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Jehan Meschinot, ballade politique & morale contre les tyrans

Sujet : poésie morale, poésie médiévale, poète breton, ballade médiévale, ballade satirique, auteur médiéval, Bretagne médiévale, tyran, grands rhétoriqueurs.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Titre : Affin qu’il sente aultruy playe premiere
Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF
Ouvrage :  poésies et œuvres de Jean MESCHINOT, éditions 1493 et 1522.

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous repartons pour la Bretagne médiévale, celle du Moyen Âge tardif et de Jehan Meschinot. Au XVe siècle, ce poète soldat se distingue par une poésie politique et morale de belle tenue.

En son temps, il se fit particulièrement connaître par ses Lunettes des Princes. Le ton était déjà politique et moral, un peu à la manière de ces miroir des princes (ou miroir aux princes) et guide pour l’éducation politique des puissants dont le Moyen Âge était friand. Sans concession, mais avec un vrai talent de plume, le poète y laissait aussi poindre quelques pointes de désespérance sur sa propre condition.

la ballade "Affin qu'il sente aultruy playe première" en graphie moderne avec enluminure du portrait de l'auteur

Les 25 ballades satiriques de Meschinot

Si les Lunettes des Princes sont devenues un des ouvrages les plus imprimés des débuts du XVIe siècle, la postérité a un peu moins retenu de Meschinot les 25 ballades satiriques que lui inspira la poésie Le Prince (ou les princes) de Georges Chastelain. Ce grand auteur flamand, attaché à la cour de Bourgogne, s’était distingué avant tout par ses grandes chroniques historiques mais il n’hésita pas à égratigner Louis XI dans un exercice plus poétique, politique et caustique qui inspira son homologue breton.

Meschinot reprit donc les 25 strophes du Prince de Chastelain et en fit les envois de 25 nouvelles ballades. On peut retrouver ces dernières dans le manuscrit enluminé français 24314 de la BnF daté du XVe siècle. Quant aux éditions imprimées des siècles suivants, elles adjoindront quelquefois ses poésies au texte principal des Lunettes des princes mais elles s’arrêteront souvent aux lunettes.

Sources historiques et manuscrites

Pour les sources manuscrites, nous vous renvoyons au ms français 24314 qui reste le plus accessible à la consultation en ligne (voir capture ci contre).

Pour la transcription en graphie moderne de la poésie qui nous occupe ici, nous nous sommes appuyés sur diverses éditions historiques datées du XVIe siècle.

La ballade du jour dans le manuscrit enluminé français 24314 de la BnF
La ballade du jour dans le Français 24314 de la BnF (à consulter sur Gallica.fr)

La punition du tyran et du prince oppresseur

La ballade du jour est la quatrième des 25 dans l’ordre des manuscrits. En terme de versification et de rythmique, elle suit la forme de toutes les autres. Meschinot a opté pour des douzains de 10 pieds tout au long de cet exercice, trois par ballades suivis d’envois dument rétribués à leur auteur (« Georges »).

Dans cette poésie politique, trempée de morale chrétienne, le tyran ou le seigneur abusif est encore dans la ligne de mire. Meschinot prolonge en quelque sorte le ton de Chastelain et développe à sa manière. Pas d’impunité pour le prince oppresseur qui brime et pille ses propres sujets. Il sera meurtri et Dieu lui fera sentir jusque dans sa chair les blessures qu’il inflige à autrui.

Dieu est à l’œuvre, ici, mais pas seulement. Le prince tyrannique paye le prix juste et logique de sa propre stupidité/avidité. En attentant à ceux qui fondent sa richesse et même sa survie, il se heurte lui-même et, croyant trompé ses sujets, c’est lui-même qu’il trompe.


« Affin qu’il sente aultruy playe premiere »
dans le moyen français de Meschinot

Ou tost fauldroit terre, soleil & lune
Bien de grace, de nature, & fortune,
Et tout ce qu’est en essence produyt:
Ou les tyrans qui sans raison aulcune
Pillent les biens de la chose commune
Dont par après n’en est riens mieulx conduit
Seront puniz de très-griefve poincture
(blessure).
L’abus est grant en la loy de nature
Quand le seigneur par maulvaise maniere
Sur les subgectz
(sujets) prent excessive proye
Dieu le payera en pareille monnoye
Affin qu’il sente aultruy playe
(plaie) premiere.

C’est cruaulté des plus piteuses l’une
Qui jamais fust si par voye importune
Le commun est par le prince destruyt
Duquel il a bled
(blé), vin, rentes, pecune (argent monnayé)
Service honneur & sans lui fault qu’il jusne
(jeûne)
Car il n’est pas au labourage duyt
En le perdant, il perd sa nourriture
Et si se mect en damnable adventure
Car bien souvent a la fin derreniere
Trompé se voit quand a tromper essaye
Et justement raison ainsi le paye
Affin qu’il sente aultruy playe premiere.

Terne conseil & celée rancune
(rancune secrète)
Propre proufit en province plus de une
ont aultrefoys porté dommageux fruict
Et de cecy ne sçay raison nesune
(aucune)
Fors que dieu veult non pas saison chascune
Descouvrir ce qui es cueurs ard & bruyt
Ainsi advient que mieulx qu’en portraicture
(image, plan)
Des cas secretz conduys par voye obscure
A t’on souvent congnoissance planiere
(plénière)
Dont le maulvais en l’espineuse haye
Qu’il a basty tresbuche & la se playe
Affin qu’il sente aultruy playe premiere.

L’envoi
Prince lettré, entendant l’escripture,
Qui fait contraire à honneur et droiture
Dont il doit estre exemplaire et lumière,
Bien loist
(vb loisir, il est permis) que Dieu du mesme le repaye,
Et que autre, après, lui fasse grief et playe,
Affin qu’il sente autruy playe première.


Découvrir d’autres ballades de Jehan Meschinot

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : en image d’en-tête vous retrouverez un détail de l’enluminure de garde du ms Français 24314 de la BnF. On y voit l’auteur affairé à l’écriture tandis que ses muses ou plutôt ses démons le visitent (langueur, fureur, courroux, peine, …)

Trois ballades pour la paix de Charles d’Orléans

Sujet  : poésie médiévale, paix, ballade médiévale, prince poète, Azincourt, guerre de cent ans.
Période   : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur  : Charles d’Orléans (1394-1465)
Manuscrit ancien  : MS français 25458
Ouvrage  : Poésies de Charles d’Orléans, d’après les manuscrits des bibliothèques du Roi et de l’Arsenal, J. Marie Guichard (1842)

Bonjour à tous,

actualité nous fournit, aujourd’hui, l’occasion de faire tribut à un prince poète talentueux du Moyen Âge tardif dont nous avons jusque là peu parlé : Charles D’Orléans. Né d’une branche royale fort instruite, élevé dans le goût des lettres, il peut nous paraître un peu paradoxal que sa vocation poétique et littéraire ait pu être sublimée par le sort, un sort qu’il provoqua, d’une certaine manière, par sa désobéissance et son courage.

Un jeune prince guerrier et impétueux

Contre la volonté du roi de France et malgré son jeune âge, le jeune Duc d’Orléans voulut, en effet, aller en découdre contre les armées anglaises, dans le nord de France et plus précisément à Azincourt. Au moment de cette bataille, il n’a que 21 ans mais il a déjà largement aiguisé ses talents de meneur d’hommes. Depuis ses quatorze ans, de nombreuses tensions l’ont, en effet, opposé aux Bourguignons et à Jean Ier de Bourgogne, dit Jean Sans Peur, assassin de son père Louis d’Orléans (le frère du roi). Ce sont même les tensions entre les deux maisons qui inclinèrent le roi de France à ordonner à Charles d’Orleans, comme à son rival bourguignon de ne pas partir, en personne, à la poursuite des armées d’un Henri V bien décidé à revendiquer le trône de France.

Hélas ! à Azincourt et malgré toute sa confiance, Charles d’Orléans se retrouva bien vite au cœur de la déroute : des milliers d’hommes restèrent sur le carreau, arrêtés par les traits des archers longs anglais. Embourbés, la chevalerie et l’ost français furent ensuite massacrés et achevés tels des bestiaux, dans une boucherie entrée en lettres de sang dans les livres d’Histoire médiévale.

On captura donc le prince qu’on découvrit blessé au milieu d’un amas de cadavres et il fut amené en Angleterre pour y rester prisonnier, durant de longues décennies. Vingt-cinq ans d’enfermement dans une prison plus dorée que celle qu’avait connu François Villon, mais vingt-cinq ans tout de même. Autant dire une vie ou presque à laquelle venait s’ajouter rien moins qu’un drame historique : le fleuron de l’Aristocratie française décimé, des dommages sans précédent sur le destin de la France et un tournant critique dans la guerre de cent ans. Le prix fut donc lourd à payer et l’impétuosité du jeune prince s’en trouva fortement refroidie.

Une œuvre entrée dans la postérité

Au sortir, ces vingt-cinq ans de captivité et d’exil permirent à Charles d’Orléans d’affuter ses talents de plume et de laisser une œuvre abondante : de nombreuses ballades, plus de cent, quelques cent-trente chansons, des complaintes et encore près de quatre cent rondeaux. Traversée par la mélancolie et l’éloignement, on trouve dans la riche poésie de Charles d’Orléans, de nombreux vers courtois, des pièces plus contemplatives, des réflexions sur le temps et les âges de la vie, mais aussi des vues sur des sujets plus politiques ou encore des appels à la paix. Ce sont ces derniers qui retiendront, aujourd’hui, notre attention.

"En regardant vers le pays de France", une ballade de Charles d'Orleans pour la Paix avec enluminure médiévale

De longues années après Azincourt et de retour à Blois, , Charles d’Orléans continua de s’entourer de fins lettrés et de gens de plume. Il organisa même des concours de poésies qui sont, eux-aussi, restés célèbres. Ainsi, le destin de ce prince propulsé, très jeune, dans la politique et l’exercice de pouvoir après le meurtre de son père, finit par s’infléchir, de manière étonnante, pour le convertir en grand homme de lettres et poète médiéval, entré largement dans la postérité.

La guerre avec les enfants des autres

Au programme de notre sélection du jour donc, trois ballades dans lesquelles Charles d’Orléans exhortait ses contemporains à la paix. A l’heure où certaines bourgeoisies de Province, de Paris ou d’Europe (politiques, technocratiques, comme journalistiques) se rêvent en nouvelle aristocratie, comme dans la fable de la grenouille et du bœuf, on semble pourtant à des lieues des réalités guerrières médiévales.

Ceux-là même qui briguent le pouvoir et les mandats et qu’on entend caqueter à longueur de journée, face caméra ou en plateau, n’ont plus guère le courage, ni le panache de ceux qu’ils prétendent singer. S’ils brillent par leur occupation du champ médiatique, sur les champs de bataille, n’en cherchez point, vous n’en verrez pas la queue d’un. La République des carriéristes et des va-t-en-guerre ne guerroie plus que par proxy, à travers ses fils ou, mieux encore, ceux des autres. Loin de la chevalerie médiévale, cette classe là envoie les enfants du peuple en découdre à sa place, et encore pour des raisons de moins en moins intelligibles.

"Du bon heur et loyal vouloir", une ballade de Charles d'Orleans pour la Paix avec enluminure médiévale

Les plaidoyers de Charles pour la paix

En ces temps troublés, il nous a donc semblé bon de nous souvenir de ce prince guerrier exalté qui siégea au cœur de la plus cuisante défaite de la guerre de cent ans et qui y contribua, peut-être même en partie, par son inexpérience et son excès de confiance 1.

S’il serait injuste autant qu’inexact de vouloir seul l’en accabler ̶ les conditions autant que l’avance de l’archerie longue anglaise surprit la chevalerie française et l’ensemble de son commandement ̶ souvenons-nous surtout que, dans ses années de maturité, Charles d’Orléans ajouta aux anthologies de la poésie du Moyen Âge tardif, ses plus beaux appels à la paix : une paix pour lui, autant que pour les autres, un paix des hommes, une paix de Dieu.

Avait-il revécu maintes fois en pensée le terrible massacre que fut Azincourt ? Avait-il ressenti, a nouveau, le souffle glacé de la vanité sur son échine et le regret de ne pas avoir laissé l’armée anglaise retournée vers Calais ? L’option s’était présentée mais, confiants de leur nombre et pressés d’en découdre, les commandants de l’armée française ne l’ont pas choisi. Quant au choc de la défaite sur le prince, les chroniqueurs racontent que la sombre tragédie d’Azincourt le fit jeuner et se tenir coi au lendemain de la bataille alors qu’Henri V ramenait sa prise royale vers ses fiefs 2. A défaut de grands exploits guerriers, il nous reste sa poésie et ses leçons de paix. Retenons-les. Elles sont plus que jamais d’actualité.

La poésie de Charles d'Orléans dans le MS 254458
deux ballades médiévales pour la paix de Charles d’Orléans dans le Ms Français 25458 de la BnF

Trois Ballades pour la Paix d’un prince en exil

Par Bon eur et Loyal vouloir

L’autre jour tenoit son conseil,
En la chambre de ma pensée,
Mon cueur, qui faisoit appareil
De deffence contre l’armée
De Fortune mal advisée,
Qui guerrier vouloit Espoir;
Se sagement n’est reboutée,
Par Bon eur et Loyal vouloir.

Il n’est chose soubz le souleil,
Qui tant doit estre désirée
Que paix; c’est le don non pareil
Dont Grace fait toujours livrée
A sa gent qu’a recommandée;
Fol est, qui ne la veult avoir,
Quant elle est offerte et donnée,
Par Bon eur et Loyal vouloir.

Pour Dieu, laissons dormir traveil,
Ce monde n’a gueres durée,
Et paine, tant qu’elle a sommeil,
Souffrons que prengne reposée:
Qui une foiz l’a esprouvée,
La doit fuyr, de son povoir,
Par tout doit estre deboutée,
Par Bon eur et Loyal vouloir.

L’ENVOY.

Dieu nous doint bonne destinée,
Et chascun face son devoir,
Ainsi ne sera redoubtée
Par Bon eur et Loyal vouloir.


De veoir France que mon cueur amer doit.

En regardant vers le pays de France,
Ung jour m’avint, à Dovre sur la mer,
Qu’il me souvint de la doulce plaisance
Que souloie ou dit pays trouver;
Si commencay de cueur à souspirer,
Combien certes que grant bien me faisoit,
De veoir France que mon cueur amer doit.

Je m’avisay que c’estoit nonsavance,
De telz souspirs dedens mon cueur garder,
Veu que je voy que la voye commence
De bonne paix, qui tous biens peut donner;
Pour ce, tournay en confort mon penser,
Mais non pourtant, mon cueur ne se lassoit
De veoir France que mon cueur amer doit.

Alors chargay, en la nef d’esperance,
Tous mes souhays en leur priant d’aler
Oultre la mer, sans faire demourance,
Et à France de me recommander;
Or nous doint Dieu bonne paix sans tarder,
Adonc auray loisir, mais qu’ainsi soit,
De veoir France que mon cueur amer doit.

L’ENVOY.

Paix est tresor qu’on ne peut trop loer,
Je hé guerre, point ne la doit prisier,
Destourbé m’a longtemps, soit tort ou droit,
De veoir France que mon cueur amer doit.


"Priez pour paix, le vray tresor de Joye", une ballade de Charles d'Orleans pour la Paix avec enluminure médiévale

Priez pour paix, le vray tresor de joye.

Priez pour paix, doulce Vierge Marie,
Royne des cieulx, et du monde maistresse,
Faictes prier, par vostre courtoisie,
Saints et sainctes, et prenez vostre adresse
Vers vostre fils, requerrant sa haultesse
Qu’il lui plaise son peuple regarder,
Que de son sang a voulu rachater,
En deboutant guerre qui tout desvoye;
De prieres ne vous vueilliez lasser,
Priez pour paix, le vray tresor de joye.

Priez, prelaz, et gens de saincte vie.
Religieux, ne dormez en peresse,
Priez, maistres, et tous suivans clergie,
Car par guerre fault que l’estude cesse;
Moustiers destruiz sont sans qu’on les redresse,
Le service de Dieu vous fault laisser,
Quant ne povez en repos demourer;
Priez si fort que briefment Dieu vous oye,
L’Eglise voult à ce vous ordonner;
Priez pour paix, le vray tresor de joye.

Priez, princes qui avez seigneurie,
Roys, ducs, contes, barons plains de noblesse,
Gentils hommes avec chevalerie,
Car meschans gens surmontent gentillesse;
En leurs mains ont toute vostre richesse,
Debatz les font en hault estat monter,
Vous le povez chascun jour veoir au cler,
Et sont riches de voz biens et monnoye,
Dont vous deussiez le peuple supporter;
Prier pour paix, le vray tresor de joye.

Priez, peuple qui souffrez tirannie,
Car voz seigneurs sont en telle foiblesse,
Qu’ilz ne pevent vous garder par maistrie,
Ne vous aider en vostre grant destresse;
Loyaux marchans, la selle si vous blesse,
Fort sur le doz chascun vous vient presser,
Et ne povez marchandise mener,
Car vous n’avez seur passage, ne voye,
Et maint peril vous convient il passer:
Priez pour paix, le vray tresor de joye.

Priez, galans joyeulx en compaignie,
Qui despendre desirez à largesse,
Guerre vous tient la bourse degarnie;
Priez, amans, qui voulez en liesse
Servir amours, car guerre, par rudesse,
Vous destourbe de voz dames hanter,
Qui mainteffoiz fait leurs voloirs torner,
Et quant tenez le bout de la courroye,
Ung estrangier si le vous vient oster;
Priez pour paix, le vray tresor de joye.

L’ENVOY.

Dieu tout puissant nous vueille conforter
Toutes choses en terre, ciel et mer,
Priez vers lui que brief en tout pourvoye,
En lui seul est de tous maulx amender;
Priez pour paix, le vray tresor de joye.


En vous souhaitant une belle journée
Frédéric Effe
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.


NOTES

NB : l’enluminure de l’image d’en-tête et de la première illustration est tirée du manuscrit médiéval MS Royal 16 F de la British Library. Outre qu’elle représente Charles captif, elle est aussi l’une des premières représentations connue de Londres (voir article sur le blog de la British Library). La seconde enluminure où l’on voit le prince en habits or et rouge provient du manuscrit  MS 187 « Statutes, Ordonnances and armorial of the Order of the Golden Fleece« . Daté de la fin du XVe siècle, ce manuscrit originaire de Hollande est actuellement conservé au Musée Fitzwilliam de Cambridge.

  1. « Dans la crainte d’une querelle intestine sur le champ de bataille, Charles VI avait demandé aux deux princes rivaux, Jean Ier de Bourgogne et Charles d’Orléans, de dépêcher un contingent d’hommes d’armes tout en leur interdisant d’être tous deux présents. Le jeune et fougueux duc d’Orléans, tout juste âgé de vingt et un an, entendait bien tenir sa place, et désobéit aux instructions royales. Et c’est en la qualité de commandant en chef qu’il se retrouva à l’avant-garde de l’ost royal à Azincourt ». La poésie d’exil de Charles d’Orléans et le désir de paix en temps de guerre, Le désir de paix dans la littérature médiévale Carole Bauguion (2023). ↩︎
  2. Vie de Charles d’Orléans (1394-1465), Pierre Champion, Paris, (1911) ↩︎

Ballade Médiévale, la Bonne Renommée plus Précieuse que l’Or

Sujet  : poésie, auteur médiéval,  moyen français, ballade médiévale, poésie morale, ballade satirique, Moyen Âge chrétien, ms Français 840, bonne renommée.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Plus que fin or vault bonne renommée»
Ouvrage  :  Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, T VII,   Marquis de Queux de Saint-Hilaire et Gaston Raynaud (1878-1903)

Bonjour à tous,

our faire écho à notre article précédent, nous revenons, aujourd’hui, sur l’importance de la bonne renommée au Moyen Âge. Centrale dans la vie de l’homme de bien, la quête du renom est d’autant plus attendue chez le prince et le puissant. Gage de valeurs morales et de probité, cette recherche de bonne renommée va au delà d’un respect à gagner en ce monde. Elle inscrit l’homme médiéval dans la postérité et même, dans certains cas, dans le salut.

Pour illustrer l’importance de ce renom et des valeurs qui lui sont attachées, nous vous proposons une ballade édifiante d’Eustache Deschamps. Comme on le verra ici, sous la plume de l’auteur champenois du XIVe siècle, la bonne renommée vaut même mieux que le plus précieux des trésors.

La ballade de Bonne Renommé d'Eustache avec une enluminure du Manuscrit médiéval NAF 18145 de la BnF symbolisant la Droiture

La Bonne Renommée selon Eustache Deschamps

Au Moyen Âge tardif, Eustache Deschamps nous a laissé une œuvre poétique et rhétorique importante. Si ce poète et fonctionnaire de cour a écrit sur tous les sujets (y compris les plus triviaux), il a aussi laissé un important legs poétique et moral sur les valeurs de son temps. Dans la ballade du jour, il nous expliquait à quel point le renom dépassait la valeur de l’or lui-même.

Conduite morale et valeurs chrétiennes contre avoirs et richesses pécuniaires, ce n’est pas la première fois qu’Eustache élève les premières au détriment des secondes. Plus que simplement déchoir l’honneur de l’homme (si puissant soit-il), il affirme même ici que sa mauvaise renommée pourrait le (faire) tuer. En contrepartie, celui qui cultive le bien et agit avec bonté et mansuétude sera aimé et reconnu de tous.

Princes comme hommes du quotidien, pour l’auteur médiéval, l’affaire est tranchée. Tout le monde est concerné : « Fasse donc bien chacun a son pouvoir » pour protéger et nourrir son renom. Il n’est pas seulement question de vie terrestre, ni même de préserver ses héritiers de l’opprobre, mais aussi de salut de l’âme.

Plus que fin or vault bonne renommée
un ballade d’Eustache Deschamps

NB : le Moyen Français d’Eustache ne présentant pas de difficultés particulières sur ce texte, nous nous contentons de vous indiquer quelques clés de vocabulaire.

Il vaudroit mieulx l’omme de faim perir,
Tant soit puissans, que mal renom avoir ;
Renoms mauvais fait tout homme haïr
Et sanz cause dommaige recevoir
Souventefoiz, mais l’en puet percevoir
Que bons renoms et sa suite est amée
En tout païs, pour ce vous fait sçavoir :
Plus que fin or vault bonne renommée.

Par couvoitier, par prandre et par tolir,
par cruauté, par autruy decepvoir,
Par mal parler, mal faire, par mentir
Puet un chascun mal renom concepvoir ;
Mais li bons cuers qui veult user du voir,
Autruy amer, avoir langue afrenée
(modérée),
Fait en tous lieux son bon nom remanoir :
Plus que fin or vault bonne renommée.

Mauvais renoms fait maint homme mourir,
Après sa mort en valent pis si hoir
(ses héritiers);
Bon renoms fait l’omme amer et cherir,
Au monde n’as si precieus avoir.
Face donc bien chascun a son pouoir,
Car par le bien sera l’ame sauvée ;
Et par le mal puet assez apparoir :
Plus que fin or vault bonne renommée.

Le Manuscrit Français 840 aux sources
de l’œuvre d’Eustache Deschamps

La ballade de bonne renommée d'Eustache Deschamps dans le Manuscrit médiéval Français 840 de la BnF
La ballade de Bonne Renommée d’Eustache Deschamps dans le Français 840 (consulter sur Gallica)

Pour qui s’intéresse à l’œuvre d’Eustache Deschamps au plus près de ses sources originelles, le Ms Français 840 reste un ouvrage incontournable. Vaste compilation de 593 feuillets, ce manuscrit médiéval, daté des débuts du XVe siècle, est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF. Vous y retrouverez, bien entendu, la ballade du jour.

Pour les transcriptions de ces poésies dans une graphie plus simple à déchiffrer, vous pourrez vous reporter aux Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, du Marquis de Queux de Saint-Hilaire et de Gaston Raynaud. Elles sont parues entre la deuxième moitié du XIXe siècle et le début du XXe mais on en trouve encore des rééditions récentes.

En vous souhaitant une belle journée
Frédéric Effe
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : l’enluminure utilisée pour notre illustration est tirée du manuscrit NAF 18145 de la BnF. Elle représente la Droiture. On y trouve entre autre ouvrage le Bréviaire des Nobles d’Alain Chartier ou encore le Secrets des Secrets du Pseudo-Aristote.

Une Ballade Satirique pour Réformer le Monde en Mieux

Sujet  : poésie, auteur médiéval,  moyen français, ballade médiévale, poésie morale, ballade satirique, Moyen Âge chrétien, français 840.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Le contraire de quanqu’om fait»
Ouvrage  :  Poésies Morales et Historiques d’Eustache Deschamps, G A Crapelet (1832) Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, T VIII,   Marquis de Queux de Saint-Hilaire et Gaston Raynaud (1878-1903)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous voguons à nouveau vers les rives du Moyen Âge tardif, en compagnie du poète Eustache Deschamps. Dans le courant du XIVe siècle, ce champenois de petite noblesse, officier de cour ayant servi plusieurs souverains, nous a laissé une œuvre poétique très prolifique.

Quelquefois légère et courtoise, d’autres fois plus descriptive et nourrie de détails précieux aux historiens, la poésie d’Eustache possède aussi souvent une dimension morale et critique avec laquelle l’auteur aiguillonne les princes, le pouvoir et le monde dont il est contemporain.

L’Œuvre d’Eustache Deschamps dans les livres

Au début du XIXe siècle, on doit à Georges Adrien Crapelet,  écrivain et imprimeur niçois, une première publication de poésies choisies de notre auteur médiéval. L’ouvrage sortit en 1832 sous le titre « Poésies Morales et Historiques d’Eustache Deschamps, écuyer, huissier d’armes des rois Charles V et Charles VI, châtelain de Fismes et Bailli de Senlis. »

L’angle de la sélection de Crapelet — la poésie critique et les ballades de Moralité d’Eustache — était plutôt habile. Elle permit d’attirer l’attention sur la richesse de l’œuvre d’Eustache, tout en fournissant un bel échantillon de sa plume acerbe. La voie était ouverte. Quelques décennies plus tard, le Marquis de Queux de Saint-Hilaire s’attela à la retranscription de l’ensemble de l’œuvre d’Eustache Deschamps.

Aux Sources manuscrites de l’œuvre d’Eustache

Le legs poétique et littéraire d’Eustache avait l’avantage d’être contenu dans un manuscrit médiéval extrêmement fourni, daté des débuts du XVe : le ms Français 840, actuellement conservé à la BnF. Toutefois, l’entreprise de Queux de Saint-Hilaire restait sérieuse. Le poète médiéval a, en effet, laissé plus de 1000 ballades auxquelles s’ajoutent encore des chants royaux, des rondeaux et autres pièces diverses. Il en résulta onze tomes bien fournis dont le dernier serait achevé par Gaston Raynaud au tout début du XXe siècle.

Pour conclure sur les parutions, on notera encore, vers le milieu du XIXe siècle les « œuvres Inédites d’Eustache Deschamps » en deux tomes, préfacées par l’historien et archéologue Prosper Tarbé. Enfin, durant le XXe et le XXIe siècle, le poète médiéval fera encore l’objet de diverses anthologies et études plus ciblées.

Ballade pour réformer le monde en mieux : la poésie d'Eustache Deschamps dans le manuscrit ms français 840 de la Bnf.
La ballade du jour dans le Ms Français 840 de la Bnf (à consulter sur Gallica)

Le Quatorzième siècle selon Eustache

Guerre de cent ans et champs de bataille, épidémies et pillages mais encore voyages, tournois, privilèges et misères de la petite noblesse de cour, déroute de l’âge,… Au long de ses soixante-ans de vie, Eustache semble avoir tout vécu mais, plus encore, il a écrit sur tout. Peu de choses ont donc échappé à sa sagacité dans cette deuxième moitié du XIVe siècle. Il en résulte une véritable mine d’informations pour les chercheurs et médiévistes.

Pour l’amateur de poésie comme de Moyen Âge tardif, l’œuvre dans son ensemble peut impressionner par sa taille. Elle peut même être, par endroits, indigeste, quand elle s’épanche un peu trop dans le quotidien des petites frustrations de son auteur ou certaines redites courtoises un peu ampoulées.

C’est sans nul doute le prix à payer pour une production de ce niveau d’abondance. La constance sur un tel volume est simplement impossible. En contrepartie, on peut y butiner et la feuilleter en compagnie de son auteur. La poésie d’Eustache sait se montrer incisive, touchant au but pour nous parler à travers les âges. On appréciera aussi l’intégrité de l’homme, son franc- parler et son humour. On découvrira enfin quelques recettes désuètes contre l’épidémie de peste ou d’autres plus actuelles contre les maux de cour et les abus de pouvoir. Pour le reste, on laissera aux chercheurs le soin de la classifier de manière plus méthodique et thématique. Ils ne s’en privent d’ailleurs pas.

La poésie médiévale satirique d'Eustache illustrée avec une enluminure des Chroniques des Empereurs de David Aubert (Bibliothèque de l'Arsenal Ms-5089)

La Recette du Meilleur des Mondes

La ballade médiévale du jour appartient au registre de la poésie morale d’Eustache. On la trouvait déjà chez Crapelet et elle est présente dans le Tome VIII des œuvres complètes du Marquis et de Gaston Raynaud. Caustique et grinçante, Eustache s’y adonne à l’un de ces contrepieds humoristiques dont il est friand. Rêvez-vous d’un monde meilleur ? Rien de plus simple ! Il suffit de faire exactement le contraire de tout ce que l’on fait.

Guerre, mortalité, injustice, absence de morale et de droiture, fausseté, tous les travers des contemporains du poète y passent. Point culminant de cette déroute et de ces valeurs en perdition, l’Eglise catholique et son schisme du temps des deux papes en prendra aussi pour son grade. Ce fait a le mérite de nous renseigner sur la date de rédaction de cette ballade. Elle est forcément postérieure à 1378, date de l’élection des deux papes, un qui siégeait à Rome et l’autre qui s’installa en Avignon.


Ballade pour réformer le monde en mieulx

Voulez-vous apprandre comment
Ce monde sera réformé,
Et que tout yra autrement,
Et mieux qu’il n’a long temps alé ;
Lors ne serons plus ravalé
(rabaissé) ;
Ne n’arons l’indignacion
De Dieu, ne la pugnicion,
Guerre, mortalité ne plait :
Faisons donc en conclusion
Le contraire de quanqu’om fait.

Et que fait-on présentement ?
Tous maulx, toute crudelité
(cruauté) ;
On rapine, on parjure, on ment ;
L’un à l’autre fait fausseté,
En faingnant signe d’amisté.
Tout regne est en division,
Justice fault
(de faillir), loy et raison,
Quant l’en ne pugnit nul meffait.
Faites donc en conclusion
Le contraire de quanqu’om fait.

Quel scisme a il trop longuement
En l’Eglise, c’est grant pité,
Par le mauvais gouvernement
Des suppos qui ont tous gasté !
L’un a vendu, l’autre achaté,
Les biens Dieu ; quel vendicion
(vente) !
L’orgueil de tous, l’élacion
(orgueil, exhaltation de soi-même),
Trop d’estas nous gastent ce fait.
Faisons donc en conclusion
Le contraire de quanqu’om fait.

Envoy

Prince, je tien certainement
Que paix et bon entendement
Revendront partout à souhait ;
Mais que l’en face promptement
De bon cuer, continuelment,
Le contraire de quanqu’om fait.


En vous souhaitant une belle journée
Fred
Pour moyenagepassion.com
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NB : l’enluminure utilisée pour notre illustration est tirée des « Chroniques abrégées, ou livre traitant en brief des empereurs » (ou Chronique des Empereurs ) de David Aubert. Ce superbe manuscrit médiéval du XVe siècle provient originellement de la Bibliothèque des ducs de Bourgogne. Il est conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal sous la référence Ms-5089.