ujourd’hui, nous vous proposons une citation de l’écrivain, philosophe et enseignant canadien Martin Blais. Titulaire d’un double doctorat en philosophie et en sciences médiévales, cet éminent professeur des universités québécoises (Université de Laval) nous a légué de nombreux articles et ouvrages de philosophie dont un nombre important au sujet de Thomas D’aquin dont il s’était fait une spécialité.
Sacré moyen-âge ! de Martin Blais
Entre les nombreuses contributions de Martin Blais, on trouve son livre Sacrée Moyen-âge ! Dans cet ouvrage daté de 1997, assez court et très agréable à lire, le chercheur et intellectuel québécois fait la chasse, à sa manière, à quelques idées reçues autour du moyen-âge. Plus proche de l’essai que de la thèse et sans méthodologie systématique, il y adopte le parti-pris de l’exploration libre.
Dix-huit sujets d’origine médiévale et en but aux préjugés sont ainsi à l’honneur, pour un peu moins de 150 pages au total. On en trouve de familiers : le travail au moyen-âge, les troubadours, la technologie et les inventions, l’hygiène et les bains, les universités, … Mais l’auteur passe aussi par des thèmes plus originaux ou qu’il éclaire sous un autre jour. On citera pêle-mêle les métiers féminins, l’histoire d’Héloïse et Abelard, les prisons « auberges », ce qu’il nomme lui-même la « pornocratie » pontificale, et encore un inévitable détour par Thomas d’Aquin.
Ce livre a été réédité par la Bibliothèque québécoise en 2002. Vous pourrez donc le trouver disponible à la commande chez votre meilleur libraire ou à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations : Sacré Moyen Age !
Réalités médiévales contre barbarie moderne
La citation du jour est tirée de l’introduction de l’ouvrage. Comme de nombreux médiévistes ou chercheurs l’ont fait avant lui et le feront encore après lui, Martin Blais ne peut s’empêcher d’y mettre en balance la barbarie du monde moderne avec celle qu’on adresse, en permanence, au Moyen-âge (moins souvent par raison que par ignorance).
« La réputation que la Renaissance a faite aux gens du Moyen Âge nous attend sans doute à un tournant de l’histoire. Dans un millénaire, quand on parlera de nos camps de concentration, de nos écoles de torture, de notre cruauté unique dans l’histoire, de nos guerres atroces, de nos millions de miséreux — même dans les pays riches —, on se demandera quels barbares nous étions. Soljenitsyne est moins patient que moi : « Dans cent ans, on se moquera de nous comme de sauvages. » René Dubos avance la même opinion : « La vue technologique qui domine le monde actuel […] apparaîtra à nos descendants comme une période de barbarie. » C’est donc sans la moindre arrogance, avec humilité même, que nous allons nous approcher du Moyen Âge. »
Martin Blais – Citation extraite de Sacré Moyen-âge (1997)
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : poésie médiévale, auteur médiéval, poète, moyen-français, poésie satirique, poésie morale, vie curiale, tyrannie, Période : moyen-âge tardif, XIVe, XVe siècle. Auteur : Pierre d’Ailly (ou d’Ailliac),
Petrus de Alliarco (1351-1420) Titre : « Combien est misérable la vie du tyran » ou « Les dits de Franc-Gontier »
Bonjour à tous,
ans un article précédent nous avions mentionné les premiers Contre-dicts de Franc-Gontier sous la plume de Pierre d’Ailly. Quelques temps après le texte de Philippe de Vitry mettant en exergue les charmes, la liberté et la paix de la vie rupestre contre la vie de cour, cet auteur rédigeait, en effet, une courte poésie qui y faisait référence,
Cette belle pièce d’un peu plus de trente vers est connue sous le double nom de « Combien est misérable le vie du tyran » ou « les contredicts de Franc-Gontier » (avant ceux de François Villon donc) et nous la publions donc aujourd’hui dans son entier. Poésie satirique, poésie morale, comme son titre l’indique elle dépeint la vie tragique et, il faut bien le dire, terriblement ennuyeuse d’un tyran avide qui ne vit que pour la convoitise et la gloutonnerie.
