvères. On fait alors appel à la Sainte pour qu’elle intercède auprès de son fils, le Dieu mort en croix. En plus de sa grande mansuétude et sa grande bonté, on lui prête aussi la capacité d’avoir l’oreille du Christ.

Cet amour suscité par Marie prendra des formes diverses, dans des textes profanes comme religieux. Il héritera quelquefois même de certains éléments de la lyrique courtoise pour devenir le plus pur des amours, celui de la dame inaccessible, la fleur des fleurs idéale que l’on ne pourra jamais prétendre approcher tout à fait.

La cantiga de Santa Maria 47 : ivresse démoniaque & salvation miraculeuse

La partition de la Cantiga de Santa Maria 47 dans le manuscrit médiéval Codice Rico de la Bibliothèque de l'Escurial

Le récit de la Cantiga de Santa Maria 47 est celui d’un miracle. Il y sera question de vin. Pourtant, nous sommes loin, ici, des noces de Cana ou même de la Cantiga 23 sur le même thème. En fait d’usage divin du breuvage ou de changement d’eau en vin, c’est cette fois le démon qui tentera de tirer partie des vertus alcoolisées du jus de la treille.

Un pauvre moine, dévot d’ordinaire, en fera les frais. Emporté par son élan et la ruse du démon, il en boira plus que son compte. Finalement plongé dans un état avancé d’ébriété, il se décidera tout de même à se rendre à l’église. Hélas ! il en faudra plus pour arrêter le démon et le frère subira ses assauts répétés. Ce dernier prendra même diverses formes dans une sorte de défilé dantesque, pour empêcher le dévot de se rendre à l’office. Il faudra alors une invocation fervente de la vierge et une intercession de cette dernière pour secourir le moine égaré.

Un rappel à l’ordre bénédictin pour le moine dévot

L’histoire ne nous dit pas si le moine était bénédictin. Une fois sauvé des griffes du démon par l’intervention de la Sainte, il se verra toutefois rappeler indirectement un des préceptes déjà cher à Saint Benoit pour régler la vie des moines : « Nous lisons que le vin ne convient aucunement aux moines. Pourtant, puisque, de nos jours, on ne peut en persuader les moines, convenons du moins de n’en pas boire jusqu’à satiété, mais modérément, car le vin fait apostasier même les sages.« 

Paroles et enluminures de la CSM 47 dans le manuscrit T1 de la Bibliothéque du monastère de Saint-Laurent de l'Escurial
Les Somptueuses enluminures de la cantiga de Santa Maria 47 dans le codice Rico

Métamorphoses, apparitions démoniaques
et combat au grand jour du bien et du mal

A l’image d’autres récits des cantigas de Santa Maria, le miracle de la CSM 47 met en scène, de manière particulièrement spectaculaire, l’opposition du bien et du mal et leur intervention directe dans le quotidien de l’homme médiéval. Fourbe et tentateur, le malin peut y prendre les formes les plus diverses pour tenter les plus assidus.

Rien n’est pourtant jamais gagner d’avance pour lui non plus et il se trouve confronté plus d’une fois aux forces divines incarnées par Marie. Elle peuvent apparaître, en un éclair, au secours du malheureux pour peu que ce dernier les invoque avec sincérité. Gare alors au démon qu’elle que soit sa ruse ou ses formes ! Face à la Sainte, il ne pèse guère et le voilà rendu à se carapater.

A travers leur déroulement, les récits des cantigas illustrent parfaitement comment le magique peut surgir au détour de n’importe quel virage au Moyen Âge. On pourra repenser à nouveau ici à cette citation de Jacques le Goff sur « ce diable médiéval si peu avare d’apparitions« . Dans ce monde pétri de transcendance, de craintes de fauter comme d’espoirs de salut, le spirituel et le surnaturel ont acquis le droit de s’inviter et de se manifester, à n’importe quel moment, dans le temporel.

Aux sources médiévales de cette cantiga

Pour les sources, partitions et enluminures de cette cantiga, nous nous sommes accompagnés, tout au long de cet article, du très beau Codice Rico de la Bibliothèque Royale du monastère de l’Escurial à Madrid. Ce manuscrit, médiéval daté de 1280 et référencé Ms. T-I-1, contient l’ensemble des cantigas de Santa Maria et leur notation musicale. Vous pouvez le consulter en ligne sur le site digital officiel de la Bibliothèque. Place maintenant, et comme promis, à une belle version en musique avec ArteFactum !

La Cantiga 47 par l’ensemble médiéval ArteFactum

L’ensemble ArteFactum & les cantigas

Nos lecteurs connaissent désormais Artefactum. Formé en 1995, cet ensemble de musiques médiévales andalou a, depuis, fait montre d’un grand talent pour restituer le monde médiéval et ses musiques.

Discographie & programmes

Au terme d’une carrière de prés de 30 ans, la discographie d’ArteFactum est finalement assez sélective et réduite. Elle compte un total de six albums produits au fil des ans. Les sujets sont aussi variés que les danses du Moyen Âge, les chants de troubadours, les Carmina Burana, ou encore les musiques médiévales de pèlerins ou celles autour des fêtes de Noël. Les Cantigas de Santa Maria ont également fourni le thème d’un album relativement précoce dont est tirée la pièce du jour.

Si cette formation de musiques médiévales, n’a pas sorti grandes quantités d’albums, il faut souligner la grande richesse de ses prestations scéniques. Ses programmes dépassent, en effet, de loin les enregistrements studios en terme de thématique. Enfin, si l’ensemble ArteFactum est particulièrement actif sur la scène médiévale espagnole, on peut également le retrouver sur d’autres scènes européennes. Il a même fait voyager sa passion pour les musiques du Moyen Âge jusqu’en Australie ! Pour suivre Artefactum, vous pouvez retrouver son actualité ici (en espagnol et anglais).

En El Scriptorium l’album
un bel hommage aux cantigas d’Alphonse X

En 2006, l’ensemble médiéval partait à la rencontre des cantigas de Santa Maria et quelle rencontre ! Intitulé « En el Scriptorium« , l’album présente onze pièces de haute tenue pour 56 minutes d’écoute.

L'album "En el Scriptorium" de l'ensemble médiéval Arte Factum.

Les arrangement musicaux, autant que les performances vocales font de cet album une vraie réussite. La voix de la chanteuse soprano Mariví Blasco y apporte aussi une vraie note de fraîcheur. Pour le reste, tout y est joyeux, virevoltant, enlevé et ArteFactum signe, à nouveau là, une très belle production.

En el Scriptorium est, pour le moment, annoncé comme épuisé sur le site officiel de l’ensemble musical. En cherchant un peu, vous pourrez peut-être le débusquer au format CD chez votre meilleur disquaire. Dans l’hypothèse contraire, voici un lien utile pour le trouver en ligne au format MP3.

