Archives par mot-clé : Saadi

Notion de liberté contre servitude dans la sagesse persane de Saadi

citations_sagesse_persane_medievale_saadi_liberte_servitudeSujet : citations médiévales, moyen-âge central, sagesse persane, Saadi,  poésie morale, conte moral, liberté, servitude.
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle
AuteurMocharrafoddin Saadi (1210-1291)
OuvrageGulistan, le jardin des roses, traduit par Charles Defrémery (1838)

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour aujourd’hui, voici un peu de la sagesse du conteur médiéval Saadi. La citation est extraite de son Gulistan (jardin ou parterre de roses) et du chapitre sur les bienséances de la société. Il y est question de liberté ou, si l’on préfère de non servitude et comme toujours, dans les vers ou historiettes du poète persan d’une « morale » à méditer.

citations_medievales_saadi_mocharrafoddin_moyen-age_sagesse_persane

« Du vinaigre et des légumes que je ne dois qu’au travail de mes mains, valent mieux que le pain et l’agneau du chef de village. »
Mocharrafoddin Saadi , Gulistan, le jardin des roses.

Dans le même chapitre, cette idée lui fera encore dire :

citations_sagesse_medievale_persane_Saadi_servitude_liberte_conte_poesie_moral

« Quoique le vêtement d’honneur conféré par le sultan soit précieux , mes habits usés sont encore plus honorables; quoique la table des grands soit délicieuse, les miettes que renferme mon sac aux provisions sont plus savoureuses. »

Une belle journée à tous.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

jeune impétueux, vieux sage, un conte de Saadi et quelques réflexions comparées sur la vieillesse dans la littérature médiévale

gullistan_sagesse_medievale_persane_saadi_jardin_rose_moyen-age_centralSujet : contes moraux, sagesse, poésie morale, poésie persane, citation médiévale. conte persan, patience. jeunesse,
Période : moyen-âge central à tardif.
Auteur : Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291),
Ouvrage : Gulistan, le jardin des roses.

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour aujourd’hui, voici un nouveau conte persan de Mocharrafoddin Saadi. Il est extrait d’un chapitre du Gulistan, qui touche aux choses de la jeunesse et de l’âge.

saadi_gulistan_jardin_roses_citation_medievale_conte_sagesse_persane_moyen-age_central_patience

Un jour, dans l’orgueil de la jeunesse, j’avais marché vite et la nuit venue, j’étais resté épuisé au pied d’un montagne. Un faible vieillard arriva à la suite de la caravane et me dit :

– Pourquoi dors-tu ? Lève-toi, ce n’est pas le lieu de sommeiller »

Je répondis :

– Comment marcherais-je puisque je n’en ai pas la force ? »


– N’as-tu pas appris, repartit-il, que l’on a dit :  » Marcher et s’asseoir valent mieux que courir et être rompu. »

Vers : O toi qui désire un gîte, ne te hâte pas, suis mon conseil et apprends la patience : le cheval arabe parcourt deux fois avec promptitude la longueur de la carrière, le chameau marche doucement nuit et jour. »

Mocharrafoddin Saadi (1210-1291), Gulistan, le jardin des roses.

Dans la littérature médiévale occidentale, la vieillesse a bien souvent deux visages. D’un côté, on retrouvera cette figure de l’ancien expérimenté, le sage, l’ermite, le conseiller, quelquefois encore, le vieux chevalier aguerri qui éduque le jeune. De l’autre, plus fréquent, on trouvera l’ancien fatigué que l’oisiveté autant que la faiblesse ou le manque de moyens peut même miner. Il déplorera alors sa jeunesse perdue, on l’a vu avec Michault Taillevent dans son passe-temps, mais on le retrouve aussi chez Eustache Deschamps et d’autres auteurs médiévaux. On pourra pour en citer un autre exemple se souvenir encore ici des regrets deco_medievale_enluminures_trouvere_de la belle heaulmière de François Villon.

Dans un autre registre, viennent s’ajouter encore des images plus moqueuses et plus satiriques. On trouvera ainsi le vieux pingre, ou encore le vieillard argenté et lubrique qui cherche à marier une jeune fille ou à s’en attirer les faveurs.