Cette poésie est d’une certaine rareté puisque c’est une des seules poésie en « langue vulgaire » qu’on connaisse à cet auteur du moyen-âge tardif. Pierre d’Ailly s’est signalé et est entré dans la postérité pour bien des raisons sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir dans cet article mais pas pour ses talents de versificateur. Au vue des qualités de ce texte, on peut regretter avec un de ses biographes, le bibliophile et historien du XIXe siècle Arthur Dinoux (qui nous a permis de la mettre à jour), que plus de poésies de l’auteur ne nous soient parvenues.
Après cela, nous en profitons pour faire le portrait de cet auteur qui fut aussi un personnage de grande importance au XIVe siècle. Sa renommée et son influence sur son temps furent, en effet, telles que certains de ses biographes n’hésitent pas affirmer qu’on peut pratiquement faire l’Histoire de l’Eglise sous Pierre d’Ailly à travers l’oeuvre et l’influence que ce dernier eut sur elle.
Combien est misérable la vie du tyran
ou les contredicts de Franc-Gontier
Ung chasteau sçay, sur roche espouvantable, En lieu venteux, sur rive périlleuse, Là vis tyran, séant à haute table, En grand palais, en sale plantureuse, Environné de famille nombreuse, Pleine de fraud, d’envie et de murmure; Vuide de foi, d’amour, de paix joyeuse, Serve, subjecte en convoiteuse ardure.
Viandes, vins, avait-il sans mesure, Chairs et poissons occis en mainte guise, Sausses, brouëts, de diverse teincture: Et entremets faicts part art et diverse. Le mal Glouton partout guette et advise, Pour appetit trouver; et quiert manière Comment sa bouch’, de lescherie esprise, Son ventre emplit en bourse pautonière.
Mais, sac-à-fien, patente cimetière, Sepulchre-à-vin, corps bouffi, crasse panse, Pour sous ses biens en soy n’a lie chère; Car, ventre saoul n’a eu saveur plaisance, Ne le delit jeu, ris, ne bal, ne danse; Car, tant convoit, tant quiert, et tant desire, Qu’en rien qu’il ays n’a vraye suffisance.
Acquirer veult, ou royaume, ou empire; Pour avarice sent douloureux martyre. Trahison doute, en nully ne se fye, Coeur a félon, enflé d’orgueil et d’ire, Triste, pensif, plein de mélancolie. Las ! Trop mieulx vaut de Franc-Gontier la vie, Sobre liesse, et nette povreté, Que poursuivir, par orde gloutonnie, Cour de tyran, riche malheureté.
Pierre d’Ailly (1351-1411), Notice historique et littéraire sur le Cardinal Pierre d’Ailly, Eveque de Cambray au XVe siècle, M Arthur Dinaux (1824)
Note : les scissions en paragraphe sont de notre fait et sont destinés à fluidifier la lecture. La version originale est compact et sans saut de lignes.
Pierre d’Ailly, acteur de son temps
atif de Compiegne, Pierre d’Ailly fut un esprit actif et impliqué de son temps, doublé d’un intellectuel curieux de toutes les sciences. Théologien, philosophe, astrologue, astronome, il fut également un haut dignitaire de l’Eglise et le nombre des fonctions qu’il occupa au sein de cette dernière, au long de son existence, demeure rien moins qu’impressionnante : évêque de Cambray, de Limoges, d’Orange, du Puy-en-Velay, de Noyon, il fut encore attaché à de nombreuses paroisses en tant que chanoine ou trésorier et occupa aussi la haute charge de Cardinal. On ajoutera à cette longue liste (non exhaustive) le fait qu’il fut encore chancelier de l’église Notre-Dame de Paris et de l’université de Paris ainsi qu’aumônier et confesseur du roi.
Du point de vue intellectuel, il a légué nombre de traités autour des sciences, géographie et astronomie notamment, ainsi que quantité d’autres ouvrages philosophiques et théologiques, auxquels il faut encore ajouter des sermons. La majeure partie de son oeuvre latine a traversé le temps et il a aussi écrit en français, mais une partie de ses écrits dans cette dernière langue s’est, semble-t-il, perdue en chemin.
De Rome en Avignon,
interventions dans la résolution du schisme
Grand acteur de la conciliation et de la résolution du schisme qui, en plein coeur du moyen-âge, avait déchiré l’Eglise, pour donner naissance à deux papes, il se battit pendant de longues années pour y mettre un terme. Voyageant en Italie, il intervint aussi directement auprès des papes en Avignon pour tenter de surseoir à leurs velléités séparatistes. Son activisme et ses vues sur l’unification de l’église et sur la supériorité décisionnelle des conciles lui valurent quelques sérieux déboires, mais finirent à force de persévérance par aboutir. Pris dans les enjeux de son temps, on le vit encore prêcher avec zèle en faveur des croisades ce qui lui valut le surnom de « Marteaux des hérétiques ». Il n’est alors pas le seul à les défendre Pétrarque, Jeanne d’Arc et d’autres encore y sont favorables. Autant de choses qui feront dire à son biographe Louis Salembier :
« Toutes les idées vraies ou contestables de cette époque si troublée parurent se donner rendez-vous dans la tête encyclopédique et si puissamment organisée de l’évêque de Cambrai. » Pierre d’Ailly et la découverte de l’Amérique,Revue d’histoire de l’Église de France, Persée, Louis Salembier (1912)
De la fête de la trinité
à la conquête des Amériques.
oncernant sa marque, on notera que la fête de la Sainte Trinité fut instituée par le pape Benoit XIII sous son initiative. Son Projet de calendrier destiné notamment à harmoniser les célébrations religieuses avec le calendrier civil fut à l’origine de celui adopté par Grégoire XIII près de 150 ans plus tard. Il impulsa même encore quelques corrections au livre des révélations divines qui furent également entérinées par les papes, à deux siècles de là.
La postérité a également retenu de lui qu’il fut, avec Christophe Colomb et au moins en esprit, un des découvreurs de l’Amérique. Le grand voyageur ne se séparait, en effet, jamais du célèbre Imago Mundi (ou Ymago Mundi): Le tableau du monde de Pierre d’Ailly et c’est sans doute grâce à son aide qu’il fut motivé dans son voyage et pu découvrir les nouvelles terres. Le savant religieux avait, en effet, affirmé dans son traité que les Indes pouvaient être atteintes en quelques jours, en faisant route vers l’Ouest. Qu’on vienne nous expliquer encore après cela que les hommes du moyen-âge et notamment l’Eglise pensaient que la terre était plate…
Nous ne rentrerons pas, dans cet article, dans le détail des théories philosophiques de Pierre d’Ailly, mais on retiendra qu’il eut sous sa houlette quelques disciples qui allaient se signer à leur tour par leurs oeuvres et même dépasser, voire éclipser la sienne. On retiendra entre autres noms Nicolas de Clamanges, et Jean de Gerson.
Visionnaire ? D’étonnantes prophéties
lus étonnamment, on doit au religieux féru d’astrologie quelques surprenantes prédictions sur les temps qui restaient à venir et qui feront dire à son biographe Louis Salembier, au début du XXe siècle :
« Non seulement D’Ailly fut le fidèle miroir des opinions et même des erreurs de son temps,mais encore il eut parfois sur les âges futurs des vues prophétique qui nous étonnent et que nous rapportons sans les expliquer. Pareil à certain dieu de la fable, il regarde à la fois le passé et le présent. Il résume l’un et il prophétise l’autre. D’une part c’est un compilateur clairvoyant; de l’autre, c’est presque un voyant. » Louis Salembier (opus cité)
Jugez plutôt :
« … Puis après dix révolutions saturnales, viendra l’année 1789. Si le monde dure jusqu’à ces temps, ce que Dieu seul connaît, il y aura alors des nombreuses et grandes altérations et de remarquables changements, principalement dans les lois et dans les religions. » Concordia Astronimias cum historica narratione. Pierre d’Ailly. 1414.
Dans un autre ouvrage, quatre ans après, il écrivait encore :
« … Avant 1789, il y aura un autre grand bouleversement religieux. Dans un siècle à partir du moment où j’écris, il y aura bien des changements dans le christianisme et bien des troubles dans l’Eglise, magna fiet alteracio circa leges et sectas ». De persectutionibus Ecclesiae, Pierre d’Ailly, 1418
En 1517 et 1518, naissait le protestantisme. Nous vous laisserons juge de la nature prophétique, anecdotique ou fortuite de tout cela.
Pour aller plus loin sur cet étonnant personnage et auteur des XIVe et XVe siècle et si vous en avez la curiosité, nous ne pouvons que vous recommander l’ouvrage de la docteur en philosophe et agrégée de lettres classique Alice Lamy, qui s’est fait une spécialité des questions de philosophie latine médiévale et de scolastique. Sorti, en 2013, chez Honoré Champion, il a pour titre :La Pensée de Pierre d’Ailly. Un philosophe engagé du Moyen Âge
En vous souhaitant une excellente journée!
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : philosophie médiévale, iconographie, représentations médiévales, archéologie du savoir, archéologie de l’image, Période : du moyen-âge aux début de la renaissance Auteur : Olivier Boulnois Ouvrage : Au delà de l’image Media : documentaire CNRS, Canal U
Bonjour à tous,
Aujourd’hui, nous vous proposons de suivre le philosophe Olivier Boulnois au coeur d’un de ses grands sujets de recherche : l’image et l’iconographie médiévale. Produite par le service audiovisuel du CNRS du Campus de Villejuif, cette entrevue est proposée par l’excellent chaîne en ligne Canal U qui regorge de ressources vidéo et de matière à réflexion, en provenance de nos universités et de leurs plus brillants chercheurs.
« L’image » au moyen-âge
à la lumière de la philosophie médiévale
u’est-ce que l’image ? Comment a-ton contourné l’interdiction biblique de représenter Dieu qui planait sur les premiers temps du moyen-âge chrétien ? Pourquoi « l’image » et la représentation ont-elles pris un place centrale dans le christianisme ? Partie prenante d’un dispositif pédagogique à l’attention des moins lettrés, comment, dès lors, éviter l’écueil du débat sur l’idolâtrie au sein même du catholicisme ? Comment encore l’image d’un Dieu vieux et barbu a-t’elle émergé, à partir du Christ, Dieu incarné et « mort en croix » ?
Enluminure, Christ, Bible de Vivien, dite Bible de Charles le Chauve, Abbaye Saint-Martin de Tours, IXe siècle (845), BnF, Manuscrit Latin 1 Le feuilleter en ligne
Enfin, après quelles évolutions l’image a-t-elle hérité d’une « charge » esthétique ou d’une capacité intrinsèque à inspirer le beau, à contenir une dimension « sensible » pour ce qu’elle est et non plus pour ce qu’elle représente ? En quelques minutes, Olivier Boulnois dresse ici le tableau passionnant d’une histoire des représentations autour de l’image au moyen-âge, en nous invitant à conduire avec lui une véritable archéologie du visuel, à la lumière des idées et de la philosophie médiévale.
Olivier Boulnois, philosophe, archéologue du visuel et du savoir
Attaché au LEM de Paris (le laboratoire d’Etudes sur les Monothéismes), Olivier Boulnois est aussi directeur d’études à l’École pratique des hautes études et professeur de religion et philosophie chrétienne médiévale à l’Institut catholique de Paris.
Grand spécialiste de Saint-Augustin, du thélogien du XIIIe siècle John Duns Scotus, et encore de Maître Eckhart, il a bientôt élargi son champ de recherche à la métaphysique et l’histoire de la philosophie médiévale. Ses contributions autour de l’histoire des idées et de la philosophie au moyen-âge sont innombrables et ses travaux lui ont d’ailleurs valu d’être primé à plusieurs reprises. Il a notamment reçu les palmes académiques en 2003. Voici un lien utile pour avoir un aperçu exhaustif, de son parcours et de ses publications.
Salué par la critique, son livre Au-delà de l’image. Une archéologie du visuel au Moyen Âge (Ve-XVIe siècle), dont la vidéo du jour nous donne un très bref aperçu, lui a valu, en 2008, le grandprix de philosophie de l’Académie française. Edité par Le Seuil, l’ouvrage est disponible en ligne, au lien suivant : Au-delà de l’image. Une archéologie du visuel au Moyen Âge (Ve-XVIe siècle)
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : citations médiévales, proverbe, poésie morale, morale médiévale, proverbe moral, mort, réflexions sur la mort. Auteur : Christine de Pizan (Pisan) (1364-1430) Période : moyen-âge central à tardif Ouvrage : Oeuvres poétiques de Christine de Pisan, publiées par Maurice Roy, Tome 3, (1896)
“Quoy que la mort nous soit espouventable
A y penser souvent est prouffitable.”
Proverbes moraux. Oeuvres poétiques, Tome 3. Christine de Pizan,femme de lettres et de sciences, écrivain, poétesse des XIVe et XVe siècles.