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Au XIVe siècle, Un éloge du retour à la vie pastorale, par Eustache Deschamps

Ballade Médiévale Eustache Deschamps

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, poésie, poésie morale, chanson royale, vie rurale, vie curiale, pastourelle.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «En retournant d’une court souveraine»
Ouvrage  :  Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, T III,   Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1878)

Bonjour à tous,

n ce mois de rentrée, il n’est plus temps pour nombre d’entre nous de batifoler dans la campagne, ou de se couler gentiment sur le bord d’un ruisseau chantant ou à l’ombre d’un grand arbre.
Alors, contre la grisaille de cette reprise et pour retarder un peu l’arrivée de l’automne, quoi de mieux qu’une poésie pastorale ? Ce sera l’occasion de reprendre un bol d’air, au moins en esprit, pour se préparer à l’arrivée d’octobre.

Eustache face à Robin et Marion

La pièce médiévale du jour prendra la forme d’une chanson royale. Sous la plume du très prolifique Eustache Deschamps (poète des XIVe/XVe siècle), elle nous invite à une escapade champêtre plutôt légère.

« En revenant d’une cour souveraine« , dès le premier vers, l’auteur plante rapidement le décor de sa poésie. Dans sa célébration de la vie rurale contre la vie curiale et les curiaux, il croisera en chemin Robin et Marion. Au Moyen Âge, on retrouve les deux jeunes amoureux favoris des pièces champêtres médiévales des jeux du trouvère Adam de la Halle mais aussi de bien d’autres pastourelles.

Pourtant, pour trancher avec de nombreuses pièces du genre, point de chevalier entreprenant, ici, pour venir bouleverser l’équilibre du tableau, en pensant abuser de la jeune bergère ou à la tenter avec de fausses promesses. Loin des jeux d’influences et de pouvoir de certaines pastourelles, Eustache Deschamps se pose en témoin distant et respectueux, se laissant même séduire par la scène vie champêtre qui se déroule sous ses yeux.

On notera, au passage, qu’on est également à bonne distance de certaines des farces d’un Clément Marot. Au XVIe siècle, le poète de Cahors n’hésitera pas en effet à faire de Marion et Robin un sujet de grivoiseries, dans une tradition humoristique renouant peut-être avec le peu de finesse, voire la lourdeur rétrospective, de certaines pastourelles.

Eustache Deschamps - Chant royal illustrée avec enluminure

Vie rurale contre vie curiale

Sur le fond, Eustache n’en est pas à sa première dénonciation des artifices de la vie de cour. Il leur a même consacré plusieurs ballades assez salées (Voir ces deux ballades par exemple ). Toutefois ici, il se situe plus dans l’esprit d’un Philippe de Vitry et son dit de Franc-Gontier (XIVe siècle). S’il s’agit de pointer clairement les affres de la vie curiale, le sujet est bien également l’élévation de la vie rurale et de ses qualités. Robin est un être libre : «J’ay franc vouloir, le seigneur de ce monde». Les gens de cours sont des serfs. Eustache s’unit à un certain mouvement de pensée des XIVe/XVe siècles dans lequel on retrouvera cette dénonciation de la vie curiale mis en opposition avec un ailleurs champêtre comme horizon et comme symbole d’un retour à une vie plus libre et authentique.

Des auteurs contre la vie de cours et ses poisons

Dans la veine d’Eustache, d’autres auteurs comme Alain Chartier mettront, eux-aussi, en avant les vices et le poison des couloirs de la cour contre les avantages de la vie hors du sérail et sa belle innocence (Le Curial, 1427). Lieu de mauvaise vie et de tous les excès, siège des jeux d’influence où tout les coups sont permis, repère des envieux, des flatteurs, des hypocrites et des sournois qui y usent leur santé comme leur moralité, la cour du Moyen Âge tardif n’est pas très reluisante sous la plume acerbe de certains auteurs d’alors. Les choses ont-elles vraiment changé dans les allées du pouvoir moderne ? Rien n’est moins sûr.

Tout cela étant dit, on pourra, certes, trouver l’envolée du poète du Moyen Âge tardif un peu candide, avec ces jeunes paysans dépeints comme inatteignables et qui n’auraient rien à craindre de la vie, ni vols, ni pillages, ni maladie. Un long fleuve tranquille en somme, mais il est bien question ici de valoriser l’authenticité de la vie rurale par contraste avec un séjour à la cour. Aussi, peut-on bien pardonner à Eustache ce portrait un peu idyllique qui a le mérite de donner un tour léger à sa poésie.

Il faut aussi se souvenir qu’à d’autres occasions, il a su témoigner sans concession des injustices et des ravages de la guerre de cent ans sur les petites gens et sur les campagnes.

Aux sources de cette chanson royale

La Chanson royale "En retournant d’une court souveraine" dans le manuscrit médiéval français 840
Le chant royal d’Eustache dans le Manuscrit français 940 de la BnF

Pour les sources manuscrites et historiques de cette poésie, nous vous renvoyons au Français 840 de la BnF. Avec près de 1500 pièces pour 582 feuillets, ce manuscrit médiéval du XVe siècle est tout bonnement incontournable pour découvrir l’œuvre complète d’Eustache Deschamps. Quant à la transcription en graphie moderne, c’est du côté du travail du Marquis de Queux de Saint Hilaire que nous sommes allés chercher, au Tome III de son imposant travail de retranscription des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps (opus cité).


En retournant d’une court souveraine
chanson royale d’Eustache Deschamps

NB : le moyen-français d’Eustache ne pose pas particulièrement de problèmes aussi quelques clefs de vocabulaire devraient vous suffire pour l’approcher sereinement.

En retournant d’une court souveraine
Ou j’avoie longuement sejourné,
En un bosquet, dessus une fontaine,
Trouvay Robin le franc, enchapelé,
Chapeauls de flours avoit cilz afublé
Dessus son chief, et Marion sa drue
(son amie).
Pain et civoz
(oignon) l’un et l’autre mangue :
A un gomer
(vase de bois) puisent l’eaue parfonde.
Et en buvant dist lors Robins qui sue :
J’ay Franc vouloir, le seigneur de ce monde.

Hé ! Marion, que nostre vie est saine !
Et si sommes de tresbonne heure né :
Nul mal n’avons qui le corps nous mehaigne.
Dieux nous a bien en ce monde ordonné.
Car l’air des champs nous est habandonné.
A bois couper quant je vueil m’esvertue.
De mes bras vif. je ne robe ne tue.
Seurs chante. je m’esbas a ma fonde.
Par moy a Dieu doit grace estre rendue :
J’ai Franc Vouloir, le seigneur de ce monde.

Tu puez filer chascun jour lin ou laine,
Et franchement vivre de ton filé,
Ou en faire gros draps de tiretaine
Pour nous vestir, se no draps sont usé.
Nous ne sommes d’omme nul habusé,
Car Envie sur nous ne mort ne rue.
De noz avoirs n’est pas grant plait en rue,
Ne pour larrons n’est droiz que me reponde
(cache).
Il me suffist de couchier en ma mue
(cabane, retraite).
J’ay Franc Vouloir, le seigneur de ce monde.

Juge ne craim qui me puist faire paine
Selon raison : je n’ay rien offensé.
Je t’aime fort, tu moy d’amour certaine.
Pas ne doubte que soie empoisonné.
Tirant ne craing : je ne sçay homme armé
Qui me peust oster une laitue.
Paour
(peur) n’ay pas que mon estat se mue :
Aussi frans vif comme fait une aronde
(hirondelle).
De vivre ainsi mon cuer ne se remue.
J’ay Franc Vouloir, le seigneur de ce monde.

Dieux ! qu’a ces cours ont de dueil et de paine
Ces curiaux
(gens de cour) qui dedenz sont bouté !
Je l’apperceu trop bien l’autre sepmaine,
C’un fais de bois avoie la porté.
Ilz sont tous sers : ce n’ay je pas esté.
Mangier leur vi pis que viande crue.
Ilz mourront tost, et ma vie est creue,
Car sanz excés est suffisant et ronde.
Plus aise homme n’a dessoubz ciel et nue :
J’ay Franc Vouloir, le seigneur de ce monde.

L’envoy

Prince, quant j’eu franc Robin escouté,
Advis me fut qu’il disoit verité :
En moy jugié sa vie belle et monde,
Veu tous les poins qu’il avoit recité.
Saige est donc cilz gardans l’auctorité :
J’ay Franc Vouloir, le seigneur de ce monde.


 En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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NB : pour illustrer cet article, nous vous proposons en image d’en-tête, la page du ms Français 840 correspondant au chant du jour (à consulter sur Gallica). Elle est accompagnée d’un détail d’enluminure tiré du Livre d’Heures d’Etienne Chevalier, réalisé par Jean Fouquet. Daté de la deuxième moitié du XIVe siècle et contemporain d’Eustache. ce détail représente Sainte Marguerite filant la laine dans les prés, avec sa quenouille. Cette enluminure est actuellement conservée au Musée du Louvre. Avec le château en fond, nous restons dans notre thématique.
Pour l’illustration du chant royal de l’autre illustration (image dans le corps du texte), l’extrait d’enluminure provient du Livre d’Heures des Rothschild (le Rothschild Prayer Book). Daté du XVI siècle, ce manuscrit richement illuminé est un peu plus tardif. L’enluminure représente des bergers festoyant à l’annonce de la nativité.

une Ballade satirique sur la vie curiale

Sujet :  poésies,  ballade médiévale, poésie satirique, moyen français, vie curiale, dépravation, immoralité, flatterie, satire.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Anonyme
Ouvrage : « La Danse aux Aveugles et autres poésies du XVe siècle, extraites de la bibliothèque des Ducs de Bourgogne » (édition de 1748 chez André Joseph Panckoucke Libraire)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons de rester au XVe siècle, avec une nouvelle ballade satirique sur la vie de cour. Le monde médiéval, et, peut-être plus particulièrement encore, le tardif, n’a pas été avare de poésies et de textes sur ce sujet : au Moyen Âge central et au XIIIe siècle, il y eut Jean de Meung, Rutebeuf et d’autres. Plus tard encore, au XIVe et XVe siècle, on se souvient d’auteurs comme Philippe de Vitry, Eustache Deschamps, Alain Chartier, Jean Meschinot, etc… De fait, la liste pourrait être longue des satires médiévales qui dénoncent l’hypocrisie, l’immoralité, le dévoiement, ou encore les flatteries et les manœuvres calculées qui entourent les couloirs du pouvoir et les couronnes.

Les travers de cette vie curiale sont souvent présentés de manière détachée de la personnalité du prince ou du seigneur qui y règne. C’est alors comme une sorte d’univers « parasite » autonome qui se met en place, un peu comme une fatalité induite par les jeux de pouvoir et l’éternelle comédie humaine (voir, par exemple, deux ballades d’Eustache Deschamps ou encore cet extrait des Lunettes des Princes de Jean Meschinot ). Dans d’autres cas, on adresse le pouvoir, ou on le rend plus directement responsable de laisser vivre et perdurer ce poison. Eustache Deschamps et d’autres mettront même, en avant, l’ingratitude des princes vis à vis de leurs serviteurs de cour (« Je muir de froit, l’en m’a payé du vent« ).

Une ballade des « maximes de court »

On peut trouver la pièce du jour, à la fin d’un ouvrage daté du milieu du XVIIIe siècle : « La Danse aux Aveugles et autres poésies du XVe siècle, extraites de la bibliothèque des Ducs de Bourgogne ». Cette compilation de poésies du Moyen Âge tardif présente en exergue « La Danse aux aveugles » de Pierre Michault ainsi que quelques autres œuvres de cet auteur médiéval, prêtre et poète à la cour de Bourgogne. On notera, au passage des erreurs d’attribution comme par exemple la  » Complainte de tres haulte et vertueuse dame ma dame Ysabel de Bourbon, contesse de Charrolois« , souvent attribuée à Pierre Michault et qu’on a fini par restituer à son auteur original : Amé (ou Aimé) de Montgesoie.

Sources et attributions

Lambert Douxfils, le compilateur du XVIIIe siècle a décidé de faire suivre ces pièces d’une sélection d’autres textes empruntés au même manuscrit (ou d’autres ?) de la bibliothèque des ducs de Bourgogne. Certains sont signés, d’autres, dans la dernière partie de l’ouvrage sont anonymes. Le compilateur ne donne pas la référence précise du ou des ouvrages anciens sur lequel il s’est appuyé. Pour remonter aux sources, nous serons donc quittes de plonger dans les nombreux manuscrits répertoriés faisant mention de la dance aux aveugles ou d’autres textes cité par l’éditeur, sans être tout à fait certain que les ouvrages en question, à près de 300 ans de là, soient présents à la BnF, sur Gallica ou sur une autre Bibliothèque numérique. Recherche en cours… A moi Arlima(.net) !

Du point de vue de son contenu et au moins sur le fond, cette ballade des « Maximes de court » aurait pu être signée de la plume d’un Eustache Deschamps, voire même d’un Chartier. Toutefois, dans le manuscrit dont l’a extraite son éditeur, elle est supposée être demeurée anonyme. Pour l’instant et après des premières recherches, elle ne semble pas avoir été attribuée plus tardivement à un auteur reconnu. On notera que le premier vers n’est pas sans évoquer un rondeau de Blosseville que nous avions déjà présenté par ailleurs (voir pour contrefaire l’amoureux, Trois rondeaux de Blosseville à la cour d’Orléans), mais cela ne préjuge en rien de son attribution.


Maximes de Court

Qui ne contrefait l’amoureux ,
Qui ne scet faindre son penser.
Qui ne rit sans estre joyeux.
Qui ne scet souvent rigouler,
Qui ne scet braire ou hault chanter ,
Qui n’a dequoy estre jolys .
Qui n’a le bec au vent toudys .
Qui n’a ung peu du poil du lourt ;
En verité c’est ung chetifs,
Il n’a que faire d’estre a Court.

Qui n’est un petit envieux.
Qui ne scet son maistre flater.
Qui ne devient gloux ou precieux ,
Qui n’aprent a dissimuler,
Qui n’est maistre du bas vouler.
Qui ne scet acquerir amys ,
Qui n’est du bas mestier apris,
Qui n’aprent a faire le sourt ;
Je vous dis bien qu’en ce pays
Il n’a que faire d’estre a Court,

Qui veut estre religieux,
Qui ne scet boire & banqueter,
Qui ne veult estre convoiteux ,
Qui ne scet prendre sans donner ,
Qui veut de conscience user ,
Qui de pratique n’est garnis ,
Qui de demander n’est hardis
Selon le temps qui ores court;
Par le corps Dieu de paradis ,
Il n’a que faire d’estre a Court.

Princes, es haultes Cours jadis ,
N’estois recullis ne ouys
Nul qui fust vicieux ne lourt ;
Ains a present il m’est advis ,
Que qui de vices n’est remplis
Il n’a que faire d’estre a Court.


En vous souhaitant très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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NP : l’enluminure de l’image d’en-tête (banquet à la cour) est tiré du manuscrit médiéval Français 12574. Cet ouvrage ayant pour titre « Histoire d’Olivier de Castille et d’Artus d’Algarbe » est daté du XVe siècle. Il est actuellement conservé à la BnF et consultable sur Gallica au lien suivant).

Quatrain : l’homme de raison & l’homme de cour

Sujet :  poésies courtes,  quatrain, poésie satirique, moyen français, XVe siècle, Moyen Âge tardif, auteur anonyme.

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons un quatrain qui, tout bien considéré, pourrait être de circonstances. Demeurée anonyme, cette poésie courte nous provient du Moyen Âge tardif. Elle est tirée d’une compilation de pièces médiévales qu’on peut retrouver dans l’ouvrage : « La Danse aux Aveugles et autres poésies du XVe siècle, extraites de la bibliothèque des Ducs de Bourgogne » (édition de 1748 chez André Joseph Panckoucke Libraire).

Si toute la première partie de cet ouvrage reproduit la Danse aux aveugles de Pierre Michault, ce quatrain demeuré anonyme apparait dans sa deuxième partie, aux cotés de quelques autres poésies courtes et proverbe du même type. Ces pièces viennent en prélude d’un texte intitulé : Le Petit Traittiet du Malheur de la France et demeuré, lui aussi, anonyme. De notre côté et au vue du contexte, il nous est bien difficile de nous retenir de trouver dans ce quatrain, quelques accents d’actualité.


Poésie médiévale Quatrain anonyme

L’homme vivant selon raison,
Considéré le temps qui court,
Est plus aisé en sa maison
Que ne sont ceux qui sont en Court.

Quatrain anonyme du XVe siècle


Vie normale vs vie curiale

Ce quatrain oppose la tranquillité et la sagesse d’une vie normale aux vicissitudes d’une vie de cour, proche des couloirs du pouvoir. Historiquement, cette critique de la vie curiale, déjà présente dans la littérature du Moyen Âge central, le devient encore plus à l’approche du Moyen Âge tardif. On se souvient au XIVe et XVe siècles des envolées d’un Eustache Deschamps sur ce même sujet, du Dit de Franc Gontier de Philippe de Vitry ou encore du Curial de Alain Chartier dont voici un court extrait :

« Les abus de la court et la manière des gens curiaux sont telz que jamez homme n’y est souffert durer sans estre corrumpu, ou n’y est souffert soy eslever s’il n’est corrumpable« . (…) « Telz sont les ouvraiges de court, que les simples y sont mesprisez, les vertueux enviez et les arrogans orgueilleux en perilz mortelz« . Le Curial, Alain Chartier

Dans le reste du passage, Chartier donnera mille détails pour exhorter son frère à préférer sa vie paisible et à se tenir, le plus éloigné possible, des folies de la cour.

Une enluminure de la cour de Bourgogne

Sur l’image en-tête d’article, le président de la république française Emmanuel Macron reçoit des mains de son conseil scientifique, un 60eme rapport sur la situation sanitaire, établissant la nécessité absolue d’un 14eme confinement. Bon ça va, je plaisante… Cette enluminure est tirée du Cod. 2549, Romance ou Chronique de Girart de Roussillon. Elle représente le duc de Bourgogne Philippe le Bon en train de recevoir la chronique. Ce manuscrit ancien, daté du milieu du XVe est conservé à la Bibliothèque nationale autrichienne de Vienne.

Une belle journée
Frédéric EFFE
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Une Ballade médiévale satirique d’Eustache Deschamps sur les manières de table à la cour

poesie_ballade_morale_moralite_medievale_Eustache_deschamps_moyen-age_avidite_gloutonnerieSujet : poésie médiévale, littérature,  ballade médiévale, humour médiéval, moyen-français, poésie satirique, satire, vie curiale, manières de table
Période : Moyen Âge central, tardif, XIVe siècle
Auteur : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre :  « Oncques ne vis gens ainsi requignier.»
Ouvrage :  Oeuvres complètes d’Eustache Deschamps, Tome V Marquis de Queux Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)

Bonjour,

N_lettrine_moyen_age_passionous partons, aujourd’hui, en direction de la fin du XIVe et les débuts du XVe siècle, avec une ballade de Eustache Deschamps. Dans cette poésie fort caustique, l’auteur médiéval nous invitait à le suivre à la cour pour y découvrir d’étranges manières de table.

Critique de la vie curiale

S’il a fréquenté longtemps les cours, du fait de ses différents offices en tant qu’employé royal, Eustache s’en est largement détourné à un moment donné de sa vie. Depuis lors, il n’a pas manqué de les critiquer vertement : jeux de couloirs, jeux de pouvoir, vie dissolue, excès, etc…  (voir notamment Va a la cour et en use souvent, mais également Deux ballades sur la cruauté des jeux de cour). C’est au point qu’on imagine que ses nombreux textes corrosifs sur la vie curiale, ont pu s’assurer de lui en fermer définitivement les portes si ce n’était le cas avant.

Eustache Deschamps n’a pas été le seul, ni le premier poète, à se livrer à ce genre de critique et il ne sera pas le dernier. On pourrait presque y voir une tradition : de Rutebeuf, à Jean de Meung, Alain Chartier,   Meschinot, et d’autres encore. Au delà de l’exercice de style, ces jeux cruels que tous ces auteurs médiévaux nous dépeignent recouvrent, sans nul doute, une réalité de la vie du cour qui se poursuivra, d’ailleurs, au delà du Moyen Âge central. Quoiqu’il en soit, sous le ton de l’humour et face à cette tablée grimaçante et « mastiquante », on ne eustache-deschamps-ballade-poesie-satirique-francais-840-manuscrit-medieval-moyen-age-tardif_speut que rattacher cette ballade d’Eustache au triste tableau qu’il nous fait, par ailleurs des cours princières et de leurs courtisans : perfidie, médisance, et, en définitive, mauvaise morale, mauvaise vie et mauvaises manières.

Le MS Français 840  & les poésies d’Eustache

Notre texte du jour a pour source le manuscrit Français 840 conservé à la BnF (voir photo ci-dessus). Cet ouvrage médiéval de 300 feuillets et daté du XVe siècle contient principalement Les Poésies d’Eustache Deschamps dit Morel. Il peut être consulté à l’adresse suivante : consulter le Français 840 sur Gallica.


Oncques ne vis gens ainsi requignier 
dans le moyen français d’Eustache Deschamps

Tristes, pensis, mas* (abattu, affligé) et mornes estoye
Par mesdiser et rappors de faulx dis
A une court royal ou je dinoye
Ou pluseurs gens furent a table assis;
Maiz oncques* (jamais) mais tant de nices* (moes, moue, grimace) ne vis
Que ceulx firent que l’en veoit mengier.
D’eulx regarder fu de joye ravis:
Oncques ne vis gens ainsi requignier* (grimacer, montrer les dents).

Li uns sembloit truie enmi* (au milieu d’) une voye* (voie)
Tant mouvoit fort ses baulifres* (lèvres) toudiz;
L’autre faisoit de ses dens une soye* (scie) ;
L’autre mouvoit le front et les sourcis;
L’un requignoit, l’autre torcoit son vis* (tordait son visage),
L’autre faisoit sa barbe baloier* (s’étaler);
L’un fait le veel* (veau), l’autre fait la brebis:
Oncques ne vis gens ainsi requignier.

D’eulx regarder trop fort me merveilloye
Car en machant sembloient ennemiz* (des diables).
Faire autel l’un com l’autre ne veoie:
L’un machoit gros, l’autre comme souriz;
Je n’oy oncques tant de joye ne ris
Que de veoir leurs morceaulx ensacher (faire disparaître, engloutir).
Or y gardez, je vous jure et diz:
Oncques ne vis gens ainsi requignier.

L’envoy

Princes, qui est courroussez et pensis
Voist gens veoir qui sont a table mis.
Mieulx ne porra sa trisse laissier.
Des grimaces sera tous esbahis
Que chascun fait; j’en fu la bien servis:
Oncques ne vis gens ainsi requignier.


En vous souhaitant une excellente journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge, sous toutes ses formes.