Sujet : poésie médiévale, poésie satirique Période : moyen-âge tardif, XVe siècle Auteur : François Villon (1431-1463) Titre : « Lays, au retour »
Bonjour à tous,
‘est après sa sortie de la prison du château de Meung-sur-Loire, où l’évêque d’Orléans Thibault d’Aussigny l’avait fait emprisonner que François Villon écrira ce LAYS et son œuvre majeure, le testament.
Le doute subsiste encore sur les motifs de cet emprisonnement qui n’est pas le premier dans la vie du turbulent poète, sans doute de menus larcins à la faveur d’une passe où il se trouvait sans le sou, ce qui lui est arrivé également plus d’une fois. Incarcéré durant l’été 1461, François Villon en sortira quelques mois après en octobre, gracié par le roi Louis XI qui venait d’être investi de la couronne, à la suite du décès de son père Charles VII et qui faisait alors le tour de son royaume.
Le poète gardera encore longtemps les traces de cet emprisonnement où on lui fit subir des sévices, dont le terrible supplice de l’eau qui consistait à forcer le prisonnier à ingurgiter de l’eau en quantité. Il évoquera cette torture dans un autre texte, l’épître en forme de ballade à ses amis : « En ses boyaux verse eau à gros bouillon ». Vient-il hanter parfois de son air goguenard, les geôles du château lui qui a triomphé des siècles pour s’inscrire dans l’Histoire?
Les cachots du château de Meung dont je suppose,sans pouvoir l’affirmer, qu’ils sont d’époque et ont connu Villon
Peu de temps après les faits, se retrouvant encore mêlé à une rixe dans laquelle un de ses amis blessera à coup de couteau le notaire pontifical François Ferrebouc, François Villon sera de nouveau arrêté et cette fois-ci condamné à être pendu. Il fera appel de la décision et sera finalement condamné à dix ans de bannissement. Il sortira de nouveau de prison en 1463 et disparaîtra à jamais sans qu’on ait jamais su s’il avait été assassiné par l’une de ses mauvaises fréquentations ou par un quelconque de ses ennemis, ou s’il était allé chercher ailleurs et en province une seconde vie. Il avait alors 32 ans et emportait avec lui son mystère, ne nous laissant pour legs que sa grande poésie.
Les paroles du Lay de François Villon.
« Au retour de dure prison, Où j’ay laissé presque la vie, Se Fortune a sur moy envie, Jugez s’elle fait mesprison! Il me semble que, par raison, Elle deust bien estre assouvie, Au retour.
Cecy plain est de desraison, Qui vueille que de tout desvie; Plaise à Dieu que l’ame ravie En soit, lassus, en sa maison, Au retour ! »
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
Sujet : poésie médiévale, poésie satirique Auteur : Eustache Deschamps, dit Morel (1340-1405) Période : Moyen Âge central, XIVe siècle Titre : Mieux vault honeur que honteuse richesce.
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous avons le plaisir de vous présenter Eustache Morel dit Eustache Deschamps, un autre grand poète du Moyen Âge: Enfant du XIVe siècle, témoin de son temps, on l’inscrit volontiers dans la lignée de l’archipoète, de la poésie goliardique ou de Rutebeuf, et de la poésie sociale et satirique des XIIe, XIIIe siècle. On verra même, quelquefois, dans son œuvre et à travers ses réflexions ironiques ou morales sur les événements qu’il traverse, l’annonce de l’œuvre de François Villon et même encore de Charles d’Orléans.
Quand on se penche un peu sur la biographie de ce poète médiéval, on semble loin, pourtant, de la marginalité des clercs goliards, de la misère sociale du jongleur Rutebeuf, ou même encore, des frasques et des déboires judiciaires de François Villon. Durant la majeure partie de sa vie, Eustache Deschamps sera un « petit officier de la cour royale », comme nous le désigne Daniel POIRION (dans son article sur la poésie lyrique sur universalis), et restera proche du pouvoir qu’il représente ou qu’il défend.
Successivement écuyer, messager royal (chevaucheur) et huissier d’armes affecté à la garde du roi Charles V (portrait ci-contre), il sera même, à l’automne de sa vie et sous le règne de Louis d’Orléans, nommé trésorier du fait de justice. Résolument attaché à la cour des rois, avec des positions variables en fonction des souverains au pouvoir, Eustache Deschamps côtoiera également Guillaume de Machaut, clerc, trouvère et poète qui aura une grande influence sur la codification des formes poétiques et musicales de son temps, voie dans laquelle, pour la poésie au moins, Eustache le suivra, se réclamant même de son influence.
L’art de la poésie chez Eustache Deschamps:
une musique naturelle et innée
Ce poète médiéval prolifique nous a laissé plus de mille cinq cent poèmes dont près de mille ballades, mais aussi des fables et 82 000 pieds de vers pour approcher le Moyen Âge central et le XIVe siècle finissant.
Il marquera sa différence avec les auteurs qui l’entourent de deux manières. D’une part, il entend approcher résolument la poésie dans sa musicalité propre et l’affranchir ainsi du chant et de la musique: la poésie possède un musique naturelle propre, opposée à la musique qui a un musicalité écrite et artificielle. Cette dernière est apprise, l’autre est innée et on la possède ou non. Dans son approche rhétorique et dans son ouvrage « Art de Dictier » (1392-1393), Eustache Deschamps contribuera encore à codifier les règles de l’écriture poétique en langue vernaculaire. A la différence des Goliards qui prisaient le latin, il fera partie de ces clercs qui veulent mettre à la portée de tous la poésie et la langue française de son temps.
D’autre part, là où l’amour courtois et les petits malheurs (ou les grands drames) qu’il occasionne chez ses contemporains semble leur fournir d’inlassables prétextes à l’écriture autant que, hélas, en épuiser l’exercice, Eustache Deschamps s’y soustraira dans quelques-uns de ses poèmes, mais s’en affranchira aussi totalement dans la grande majorité des autres. Ainsi, il laissera en héritage, des textes plus volontiers tournées vers l’observation de son temps où la critique et la satire l’emportent.
Mieux vaut honneur que honteuse richesse,
Eustache Deschamps, Ballade du XIVe
Nous vous présentons aujourd’hui un très beau texte de cet auteur du XIVe siècle qui, même s’il nous vient du monde médiéval, fait souffler un vent salutaire sur certaines valeurs dévoyées de notre monde moderne. « L’argent n’a pas d’odeur », dit-on ? Et bien, nous aurons ici,avec Eustache Deschamps, l’outrecuidance de prétendre le contraire .
Qui puet vivre de son loial labour, De l’art qu’il a, ou de sa revenue Sans excéder, il vit a grand honour, Car sa vie est de tous bonne tenue, Puis qu’il ne toult (vole), qu’il ne ravit ou tue Et que tousjours a loyaulté s’adresce, N’acquierre jà chevance malostrue* : Mieulx vault honeur que honteuse richesce.
(* ne gagne rien de façon malhonnête)
Car riches faulx n’a fors que deslionour, En un moment est sa terre perdue, Et ses péchiez fait muer sa coulour. Que l’en perçoit (en voyant) sa grant desconvenue ; Il n’ose aler teste levée et nue Pour son meffait, ainz vers terre s’apresse, Mas (Mat) et honteus comme une beste mue: Mieulz vault honnour que honteuse richesce.
Car puis qu’uns homs ara fait un faulx tour, Monstrez sera au doit parmi la rue ; Et lors ne fait que quérir un destour Pour lui mucier, car son pechié l’argue** Povres loyaulx lient son chief vers la nue Homme ne craint, car honte ne le blesce. Geste chose soit de tous retenue : Mieulz vault honeur que honteuse richesse.
(** Pour se cacher, car son péché l’accuse)
Envoi
Princes, prodoms puet de nuit et de jour Aler partout. Sa teste lieve et dresce. Mais desloiaulx ne quiert que tenebrour : Mieulx vault honour que [honteuse] richesce.
Une très belle journée à tous me amis, que la joie accompagne chacun de vos pas.
Fred
Pour moyenagepassion.com « A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »
Sujet : François villon, poéte médiéval, poésie médiévale, résonances poétiques. Titre : la prière, hommage à Villon Auteur : Bulat Okudžava (ci-contre) (1924-1997) Interprète : Eugenio Finardi
Bonjour à tous,
ul n’est prophète en son pays, nous dit une paraphrase de l’évangile, et pour y faire écho, il semble que François Villon ait été longtemps plus connu ou prisé en Angleterre, en Russie, et hors des frontières de la France que dans notre propre pays. Certes, Brassens et d’autres artistes ont depuis ouvert la voie, et c’est heureux car l’héritage poétique de François Villon est unique et mérite grandement qu’on le reconnaisse à sa juste valeur.
Du même coup, nous publions aujourd’hui une autre version de la « prière de François Villon » que le poète et chanteur Boulat Okoudjava, souvent appelé le « Brassens » Russe, avait dédié en 1963 à notre beau poète médiéval. Ce n’est donc pas un texte de Villon mais un bel hommage rendu à sa poésie, à son parcours et surement encore à la prière qu’il adresse à tous les hommes dans la ballade de pendus. C’est cette fois le chanteur milanais Eugenio Finardi (en photo ici) qui l’adapte de belle manière. Pour ceux qui ne parlent pas l’italien, je pense que l’émotion passera tout de même, d’autant que l’Art graphique que présente cette vidéo est un pur joyau. En bref, il n’en fallait pas plus pour que cette version trouve sa place ici.
Les paroles de la prière en français
Tant que la terre tourne encore, tant que le jour a de l’éclat, Seigneur, donne à chacun de nous ce qu’il n’a pas : Donne au sage une tête, un cheval au peureux, Donne à l’homme heureux de l’argent… et pense à moi un peu.
Tant que la terre tourne encore, Seigneur, elle est en ton pouvoir ! Donne à qui veut régner l’ivresse du pouvoir, Donne, au moins jusqu’au soir, repos au généreux, A Caïn le remords… et pense à moi un peu.
Je sais : pour toi tout est possible, et je crois en ton sage esprit, Comme un soldat mourant croit en ton Paradis, Comme croit chaque oreille à tes propos de paix, Comme à soi-même on croit, sans savoir ce qu’on fait !
Seigneur Dieu, mon Seigneur, toi dont l’œil vert rayonne, Tant que la terre tourne encore et soi-même s’étonne, Tant qu’il lui reste encore et du temps et du feu, Donne à chacun sa part… et pense à moi un peu.
La Preghiera di François Villon en Italien
Finché questa terra palpita E il sole luce ci dà Signore, ogni uomo accoglilo Per dargli ciò che non ha Regala un cavallo al pavido E offri un motivo al perché Dai del denaro al prodigo E poi non scordarti di me E poi non scordarti di me Finché questa terra circola Signore è in tua facoltà Dai all’ambizioso il suo carico Di forza e di autorità Lascia il respiro al magnanimo Lasciagli l’alba che c’è Dona a Caino il rammarico E poi non scordarti di me E poi non scordarti di me Per te ogni cosa è facile Io credo alla tua verità Come il soldato esanime Crede nell’aldilà Come ogni orecchio docile Crede a ogni cosa di te Come crediamo nel prossimo Senza saper il perché Come crediamo nel prossimo Senza saper il perché Senza saper il perché Signore, ti prego, guardaci Col verde sguardo che hai Finché questa terra circola Senza adattarsi mai Finché ancora le bastano Tempo e fuoco che ha in sé Dai a ciascuno il suo obolo E poi non scordarti di me Dai a ciascuno il suo obolo E poi non scordarti di me E poi non scordarti di me.
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Sujet : poésie réaliste, poésie satirique, poèsie médiévale Auteur : François Villon Titre : les regrets de la belle heaulmière Période : moyen-âge tardif Interprète : Georges Brassens, 1967 Média : lecture audio, film d’animation. Ina
Trois maîtres réunis autour d’une belle heaulmière en peine
Bonjour à tous,
‘espère que ce petit billet de blog médiéval, vous trouve en joie. Nous continuons de chercher autour de Georges Brassens et de Villon et aujourd’hui, nous vous proposons une pièce de choix. C’est une lecture audio pas une chanson, mais du même coup, peut-être y gagne-t’on encore en proximité avec le texte, et c’est aussi un peu comme si l’influence du grand Villon sur le non moins grand Brassens se faisait ici plus intime. C’est, cette fois-ci, « les regrets de la belle heaulmière », une poésie profonde sur le passage du temps sur le corps que Brassens nous proposait et comme c’est lui qui en faisait la lecture, le ton est juste et intelligent. Tout est à sa place et le texte est là, sans fausse émotion et dans toute sa vérité. Merci Brassens et merci l’INA!
En écho à l’art poétique et réaliste de François Villon, Auguste Rodin fera jaillir de ses mains, en 1887, cette belle courtisane, ayant pris de l’âge et souffrant des meurtrissures du temps et nous ne pouvions résister à partager ici une photographie de l’oeuvre de cet autre immense artiste et cette sculpture « celle qui fût la belle heaulmière » qui répondait à Villon plus de quatre siècles plus tard.
Les regrets de la belle heaulmière,
poésie de François Villon
Advis m’est que j’oy regretter La belle qui fut heaulmière, Soy jeune fille souhaitter Et parler en ceste manière :
« Ha ! vieillesse felonne et fière, Pourquoy m’as si tost abatue ? Qui me tient que je ne me fière, Et qu’à ce coup je ne me tue ?
« Tollu m’as ma haulte franchise Que beauté m’avoit ordonné Sur clercz, marchans et gens d’Eglise : Car alors n’estoit homme né Qui tout le sien ne m’eust donné, Quoy qu’il en fust des repentailles, Mais que luy eusse abandonné Ce que reffusent truandailles.
« A maint homme l’ay reffusé, Qui n’estoit à moy grand saigesse, Pour l’amour d’ung garson rusé, Auquel j’en feiz grande largesse. A qui que je feisse finesse, Par m’ame, je l’amoye bien ! Or ne me faisoit que rudesse, Et ne m’amoyt que pour le mien.
« Jà ne me sceut tant detrayner, Fouller au piedz, que ne l’aymasse, Et m’eust-il faict les rains trayner, S’il m’eust dit que je le baisasse Et que tous mes maux oubliasse ; Le glouton, de mal entaché, M’embrassoit… J’en suis bien plus grasse ! Que m’en reste-il ? Honte et peché.
« Or il est mort, passé trente ans, Et je remains vieille et chenue. Quand je pense, lasse ! au bon temps, Quelle fus, quelle devenue ; Quand me regarde toute nue, Et je me voy si très-changée, Pauvre, seiche, maigre, menue, Je suis presque toute enragée.
« Qu’est devenu ce front poly, Ces cheveulx blonds, sourcilz voultyz, Grand entr’œil, le regard joly, Dont prenoye les plus subtilz ; Ce beau nez droit, grand ne petiz ; Ces petites joinctes oreilles, Menton fourchu, cler vis traictis, Et ces belles lèvres vermeilles ?
« Ces gentes espaules menues, Ces bras longs et ces mains tretisses ; Petitz tetins, hanches charnues, Eslevées, propres, faictisses A tenir amoureuses lysses ; Ces larges reins, ce sadinet, Assis sur grosses fermes cuysses, Dedans son joly jardinet ?
« Le front ridé, les cheveulx gris, Les sourcilz cheuz, les yeulx estainctz, Qui faisoient regars et ris, Dont maintz marchans furent attaincts ; Nez courbé, de beaulté loingtains ; Oreilles pendans et moussues ; Le vis pally, mort et destaincts ; Menton foncé, lèvres peaussues :
« C’est d’humaine beauté l’yssues ! Les bras courts et les mains contraictes, Les espaulles toutes bossues ; Mammelles, quoy ! toutes retraictes ; Telles les hanches que les tettes. Du sadinet, fy ! Quant des cuysses, Cuysses ne sont plus, mais cuyssettes Grivelées comme saulcisses.
« Ainsi le bon temps regretons Entre nous, pauvres vieilles sottes, Assises bas, à croppetons, Tout en ung tas comme pelottes, A petit feu de chenevottes, Tost allumées, tost estainctes ; Et jadis fusmes si mignottes !… Ainsi en prend à maintz et maintes. »
La mignonne et sa rose de Ronsard viennent encore à l’esprit en réécoutant ou relisant ce texte de Villon, même si la puissance réaliste et évocatrice de la poésie de ce dernier ne trouve guère d’égal. Réjouissons-nous tout de même contre cette vieille Heaulmière que la beauté ne soit pas que dans les atours de la chair.
Une bonne journée à tous!
Fred
pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes