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« Village » fortifié carolingien de l’an mil, chevaliers-paysans et Archéologie médiévale Lacustre

Paladru fouille Chevaliers moyen âge histoire médiévale

Bonjour à tous,

On a retrouvé l’Atlandide en Isère !

J_lettrine_moyen_age_passione plaisante, bien sûr, mais je n’ai pas pu résister à faire ce clin d’œil à certaines pratiques web sensationnalistes et racoleuses  d’autant que nous ne sommes pas si loin de notre sujet puisque nous allons parler  d’un village ancien submergé. Aujourd’hui, je vous propose, en effet, de revêtir un masque, un tuba et des palmes pour partir à la découverte du monde médiéval de l’an Mil mais aussi de l’archéologie lacustre.

Archéologie médiévale et lacustre
pour un site historique d’exception

En plein cœur des pré-Alpes se niche  un joli petit lac, celui de Paladru où, passez-moi l’anecdote, enfant, j’allais quelquefois patauger dans les eaux frisquettes, que je ne trouvais pas alors si froides, sans même me douter que depuis la fin du XIXe siècle, les archéologues de la préhistoire, autant que ceux du moyen-âge y avaient fait de belles découvertes.

archeologie_medievale_lacustre_histoire_moyen-age_paladru_colletiere_village_an_milLes sites archéologiques de Paladru, car il y en a plusieurs autour de ce même lac, ont ceci d’exceptionnel que l’eau les a  recouvert et, se faisant, a conservé les traces de leurs occupants à la fois préhistoriques et médiévaux bien plus sûrement que ne l’aurait fait l’air libre, offrant ainsi un témoignage exemplaire des périodes d’occupation.  Il faut souligner, en plus, que dans la famille de l’archéologie subaquatique, l’archéologie lacustre occupe une place particulièrement privilégiée en ceci que les courants relativement faibles déplacent peu les vestiges, qui se conservent à merveille dans une eau de surcroît, froide, douce et alcaline, Bien sûr, ce type particulier d’archéologie nécessite des moyens sophistiqués et des méthodes spécifiques pour être conduit avec efficacité mais sur le site de fouilles de Charavines-Colletière, les archéologues et chercheurs en présence ont eu le temps  de les éprouver; ce site est, en  effet, un des premiers à avoir pu mettre en pratique les techniques avancées de fouilles stratigraphies dans le courant des années 70 et à inaugurer pour ainsi dire l’archéologie lacustre française. D’autres sites ont suivi depuis. (1)

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Site de fouilles du village médiéval fortifié de Colletière, Lac de Paladru, Isère

En réalité, le site avait déjà été exploré une première fois vers la fin du XIXe siècle, puis laissé de côté, et c’est dans le courant du XXe, en 1972, sous la pression d’un projet de port de plaisance et d’aménagement du lac, que sachant les richesses archéologiques que le lac cachait sous ses eaux, les archéologues ainsi que les différentes collectivités locales autour du site se sont mobilisées pour financer les opérations de recherche et de sauvegarde (municipalité de Charavines, du conseil général de l’Isère, du ministère de la Culture et de divers centres de recherche).

Il y a, nous le disions, plusieurs sites sous les eaux du lac de Paladru: le premier concerne l’occupation néolithique du site, le deuxième regroupe à lui seul trois sites qui touche le moyen-âge et le XIe siècle. C’est à ce dernier que nous nous intéressons ici et notamment au site de Colletière qui est celui qui a été exploré le plus. Pour vous donner une idée de la richesse et de la nature exceptionnelle de l’ensemble de ces sites historiques, on y a retrouvé plus de 15000 objets et vestiges; leur étude s’est d’ailleurs poursuivie bien au delà du balisage du terrain et des fouilles par les archéologues.

Le village fortifié de Colletière
– Chevaliers paysans de l’an mil

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Village de Colletière : la très sérieuse reconstitution 3D du talentueux infographiste Jacques Martel en collaboration avec les directeur des fouilles (voir www.virtuhall.com)

La partie des fouilles qui concerne le monde médiéval et le site de Colletière se trouve sous des profondeurs allant de 1 à 4 mètres. Il  s’agit d’un petit village qui date des débuts du XIe siècle, et qui fut fondé quelques années après l’an Mil. On date sa création de 1003 et son abandon autour de 1035. Quelques 30 ans après sa fondation, le site a, en effet, été immergé par les eaux du lac et l’on pense que ceci explique son abandon. Comme il n’a pas été réoccupé dans le temps depuis cette période et est demeuré sous l’eau, les vestiges ne sont pas mélangés avec d’autres sources d’occupations plus récentes, ce qui a rendu les conditions d’exploration d’autant plus idéales.

Un site d’occupation carolingienne

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La superficie du village est de 1300 m2. Il était fortifié et bordé d’un palissade de bois. Il se situait sur une petite presqu’île du lac qui a donc disparu depuis. Bordé d’eau sur trois de ses côtés, le quatrième côté étant marécageux était accessible par un chemin de bois et un « pont-levis ». A l’évidence les occupants de Colletière ont su utiliser et exploiter de manière habile la protection naturelle offerte par le site et le lac. Le village hébergeait une soixantaine d’hommes, enfants et familles compris, une communauté structurée de manière archeologie_subaquatique_site_paladru_charavinesplus carolingienne que féodale, avec un chef de famille propriétaire qui dirigeait le groupe. Concernant ces hommes de l’an mil, les archéologues ont pu déjà recueillir plus de 5 000 objets et quelques 9 000 tessons de céramiques.

Un certain nombre de constat ont étonné les historiens autant que les archéologues par rapport à ce groupe, dont on a déjà convenu qu’il relève de l’exception même si les historiens ne se sont pas tout à fait accordés avec les archéologues sur ce en quoi portait cet intérêt et cet exception.(2) Quoiqu’il en soit, outre la richesse de l’héritage que ces hommes du moyen âge ont laissé, point sur lequel tous les chercheurs au moins s’accordent à dire qu’il est exceptionnel, leur vie  surprend, autant par la richesse des activités auxquelles ils archeologie_medievale_lacustre_histoire_medieval_an_milse livraient – qu’elles soient agricoles ou d’élevage mais encore artisanales, artistiques et ludiques – ,  que par le fait qu’ils étaient, en plus, de tout cela des cavaliers, d’où l’appellation de « chevaliers-paysan » dont les a baptisé Michel Colardelle et Éric Verdel, responsables du projet et des fouilles, et coauteurs de plusieurs ouvrages sur la question.

Culture, élevage et pèche

Concernant l’élevage, les vestiges attestent d’un cheptel de cochons, vaches, chèvres et moutons. Des traces d’écailles mais aussi des barques attestent que ces hommes s’adonnaient aussi à la pèche sur les eaux du lac. Du point de vue des cultures et à la faveur d’un redoux climatique du XIe siècle bien admis aujourd’hui, ils ont pu, dans ces zones pré-alpines, relativement hautes cultiver des céréales. Jugez plutôt de la variété de leur culture par les études faites sur les pollens, graines et semences retrouvés sur le site :  blé, seigle, orge, avoine, panic et millet. Ils jardinaient aussi, produisant archeologie_medievale_an_mil_moyen_age_fouilles_lacustre_charavine_colletiere_paladrupois,  fèves ou lentilles et encore, au verger, allaient cueillir noix, cerises, prunes, pêches, pommes ou raisins. Il semble d’ailleurs qu’ils faisaient aussi leur propre vin.  Ils chassaient peu ou de manière simplement opportunistes dans les forêts avoisinantes mais y récoltaient encore des noisettes, merises, prunelles, châtaignes, champignons, etc.

Pièces d’armes et usage des chevaux

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Les traces attestent que plusieurs de ses hommes savent lire, ils ont aussi des chevaux et on a retrouvé des traces ornementales qui atteste qu’ils les parent. Les nombreuses armes trouvées en relation avec cela atteste que les chevaux sont utilisés à des fins militaires et pas agricoles. Certains de ses hommes sont donc des cavaliers, sinon peut-être des chevaliers (suivant l’élasticité que l’on voudra donner à cette notion). En outre, ils fabriquent eux-même leurs outils et leurs armes.

Activités artisanales, artistiques et ludiques

En plus du fer (on a retrouvé trois forges sur les sites d’occupation médiévale),  les hommes du village de Colletière travaillent aussi le cuir et produisent outre chaussures, vêtements, leur propre céramique. Ils fabriquent encore des jeux, des instruments de musique. La diversité de leurs activités, leur large éventail de compétences, et le niveau d’éducation que certains d’entre eux semble démontrer, autant que certains indices de terrain, ont conduit les archéologues à l’hypothèse  que ces hommes venus coloniser les bords de ce lac avait pu être mandés là par l’archevêque de Vienne  qui aurait puhistoire_medieval_archeologie_chevaliers_an_mil_paladru souhaiter voir ce territoire tenu militairement et exploité par des gens à lui ou proches de lui en tout cas, ceci pouvant expliquer ce niveau d’éducation.

Quoiqu’il en soit, il semble que la communauté vivait en grande partie de manière autarcique même si des échanges sont attestés avec les habitants ou les communautés environnantes. Comme nous le disions, ces « chevaliers-paysans » auraient déserté le site suite à une montée des eaux mais il est intéressant de noter qu’à peu près à la même période, entre 1030 et 1050, des mottes castrales commencent à être édifiées sur les hauteurs environnantes, marquant l’arrivée du système féodal non loin du site. A ce jour, les chercheurs ne pensent pas que ce soit ces mêmes hommes qui  aient édifiées ces mottes. La provenance de ces colons de l’an mil avant leur installation autant que leur destination après occupation restent donc à ce jour inconnues.


Pour en savoir plus sur ces « chevaliers-paysans » et sur le site de fouilles de Paladru :

  • Les habitats du lac de Paladru (Isère) dans leur environnement. La formation d’un terroir au XIè sièclesous la dir. de Michel Colardelle et Éric VerdelParis : Ed. de la Maison des sciences de l’homme, 1993
  • Chevaliers-paysans de l’an Mil au lac de Paladru, Michel Colardelle et Éric Verdel, 1993.   Paris, Errance-Musée Dauphinois.
  • Visiter le  musée de Paladru et son exposition permanente.

Notes

(1) Archéologie subaquatique et conduite des fouilles en milieu lacustre : voir article de Audrey Claire sur le lac de Paladru ici

(2) Compte-rendu d’Alain Guerreau sur l’ouvrage Les habitats du Lac de Paladru et sa dimension théorique

Une très belle journée à tous!
Fred
pour moyenagepassion.
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Vérités historiques et conduite de l’Histoire

humilite_citation_medievale_saint_augustin_moyen_age_passion«L’humilité est le fondement de toutes les autres vertus. Ainsi, dans l’âme dans laquelle il n’existe pas cette vertu, il ne peut y avoir d’autres vertus que la simple apparence. »

Saint Augustin d’Hippone, (an 354-430), Théologien, philosophe, mystique chrétien (enluminure ci-contre Saint Augustin, livre de prière de Clément VII, XIVe siècle, Avignon)

Bonjour à tous!

N_lettrine_moyen_age_passionous vous proposons aujourd’hui un petit article sur l’Histoire en tant que science et sur les réserves à garder en tête quand nous parlons de « vérités historiques ». Il n’est, bien sûr, pas question de nier l’état des recherches actuelles, ni de faire table rase de nos visions sur le monde médiéval mais juste d’apporter un petit « bémol » de principe sur ce sujet. Ce sont des choses importantes à garder en tête quand nous parlons de Science en général, et, dans notre cas, d’Histoire médiévale et quand nous tentons d’avoir une vision claire du moyen-âge.

histoire_monde_medievale_epistemologie_moyen-age_passionIl est question donc, ici, de s’interroger sur la manière dont l’Histoire est conduite et se construit comme discipline scientifique, et en deux mots d’effleurer ce que l’on appelle « l’épistémologie ». C’est un mot qui fait un peu peur pour qui ne l’a jamais entendu et qui se destine souvent plus aux chercheurs et aux philosophes qu’aux profanes mais, encore une fois, comme nous parlons beaucoup d’Histoire médiévale sur ce site, il paraît intéressant d’y réserver une petite place pour ce genre de réflexions. Au fond, un peu de distance ne fait jamais de mal pour qui se passionne d’Histoire et de moyen-âge, autant que pour le chercheur qui s’interroge sur sa manière de chercher et qui aspire à la découverte d’une certaine « vérité ».

Aussi agréable que puisse être le refuge des certitudes, je vous propose donc, aujourd’hui, de céder un peu à l’inconfort qu’il y a à penser la complexité; et le fait est que l’Histoire des hommes, de leurs sociétés et des facteurs qui les influencent est un sujet d’étude particulièrement complexe, au présent comme au passé.

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L’Histoire, une science de la reconstruction

A_lettrine_moyen_age_passion l’image de la paléontologie ou de la science préhistorique,  l’Histoire est autant une science de la reconstruction, qu’une science en construction. A tout le moins, c’est ainsi qu’elle devrait être conduite. C’est le lot d’ailleurs de toutes les sciences et la tentation d’arrogance des premiers siècles de ces disciplines, au fond extrêmement jeunes dans l’histoire de l’humanité, doit désormais laisser la place à une saine humilité avec leur arrivée dans l’âge de leur puberté, à défaut d’être encore celui de leur maturité. En d’autres termes, si le physicien quantique face à une particule l’a déjà compris et sait, aujourd’hui, replacer ses recherches, au sein d’un grand mystère qu’il lui faut tenter de percer – en comprenant bien à quel point sa neutralité d’observateur et la limite de ses propres perceptions peuvent être problématiques pour appréhender la complexité à laquelle il fait face- ,  le même devoir s’applique, a fortiori, à l’historien ou au chercheur en sciencesmoyen-age_passion_histoire_monde_medieval humaines face à la complexité des phénomènes qu’il a la prétention d’approcher ou de décrypter.

Concernant la période du moyen-âge, l’historien a, certes, plus de documents et d’éléments à se mettre sous la dent que quelques squelettes d’hominidés ou de bipèdes pris dans l’argile, mais l’exercice reste le même. Par ailleurs, même si les sources demeurent plus nombreuses qu’en paléontologie, les moines et l’église ayant notamment consigné de nombreuses choses par écrit, il reste  tout de même frappant de voir combien le temps a pu emporter de traces dans son cours impétueux. Entre les pointillés de ses découvertes archéologiques, entre les pierres des châteaux ou des églises, entre les sépultures, les documents ou les parchemins retrouvés, l’Histoire doit pourtant bien s’écrire avec les éléments qu’elle a en sa possession et c’est avec les sources fiables et datées en présence qu’il lui faut tenter de moyen-age_passion_histoire_medievale_archeologieretracer des lignes continues entre les faits et les points connus pour refabriquer du sens et tenter de mettre à jour un vision « juste » du monde médiéval. Se faisant, elle doit, bien sûr, rester consciente du fait qu’il lui faut éviter de rechercher, à tout crin, des raccourcis faciles. L’historien sait bien, en effet, que la réalité s’inscrit toujours dans les nuances et que les vérités tranchées sont rares. L’Histoire quelquefois se répète ou, à tout le moins, balbutie et il a aussi appris d’expérience que les visions « simplistes » des premiers découvreurs doivent être souvent revisitées à la lumière d’une complexité qui grandit au fil des nouvelles découvertes.

A_lettrine_moyen_age_passiontoutes ces difficultés, s’ajoute encore le fait que l’affaire se complexifie au fil des avancées des autres sciences qui, inévitablement, viennent mettre leur grain de sel dans l’Histoire et l’oblige à se revisiter : climatologie, datation, analyse ADN et biologie, etc… La reconstruction devient alors multiforme et complexe et il peut s’avérer bien difficile de pondérer les effets des sciences connexes sur cette réalité « passée » que l’on a la prétention d’observer ou de reconstruire. Quel est l’incidence d’un micro-réchauffement climatique de deux degrés sur l’expansion économique d’une période particulière du moyen-âge? Si la question n’était pas encore trop générique, nous serions presque déjà en plein sujet de thèse!

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Histoire du moyen-âge et vérités historiques sur le monde médiéval (Gravure : Sébastien Mamerot, XVe siècle Paris, BNF)

E_lettrine_moyen_age_passiont comme l’Histoire est une science humaine conduite par les hommes à travers des institutions et des académies, dans ce difficile exercice d’hypothèse, de projection et de reconstruction qui lui échoie, il lui faut encore résister à ses propres corporatismes et aux préjugés qu’elle se forge et auxquels parfois elle s’attache. Passer ce genre de cap lui prend quelquefois du temps et il n’est pas rare que dans le débattement, les nouvelles découvertes soient rangées dans les exceptions ou dans les confirmations suivant qu’elles viennent infirmer ou confirmer la vision que l’on s’est déjà faite ou la construction que l’on a échafaudémonde_medieval_fan_moyen_age_passion_histoire d’un certain moment N de l’Histoire. Au fond, dans toutes ces réflexions. Michel Foucault n’est jamais bien loin, avec son archéologie du savoir.

Mais alors, au vue de tout cela, que reste-t’il à découvrir de l’Histoire du moyen-âge pour l’éclairer ou la ré-éclairer d’un jour nouveau? Bien sûr, il est difficile de le savoir mais plus on avance dans les investigations, plus nous affinons notre conception du passé (même si cela reste encore dans les limites et à la lumière de nos idéologies actuelles), et plus il semble qu’il faille nous défier des reconstructions faciles et des vérités à l’emporte-pièce. Au final, il ne nous reste qu’une certitude; ce que l’on tient pour vérité historique est toujours posé sur un socle susceptible de se mouvoir avec le temps. C’est donc toujours dans la perspective de ces possibles remises en cause et dans une nécessaire ouverture d’esprit que se tient aussi la passion pour l’Histoire et pour son incontournable alliée de terrain, l’archéologie.

Humilité et distance, c’est là que se tient la vérité historique, sage et placide, mais toujours consciente de la complexité de l’objet de ses recherches.

Un très belle journée à tous!

Frédéric EFFE
pour moyenagepassion.com

« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus  Ier s. av. J.-C