Musiciens ayant participé à cet album

Mariví Blasco (voix), Francisco Orozco (voix et luth), Vicente Gavira (voix), José Manuel Vaquero (vielle à roue, chœur, organetto), Juan Manuel Rubio (santour, viole, harpe médiévale, chœur), Ignacio Gil (flûtes, chalemie, flûte traversière, chœur), Álvaro Garrido (percussions, tambourin, astrabal, tombak, …)


La cantiga de Santa Maria 47
et sa traduction en français moderne

Esta é como Santa María guardou o monge, que o démo quis espantar por lo fazer perder.

Virgen Santa María,
guarda-nos, se te praz,
da gran sabedoría
que eno démo jaz.

Ce chant raconte comment Sainte Marie protégea un moine que le démon voulut effrayer afin qu’il se perde.

Vierge Sainte-Marie,
Sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse
Qu’il y a dans le démon.

Ca ele noit’ e día punna de nos meter
per que façamos érro, porque a Déus perder
hajamo-lo téu Fillo, que quis por nós sofrer
na cruz paxôn e mórte, que houvéssemos paz.
Virgen Santa María…

Car de nuit comme de jour, il lutte
Pour que nous commettions des erreurs, qui nous font perdre Dieu
ton fils, qui a voulu pour nous souffrir,
La passion et la mort sur la croix, pour que nous connaissions la paix,

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qui réside dans le démon.

E desto, méus amigos, vos quér’ óra contar
un miragre fremoso, de que fix méu cantar,
como Santa María foi un monge guardar
da tentaçôn do démo, a que do ben despraz.
Virgen Santa María…

Et à propos de cela, mes amis, je veux vous conter à présent,
Un merveilleux miracle, dont j’ai fait mon chant,
Et qui conte comment Sainte Marie garda un moine
De la tentation du démon qui a le Bien en horreur,

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.

Este monj’ ordinnado éra, segund’ oí,
muit’, e mui ben sa orden tiínna, com’ aprendí
mas o démo arteiro o contorvou assí
que o fez na adega bever do vinn’ assaz.
Virgen Santa María…

Ce moine était ordonné, d’après ce que j’ai entendu
Et il suivait la règle avec application, comme j’ai pu l’apprendre
Mais le démon plein de ruse le perturba (contorver /détourner) de telle façon
Que dans le cellier, il lui fit boire du vin en excès.

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.

Pero beved’ estava muit’, o monge quis s’ ir
dereit’ aa eigreja; mas o dém’ a saír
en figura de touro o foi, polo ferir
con séus córnos merjudos, ben como touro faz.
Virgen Santa María…

Bien que passablement ivre, le moine voulut aller
Directement à l’Eglise, mais le démon vint à sa rencontre
Sous la forme d’un taureau, et se précipita sur lui pour le charger
le front baissé et toutes cornes dehors, comme le fait un taureau.

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.

Quand’ esto viu o monge, fèramên s’ espantou
e a Santa María mui de rijo chamou,
que ll’ apareceu lógu’ e o tour’ amẽaçou,
dizendo: “Vai ta vía, muit’ és de mal solaz.”
Virgen Santa María…

Quand le moine vit cela, il en fut terriblement effrayé
Et il appela Sainte Marie avec tant de force
Qu’elle apparut sur le champ et menaça le taureau
En disant : « Passe ton chemin, toi qui n’est que nuisance.


Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.

Pois en figura d’ hóme pareceu-ll’ outra vez,
longu’ e magr’ e veloso e negro come pez;
mas acorreu-lle lógo a Virgen de bon prez,
dizendo: “Fuge, mao, mui peor que rapaz.”
Virgen Santa María…

Puis, le démon apparut cette fois, sous la forme d’un homme,
Mince et tout poilu, noir comme la poix ;
Mais la Vierge de haute valeur, s’en approcha sans tarder
En disant : « Fuis, malin, pire que le pire des laquais »
(1).

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.

Pois entrou na eigreja, ar pareceu-ll’ entôn
o démo en figura de mui bravo leôn;
mas a Virgen mui santa déu-lle con un bastôn,
dizendo: “Tól-t’, astroso, e lógo te desfaz.”
Virgen Santa María…

Puis le moine entra dans l’église et lui apparût alors
Le démon, sous la forme d’un lion furieux.
Mais la vierge très sainte le frappa avec un bâton,
En disant : « Ote toi d’ici, oiseau de mauvais augure
(2) et disparais sur le champ »

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.

Pois que Santa María o séu monj’ acorreu,
como vos hei ja dito, e ll’ o medo tolleu
do démo e do vinno, con que éra sandeu,
disse-ll’: “Hoi mais te guarda e non sejas malvaz.”
Virgen Santa María…

Après que Sainte Marie eut secouru son moine,
Comme je viens de vous le conter, et que sa peur s’en fut
Du démon comme du vin qui l’avaient rendu fou,
Elle lui dit : à partir de maintenant, fais plus attention à toi et ne sois pas méchant.
(3)

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.


Vous pouvez retrouver ici l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria étudiées et traduites jusqu’à présent.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes :

(1) On trouve en galicien médiéval une forme du mot « rapaz » utilisée, de manière péjorative, pour désigner la rapacité de certains valets, serviteurs. Nous avons donc choisi ici « Laquais ». On trouvera des traductions plus littérales qui prennent comme référence l’oiseau rapace. En langue française, on pourrait peut-être utiliser « vautour » pour raccrocher sur cette idée dépréciative. Concernant les acceptions variées du mot rapace en galicien médiéval, voir ce lien sur l’institut d’études galiciennes de l’Université de Santiago de Compostelle.

(2) Astroso : créature mauvaise, perfide, funeste.

(3) Malvaz : littéralement « méchant ». Ne fais pas le mal, ne commets pas de péchés, comporte toi selon la règle.

Le miracle de la Cantiga de Santa Maria 163 et du joueur de dés

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_central

Sujet :  musique médiévale, cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte Marie, Vierge, jeux de dés
Epoque : moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Alphonse X  (1221-1284)
Titre : Póde por Santa María o mao perdê-la fala
Interprète : Eduardo Paniagua
Album
 : Cantigas de Huesca Santa Maria de Salas, Reino de Aragon  (2022)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nos pérégrinations médiévales nous entraînent vers l’Espagne du XIIIe siècle. Posé à la cour d’Alphonse X de Castille, nous y étudierons une nouvelle pièce musicale et poétique, tirée des Cantigas de Santa Maria avec à l’habitude des éléments sur les sources, une traduction en français actuel, mais encore une version en musique.

Les cantigas de Santa Maria d’Alphonse X

Entre récits de miracles attribuées à la vierge et chants de louanges, ce vaste corpus de 427 pièces, compilé par le souverain de Castille est devenu incontournable pour qui s’intéresse à la musique médiévale tant qu’aux mentalités du Moyen Âge. Si les cantigas galaïco-portugaises d’Alphonse X continuent d’inspirer de nombreux ensembles et formations de musiques anciennes, elles demeurent également un précieux témoin du culte marial qui prit corps dans l’Europe du Moyen Âge central et perdura bien au-delà.

Du point de vue purement factuel, que le lecteur soit sensible ou non à la dimension religieuse de ces récits de miracles, les cantigas de Santa Maria lèvent, indéniablement, le voile sur un Moyen Âge rempli de magie et de fantastique.

Résurrection, apparitions, maladies qui s’effacent en un clin d’œil, objets qui prennent soudainement vie, tentations diaboliques… On y devine, en filigrane, la réalité d’un homme médiéval immergé dans un monde peuplé de champs de possibles extraordinaires, monde dans lequel le matériel et le temporel ne cessent d’interagir et de s’interpénétrer et où la grâce, le merveilleux, le salut ne sont jamais très éloignés, pas plus que leurs pendants du reste : l’obscurité, la chute, la damnation…

Sanction & rédemption pour un joueur invétéré

La cantiga de Santa Maria 163 que nous vous proposons d’étudier, aujourd’hui, est, donc, un nouveau récit de miracles. Son personnage principal est un joueur de dés pris dans les filets du jeu et les tourments que cela suppose.

Pour ceux qui nous lisent régulièrement ou qui sont un peu versés en littérature médiévale, ce protagoniste ne manquera pas d’évoquer indirectement les déboires d’un Rutebeuf et sa grièche d’Hiver. Dans ce texte, le trouvère parisien contait, en effet, ses misères au jeu de dés et comment il se trouvait dépouillé par sa malchance, autant que par son addiction. Quelques siècles après lui, en référence encore à ce jeu de dés et au monde interlope autour duquel il gravitait, on se souvient aussi de Villon faisant allusion aux tricheurs aux dés dans sa ballade de bonne doctrine à l’attention de ceulx de mauvaise vie.

Contre la dépendance au jeu de Rutebeuf et sa désespérance, l’addiction du protagoniste de la Cantiga de Santa Maria 163 trouvera d’abord sa punition dans le blasphème et la mécréance, pour finir par une rémission et une rédemption par le biais d’un pèlerinage. Et c’est auprès de Santa Maria de la Salas (que nous avons déjà croisée dans nos études sur les Cantigas) que l’homme sera sauvé.

Comme on le verra dans cette cantiga, aux temps médiévaux, la Sainte Mère peut se montrer tranchante et impitoyable pour qui la renie, mais elle n’est jamais rancunière et demeure toujours pleine de mansuétude envers le repenti. Du reste, ayant été rejeté par notre joueur de dés invétéré, Dieu en personne aura intercédé pour châtier durement l’outrecuidant, mais trouvant ce dernier sincère dans sa volonté de s’absoudre, la réponse favorable de la mère de « Dieu mort en croix » ne se fera guère attendre. La langue se déliera et le paralysé marchera.

Enluminure de la Cantiga de Santa Maria 163 dans le manuscrit Codice Rico de la Bibliothèque de l'Escurial

Aux sources manuscrites de la cantiga 163

Pour les sources manuscrites de cette cantiga de Santa Maria 163, nous vous proposons de la découvrir telle qu’elle se présente dans le códice rico ou MS T.I.1 de la Bibliothèque Royale de l’Escurial à Madrid. Par la grâce de l’ère digitale, ce manuscrit médiéval de la fin du XIIIe siècle peut être désormais consulté en ligne sur le site de la Bibliothèque sans avoir à faire tout le voyage jusqu’en Espagne.

Noter que vous pourrez également retrouver la CSM 163 dans le códice de los músicos référencé MS B.I.2 et conservé, lui aussi, à la Bibliothèque de L’Escurial (Madrid). Pour la version musicale de cette cantiga, nous vous proposons une interprétation sous la houlette d’Eduardo Paniagua :

Les cantigas de Sainte-Marie de Salas et du royaume d’Aragon, par Eduardo Paniagua

Dans sa vaste entreprise d’enregistrement de l’ensemble des Cantigas de Santa Maria, le musicien et directeur espagnol Eduardo Paniagua avait déjà produit pas moins de 55 albums, en privilégiant des angles et des regroupements thématiques. S’il n’avait pas encore approché les Cantigas de Huesca et de la province Aragonaise, en particulier les miracles attachés à la vierge de Salas et son ermitage, ce passionné de musique médiévale s’en est, toutefois, acquitté tout récemment.

En octobre 2022, il a ainsi fait paraître un double album riche de 23 cantigas sur ce thème qui montre bien, au passage, l’abondance des références aragonaises dans les Cantigas d’Alphonse X. On peut supposer que le mariage du souverain espagnol avec Yolande de la maison d’Aragon n’y est pas totalement étranger, cette dernière ayant pu alimenter ce dernier en récits du cru, issus des nombreux pèlerinages qu’on y faisait alors.

A présent, ce double album d’Eduardo Paniagua est donc disponible en format CD chez tous les bons disquaires. Vous pourrez également le trouver à la vente en CD ou au format Mp3 sur les plateformes légales en ligne : voir ce lien pour plus d’informations.

Les paroles de la cantiga de Santa Maria 163
et leur traduction en français

Como un hóme d’ Ósca, que jogava os dados, descreeu en Santa María e perdeu lógo a fala; e foi a Santa María de Salas en romaría e cobró-a.

Póde por Santa María o mao perdê-la fala,
e ar, se se ben repente, per ela póde cobrá-la.

Comment un homme de Huesca qui jouait aux dés, renia Sainte-Marie et,
à cette suite, perdit l’usage de la parole ; et comment il alla en pèlerinage à Sainte-Marie de Salas et la retrouva.

Par Sainte Marie, le mécréant* (le méchant) peut perdre l’usage de la parole
mais, s’il se repent correctement, il peut aussi la retrouver grâce à elle.

E desto fez un miragre a Virgen Santa María
mui grand’ en Ósca, dun hóme que ena tafuraría
jogara muito os dados e perdera quant’ havía;
poren descreeu na Virgen, que sól non quis receá-la.
Póde por Santa María o mao perdê-la fala…

A ce propos, la vierge Sainte Marie accomplit à Huesca
Un puissant miracle, sur un homme qui, dans une maison de jeu,
Joua beaucoup aux dés et finit par perdre tout ce qu’il possédait ;
Pour cela, il renia la Vierge et refusa de lui accorder son respect* (la craindre).
Refrain …

Tanto que est’ houve dito, foi de séu córpo tolleito
polo gran mal que disséra, e, par Déus, foi gran dereito;
e lógo perdeu a fala, ca Déus houve del despeito,
que lla tolleu a desora, como se dissésse: “cala!”
Póde por Santa María o mao perdê-la fala…


A peine eut-il dit cela, que son corps fut paralysé
Pour les mauvaises paroles prononcées, et par la grand justice de Dieu.
Et ensuite, il perdit l’usage de la parole, car Dieu qui était dépité,
Lui ôta, soudainement, comme pour lui dire: “Tais-toi ! ”.
Refrain …

Assí esteve gran tempo que dalí non se mudava,
e a cousa que quería per sinaes amostrava;
e desta guisa a Salas dalí levar-se mandava,
e déu-ll’ a lingua tal sõo como fógo que estala.
Póde por Santa María o mao perdê-la fala…

L’homme resta longtemps ainsi, sans bouger de l’endroit ;
Et s’il voulait quelque chose, il faisait des signes pour le demander ;
Et de cette même façon, à Salas il demanda qu’on l’emmène
Où il fit avec sa langue des sons plus forts que le feu qui crépite.
Refrain …

E catando a omagen, chorou muit’ e falou lógo
e diss’: “Ai, Santa María, que me perdões te rógo,
e des aquí adeante, se nunca os dados jógo,
a mia lingua seja presa que nunca quéras soltá-la.”
Póde por Santa María o mao perdê-la fala…

Et regardant l‘image* (la statue) de la vierge, il pleura beaucoup avant de dire :
“Aïe, Sainte Marie, je te supplie de me pardonner,
Et si, à partir de maintenant, je jouais à nouveau aux dés,
Que la langue me soit prise et que jamais tu ne veuilles me la rendre !”
Refrain …

Lógo que est’ houve dito, foi de todo mui ben são,
e quantos aquesto viron loaron porên de chão
a Virgen Santa María; e aquel foi bon crischão
e des alí adeante punnou sempre en loá-la.
Póde por Santa María o mao perdê-la fala…

Après qu’il eut dit cela, il fut parfaitement guéri,
Et quand ceux qui étaient là, le constatèrent, ils louèrent ouvertement
La Vierge Marie; et dès lors cet homme fut bon chrétien
Et à partir de ce moment, il s’efforça toujours de la louer.


Par Sainte Marie, le méchant peut perdre l’usage de la parole
mais, s’il se repent correctement, il peut aussi la retrouver grâce à elle.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Pierre Alphonse, auteur médiéval d’influence au carrefour des trois monothéismes

Sujet : contes orientaux, conte médiéval, auteur médiéval, Europe médiévale, Espagne médiévale, Moyen Âge chrétien, Al Andalous, judaïsme, christianisme, monothéismes.
Période : Moyen Âge central, XIe & XIIe s
Auteur : Pierre Alphonse, Petrus Alfonsi, Pedro Alfonso, Petrus Alphonsi, (1062-?1110)
Ouvrages : Dialogus contra Judeos, Disciplina Clericalis, Prologus in tabulas astronomicas, …

Bonjour à tous,

n suivant nos pérégrinations autour de l’Europe médiévale, notre aventure du jour nous entraîne à la découverte d’un auteur des débuts du Moyen Âge central, contemporain des XIe et XIIe siècles. On le connait sous divers noms suivant les sources ou encore la langue dans laquelle on s’y intéresse : Pierre Alphonse en français, Petrus Alfonsi, Petrus Alphonsi ou Petrus Alfonsus en latin, ou encore Pedro Alfonso (de Huesca), si c’est en espagnol. Pour corser le tout, avant qu’il ne décide de se convertir et d’être baptisé par l’Eglise catholique, on le connaissait aussi sous le nom de Moïse Sephardi et on le retrouve même chez certains auteurs sous le titre : Rabbi Moïse Sephardi.

D’origine juive espagnole, l’influence intellectuelle de cet auteur médiéval s’exerça bien au delà de la péninsule ibérique et de son temps, notamment par la rédaction d’un ouvrage de contes en latin, inspiré des traditions écrites et orales orientales. Mais avant de revenir à cette étrange circulation des objets culturels, qui a pu partiellement passer, au Moyen Âge, par certains individus ciblés, eux-mêmes au carrefour de plusieurs cultures, disons un mot de la vie de Moïse Sephardi, notable et savant homme de la région de Saragosse, au nord de l’Espagne, devenu, à un âge plutôt tardif, Pierre Alphonse ou Petrus Alfonsi.

Qui était Pierre Alphonse ?

Comme pour de nombreux autres personnages du Moyen Âge central, les documents historiques officiels sont assez rares pour éclairer la biographie de Pierre Alphonse. Cela n’a pas empêché qu’il demeure assez célèbre, jusqu’à aujourd’hui, auprès des médiévistes et spécialistes de littérature médiévale. Sur le web en langue française, on trouve assez peu de choses le concernant. Quelques articles ou wiki reprennent (souvent sans beaucoup de rigueur) des informations péchées à la ronde, ou même encore des assertions qui n’ont pas grand chose d’historique mais qui sont répétées depuis si longtemps qu’on a fini par les admettre et qu’on continue de les répandre.

De notre côté, pour partir à la chasse aux informations, nous avons préféré nous diriger, entre autres sources, du côté des universitaires et médiévistes européens, et notamment français et espagnols ou même encore du côté des érudits outre-Atlantique. Pour ce qui est des sources principales, nous suivrons notamment, ici, les pas de María Jesús Lacarra Ducay. On doit à cette imminente professeure de l’Université de Saragosse, spécialiste de littérature médiévale espagnole, de nombreux ouvrages et parutions sur les contes orientaux de cette période mais aussi sur Pedro Alfonso. En plus d’éléments de biographie, elle aborde également le rôle de notre auteur médiéval dans la propagation d’un nouveau genre de conte dans le Moyen Âge chrétien et latin du XIe siècle (1).

Saragosse du temps de Pierre Alphonse

Mention de Petrus Alfonsus et portrait dans le Libre Chronicarum, incunable du XVe siècle
Petrus Alfonsus dans le Liber Chronicarum du XVe siècle (2)

Avant d’entrer dans le détail de la vie de Pierre Alphonse, et puisque celui-ci y est installé, il peut être utile de resituer, en quelques mots, le contexte de la région aragonaise, dans l’Espagne médiévale de la fin du XIe siècle. Occupée par les musulmans depuis le début du VIIIe siècle, Saragosse fait un peu l’effet d’une deuxième capitale au nord du royaume d’Al Andalous. Au début du XIe siècle, l’ambition de  Al-Mansur (ou Almanzor, 937-1002) et sa brutalité envers ses opposants ont exilé loin de Cordoue un certain nombre d’intellectuels fuyant ses persécutions. Certains ont fui en direction de Malaga, d’autres ont opté pour le nord du califat musulman d’Espagne et la cité de Saragosse.

A la faveur de cette nouvelle tranquillité, ces intellectuels juifs ou espagnols se sont alors penchés sur la littérature Arabe pour l’adapter dans leur propre langue. On a là, sans doute, quelques premières clefs pour mieux comprendre dans quel bain culturel va naître l’œuvre de Pierre Alphonse. Même si rien ne permet d’affirmer qu’il fut issu d’une famille de juifs exilée de Cordoue, il dit lui-même avoir été élevé dans une double culture juive et arabe, et il baigne assurément dans cette mouvance intellectuelle aragonaise qui se nourrit des différentes cultures qui l’entourent. Il n’est pas le seul. Autour de cette même époque, à Saragosse, on peut lui trouver des homologues comme le philosophe juif Avicebron (Salomon ben Gabirol 1045-1070) qui, lui aussi, aime jongler avec les différents apports culturels qu’il côtoie pour en enrichir son œuvre. Dans ce berceau culturel fertile de l’Europe et de l’Espagne médiévale, un nouvel art du conte est, en tout cas, en gestation qui n’hésitera pas à puiser dans la culture orientale pour former l’éducation de ses contemporains.

De Moïse Sephardi à Petrus Alfonsi :
une conversion tardive

Enluminure et portrait de Pierre Alphonse dans le manuscrit KBR 11043-44 de la Librairie des ducs de Bourgogne

Pour reprendre le fil de la vie de Moïse Sephardi. Nous voici rendu au début du XIIe siècle, plus précisément le 29 juin 1106, à Huesca, à quelques encablures au nord de Saragosse. Moïse a déjà 44 ans. Pourtant, il est sur le point d’entrer de plein pied dans l’Histoire et de commencer une nouvelle vie. Qui est-il ? Versé dans les sciences arabes et juives, c’est un érudit au carrefour des trois cultures et des trois monothéismes. Il parle hébreux et arabe et possède sans doute de bonnes notions de latin. Savant, on le sait qualifié en Astronomie, en mathématique, ainsi qu’en médecine, mais il brille aussi en théologie et en philosophie. On le suppose bien implanté dans la communauté locale et la noblesse aragonaise et il y est, sans doute, reconnu pour ses compétences et son érudition. C’est vrai aussi de sa réputation auprès de la communauté juive d’Huesca puisqu’on a même souvent supposé (sans pourvoir l’établir de manière certaine) qu’il avait pu enseigner et prêcher comme rabbin.

Statue du roi Alphonse 1er d'Aragon le batailleur à Saragosse
Statue d’Alphonse 1er d’Aragon à Saragosse

Ce jour-là pourtant, Moïse va franchir un pas qui infléchira son destin comme son œuvre future. Cette démarche le séparera même, en grande partie, des siens puisque ce 29 juin de l’an 1106, il décide, en effet, de se convertir officiellement en recevant le baptême chrétien et sous quel parrainage ! Les choses ne sont pas faites à moitié.

Le baptême à lieu en l’Eglise de Huesca, à l’occasion de la fête des apôtres Pierre et Paul. La cérémonie est conduite par l’évêque de la ville et le parrain de notre érudit n’est rien moins que le souverain Alphonse 1er d’Aragon lui-même. C’est même de ce puissant parrainage que Moïse tirera son nouveau patronyme. Quant à son prénom, il nous expliquera qu’il le choisit en signe pour l’affection qu’il porte à l’apôtre Pierre. Il s’appellera donc désormais Petrus Alfonsi ou Pedro Alfonso en Espagnol. Comme le note María Jesús Lacarra Ducay, il a fallu que notre homme soit déjà entouré d’un certain prestige en Aragon pour voir sa conversion saluée par un tel patronage et de telles personnalités.


Huesca à l’heure de la Reconquista

Pour alimenter les réflexions sur le contexte historique, la cité de Huesca a été reconquise en 1096. Ce fut alors l’effervescence en Aragon. Pour fixer un peu les mentalités, on a même vu se former des légendes ou des récits contant l’apparition de Saints, au moment du siège de la cité.

Dans la foulée de cette prise, l’on s’est empressé de remettre en place les symboles forts du christianisme dans la ville. Tout est allé très vite. En moins de deux ans, on a restauré l’évêché et le latin. Les mosquées sont aussi redevenues rapidement des églises ou des monastères. On a même rebaptisé la ville Osca, contre le Waspa musulman. La sachant libérée de nombreux chrétiens sont aussi venus des campagnes environnantes pour la réinvestir, en s’ajoutant aux populations chrétiennes mozarabes qui s’y trouvaient déjà.

Sur le site officiel de la ville de Huesca, l’historien Carlos Garcés Manau mentionne également, entre 1096 et 1097, l’exode de nombreux musulmans vers des terres plus propices à accueillir leur foi et il fait encore état d’une obligation faite alors aux juifs et musulmans désireux de demeurer sur place, de se tenir hors les murs de la cité. Son article mériterait sans doute d’être étayé par quelques références bibliographiques plus précises, mais il donne une idée du climat de cette Huesca reconquise (3). Il est important de comprendre que, durant des siècles, la cité s’était convertie en fleuron d’Al Andalous. Pour la Reconquista en Aragon, c’est donc tout sauf une prise anodine.

En 1106, au moment du baptême de Pierre Alphonse, 10 ans à peine se sont écoulés depuis cette re-christianisation « éclair ». Dans un tel contexte, il est permis de se demander à quel point cette conversion d’un notable juif savant, reconnu localement, exerçant peut être la profession de médecin et officiant comme rabbin, a pu avoir valeur d’enjeu politique dans cette partie de l’Aragon fraîchement christianisée. C’est une question que je n’ai pas vu aborder chez ses biographes mais qu’on peut se poser d’autant qu’à ce moment là de l’Histoire, Saragosse est encore dans l’escarcelle d’Al Andalous. Il faudra, en effet, attendre plus de 10 ans et l’année 1118 pour la voir retomber aux mains chrétiennes des souverains d’Aragon.


Remous dans la communauté & « dialogus »

Illustration du dialogue médiéval de Pierre Alphonse le converti contre Moïse, son moi passé : liber adversus Judeos (Ms. Grootseminarie 026/091).

La cérémonie baptismale consommée, on parle de remous dans la communauté juive locale, à la découverte de sa conversion. Qu’on s’en soit ému n’a rien d’étonnant, d’autant plus si l’on suppose que notre Moïse, nouvellement devenu Pierre, avait peut-être occupé d’importantes charges religieuses à Huesca. Dès lors, le sentiment d’avoir été floué ou trahi n’a dû en être que plus grand du côté de ceux qui avaient été longtemps ses paires.

Comme souvent alors, on a, entre autres raisons, chercher à condamner cette conversion par des arguments religieux (mépris ou incompréhension de la loi divine, etc…) mais aussi en pointant du doigt la nature intéressée de notre homme : il aurait visé quelques avantages économiques ou politiques, un regain de notoriété locale, voire de nouvelles entrées auprès des cours occidentales chrétiennes ? On pourrait y opposer qu’à 44 ans, Moïse n’avait plus grand chose à prouver et que son niveau de reconnaissance semblait déjà important. En tout état de cause, ce ne sont là que des spéculations. On sait seulement qu’au Moyen Âge (comme certainement de tout temps d’ailleurs), la situation d’un nouveau converti reste toujours délicate (quelles que soient les nouvelles croyances qu’il embrasse) ; elle demeure aussi, bien souvent, un véritable acte de déchirement pour soi, comme au regard des siens (4).

Quoiqu’il en soit, trois ans plus tard, en 1109, pour répondre à ses détracteurs, l’auteur médiéval écrira, en latin, un « Dialogue » connu sous divers noms : Liber adversus Judeos, Dialogus contra iudaeos ou encore Dialogus Petri et Moyzi judei, … En français, on le retrouve souvent sous le nom de Dialogue contre les juifs. L’écrivain y opposera Pierre (le nouvellement baptisé) à Moïse (l’homme qu’il avait été) dans un dialogue cherchant à établir les motifs de sa conversion au christianisme, d’un point de vue plus scientifique et rationnel, que purement mystique ou théologique. Pierre Alphonse y déroulera des arguments expliquant son renoncement à la religion juive, son hésitation à se convertir à la religion musulmane, et finalement son choix d’opter pour la religion chrétienne.

L’ouvrage est rédigé par et du point de vue d’un érudit de la religion juive. C’est assez nouveau et cette connaissance de l’intérieur lui donnera même, semble-t-il, de nombreux arguments futurs aux opposants du judaïsme (voir notes (4) et (5). La critique qui est adressée au Talmud est, elle aussi, assez inédite. Dans le monde médiéval chrétien d’alors, ce dernier texte reste assez méconnu. La connaissance qu’a Pierre Alphonse de l’Islam comme du Christianisme sera une autre nouveauté de ce dialogue qui adresse les trois monothéisme à la fois. D’ailleurs, l’ouvrage rencontrera un franc succès et sera d’une grande influence auprès des chrétiens d’alors (6). Du point de vue de sa propagation seule et sur le terrain de la codicologie, on en dénombre un peu moins de 80 manuscrits ayant traversé le temps. Pour un écrit du XIIe siècle, c’est un chiffre considérable, sachant en plus qu’on le retrouve dans les bibliothèques des plus grandes abbayes d’Europe, lieux culturels et religieux alors à fort rayonnement. Les éléments et arguments de l’ouvrage seront même repris dans les sermons et les prêches de certains ordres mendiants ou même encore dans des joutes publiques et les disputatio opposant chrétiens et juifs sur le terrain théologique.

Le départ d’Espagne de Pierre Alphonse

Le dialogue contre les juifs de Pierre Alphonse dans le Ms. Grootseminarie 026/091, manuscrit médiéval du XIIIe siècle.

Pour replonger dans les éléments biographiques qui nous sont parvenus au sujet de Pierre Alphonse, si les événements de sa vie avant sa conversion restent entourés d’une aura de mystère, il en va de même pour le reste de son parcours. Quelque temps après la date charnière de son baptême, les tensions rencontrées auprès de sa propre communauté ont, peut-être, pu expliquer son départ pour l’Angleterre. C’est en tout cas l’avis de l’historienne María Jesús Lacarra Ducay :

« A titre d’hypothèse, il est possible de relater son éloignement de la Péninsule espagnole, par un exil volontaire supposé dans le but de faire taire les réactions provoquées par sa conversion, dans la communauté juive. »

El Cuento Oriental, María Jesús Lacarra Ducay (opus cité).

Dans le même temps, notre auteur médiéval semble aussi animé d’une vraie volonté de transmettre les avancées des sciences arabes à ses contemporains. On retrouvera cette idée dans certains de ses ouvrages d’astronomie où il déplore que les découvertes d’Al Andalous ne soient pas suffisamment répandues. Cela a-t-il pu également le pousser de l’avant ? Difficile de l’affirmer mais on trouvera dans d’autres de ses ouvrages, dont notamment la « Disciplina clericalis » une volonté réelle de transmettre des savoirs à ses contemporains.

Maître d’astronomie en Angleterre

Par la suite, Pierre Alphonse s’est donc rendu en Angleterre. On peut même lire communément qu’il y est devenu médecin d’Henri 1er d’Angleterre (7). Contre de nombreux médiévistes ou articles web à la ronde, c’est une affirmation que María Jesús Lacarra Ducay juge possible mais non certaine. Dans son article du Dictionnaire biographique de la Real Académie d’Histoire espagnole, elle constate la présence d’un seul manuscrit de la Disciplina Clericalis conservé à Cambridge et qui désigne son auteur comme : « Pierre Alphonse, médecin d’Henri 1er, roi des anglais. » mais elle juge insuffisante cette seule mention pour l’établir avec certitude.

Il est beaucoup plus certain, en revanche que, durant son périple, il fut donné à Pierre Alphonse d’enseigner les sciences et notamment l’astronomie d’une manière novatrice, grâce à la connaissance qu’il possédait des sciences arables. Il faut se souvenir que ces dernières étaient alors bien plus avancées sur ces terrains que la science occidentale. A ce titre, on reprendra, avec notre universitaire espagnole, le témoignage d’un moine, prieur du monastère de Great Malvern dans le Worcestershire. L’homme s’est vu, en effet, enseigner par Pierre Alphonse comment mesurer une éclipse et ne tarit pas d’éloge à ce propos.

Un passage dans l’hexagone ?

Après ce périple, on suppose également un passage de notre savant par la France. Il laisse, en effet, un écrit « à l’attention de ses étudiants qui résident en france » dans un de ses ouvrages d’astronomie. Pour finir, on trouve ensuite la trace de quelques documents mentionnant un Pedro Alfonso de retour en Espagne (1121 Saragosse, 1142 Tudèle,….) mais il peut s’agir d’un homonyme. Là encore, l’historiographie nous montre des auteurs partagés sur cette question dont le médiéviste suisse André de Mandach. Ce dernier est même plutôt affirmatif sur ces questions et envisage assez bien que l’auteur médiéval ait pu décéder à Tudèle « à l’âge de 87 ans » (opus cité (7)).

L'enluminure de Pierre Alphonse dans un Disciplina clericalis du XVe siècle - manuscrit KBR 11043-44 de la Bibliothèque royale de Belgique.
Enluminure de Pierre Alphonse dans une Disciplina clericalis datée du XVe s

Quant au fait qu’on trouve encore souvent mentionne que Pierre Alphonse ait pu également exercer ses talents de physicien et de médecin auprès d’Alphonse 1er d’Aragon, là encore la biographe espagnole avance que la mention n’apparaît qu’au XVe siècle, soit bien trop longtemps après la disparition de Pierre Alphonse pour qu’on puisse s’y fier totalement. C’est l’avis de María Jesús Lacarra Ducay et John V. Tolan, autre historien et biographe de renom de Pierre Alphonse, la suit sur ses mêmes réserves (8).

Dans le même temps, sans nier le rôle culturel et scientifique de Pierre Alphonse, la médiéviste espagnole ne prête pas non plus à notre juif andalous converti une maîtrise particulièrement exceptionnelle des sciences arabes médiévales, en matière d’astronomie et d’arithmétique. En comparaison des connaissances alors atteintes à Al Andalous, elle l’estime notre écrivain du Moyen Âge central d’un niveau scientifique acceptable plus que brillant, même si elle admet que ce niveau fut tout de même suffisant pour avoir permis à Pierre Alphonse de jouer un rôle dans la propagation des savoirs d’Al Andalous vers le monde chrétien médiéval :

« Sans être, peut-être, un scientifique de haute stature, ses séjours en Angleterre et en France auront permis de divulguer les doctrines des arabes dans des matières comme les mathématiques, l’Astronomie et la médecine. »

María Jesús Lacarra Ducay, Diccionario Biográfico electrónico (opus cité).

L’œuvre de Pierre Alphonse et son influence

En prologue de cette partie, il nous suffit d’ouvrir sur la première phrase du portrait de Pierre Alphonse, rédigé par John Tolan dans le Dictionary of Literary Biography pour prendre la mesure de l’influence de l’auteur médiéval sur son siècle et les suivants :

« Petrus Alfonsi est un des acteurs clef de la transmission et de l’assimilation par l’Europe latine des textes et idées scientifiques, littéraires et religieux du monde arabe, dans les débuts du XIIe siècle . Son impact est attesté par la survivance d’approximativement 160 manuscrits de ses travaux, par l’usage fréquent qu’en ont fait des auteurs clefs du XIIe au XVIe siècle, et par leur large diffusion à travers les premières éditions imprimées. »

Petrus Alfonsi, Dictionary of Literary Biography, John Tolan, (op cité (9))

Pour rentrer un peu plus dans le détail de cette œuvre, nous avons déjà mentionné abondamment le Dialogus de Pierre Alphonse. Inutile donc d’y revenir ici. L’ouvrage est entré dans la postérité dans un Moyen Âge occidental chrétien friand d’arguments à opposer aux autres monothéismes. Pourtant, il est un deuxième ouvrage de notre auteur espagnol qui nous intéresse d’autant plus qu’il touche à une forme originale et populaire de la littérature médiévale : le genre du conte.

La Disciplina Clericalis
ou le Castoiement d’un père à son fils

Comme le Dialogus contre Judeos, mais dans un tout autre style, ce deuxième ouvrage de Pierre Alphonse va connaître, lui aussi, un large succès dans le monde médiéval, et même bien au delà des frontières espagnoles et du temps. On le connait cet écrit sous le titre latin de Disciplina clericalis (l’enseignement des clercs ou des étudiants).

Contenu, sources et inspirations

La Castoiement d'un père à son fils, dans le  manuscrit médiéval MS français 12581 de la BnF
Le castoiement d’un père à son fils – ms Français 12581 de la BnF.

L’ouvrage se compose d’un peu moins d’une quarantaine de contes, qui montrent bien la volonté de l’auteur de transmettre ses leçons d’une manière accessible à ses lecteurs ou disciples. Concernant leurs sources d’inspiration, elle sont multiples, mais les contes orientaux et tradition arabe y occupent une place majeure.

Dans la forme, le Talmud et la tradition juive (conte du maître et du disciple contre la forme dialectique du conteur piégé des milles-et-une-nuits) ont sans doute influencé Pierre Alphonse. Fables, récits ou dictons philosophiques ont encore inspiré l’auteur et Pierre Alphonse annonce la couleur dès son introduction. On trouvera dans sa Disciplina Clericalis un « patchwork » de sagesse à portée de tous et au service de son propos :

« Mais s’il (l’humaine créature) vit en parfaicte congnoissance de saincte doctrine , adonc a-il accompli ce pour quoy il est fais . Après j’ay regardé que la fraile complexion de l’omme de pou vuelt estre instruite , affin que ennuy de moult de choses ne le destourbe. Et pour ce que la complexion de l’omme est rude et dure , elle doit estre adouchie et amoliée en aucune maniere , affin qu’elle retiengne plus legierement , et pour ce qu’elle est oublieuse ,elle a mestier de moult de choses qui le ramainent à memoire ce qu’elle a oublié. Pour toutes ces choses ay-je compilé ce livre en partie des proverbes de philosophie et de leurs chastoiemens,et des fables,et de vers, en partie de semblance de bestes et d’oyseaux ; mais j’ay regardé que se j’escrips plus que mestier ne soit,que ce ne soit plus grant grevance que solas à cellui qui le lira,ou à ceulx qui l’orront, et cause de desaprendre. Mais les sages se recorderont de ce qu’ilz ont oublié parce que yci est contenu. »

La discipline de Clergie Traduction de l’ouvrage de Pierre Alphonsi
(daté du Moyen Âge tardif) – Société des Bibliophiles Français (1824)

Sur les sources de certains de ces contes orientaux qui circulaient dans les ouvrages arabes ou dans le culture orale d’Al Andalous, on en reconnaîtra dont les racines remontent jusqu’aux Indes et même au bouddhisme des origines. Repris et adaptés par les arabes, ces histoires voyagèrent jusqu’à l’Andalousie du haut Moyen Âge et du Moyen Âge central pour tomber dans l’escarcelle de Pierre Alphonse qui eut la bonne idée de les compiler tout en y mettant sa plume.

Datation des deux versions de la Disciplina Clericalis

On ne parvient pas à dater précisément cet ouvrage. Il est probable qu’il ait été écrit d’abord en arabe par son auteur, puis qu’il l’ait traduit ultérieurement en latin, avec quelque assistance et peut-être après son baptême. En Français médiéval, l’ouvrage est connu sous plusieurs formes :

  • Les plus précoces sont des formes versifiées en vieux français. Elles sont adaptées librement de la prose latine de Pierre Alphonse. Les premiers manuscrits où on les trouve datent des débuts du XIIIe siècle. En réalité, on leur connaît diverses adaptations et au moins deux versions de mains différentes, qu’on a souvent réunies sous le titre du Castoiement d’un père à son fils ou Chastoiement d’un père à son fils. Précisons que dans les deux cas, « Castoiement » ou « Chastoiement » doit être compris comme enseignement, « leçons morales d’un père à son fils » et n’a rien à voir avec la notion de « châtier », « châtiment » qu’on pourrait être tenté d’y voir sous l’influence du français actuel.

    On connait deux grandes versions de cette première famille versifiée. Pour en donner la mesure, leurs différences sont si grandes qu’une équipe d’universitaires, philologues et médiévistes de l’Université de Genève attachée à l’étude de cet ouvrage de Pierre Alphonse, a décidé de désigner l’une d’entre elles sous l’appellation Les Fables de Pierre Aufons, tout en conservant à l’autre le titre habituel de Castoiement d’un père à son fils (10).
  • Une autre forme de la Disciplina Clericalis, apparaîtra un peu plus tardivement. En prose et en moyen français, elle est plus proche de la version originale de Pierre Alphonse que les précédentes. Elle émerge au Moyen Âge tardif (vraisemblablement vers là fin du XIVe siècle) et conserve le titre original de son auteur : Disciplina Clericalis, qu’on peut encore trouver franciser comme « La discipline de clergie« .

Succès de la Disciplina Clericalis de Pierre Alphonse

Enluminure et page du castoiement d'un père à son fils dans le manuscrit médiéval Ms 726 de la BnF
Enluminure de Pierre Alphonse dans Le castoiement d’un père…, ms 726, BnF.

Tant sur la forme que sur le fond, cet ouvrage de Pierre Alphonse connut un succès retentissant à partir de ses premières traductions et dans les siècles suivants. 76 manuscrits présents dans toute l’Europe sont encore là pour en témoigner. Sa popularité déborde les frontières françaises et on le retrouvera traduits également en castillan, en anglais, en italien, en hébreu sous des formes diversement adaptées. Dans la courant du XIIIe siècle, les orientaux connurent eux-aussi plusieurs versions de cet ouvrage de Pierre Alphonse. Il semble donc avoir connu un succès de ce côté aussi.

Ces « exempla » rédigés en latin et qui viennent illustrer de petites leçons de sagesse ou de conduite morale vont même se trouver fort appréciés des prêcheurs catholiques qui peuvent les inclure dans leurs sermons. Du point de vue de l’influence littéraire de la Disciplina Clericalis, dans les siècles suivants, on retrouvera encore des résonnances de certains contes de la Disciplina Clericalis de Pierre Alphonse dans les « exemples » du Comte Lucanor de Don Juan Manuel, dans certains fabliaux du sol français, dans le Décaméron de Jean Boccage, chez Shakespeare, dans la littérature des Exemples mais encore, plus tardivement, dans le Don Quichotte de Cervantes ou même encore chez Molière.

Le reste de son œuvre

En dehors de cet ouvrage majeur, on doit encore à Pierre Alphonse quelques écrits de moindre importance et qui, en tout cas n’ont pas connu le même retentissement, ni la même postérité que le précédent : un porte sur les tables astronomiques (Prologus in tabulas astronomicas). Il y a aussi cette lettre d’étude sur l’astronomie à destination des étudiants vivants en France (Epistula de studio artium liberalium praecipue astronomiae ad peripateticos aliosque philosophicos ubique per Franciam ). Enfin, on peu citer un autre traité d’astronomie titré De Dracone.

Voilà pour cette biographie et ce portrait de Pierre Alphonse qui nous a demandé de longues recherches, en plusieurs langues, auprès de médiévistes et spécialistes en littérature médiévale d’Europe mais aussi du continent américain. Nous espérons que vous aurez apprécié cet article. Si vous êtes arrivé au bout, vous mesurez sans doute un peu mieux l’importance de cet auteur et la place que nous nous devions de lui faire sur notre petite encyclopédie médiévale en ligne. Sa connaissance des trois cultures monothéistes, mais aussi sa maîtrise des langues et son niveau d’instruction ont fait de ce personnage médiéval à l’itinéraire peu commun, un véritable trait d’union entre le monde littéraire et scientifique oriental d’Al Andalous et le monde chrétien occidental des débuts du Moyen Âge central.

En ce qui nous concerne, et pour nous fixer quelques priorités, nous devons confesser que la Disciplina Clericalis de Petrus Alfonsi motive un peu plus notre intérêt, pour l’instant, que son Dialogus. Aussi, soyez sûr que nous ne manquerons pas de partager bientôt, ici, certains de ces contes à succès qui ont contribué à l’introduction de récits fictionnels et moraux orientaux dans la littérature occidentale du Moyen Âge.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.


Notes

(1) En ce qui concerne les contributions de María Jesús Lacarra Ducay sur l’oeuvre et le biographie de Pierre Alphonse, nous nous sommes particulièrement penché sur son petit ouvrage « El Cuento Oriental en Aragón » paru aux éditions CAI en 2000, ainsi que un de ses articles encyclopédiques dans le très solide Dictionnaire Biographique Electronique de l’Académie Royale d’Histoire Espagnole (ie : El Diccionario Biográfico electrónico de la Real Academia de la Historia).

(2) A propos du « portrait » légendé Petrus Alfonsus sur cette page du Liber Chronicarum et que l’on retrouve, d’ailleurs un peu partout sur le web : datant du XVe siècle, il est bien évidemment éloigné de la réalité et ne correspond pas à grand chose (on s’en doutait). En revanche, chose plus cocasse pour qui s’est penché de près sur cette volumineuse chronique imprimée du Moyen Âge tardif, cette image est d’autant plus éloignée de Pierre Alphonse qu’il s’agit d’une illustration qu’on retrouve à de nombreuses reprises dans cet incunable du Moyen Âge tardif. Elle a même, semble-t-il, permis de boucher quelques trous et on lui a fait jouer plusieurs rôles. Dans les premières pages de cette chronique on la trouve ainsi à l’identique libellée « Jupiter » mais nous l’avons croisée encore à d’autres reprises, affublée de légendes variées, en feuilletant l’ouvrage.

(3) Nous ne faisons que soulever la question mais comme point de départ, voir l’article de Carlos Garcés Manau sur le site officiel de Huesca.

(4) Voir Hommes de passage. L’élément juif dans les textes polémiques et les constructions identitaires hispaniques (XIIe-XIVe Siècles), Matthias Tischler Passages, Actes du colloque de Bordeaux, Presses universitaires du Midi (2013).

(5). les plus anglophones d’entre vous pourront se reporter au podcast suivant pour trouver quelques pistes intéressantes au sujet de ces « disputacio » initiées par Pierre Alphonse et quelques autres. On y trouve notamment des hypothèses formulées par le jeune historien canadien Dan Attrell sur la façon dont elles ont pu alimenter des antagonismes d’un nouveau genre : Uncovering the Latin Polemical Tradition & Petrus Alphonsi with Dan Attrell. On retrouvera ce constat de l’influence du Dialogue de Pierre Alphonse sur un nouvel antijudaïsme (entretenu par la suite par d’autres auteurs médiévaux) chez d’autres médiévistes ou spécialistes de littérature médiévale.

(6) Pour l’historien et médiéviste franco-Américain John Victor Tolan notamment, les attaques adressées par Pierre Alphonse au Talmud comme au Coran, sur le terrain doctrinal, et son insistance sur la nature irrationnelle de ces deux fois rivales représenteront même « un tournant dans la vision chrétienne de l’Islam et du Judaïsme dans l’Europe médiévale« . Le zèle de Pierre Alphonse après sa conversion a donc changé la face du débat entre les 3 monothéismes, en l’alimentant d’un point de vue différent, mais le terrain était particulièrement sensible au Moyen Âge . Si ces aspects vous intéressent nous vous recommandons également la lecture suivant de J V Tolan . Ils y sont particulièrement développés : Petrus Alfonsi, John Tolan, Dictionary of Literary Biography, vol. 337 (2008),

(7) Naissance et développement de la chanson de geste en Europe, Volume 6, André de Mandach, Publications Romanes et Françaises, 1993. Ce dernier date même l’arrivée de Pierre Alphonse en Angleterre autour de 1110.

(8) Petrus Alfonsi, John Tolan, Dictionary of Literary Biography, vol. 337 (2008),

(9) « Petrus Alfonsi is one of the key actors in the transmission and assimilation of Arabic scientifi, literary and religious texts and ideas to Latin Europe in the early twelfth century. His impact is attested in the survival of roughly 160 manuscripts of his works, in the frequent use made of them by key authors from the twelfth century to the sixteenth, and in their wide diffusion through early printed editions. ». Petrus Alfonsi, John Tolan, Dictionary of Literary Biography (op cité)

(10) Voir Les traductions françaises en vers de la disciplina clericalis sur le site du département des langues françaises et latines du Moyen Âge de l’université de Genève