Sujet : dizain, poésies courtes, ouvrage ancien. poésie satirique, humour médiéval, épigrammes, grivoiseries, poésie de cour. Période : moyen-âge tardif, renaissance, XVIe Auteurs : Mellin de Sainct-Gelays ou Melin Saint- Gelais (1491-1558) Titre : Oeuvres poétique de Mellin S. Gelais, 1719 sur l’édition de 1574
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous partons à nouveau à la découverte de la poésie de cour du XVIe, qui est encore considéré par nombre d’historiens comme le siècle de la transition vers la renaissance. A cette occasion, nous revenons sur le poète Melin Saint-Gelais en vous donnant sur lui des éléments de biographie mais en partageant aussi quelques unes de ses pièces entre humour et poésie courtes.
Un charlatan disait en plein marché Qu’il montrerait le diable à tout le monde ; Si n’y eût nul, tant fût-il empêché, Qui ne courût pour voir l’esprit immonde. Lors une bourse assez large et profonde Il leur déploie, et leur dit : Gens de bien, Ouvrez vos yeux ! Voyez ! Y a-t-il rien ? – Non, dit quelqu’un des plus près regardants. – Et c’est, dit-il, le diable, oyez-vous bien ? Ouvrir sa bourse et ne voir rien dedans.
Folie, Melin Saint-Gelais (1574)
atif d’Angoulème, issu de famille noble, fils peut-être ou même neveu, pense-t-on, sans en avoir la certitude du rhétoriqueur Octavien de Saint-Gelais, évêque d’Angoulême, Melin Saint-Gelaisa bénéficié dans sa jeunesse, d’une solide éducation littéraire acquise, semble-t-il, à Potiers mais aussi à Bologne et à Padoue, au coeur de l’Italie renaissante. C’est d’ailleurs là où il put acquérir la maîtrise de la langue italienne. Plus tard, aumônier du dauphin, puis bibliothécaire du roi François Ier, il fut un des favoris à la cour. Encore plus loin dans le temps et suivant sa carrière religieuse, il se fit abbé et fut aussi clerc du diocèse d’Angoulême. A sa mort, en 1558, à Paris, il était encore dans les ordres.
Joueur de Luth, chanteur et poète de cour, contemporain et peut-être même un peu rival tout en étant ami de Clément Marot, l’histoire littéraire n’a pourtant pas retenu Melin Saint-Gelais autant qu’elle le fit de son illustre homologue, même si on s’entend bien, en général, sur le fait que sa renommée auprès de ses contemporains, n’avait rien à envier à celle de Marot, au moins de son vivant.
Tu te plains, ami, grandement , Qu’en mes vers j’ay loüé Clement, Et que je n’ay rien dit de toy. Comment veux tu que je m’amuse A louer ny toy, ny ta muse ? Tu le fais cent fois mieux que moy.
A un importum, Melin Saint-Gelais (1574)
uelques furent les détours pris par l’Histoire ou la postérité, pour juger de sa poésie, Melin Saint-Gelais fut, s’il faut le comparer à Clément Marot, pratiquement oublié et il ne resta bientôt plus, pour se souvenir de lui que la querelle qui l’opposa à Ronsard et à la Pléiade.
A une période où la poésie était perçue comme un enjeu de survie à la cour puisque les places s’y trouvaient comptées, les rivalités ne se voilaient qu’à peine. Les auteurs de la pléiade naissante ne cachaient alors pas leur ambition de faire table rase du passé médiéval, mais aussi du plus immédiat et, avec lui, d’une certaine poésie de cour légère, telle que la pratiquait justement Clément Marot ou Saint-Gelais. Il était question de renouer avec l’Antiquité et de porter le français plus haut dans des envolées qui, dans l’ensemble, semblaient peu souffrir l’usage que certains faisaient alors de l’humour, de la légèreté et même de la satire; en bref, la poésie et son usage devaient être une affaire hautement sérieuse.