Dans une certaine mesure, ces deux visages-là seront présents dans les contes de Saadi sur la jeunesse et sur la vieillesse. L’âge n’y est pas toujours synonyme de sagesse et la figure de l’ancien oscille, chez lui aussi, entre les deux extrêmes, expérience et raison d’un côté et « travers » de l’autre : avarice, pingrerie, vantardise, lubricité, etc… Sur ce dernier aspect, le poète persan mettra même les vers suivants dans la bouche d’une jeune fille pressée par un prétendant bien plus âgé qu’elle : « Si une flèche se  fixe dans le côté d’une jeune fille, cela vaut mieux pour elle que la cohabitation d’un vieillard ». 

Dans une autre historiette, qui rejoindra la précédente sur le fond moral, on retrouvera, cette fois l’image d’un vieillard auquel on demandera pourquoi il ne prend pas de jeune épouse et qui s’en défendra justement : « Moi qui suis vieux je n’ai aucune inclination pour les vieilles femmes, comment donc la femme qui sera jeune pourra-t-elle éprouver de l’amitié pour moi qui suis vieux? ».  Comme celui du conte du jour, cet autre là portait en lui, à l’évidence, quelques graines de sagesse et parlait, à tous le moins d’expérience.

Pour le reste et encore une fois, pour Saadi comme pour les auteurs médiévaux de l’Europe chrétienne, la sagesse n’est pas une qualité intrinsèque et systématique provenant de l’âge. Pardonnez-moi, mais je n’y resiste pas, finalement, il semble bien que tous auraient pu chanter en choeur et d’égale manière avec Brassens que « le temps n’y fait rien à l’affaire« . 

deco_medievale_enluminures_trouvere_Pour en revenir au moyen-âge occidental, au positif ou au négatif, au masculin comme au féminin, la vieillesse n’est, en général, pas une figure centrale de la littérature médiévale et encore moins des romans chevaleresques. Ces derniers restent basés sur des valeurs mettant en scène plutôt la jeunesse, dans l’action, comme dans l’apprentissage ou l’initiation.

Le mythe moderne du héros en a-t-il hérité ? Sans doute dans de grandes proportions, même s’il est possible qu’avec les glissements de la pyramide des âges et l’allongement de la durée de vie, la fourchette d’âge qui le définit se soit tout de même un peu élargie. Jusqu’à récemment, le cinéma américain, pour ne parler que de lui, nous a d’ailleurs gratifié de quelques productions mettant en scène ses acteurs favoris devenus largement seniors (Sylvester Stallone, Morgan Freeman, Arnold Schwarzenegger, etc…), dans des rôles encore très orientés sur l’action.

En vous souhaitant une belle journée !

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.


Sur ce sujet, on trouvera quelques compléments utiles dans les sources suivantes :

Sagesse ou folie ? Etre vieux dans la littérature médiévalepar Bernard Ribémont

Le crocus contre les EHPAD, ou comment être vieux au Moyen Âge, par Florian Besson

L’image de l’âge, traités et poèmes des Âges de l’homme, par Denis Hüe

Saadi, Marot, contes et poésies croisés sur l’Erémitisme médiéval

gullistan_sagesse_medievale_persane_saadi_jardin_rose_moyen-age_centralSujet : contes moraux, sagesse, poésie politique, morale, persane, citation médiévale. ermite, érémitisme. epigramme, conte persan
Période : moyen-âge central à tardif.
Auteur : Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291), Clément Marot (1496-1544)
Ouvrage : Gulistan, le jardin des roses.

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nour partageons une nouvelle historiette de Mocharrafoddin Saadi, tirée de son célèbre Gulistan et, contre toute attente, nous la croisons même avec d’autres vers de Clément Marot, à près de trois siècles d’intervalles.

Ces vers du conteur persan sont cités dans le cadre d’une parabole sur l’amitié et sur la séparation, mais ce qui nous intéresse ici c’est qu’il nous parle de la figure de l’ermite retiré dans ses montagnes et de ses motivations à fuir les tentations du monde (notamment celles de la chair et de l’amour), en nous gratifiant au passage d’une jolie métaphore.

citation_saadi_sagesse_persane_ermite_eremistisme_moyen-age_monde_medieval_XIIIe_siecle

J’ai vu dans un endroit montagneux un grand personnage, qui, de toutes les choses de ce monde, se contentait d’une caverne :
 
 » Pourquoi, lui dis-je, ne viens tu pas a la ville? Car tu enlèverais de dessus ton coeur le fardeau qui le tient captif. »

Il répondit :

 » Il y a là des beautés à visage de fée et gracieuses : quand la boue est épaisse, les éléphants glissent. »

Autre temps, autre culture et religion, autres moeurs, quelques siècles plus tard, dans l’Europe du moyen-âge tardif et de la renaissance, on retrouvera deux épigrammes de Clément Marot faisant étonnamment écho au conte de Saadi. A la manière habituelle du poète de Cahors, le ton sera nettement plus vert, pourtant le fond restera le même au moins quant à la motivation de ses ermites. Sur le versant moral, rien n’est moins sûr, il est difficile de mesurer l’humour dans les vers de Saadi, mais, dans le contexte, il semble tout de même plutôt mettre en exergue une forme de sagesse de la part de son ami que de moquer le sérieux de ses motivations.

Sans bien sûr vouloir limiter à cette seule idée commune aux deux poètes, les raisons de coeur ou d’esprit qui ont pu  et peuvent encore pousser les hommes à se retirer du monde et sans non plus prétendre tirer ici de grandes et profondes déductions de ce rapprochement, il demeure amusant de mettre en miroir ces deux textes qui se renvoient l’un à l’autre à travers les siècles. Au passage, on pourrait sans nul doute trouver de semblables paraboles du côté du bouddhisme et de sa tradition d’érémitisme.

Pour une mommerie de deux hermites. Clément Marot

LE PREMIER HERMITE.

Sçavez vous la raison pourquoy
Hors du monde je me retire
En un hermitage à recoy ?
Sans faulte je vous le veulx dire :
Celle que tant j’ayme et desire,
En lieu de me reconforter,
Toujours ce cul arriere tire ;
Le diable la puisse emporter.

L’AUTRE HERMITE.

Je m’en voys tout vestu de gris
En un boys ; là je me confine
Au monde aussi bien j’amaigris ;
M’amye est trop dure ou trop fine ;
Là vivray d’eau et de racine,
Mais, par mon ame, il ne m’en chault ;
Cela me sera medecine
Contre mon mal, qui est trop chauld.

Clément Marot  – Epigrammes

La figure de l’ermite
dans l’occident médiéval

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour en dire deux mots, si la figure (également biblique) de l’ermite a largement alimenté l’occident chrétien médiéval et sa littérature, l’église s’est rapidement élevée contre ces solitaires difficilement contrôlables et qui, de surcroît, mettaient quelquefois leur vie en jeu, en s’exposant, par leur choix de s’isoler, dans un monde médiéval loin d’être sûr et sécurisé, aux dangers du brigandage et autres intolérances, meurtres même quelquefois, etc, . Durant la période  mérovingienne, nombre d’homicides commis notamment à l’encontre de femmes ermites pousseront même Rome à leur en interdire formellement la pratique. L’émergence des récluses et réclusoirs, cette forme d’isolement volontaire en cellule,  contre l’érémitisme au grand air et ses dangers en est une des conséquences.

Qu’ils soient femmes ou hommes, si l’église a lutté pour en contrôler et même en prohiber la pratique, en tentant notamment de les intégrer dans des structures, des institutions, des réclusoirs ou des monastères, la littérature et la culture populaire semble, quant à elle, avoir apprécié les ermites. Il reste au fond une figure biblique deco_medieval_moyen-age_chretiensynonyme de renoncement, de sagesse et d’un certain courage. Du côté des textes religieux et des hagiographies, la vie des saints n’est non plus exempte d’expériences de ce type. Même s’il demeure difficile de mesurer la réalité du phénomène et encore moins de le quantifier, le haut moyen-âge semble en avoir connu un grand nombre. Il en existe des sédentaires ou des errants et on trouve encore des moines qui se retirent de la vie collective pour des périodes d’isolement « relatives » et plus ou moins longues.

Dans de nombreux cas encore, l’ermite ne vit pas seul et on le retrouve entouré ou en petits groupes qui quelquefois enflent avec le temps. Disant cela, on ne peut s’empêcher de penser à l’ironie de l’histoire de Saint-Benoit dérangé dans sa retraite solitaire par des disciples désireux de le suivre et qu’il finit par accepter, pour se voir bientôt tenter d’être empoisonné par eux.

« Sous les Carolingiens, la force du pouvoir politique s’était assuré le contrôle de la société, mais quand cette puissance se désintégra, les peuples fraîchement (et superficiellement) convertis retournèrent à leurs pratiques, dans le même temps que la vie morale du clergé sombrait dans la luxure, la simonie et le nicolaïsme… »
L’ermite au Moyen Age : Erémitisme et anachorèse,  par Marie-Geneviève Grossel, Maître de conférence à l’Université de Valenciennes

deco_medieval_moyen-age_chretienDans le courant des IXe et Xe siècle, au morcellement de l’empire carolingien et suivant cette déliquescence dont nous parle l’historienne médiéviste Marie-Geneviève Grossel dans un excellent article sur le sujet qui nous sert ici de guide, le phénomène de l’érémitisme reculera  pour connaître un nouveau regain dans le courant des XI et XIIe siècles.

« Pourtant devant la décadence qui avait frappé les plus prestigieux établissements religieux en raison de la mainmise des puissants, devant le relâchement du clergé, la violence, la misère des temps, le temps des réformes et du renouveau allait être annoncé par une véritable floraison d’ermites. » Opus cité

On renouera alors notamment avec le monachisme bénédictin des origines et pour un nombre choisi d’ermites, l’isolement sera même une étape pour fonder de nouveaux ordres religieux.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Responsabilité des conseillers du prince, un conte du XIIIe siècle, avec Saadi

gullistan_sagesse_medievale_persane_saadi_jardin_rose_moyen-age_centralSujet : contes moraux, sagesse persane, poésie morale, citation médiévale, érudition, conseiller politique, exercice du pouvoir, vertus du prince.
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle.
Auteur : Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291)
Ouvrage : Gulistan, le jardin des roses.

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous repartons vers l’orient avec les contes moraux du célèbre auteur persan  Saadi. Il est  ici question de l’exercice du conseil politique, et d’une forme de sagesse dans l’exercice de cette fonction donc. Saadi soupèse, dans sa balance, le venin caché derrière certaines vérités contre le mensonge avisé et nous parle d’une forme de justice compassionnelle et humaniste contre les règles protocolaires, les politesses de statuts et les possibles blessures d’Ego du prince (personnification du pouvoir) face à leur transgression.

Saadi_gulistan_une_fleur_dans_le_jardin_des_roses_manuscrit_ancien_enluminures_XVIIe (ci-contre,  une fleur dans le jardin de Saadi, enluminure du Gulistan, dans un manuscrit du milieu du XVIIe)

Si la responsabilité des conseillers est souvent, sinon sans cesse interrogée, chez lui, c’est que le prince avisé y a souvent recours. Dans ce conte, la sagesse viendra encore de ce dernier dans une  démonstration édifiante de compassion, tout autant qu’une profonde compréhension de la nature humaine.

Face à l’exercice du pouvoir, la « vérité » en matière de conseil politique devient une notion relative et l’intention qui guide le conseiller dans cette matière devrait faire passer avant tout l’édification du Prince, plutôt que ses possibles morsures d’Ego ou les règles protocolaires. En but à l’insulte, ce dernier pardonnera et en profitera même pour donner, au passage, une leçon au mauvais conseiller sur les fondements de sa fonction. Une façon de lui dire en somme : Aidez-moi à être quelqu’un de meilleur afin que j’exerce mon pouvoir avec sagesse, discernement et mansuétude, et que je serve ainsi l’intérêt de tous

 A travers tout cela, Saadi nous dira encore que la Sagesse du prince doit demeurer la plus grande de ses vertus et le guider dans son exercice du pouvoir.

deco_frise

J’ai entendu raconter qu’un roi ordonna de tuer un prisonnier. Le malheureux, dans cette circonstance désespérée, commença à donner au roi des épithètes odieuses, et à lui dire les injures les plus grossières, dans la langue qu’il parlait, car l’on a dit :  » Quiconque renonce a la vie dit tout ce qu’il a dans le coeur ».

contes_moraux_poesie_medievale_saadi_sagesse_persanne_morale_politique_conseiller_prince_moyen-age_central

Vers : Lorsque l’homme désespère, sa langue s’allonge, ainsi le chat vaincu se jette sur le chien.

Le roi demanda ce que disait cet homme. Un vizir, doué d’un bon caractère, répondit :

–  O Seigneur! il dit :  » Et ceux qui retiennent leur colère,  et ceux qui pardonnent aux hommes. Dieu aime ceux qui l’ont le bien ».

Le roi fut saisi de compassion en sa faveur, et renonça a le faire périr. Un autre vizir, qui était tout l’opposé du premier, dit :

– Il ne convient pas aux gens de notre espèce de parler devant les rois, si  ce n’est avec véracité. Cet homme a donné au prince des noms injurieux et proféré des choses inconvenantes. 

Le roi contracta son visage à cause de cette parole, et dit :

– Ce mensonge qu’il a fait m’a été plus agréable que cette vérité que tu as dite, parce que celui-là avait pour motif une chose avantageuse (le salut du prisonnier), et que celle-ci est basée sur la méchanceté. 

contes_moraux_poesie_medievale_saadi_sagesse_persanne_morale_politique_justice_bien_publique_conseiller_prince_moyen-age_central

Les sages ont dit : « Le mensonge mêlé d’utilité est préférable a la vérité qui excite des troubles. »

Vers. – Celui dont le roi exécute les conseils, ce serait dommage qu’il dise autre chose que le bien. »

 Mocharrafoddin Saadi –   Gulistan, le jardin des roses. 

 « Miroirs aux princes »
et « morale politique » médiévale

C_lettrine_moyen_age_passionontemporains de ce conte du célèbre auteur persan, on ne peut s’empêcher de penser ici aux nombreux écrits des poètes de l’Europe médiévale sur les devoirs des princes : vers, allusions, poésies,  sans parler encore des traités entiers du type « Miroirs aux Princes » connus depuis l’antiquité et largement revisités dans le courant du moyen-âge.

Dans le même registre, on pense encore à ces mauvais conseillers – flatteurs, intéressés, vénéneux, mal avisés – et leur fâcheuse influence sur les princes, montrés aussi du doigt comme de véritables poisons. L’importance de leur influence sur l’exercice du pouvoir sera créditée au point de  faire, au moyen-âge, les beaux jours de l’image du prince « mal conseillé », venue, bien souvent, expliquer ou justifier les maladresses, les faiblesses ou les excès du pouvoir, tout en dédouanant la personne unique qui se confondait avec lui.  Sont-ce ces mêmes conseillers auxquels les princes prêtent l’oreille et qu’on retrouve encore, au cœur des complaintes des poètes, empoisonnant la vie curiale et décidant qui approcher ou éloigner ? Avec eux « Le meilleur devient le pire »  nous dira Rutebeuf dans sa Paix. Peut-être y avait-il quelques zones de recouvrement des uns aux autres, dans ce monde médiéval où l’élite décisionnelle était limitée en taille et où le pouvoir se trouvait concentré en si peu de mains, et de moins en moins au fil de la « déliquescence » de la féodalité.

saadi_miniature_detail_manuscrit_ancien_jardin_empire_des_rosesSi les notions de « sapientia », de mansuétude, de tempérance, de compassion (voire même plutôt de « miséricorde ») se retrouvent souvent dans les vertus attendues pour un prince de l’Europe médiévale, gardons-nous de rapprochements  trop hâtifs. L’univers culturel, les croyances et les représentations sous-tendues par les raisonnements des auteurs occidentaux du XIIIe siècle ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de Saadi, d’autant que les conceptions autour de l’exercice du pouvoir et de « la morale politique » évoluent aussi, en occident, au fil du moyen-âge. On pourrait même avancer avec certains auteurs que cette morale purement politique n’existe pas comme sphère autonome dans l’Occident médiéval, tant elle est liée à celle du pouvoir religieux, et avec lui, au pouvoir spirituel et intemporel (Les langages politiques au Moyen ÂgeAude  Mairey ).     Quoiqu’il en soit, pour intriquée qu’elle soit dans les enjeux culturels, sociaux et chrétiens du moyen-âge occidental et pour faire court (au risque de caricaturer) cette morale passera d’une gouvernance et de son exercice devant être inspirée d’abord et avant tout par Dieu, la foi et les valeurs chrétiennes, à l’introduction plus tardive (XVe, XVIe siècle) et presque déjà renaissante de notions d’éducation, de discernement.

Chez Saadi, la loi religieuse est citée par endroits et reste souvent présente de manière implicite. Le roi doit bien évidemment être un bon religieux, mais la sagesse de ce dernier semble avoir, pour l’auteur persan, une importance au moins égale à son érudition en cette matière. Il la met en tout cas largement en avant. On sait qu’il se réfère quelquefois dans ses contes à des princes de l’empire sassanide. Pour certains auteurs d’alors, l’image du « roi philosophe » était prisé et cette sagesse dans l’exercice du pouvoir était même considérée comme une vertu intrinsèque de majeure importance, devant au moins égaler, sinon supérer toutes les autres (voir La conception du pouvoir en islam. Miroirs des princes persans et théories sunnites (XIe-XIVe siècles),  Denise Aigle).  Peut-être le conteur persan les rejoint-il, par instants, avec ses princes justes et sages ?

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.