Dans ce contexte, pas totalement exempt de rivalités et d’enjeux, Saint-Gelais s’était gaussé à la cour des écrits de Ronsard, en lisant des passages de ce dernier à voix haute et sur un ton pompeux, faisant même rire le roi avec ses facéties. Bien que le conflit fut atermoyé avec l’intéressé, plus tard, les auteurs de la Pléiade poursuivirent Saint-Gelais encore de leur diatribe, et cet épisode aura finalement plus survécu au temps que l’oeuvre poétique du poète d’Angoulême.
O Luth, plus estimé present Que chose que j’aye à present, Luth de l’honneste lieu venu Où mon coeur est pris & tenu : Luth qui respons à mes pensées Si tost qu’elles sont commencées : Luth que j’ay faićt assez de nuits Juge & tesmoin de mes ennuis, Ne pouvant voir au près de moy Celle qui t’eust au près de soy. Je te suppli’ fay moy entendre Comme touchant à la main tendre Ton bois s’est garenti du feu* , Qui si bien esprendre ma seu : Et s’il se pourroit bien esteindre Par souvent chanter, & me plaindre: Que pleust à dieu, Luth, que ta voix Peust aller où de-coeur je vois, Tant que mon torment bien oui En peust rapporter un ouy : Lors tu me serois plus de grace , Qu’onc n’en fist la harpe de Thraces Qui faisoit les montaignes suyvre : Car tu ferois un mort revivre.
D’un Luth, Melin Saint-Gelais
* Ton bois qui s’est préservé du feu
our le reste, Melin de Saint-Gelaisse situe bien souvent dans cette poésie légère de cour qui, dans les débuts de la renaissance et dans le courant de ce XVIe siècle, pratique, dans sa recherche du bon mot et de la bonne chute, une satire et un humour qui s’épanchent quelquefois sans complexe du côté des grivoiseries.
Et s’il ne serait sans doute pas justice de ne retenir du poète renaissant que l’humour incisif et les épigrammes ou dizains « badins » ou grivois, il faut avouer que ce sont des pièces dans lesquelles il excelle. On en retrouvera certaines dans la Fleur de Poésie Françoyse mais pour mieux découvrir l’ensemble de son legs, on pourra encore valablement consulter la réédition de ses oeuvres poétiques datant de 1719 sur une édition originale datant de 1574. Tout n’y est pas parfaitement lisible et la digitalisation souffre de quelques imperfections mais c’est, en tout cas, l’ouvrage dont nous avons extrait les poésies présentes au fil de cet article.
Un jour que Madame dormoit Monsieur bransloit sa chambriere Et elle qui la danse aymoit Remuoit bien fort le derriere : Enfin la garce toute fierre, Luy dist Monsieur par votre foy Qui le fait mieux, Madame, ou moy ? C’est toy ( dist-il) sans contredit. – Sainct Jean (dit-elle), je le croy, Car tout le monde me le dit.
Dixain, Melin Saint-Gelais (1574)
Ajoutons avant d’en conclure sur Melin Saint-Gelais, qu’au titre de son héritage plus sérieux, on lui prête encore d’avoir importé à la cour française l’art du sonnet italien dont François Pétrarque s’était fait quelques siècles auparavant, un illustre représentant.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. »Publilius Syrus Ier s. av. J.-C.
Sujet : poésie ancienne, huitains, poésies courtes, épigrammes, ouvrage ancien. Période : moyen-âge tardif, début renaissance Auteurs : collectif (édition originale de 1542) Titre : La fleur de poésie Françoyse, annoté par A Van BEVER, 1909
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous postons un quatrain issu de l’ouvrage la fleur de poésie françoyse. Nous sommes à la toute fin du moyen-âge dans un siècle de transition qui est aussi celui de l’aube de la renaissance et comme toutes les épigrammes et poésies courtes de ce petit recueil du milieu du XVIe siècle, ces vers ne sont pas signés et sont demeurés anonymes. Sont-ils de Melin de Sainct Gelays, de Clément Marot ? Difficile de l’affirmer. Peut-être sont-ils plutôt d’un de leurs « disciples » ?
Nous l’avons dit dans nos articles précédents sur le sujet, dans le courant du XVIe siècle, cette poésie de cour légère qui se tourne vers le mot d’esprit et le divertissement plait et trouve ses émules.
« Je suis à moy et à moy me tiendray, Aultre que moy n’aura sur moy puissance, Tout à part moy joyeulx me maintiendray, Sans que de moy aulcun ayt jouissance. »
Quatrain. Anonyme – XVe, XVIe siècle La Fleur de poésie françoyse (1542)
esitué dans le contexte général de l’ouvrage, qui, plus que tout autre thème, chante les peines, les joies et les déboires d’amour sous toutes leurs formes, y compris les plus grivoises, ce quatrain qui nous conte la liberté d’une indépendance retrouvée, se réfère sans doute plus à la fin d’une histoire de coeur qu’à l’affranchissement de toute forme de pouvoir, au sens large.
Dommage ! Ainsi isolés, ces quatre vers pourraient presque prendre ce sens plus profond et philosophique d’une liberté que rien, ni personne ne saurait contraindre ou soumettre. Cela serait étonnant pour l’époque et même presque jusqu’à aujourd’hui, et, il faut bien l’avouer, ne serait pas tout à fait pour nous déplaire, mais il semble qu’ils faillent plutôt les restreindre au registre amoureux. Même ainsi cela dit, ils conservent une puissance indéniable et une belle force libératoire.
Sujet : poésies courtes, épigrammes, école marotique, ouvrage ancien, humour, grivoiseries, gauloiserie, Clément MAROT. Période : hiver du moyen-âge, renaissance Auteurs : collectif (1575, puis 1595) Titre : La récréation et passe temps des tristes, recueil d’épigrammes et de petits contes en vers (1862)
« Gardez bien de toucher ce livre (Mesdames) il parle d’amour : C’est aux hommes que je le livre Que l’on tient plus constants toujours Laissez-le aller vers eux son cours A eux et non à vous est dû Mais vous le lirez nuit et jour Puisque je vous l’ai défendu » La récréation et passe temps des tristes
Bonjour à tous (et à toutes!),
i vous nous suivez régulièrement, vous savez combien nous apprécions ici la poésie de Clément MAROT et plus particulièrement ses pièces courtes, pleines d’esprit, d’humour et de causticité.
Dans la lignée de l’école marotique qui faisait des adeptes dans le courant du XVIe siècle, nous vous parlions, dans un article précédent, d’un petit ouvrage « collectif » de 1542 : la fleur de poésie françoyse. Souvent compulsés à l’initiative des imprimeurs, ces carnets de poésie rassemblaient, pour l’essentiel, des formes courtes et des épigrammes et se souciaient peu des auteurs (qu’ils ne citaient, souvent, pas). Il y était d’abord question de « récréation » et, finalement, d’une poésie « légère » dont l’unique ambition était d’être un « remède » à l’ennui autant qu’une invitation au divertissement et à l’humour.
Aujourd’hui, nous vous présentons un autre ouvrage de la même veine. Son titre est éloquent et en résume tout entier l’objectif : « LA RECREATION ET PASSETEMPS DES TRISTES, Traictant de choses plaisantes et récréatives touchant l’amour et les dames, pour resjouir toutes personnes mélancholiques ». Nous émaillons aussi cet article de quelques extraits choisis pour vous permettre de vous en faire une idée.
Autre d’un amoureux voulant mener jouer s’amie
« Allons aux champs sur la verdure, Passer le temps joyeusement Cependant que le beau temps dure, Il n’est que vivre plaisamment Allons y donc hastivement Allons chanter, gaudir et rire, Mieux faut s’esbatre gayement Q’employer sa langue à mesdire » La récréation et passetemps des tristes
Dans une première réédition du XVIIIe, ces « récréations » avaient été attribuées au poète Guillaume des Autels, mais l’éditeur de 1862 sur laquelle nous nous basons ici venait contredire ce fait. L’ouvrage se situe, en effet, dans la filiation de l’école marotique et certaines de ses pièces ne peuvent même appartenir qu’à Clément MAROT,Mellin SAINT-GELAIS et encore d’autres auteurs qui s’inscrivaient sous l’influence du poète originaire de Cahors pour exercer leur verve et leur esprit.
Il y a, dans ce petit manuel qui a traversé presque cinq siècles, quelques pièces sérieuses qui flirtent avec l’amour courtois, mais il contient surtout d’autres épigrammes largement plus grivois et osés. Au bout du compte, on y trouve bien plus de gauloiseries que dans la fleur de poésie françoyse, même si l’ouvrage reprend quelques pièces qui s’y trouvaient présentes, ainsi que d’autres poésies en provenance d’autres « carnets » de poésie du même type et qui datent tous du XVIe siècle. Comme sa courte préface en vers l’indique, cette récréation et passetemps des tristes a pour thème de prédilection les choses de l’amour. Les « dames » y sont visées par endroits avec un humour souvent plus potache que satirique, mais elles ne sont pas les seules dans la ligne de mire. Maris et amants, bon ou mauvais, y passent aussi et d’autres sujets y sont abordés. On trouve encore quelques jolies perles poétiques « inclassables ».
Du loquet de l’huis de s’amie
« N’a pas longtemps fut faite une dispute Sur instrumens, et faict de la musique. Les uns loüoyent le hautbois ou la fluste, D’autres le luth, comme chose angéliques : Lors un d’entr’eux, le moins mélancolique Leur dit : Messieurs, voulez-vous que je die, Quel instrument a plus de mélodie, C’est à mon gré, le loquet d’une porte : Car quand il faut que la mignonne sorte De bon matin, ferme l’huis doucement : L’oyant sortir, le mignon se conforte Est-il au monde un plus doux instrument ? » La récréation et passetemps des tristes
Si l’on devait y mettre un peu de subjectivité, (pour ce que cela vaut, c’est à dire pas grand chose), nous pourrions avancer que toutes les poésies que l’on trouve dans cette Récréation et Passetemps des Tristesn’ont pas l’élégance, ni la grâce de la poésie d’un MAROT, même si elles tentent d’en emprunter les formes. A n’en pas douter, il y a ici, certains émules moins talentueux que lui, qui s’essayent à son genre ce qui, cela s’entend, ne diminue pas pour autant l’intérêt de l’ouvrage pour qui s’interroge sur l’Histoire de la langue française et de sa poésie, mais encore de son humour.
Ajoutons encore que la deuxième édition de 1595, qui sert de base au livre présenté ici, a été censurée de certaines pièces dont les moines et l’Eglise faisaient les frais et dont l’imprimeur de 1862 nous indique dans sa préface, de manière toute directe, « qu’elles sentaient l’hérésie ».La satire s’y trouve donc quelque peu patinée. De fait les grivoiseries, même si on ne peut résumer uniquement l’ouvrage à cela non plus, y prennent largement le pas.
A une glorieuse tenant sa gravité par trop grande
« Vous estes belle en bonne foy Ceux qui dient que non, sont bestes, Vous estes riche, je le voy, Qu’est-il besoin d’en faire enquestes? Vous estes bien des plus honnestes, Et qui le nie est bien rebelle : Mais quand vous vous loüez, vous n’estes, Honneste, ne riche, ne belle. » La récréation et passetemps des tristes
Du point de vue du contexte historique, au moment de l’impression de cet ouvrage, les temps sont déjà ceux de la pléiade et de ses poètes qui, dans une ambition tout académique, chercheront à élever la langue française tout autant qu’à l’enrichir. Soucieux de trancher d’avec la poésie médiévale, leurs recherches et leur ambition déclarée se tiendront alors bien loin des formes de cette poésie marotique légère et de sa frivolité. Avec la réédition 1595 de l’original de 1575, Nous sommes déjà près d’un demi-siècle après la mort de MAROT. Son oeuvre sera bientôt reléguée aux archives et il faudra pratiquement attendre le XVIIIe siècle pour qu’il soit redécouvert.
Epigrammes et école marotique : une poésie et des formes qui plaisent à la cour
Au XVIe, cette poésie marotique est applaudie et appréciée à la cour pour son esprit. Badine, elle s’épanche en rimes vives et incisives qui semblent tout vouloir sacrifier à la grâce du bon mot et à son élégance, et qui peuvent aller, comme ici, jusqu’à la grivoiserie ou même la gauloiserie.
Et quand d’impertinente et caustique, elle devient nominative et plus directe-ment assassine, on pourrait presque être tenté déjà, à quelques formes près, d’y voir préfigurer les jeux de cour cruels d’un Versailles décadent comme ceux dont Patrice LECONTE nous faisait le tableau dans son film « Ridicule ». Quelques siècles avant sa cour de Louis XVI, on entrevoit alors déjà dans cet « esprit » et ses « bons mots » quelquefois tranchants de MAROT, la verve du perfide abbé VILECOURT (l’excellent et regretté Bernard GIRAUDEAU) et sa bouche en O, pour être tombé en disgrâce pour un vers de trop.
D’un Vieil Amoureux
« Je suis amant en l’extresme saison, Pres de ma mort, je chante comme un cigne, En attendant d’icelle guarison Que mon blanc chef prendra pour mauvais signe La rose, et lis, neige, la lune insigne Et le jour ont telle couleur eslite. Doncques, Amour, mes armes je ne quitte Ains bon espoir j’ay en ma dame seulle, Vieillard je suis mais grand flamme m’incite Car le bois sec plus que tout autre brusle. » La récréation et passetemps des tristes
Favori un jour, exilé ou miséreux le suivant. Dans les méandres des jeux d’influences nobiliaires et les couloirs froids des châteaux, comme ailleurs, on sait que le verbe peut tuer. Sous ces nouveaux dehors légers et moqueurs que Marot, comme Mellin Saint-Gelais pratiquaient si bien, sont-ils, ces jeux de cour, les mêmes que ce dont Eustache Deschampsnous contait déjà les travers? L’ombre de Rutebeuf et de sa paix planent encore ici sur le poète de cour, médiéval ou renaissant, dépendant de son « protecteur », de ses grâces comme de ses largesses. Le drôle doit être transgressif par nature mais la ligne est fine de la moquerie, à l’impertinence, de la satire à « l’hérésie », et l’on s’y brûle quelquefois. On se souvient des combats meurtriers de plume du temps du poète de Cahors, et, plus tard encore de ses successeurs à la cour : Mellin SAINT-GELAIS moquant la pédanterie de Ronsard et ce dernier préférant, semble-t-il, « marcher » sur la tête d’un Marot plutôt que se jucher sur ses épaules. Pour la postérité du français renaissant, il bâtira, en partie sur le terreau de son dédain, d’autres projets pour la poésie et pour la langue.
Flaubert écrira quelques siècles plus tard « Le mauvais goût du temps de RONSARD, c’était MAROT« . Si le public du XVIe siècle goûte suffisamment ces formes poétiques qui se complaisent dans la frivolité ou la « récréation », pour qu’on imprime des manuels à son usage, elles ne rallieront pas, loin de là, tous ceux qui s’exercent à l’art de la rime durant ce même siècle, Ronsard en tête.
Un amant est toujours honteux
« Amour un jour desbanda les deux yeux, Pour contempler ses serviteurs fidèles, Si m’aperceut pensif et soucieux Sans dire mot entre deux damoiselles. Lors promptement il esbranla les aisles, Et vint vers moy, en me disant ainsi : O pauvre amant que fais-tu tan icy. Que ta chaleurs n’est point encore esteinte ? Je lui responds en lui criant mercy Qu’un vray amant n’est point sans honte ou crainte. » La récréation et passetemps des tristes
Les formes courtes de l’école Marotique et
Les « agréables riens » de la poésie du XVIe
Au cours de cet hiver du moyen-âge, dans cette longue aventure humaine de l’art poétique français et au delà de ses apports stylistiques, on sent bien que la forme marotique des XVe, XVIe siècles porte en elle les germes d’une nouveauté. Les racines encore plantées dans le monde médiéval et la tête déjà renaissante, ces thèmes ne sont pourtant pas si nouveaux : l’amour peut y être courtois, la belle Margot et avec elle la pastourelle et ses attraits rupestres y sont encensés (ou moqués), mais on y trouve encore les jeux adultérins, grivois ou transgressifs dont se régalait déjà un certain moyen-âge ou ces odes au buveur qui pourraient être goliardiques si elles étaient encore latines. Bien sûr, les religieux de peu de morale et autres frères « Frappart » que l’on moque y ont aussi leur place. Dans cet héritage thématique « moyenâgeux », cette poésie goûte encore l’usage de quelques vieux mots et quelques archaïsmes que MAROT affectionnait, qu’il remit au goût du jour et qui donne un tour si particulier à ses vers.
D’un Avocat et de sa Femme
« Un avocat dict à sa femme Sus mamie, que jouerons-nous? Si je gaigne ( ce dict la Dame) Vous me le ferez quatre coups : Quatre coups ? c’est couché trop gros, Comment seroit jeu sans pitié. Non, non maistre, tenez-les tous, (Dict le clerc) J’en suis de moitié. » La récréation et passetemps des tristes
A l’évidence, sur sa « modernité » renaissante, les codes de son humour, de ses « badineries » ou de sa satire sont déjà plus directement « saisissables » par nous que ne le sont ceux des fabliaux des XIIe et XIIIe siècles. Et tout cela n’est pas qu’affaire de meilleure compréhension entre le vocabulaire du « français moyen » renaissant et celui d’un Oil balbutiant. Cette poésie marotique n’a plus la Rudesse ou la lourdeur du Boeuf, pas d’avantage que la nature souvent absconse des proverbes aux vilains. La langue a changé mais les codes de l’humour aussi.
Pour le reste, si cette poésie, avec son goût pour l’épigramme, renoue avec les formes classiques des grecs du IVe siècle avant notre ère ou encore celles d’un MARTIAL, le tour qu’elle lui donne est plus résolument satirique ou « spirituel ». Il y souffle un esprit léger et frais et elle cherche, dans le cadre étroit et contraint des formes courtes, à affûter la pointe de sa plume. De fait, c’est aussi une école de précision (les rhétoriciens et leurs jeux de mot comme les pratiquaient le père de MAROT ont peut-être été de quelque influence sur ce fils prodigue). Et même si elle cède par instants aux gauloiseries (on la dira même immorale), quand de grivoise, elle deviendrait presque graveleuse, sa recherche d’élégance et de justesse dans le verbe vient à la rescousse de ses rimes comme un dernier rempart dressé : on peut bien être impertinent, pourvu que l’on est de l’esprit.
D’un bon biberon
« Blanc et clairet sont les couleurs De ce bon vin que j’ayme fort, Dont souffriray maintes douleurs Si de luy n’ay souvent confort. D’en user, bien fay mon effort, Pour en avoir meilleure grace, Si je n’en boy, me voila mort, Car de boire eau, je me pourchasse. » La récréation et passetemps des tristes
Alors, élégance stylistique « renaissante », émergence d’un esprit nouveau, d’une définition nouvelle du bon mot ? Sommes-nous ici face aux signes d’un rapport à la langue en mutation ou simplement face à un esprit original dont certains feront, bien plus tard, l’annonciateur d’un Voltaire, d’un Jean de La Fontaine ou même encore d’un Musset ? (voir Pierre JOURDA – MAROT – Universalis). Quoiqu’il en soit, après Marot, l’épigramme restera une arme de choix dans la besace des poètes et des auteurs, au service de leurs règlements de comptes.
Ayant dit tout cela, il faut encore ajouter que Marot ne saurait se résumer à ses épigrammes pas d’avantage qu’à son impertinence ou ses traits assassins. Il a aussi contribué par ses poésies à la littérature religieuse, a légué de beaux vers sur des thèmes plus profonds et fut encore traducteur de nombreuses œuvres classiques.
D’une Dame aisée à courroucer
« M’amie et moy apres joyeux esbats, Nous courrouçons si tressoudainement Et reprenons apres noise et debats, Soudaine paix, et doux esbatement, Que je crains plus ses beaux yeux doucement Tournez vers moy, et ses ris gracieux, Que ses sourcils et regards furieux : Car j’ay espoir de joye et paix nouvelle Apres courroux, apres esbats joyeux Je crains toujours une guerre mortelle. » La récréation et passetemps des tristes
En vous souhaitant une très belle journée
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes