Jeunesse, écarts de conduite et retours de bâton avec Meschinot

Sujet : poésie morale, poésie médiévale, poète breton, ballade médiévale, ballade satirique, auteur médiéval, Bretagne médiévale, grands rhétoriqueurs.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Titre : Le baston dont il est bastu
Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF
Ouvrage :  poésies et œuvres de Jean MESCHINOT, éditions 1493 et 1522.

Bonjour à tous,

ous repartons, aujourd’hui, pour les rives du Moyen Âge tardif pour y découvrir une nouvelle ballade morale de Jean Meschinot. Ce poète du XVe siècle occupa diverses fonctions à la cour de Bretagne. Il y fut notamment écuyer et hommes d’armes sous quatre ducs et fut aussi maître d’hôtel de Anne de Bretagne.

L’œuvre et le legs de Jean Meschinot

Son œuvre principale « Les Lunettes des Princes » valut longtemps à Meschinot une popularité posthume qu’atteste le grand nombre d’éditions produites après sa mort. Ce legs fut bientôt éclipsé par la renaissance. On le connaît aussi pour ses 25 ballades contre Louis XI dans lesquelles il emprunta les envois au Prince de Georges Chastellain. Il composa encore d’autres poésies, ballades et rondeaux dont même quelques pièces religieuses.

La poésie grave & vertueuse du banni de liesse

Jean Meschinot se distingue par une poésie morale et satirique qui ne s’épanche guère dans la farce et l’amusement. Quand ses préoccupations ne portent pas sur ses propres misères et déboires, elles vont aux devoirs de la noblesse et à la dénonciation des déviances et du manque de valeurs morales chrétiennes de son temps (abus politiques, cupidité, perfidie, etc…).

Cette œuvre dense et engagée a même valu à Meschinot un surnom qu’il reprend volontiers à son compte : « le banni de liesse ». Il se désigne notamment ainsi, à maintes reprises dans une pièce intitulée « la supplication que fist ledit Meschinot au duc de Bretaigne, son souverain seigneur« . Plus qu’un exercice littéraire, il s’agit d’une requête officielle qu’il déposa auprès de François II de Bretagne suite à un différent l’opposant à un autre noble du nom de Jean de BoisBrassu (1).

La postérité littéraire de Jean Meschinot

Cette gravité et cette mélancolie n’empêcheront pas Clément Marot de rendre un hommage posthume au poète breton dans ses vers, même si la postérité de ce dernier restera finalement de courte durée, à l’échelle de la littérature médiévale française. Après que ses Lunettes des Princes furent éditées dans le courant du XVIe siècle et sa première moitié, l’œuvre de Jean Meschinot fut peu reprise aux temps suivants. Le Moyen Âge entrait dans son hiver littéraire.

Pour ne rien ôter à Meschinot de sa  renommée, ni du prestige de son œuvre, précisons que de 1492 à 1539, on compte 25 éditions de ses Lunettes des Princes, ce qui en fait un vrai best seller, médiéval ou renaissant suivant les préférences de chacun en matière de chronologies.

Bien plus tard, à la fin du XIXe siècle, l’historien et chartiste Arthur de La Borderie fit paraître une belle biographie qui contribua à rediffuser l’œuvre du banni de liesse, en lui donnant un souffle nouveau (op cité). Reste que Meschinot n’a pas, pour autant, la reconnaissance d’un Rutebeuf, d’un Chartier ou d’un Villon pour une œuvre qui garde pourtant de l’intérêt.

Une poésie morale de Jean Meschino sur les écarts de conduite et les retours de bâton

Ballade morale du bâton pour se faire battre

Nous voilà donc rendu à la ballade du jour. En fait de refrain, Meschinot se sert d’un proverbe alors déjà connu depuis plusieurs siècles : « Tel garde et tient en sa maison Le baston dont il est bastu » nous dit il.

Si cette idée est encore en usage en français, sous une forme un peu différente (tendre le bâton pour se faire battre), on la retrouvait déjà dans un vieux poème occitan du milieu du XIIe siècle : « molt i fai grant foldat Cil qui nurrist lo basto ab que·s bat » autrement dit : « Il fait grande folie celui qui porte le bâton avec lequel on le bat”, Aigar et Maurin, chanson de geste provençale (vers 1152). Cet adage continuera, semble-t-il, de circuler en langue française aux siècles suivants et jusqu’au Moyen Âge tardif de l’auteur breton.

Pour Meschinot, cette ballade sera une nouvelle façon d’adresser les valeurs morales chrétiennes. Dans la fougue de la jeunesse, on peut se distraire mais attention à ne pas perdre de vue, son honneur, ni à s’égarer sur les sentiers de l’orgueil ou de la mécréance, au risque d’en payer le prix en retour. Entre plaisir, orgueil et folie, la vertu l’emporte toujours chez l’auteur breton. L’histoire ne dit pas si cette ballade s’adressait à un fils ou une fille de puissant dont il aurait pu avoir l’éducation en charge ? Mais peut-être ne fait-il que nourrir ici le même propos que ses lunettes de princes, en offrant un miroir pour éduquer les puissants.

Exercice de style et réthorique

Au delà du fond, Meschinot étale, dans cette poésie, son goût des pirouettes et des jeux de mots virtuoses : « le fol lye« , « se aise on« , « esbat eu« ,…). Avec le recul du temps, d’aucuns trouveront que le parti-pris alourdit un peu le propos et peut même nuire à la compréhension. D’autres en goûteront la saveur un peu désuète. Dans tous les cas, ces exercices de style sont assez caractéristiques des grands rhétoriqueurs dont Meschinot fut un des représentants reconnus au XVe siècle, avec Henri Baude, Olivier de la Marche, Georges Chastellain et quelques autres.

Aux sources anciennes de la ballade du jour

La ballade médiévale de Jean Meschinot dans le français 24314 de la BnF

Cette pièce fait partie d’une série de poésies qui fait immédiatement suite aux ballades adressées à Louis XI dans les éditions complètes des œuvres de Meschinot.

Du point de vue des sources, vous pourrez la retrouver dans le très coloré manuscrit médiéval Français 24314 de la BnF (à consulter sur Gallica). Pour la transcription en français moderne, nous nous sommes appuyés sur les éditions imprimées de 1493 et 1522.


Ballade morale du retour de bâton
dans le moyen français de Jean Meschinot

Jeunesse mère de folie
Partie adverse de raison
Par plusieurs façons le fol lye
(lie)
Pour le mener a desraison
Commettre luy fait maulx foison
Mais en fin tout bien debatu
Tel garde et tient en sa maison
Le baston dont il est bastu.

La maniere n’est pas jolie
De foloyer
(s’égarer, faire le fou) toute saison
Bien pour chacer mélencolie
En folie honneste se aise on
Mais pour dieu jamais ne faison
Que notre honneur soit rabatu
Car le maulvais a de moeson
(moisson)
Le baston dont il est bastu.

Un orgueilleux a chere lye
(à la mine joyeuse)
Prent peine sans comparaison
Plus que celluy qui s’humilie
En aymant dieu et oraison
Se bien nostre corps or aison
(aisier,satisfaire, mettre à l’aise)
Quand le foul est bien esbatu
(diverti, agité,… )
Son vice est sans aultre achoison
(prétexte, motif)
Le baston dont il est bastu.¨

Prince du jeune nous taison
Ayt mal plaisir ou esbat eu
Il doit hayr plus que poyson
Le baston dont il est bastu.


 En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes

(1) voir « Jean Meschinot, sa vie et ses œuvres, ses satires contre Louis XI », Arthur de la Borderie 1895, Bibliothèque de l’École des chartes.

Conférences : découvrir L’invention Du Moyen Âge Et Du Médiévalisme

Sujet : monde médiéval, histoire médiévale, histoire des représentations, médiévalisme.
Période : Moyen Âge, XVIIIe s au XXIe s
Conférences : l’Invention du Moyen Âge : du marquis de Paulmy à « Game of Thrones »
Organisateur : BnF, Bibliothèque de l’Arsenal, 1, rue de Sully – 75004 Paris
Dates : 18 décembre 2023, 15 janvier 2024, 5 février 2024
Intervenants : Fanny Maillet, Isabelle Durand, Vincent Ferré.

Bonjour à tous,

rands amateurs et amis du Moyen Âge sous toutes ses formes y compris les plus modernes, c’est au tour de la prestigieuse BnF de se pencher très sérieusement sur le sujet du médiévalisme. L’institution vous propose, en effet, tout prochainement, un détour par la Bibliothèque de l’Arsenal pour un cycle de conférences gratuites, animées par d’éminents médiévistes.

Du Moyen Âge au médiévalisme

Comment le Moyen Âge s’invite-t-il dans notre monde moderne et sous quelles formes ? Livres, fictions, jeux vidéo, jeux de rôles ou de plateaux, films et séries… Au XXIe siècle, les temps médiévaux continuent d’habiter nos productions culturelles modernes et, avec elles, un peu de notre quotidien. L’affaire n’est pas nouvelle. Le Moyen Âge, sa résurgence ou même sa réinvention sous les formes les plus diverses n’a guère tardé pour échapper à la courte éclipse dans laquelle avait voulu le plonger les auteurs renaissants ; même avec le plus grand des talents de plume, on ne tire pas impunément un trait sur mille ans d’histoire.

Voilà donc que le XVIIIe siècle voyait déjà renaître le Moyen Âge. Oui, mais lequel ? Sur ce nouveau terreau, notre bel objet historique se cherchait déjà de nouvelles racines et représentations sous l’impulsion du marquis de Paulmy. A quelque temps de là, suivraient bientôt les élans magnifiques des romantiques avec leur flamboyant, inquiétant et glorieux Moyen Âge. Plus tard, viendraient encore se greffer de nouvelles charges symboliques, de nouveaux territoires oniriques ou politiques, des espaces de luttes idéologiques et culturelles, de nouveaux horizons perdus ou à perdre, bref autant de nouveaux Moyen Âge(s).

La chose est actée. Depuis ses retrouvailles au XVIIème siècle (a-t-il jamais vraiment été perdu ?), le Moyen Âge projeté, revisité ou reconstruit n’a jamais cessé d’évoluer, de changer de visage. Et c’est justement cette longue et passionnante évolution, des premiers re- découvreurs des siècles passées jusqu’au Trône de Fer de G.R.R Martin, que la BnF vous propose de parcourir, à partir du 18 décembre prochain.

Le cycle de trois conférences prévu a pour titre : L’Invention du Moyen Âge : du marquis de Paulmy à « Game of Thrones ». En plus de ces interventions de qualité, les visiteurs auront la joie de découvrir quelques précieux manuscrits de la Bibliothèque de l’Arsenal pour illustrer tous ces propos.

Trois conférences pour mieux comprendre le Moyen Âge et le Médiévalisme

Ces trois conférences seront données à l’Arsenal même. L’entrée en sera gratuite mais il est recommandé de réserver et, à défaut de se présenter suffisamment à l’avance. Voici le programme de cet événement qui devrait donner des clés utiles de compréhension sur le Moyen Âge, ses représentations historiques et modernes, comme sur le médiévalisme.


Le Moyen Âge des Lumières.
Le marquis de Paulmy entre érudition et littérature

Date : le lundi 18 décembre 2023, à l’Arsenal.
Horaires : 18 h 30 – 20 h.

C’est la médiéviste Fanny Maillet, enseignante en littérature médiévale à l’université de Zurich qui l’aura en charge. Il sera ici question de se pencher sur le rôle et l’influence du marquis de Paulmy. Dans le courant du XVIIIe siècle, cet homme de culture, diplomate et homme d’Etat français a, en effet, contribué à la diffusion d’un certain Moyen Âge, notamment au travers de sa collection médiévale.

Qui était le marquis de Paulmy ?

Portrait d'Antoine-René de Voyer, marquis de Paulmy

Grand collectionneur et bibliophile du XVIIe siècle, Antoine-René de Voyer, marquis de Paulmy (1722-1787) fut à l’initiative de la transformation de l’Arsenal de Paris en ce qui deviendra plus tard la prestigieuse Bibliothèque de l’Arsenal.

Amis des livres et des anciens manuscrits, revoyez vos critères sur la définition de « belle » bibliothèque et sortez vos mouchoirs ! Celle du marquis de Paulmy contenait près de cent mille ouvrages. Autrement dit, de quoi donner le vertige ou même plutôt des envies de s’enfermer des milliers d’heures pour explorer tous ces trésors. Ils sont, aujourd’hui, sous la bonne garde du conservateur des lieux et de ses archivistes.

En grand lettré, le marquis de Paulmy fut aussi à l’initiative de nombreuses publications et de sélections à partir de sa vaste collection. En plus de rendre tribut à son influence sur une première relecture du Moyen Âge, c’est un double hommage que rendra ici la Bibliothèque de l’Arsenal à son lointain aïeul et fondateur.


L’invention du Moyen Âge par les écrivains romantiques

Date : le lundi 15 janvier 2024 à l’Arsenal.
Horaires : 18 h 30 – 20 h.

La professeure de littérature générale et comparée Isabelle Durand (université de Bretagne Sud) aura en charge cette deuxième conférence plus particulièrement ciblée sur les romantiques et leur nouveau souffle pour un Moyen Âge perdu et à reconquérir.

Portrait de Victor Hugo, féru de Moyen Âge au temps des romantiques.

La période couvrira le XVIIIe siècle de Jean-Charles-Emmanuel Nodier pour s’étendre au XIXe siècle de Victor Hugo. Comme dans toute analyse médiévaliste sérieuse, les préoccupations et projections immédiates des romantiques, dans leur entreprise de réinvention d’un Moyen Âge onirique et sublime, seront mises en exergue.


Le médiévalisme fait des vagues (XVIe-XXIe siècle)

Date : le lundi 5 février 2024 à l’Arsenal.
Horaires : 18 h 30 – 20 h.

Avec cette dernière conférence, on se rapprochera plus particulièrement du médiévalisme moderne. L’universitaire Vincent Ferré, professeur de littérature générale et comparée à l’université Paris 3-Sorbonne Nouvelle sera en charge de la conduire.

Prince Vaillant, affiche de cinéma, Moyen Âge et médiévalisme

Entre « réception savante » et Moyen Âge récréatif, l’intervenant se penchera ici sur les origines du médiévalisme. La conférence abordera particulièrement les questions soulevées par cette jeune discipline complexe qui tente de démêler les soutènements de tous ces Moyen Âge(s) de fiction, de pellicule, de costumes ou de papier. L’engouement pour ce monde médiéval qui n’en finit pas d’être à la mode et qui, par là, interpelle d’autant plus le médiévalisme, sera également examiné.


Voilà donc un programme de prestige à ne pas manquer si vous êtes en région parisienne à ces dates. N’oubliez pas de réserver le cas échéant. A cette fin, reportez-vous aux pages officielles de la BnF dédié à l’événement. Pour ceux qui se tiendront trop loin de la capitale et de l’Arsenal, on espère que la technique permettra d’assurer l’enregistrement et la rediffusion en ligne de ces conférences d’intérêt.

Sur le sujet du médiévalisme voir aussi:

 En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : le portrait du Marquis de Paulmy sur l’image d’en-tête est tirée d’un portrait daté du 18e, conservé au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. En arrière plan vous aurez reconnu le Dragon tiré du Trône de Fer de G.R.R. Martin.

Interlude Kaamelott : la série TV d’Alexandre Astier s’invite dans l’univers LEGO

Sujet  :  Kaamelott,  médiéval-fantastique, légendes arthuriennes, humour, série TV médiévale, roi Arthur, jouet, LEGO, fan, médiévalisme
Période  : haut Moyen Âge à central
Auteur/réalisateur :   Alexandre Astier
Designer : Thomas Maguer (2023)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, en lieu de Moyen Âge stricto sensu, nous vous invitons à un interlude médiévaliste sous une forme particulièrement originale. Nous vous proposons, en effet, un interview de Thomas Maguer. Tout récemment, cet architecte de formation d’origine bretonne a agité les réseaux sociaux, avec un projet assez original. Passionné de la série TV Kaamelott, il a, en effet, décidé d’inviter les légendes arthuriennes, revues et corrigées par d’Alexandre Astier, dans l’univers des jouets LEGO.

Buzz Kaamelott sur le site des jouets LEGO

Particulièrement soigné, le projet a été déposé sur idea.lego ; ce site officiel de la firme de jouets danoise encourage de jeunes créateurs à publier leurs projets de kits LEGO dans l’espoir de les voir, peut-être, réaliser un jour par la marque.

Sur les réseaux sociaux et les groupes de fans de Kaamelott, l’idée a rapidement séduit. Certains acteurs se sont même joints au buzz pour l’encourager : Guillaume Briat, (le roi burgonde dans la série TV) Serge Papagalli ( l’incontournable Guethenoc), Bo Gaultier de Kermoal (le bras droit d’Attila) et d’autres encore.

Finalement, le pic des 10 000 supporters susceptible de déclencher une vraie commission d’expertise chez LEGO a été atteint en un temps record. Bien sûr, rien n’est fait. Pour le moment, le projet LEGO Kaamelott reste une initiative privée et personnelle mais, qui sait ? A l’occasion d’un prochain Noël, les têtes blondes auront peut-être, la joie de rejouer les scènes cultes de la série TV humoristique d’Alexandre Astier, sous le sapin. En attendant, Thomas nous a fait l’amabilité de répondre à nos questions. Nous cédons donc sa place à son interview.

Tous les personnages de la série TV médiévale Kaamelott en kit Lego
Les personnages de la série TV Kaamelott au grand complet et sous forme de jouet LEGO

10 questions à Thomas Maguer, concepteur d’un kit LEGO sur l’univers de Kaamelott

Moyenagepassion : Bonjour Thomas, enchanté ! Depuis quelques semaines, on vous a vu, de plus en plus, sur les groupes Kaamelott et même quelques sites de news en ligne avec un projet original. Vous avez, en effet, décidé d’œuvrer pour faire entrer la série TV Kaamelott dans l’univers LEGO et, on peut le dire, avec brio. La réalisation du prototype est très soignée et on y retrouve un casting et des décors pratiquement au complet. Comment vous est venue cette idée originale ? C’est en relation avec votre parcours ou c’est tout à fait décorrélé ?

Thomas M : Un peu par hasard, en fait. Je suis français, installé en Australie et je tente, du mieux que je peux, d’apprendre le français a mes enfants : lecture, écriture, musique… Et culture, au sens large. La série télé Kaamelott répond de mon point de vue a deux des critères énoncés : elle fait partie de la culture et elle utilise un niveau de langage (a la fois soutenu et familier) qui me parait en faire une bonne base de transmission. En plus de quelques valeurs morales malgré un vernis humoristique affirmé.

Mais plutôt que de juste regarder les épisodes, je me suis lancé dans une pseudo-reconstitution avec des briques LEGO (car dans la famille on adore les LEGO). C’est là que je me suis dit que j’allais voir si ça avait déjà été fait, ou proposé sur la plateforme LEGO Ideas et, curieusement, non, ça n’avait jamais été officiellement proposé. Il ne me restait donc plus qu’à me lancer moi-même dans le projet !

Moyenagepassion : au passage, je me suis souvenu de deux séries Youtube déjà un peu datées qui reprenaient des épisodes de la série d’Alexandre Astier : une avec des LEGO et l’autre avec des Playmobil, je ne sais pas si vous les aviez vu ? Rien à voir en tout cas avec la qualité de réalisation de votre kit LEGO Kaamelott.

Thomas M : Oui, lors de mes recherches je suis tombé sur quelques épisodes (un seul LEGO en fait, les autres étant tous Playmobil, je n’en ai pas trouvé davantage). Je l’ai trouvé sympa, avec le même défaut auquel j’ai fait face : le choix figé d’une seule expression faciale. J’ai aussi vu des images un peu parcellaires de personnages de Kaamelott en LEGO, rien qui ne m’indique qu’un projet « a grande échelle » ait déjà été tenté. Notez que depuis, au moins deux internautes m’ont passé des photos de leur propre réalisation (principalement les personnages), que je n’avais pas vu avant.

Tous les décors de la série TV Kaamelott d'Alexandre Astier au format Lego.
Tous les décors cultes des premiers livres de la série TV refaits en LEGO

Moyenagepassion : Oui vous avez poussé la réflexion bien au delà de tout ça. C’est certain. Dans un autre registre, le Moyen Âge ou les légendes arthuriennes vous interpellent d’une manière ou d’une autre ? Ou, peut-être comme une grande partie du public vous avez plus accroché sur la série TV et votre intérêt se centre plus sur elle ?

Thomas M : Je suis breton, pays de légendes s’il en est, je connais Brocéliande pour y être allé plusieurs fois. J’avais vu le film avec Sean Connery il y a longtemps et avais apprécié les valeurs transmises au travers de cette adaptation. D’autres références culturelles liées au Moyen-Age s’y rajoutent comme Robin des Bois (films, livres, dessins animés) ou les croisades. Et bien sûr Kaamelott, dont j’ai été fan des le départ, d’abord pour le côté humoristique mais aussi pour sa vision « moderne » du Moyen Âge.

Moyenagepassion : Alexandre Astier a clairement revisité et moderniser les légendes arthuriennes, c’est certain ! Sinon, on trouve dans ce kit LEGO spécial Kaamelott de quoi reproduire à peu près tous les épisodes des formats courts. Vous avez même fait des créations en image avec certains citations originales et des petites scénettes qui fonctionnent plutôt bien. On imagine que vous êtes fan de la série Kaamelott de la première heure ?

Thomas M : Oui, je ne sais pas combien de fois j’ai vu et revu les épisodes !

le Roi Arthur, en compagnie de Guenièvre, Dame Séli et Leodagan à table (et en Lego)
Arthur à table avec Guenièvre et sa belle famille, des moments cultes de la série en LEGO

Moyenagepassion : Egalement, sur ce Kit LEGO, on est clairement plus dans l’univers des premiers livres que dans celui du film. Vous avez une petite préférence entre tous les livres ou même le long métrage ou vous prenez tout, comme un bon vrai fan à l’ancienne ?

Thomas M : C’est surtout que le format des premiers Livres (épisodes courts, à plans souvent fixes, aux décors souvent intérieurs) se prête bien aux scénettes en une image ; aussi, les costumes évoluent peu et sont plus colorés, ce qui permet d’en créer moins et de donner un effet plus attractif au set. C’était donc un choix pratique plus que personnel.

En ce qui me concerne, j’ai apprécié l’ensemble de la série, et même le film : pas mal décrié parmi les fans, je pense qu’il a fait les frais de 10 ans d’attente, et d’espérances peut-être un peu hautes, mais je l’ai trouvé très bien aussi, avec de riches décors, de nouveaux personnages, un rythme différent…

Moyenagepassion : C’est vrai aussi qu’en plus des décors et du format, le film Kaamelott premier Volet a aussi fait un vrai virage sur les costumes. Et pour la réalisation technique de cette collection LEGO alors, comment vous y êtes-vous pris ? Impression 3D, bricolage sur de l’existant ? Les accessoires et les décors sont au moins aussi réussis que les personnages et on trouve pratiquement tous les sets de tournages des premiers livres et même les accessoires de tournage.

Thomas M : Merci de votre retour positif ! Mais au risque de décevoir, tout est digital. Le château a été réalisé avec Bricklink Studio, un logiciel spécialement conçu pour ça. Pour les personnages (le plus long à faire), j’utilise Adobe Photoshop pour créer les costumes et les visages (sur une base tirée d’internet ou directement une capture d’écran de la série). Puis je me sers de Bricklink PartDesigner pour « imprimer » ces images sur les mini-figures digitales, avant de les importer dans Bricklink Studio pour les mettre dans le modèle du château.

Moyenagepassion : Le résultat est en tout cas plus vrai que nature 😉 Sans cela, avez-vous eu des contacts avec Alexandre Astier, sa société de production ou ses équipes ? Un retour encourageant ?

Thomas M : Non. J’ai tenté de prendre contact tout au long de la période de promotion par divers moyens mais sans succès. J’ose imaginer qu’il a été informé du projet par un moyen ou un autre (quelques acteurs de la série m’ont répondu et ont apprécié leur figurine LEGO) mais je ne peux pas savoir ce qu’il en pense :/

Série Kaamelott : les chevaliers de la table ronde en plein tournage (au format Lego)
Les chevaliers de la table ronde (avec leurs casques) en plein tournage et au format LEGO

Moyenagepassion : Alexandre Astier n’a pas l’air très facile à approcher. Il semble assez peu fréquent également qu’il se manifeste sur des projets autour de licence Kaamelott extérieures à ses propres initiatives (relativement rares par ailleurs). Pour revenir à cette opération fulgurante sur le site LEGO, apparemment le compteur est désormais bouclé. Combien de temps aura-t-il fallu pour atteindre le cap des 10 000 inscrits ?

Thomas M : Oui, il ne manque personne, nous avons atteint les 10,000 soutiens il y a deux semaines, après seulement 35 jours de campagne, ce qui est très court.

Moyenagepassion : Et qu’est-ce qui se passe à partir de maintenant ? Les pontes marketing de LEGO se réunissent en interne ? Si l’idée les séduit, ils entrent en contact avec vous, mais aussi on imagine avec Alexandre Astier, peut-être même Calt Production ? Tout est mis à plat avec les détenteurs des droits. Ça discutaille et ça « pourparle ». Y-a-t ’il des butés économiques pour décider LEGO à ce lancer sur ce genre de kit ? Vous avez creusé un peu cet aspect ?

Thomas M : La viabilité commerciale est sans aucun doute ce qui guidera LEGO dans sa décision de produire le set ou non. S’ils décident de le produire, leurs études marketing dicteront surement quelle audience, quel type de set, si on en fait une série ou pas… (gros, petit, plus pour jouer ou pour exposer, avec un prix élevé ou plus raisonnable…).

A savoir aussi que LEGO peut dévier de l’idée soumise, et en faire quelque chose de franchement différent ! Bien entendu, Kaamelott étant une série française, ses chances d’être lancée en production sont plus faibles que pour des licences internationales, mais la Table Ronde est un « concept » international, rien ne les empêche de partir sur cette idée s’ils pensent que ça se vendrait mieux. Je serai curieux de savoir mais n’ai aucune idée quant au nombre de sets produits ou vendus, ni combien il faut en vendre pour en faire une production « rentable ». LEGO ne communique pas ou très peu sur cette partie de leur business.

Moyenagepassion : Oui, on imagine que ça reste de la cuisine interne et un peu confidentielle. Affaire à suivre donc ! On espère que cela se concrétisera parce que sur le papier, ça semble prometteur. Il y a certainement des dizaines de milliers de fans de la série, sinon plus qui seraient prêts à faire le pas. Dernière question, en découvrant les personnages de ce kit LEGO Kaamelottien, je n’ai pas vu Ménéagant ? Vous en avez prévu une version lyophilisée ?

Thomas M : Méléagant n’apparait qu’à partir du Livre V si je ne m’abuse, et le set est surtout basé sur les Livres I a IV. Mais il se pourrait qu’un autre projet voit le jour l’année prochaine et je compte bien y intégrer quelques surprises 🙂

Moyenagepassion : Voilà qui devrait mettre encore les fans de la série sur les dents. Félicitations, en tout cas, pour ce premier succès, en espérant qu’il se concrétise et merci pour cet entretien.


Retrouvez nos autres articles sur la série Kaamelott
Découvrir nos épisodes audio pastiches sur la série.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Le miracle de la cantiga de Santa Maria 47 et l’apparition du démon à un moine ivre

Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Sainte-Marie, démon, apparition, vin, ivresse.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre : CSM 47  « Virgen Santa María,
guarda-nos, se te praz
« 
Interprète : ArteFactum
Album : En el scriptorium (2006)

Bonjour à tous,

os pérégrinations médiévales du jour nous entraînent à la cour d’Alphonse X de castille, au cœur de l’Espagne du XIIIe siècle. Nous y recroiserons le large corpus des Cantigas de Santa Maria que le sage et savant monarque espagnol compila sous son règne.

C’est la cantiga de Santa Maria 47 qui sera, aujourd’hui, l’objet de notre intérêt. A l’habitude, nous vous proposerons un commentaire de ce chant médiéval, accompagné de sa partition ancienne, de sa traduction en français moderne, mais encore une belle version en musique.

L’importance des cantigas de Santa Maria

Avec plus de 420 chants dédiés à la vierge Marie, les cantigas de Santa Maria d’Alphonse X restent un témoignage essentiel de la musique comme du culte marial de cette partie du Moyen Âge. C’est aussi une source importante pour l’étude du galaïco-portugais, langue largement en usage dans la littérature de la péninsule ibérique médiévale de cette période.

En matière de legs, les partitions comme les paroles des cantigas de Santa Maria ont été consignées dans de très beaux manuscrits médiévaux. S’ils n’abondent pas, ils nous sont parvenus en nombre suffisant pour restituer l’ensemble du corpus. Ils sont aussi superbement conservés.

Sur la scène des musiques anciennes et médiévales, les plus célèbres formations comme les plus modestes ont d’ailleurs été nombreuses à s’attaquer à la restitution de ces chants mariaux. Les enluminures foisonnantes de certains manuscrits des cantigas se sont aussi avérées très utiles pour les musicologues et les amateurs d’ethnomusicologie. Elles ont, en effet, permis (et permettent encore) à tous ces musiciens et experts de retrouver les instruments d’époque utilisés pour jouer les cantigas d’Alphonse X.

Un roi troubadour sur les traces du culte marial

Quelle est l’origine des cantigas de Santa Maria ? En suivant leur préface, elles sont nées du désir d’Alphonse X d’exercer son « art de trobar », tout en rendant hommage à la vierge Marie. De fait, on prête généralement au souverain une partie importante de la composition de ces chants aux influences musicales et poétiques troubadouresques. Certaines de ses chansons hors du corpus de CSM nous apprennent, par ailleurs, que le roi espagnol était un grand amateur et connaisseur de l’art de trobar.

Dans cette même tradition des troubadours du sud de la France médiévale, les chants mariaux des CSM restent monodiques. On retrouve aussi, tout au long des textes, un poète très soucieux d’entretenir une relation étroite à son auditoire, un peu à la façon d’un jongleur itinérant ou d’un conteur de fabliau : « on m’a dit », « j’ai entendu dire », « je vais vous conter ici » ….

Des miracles en provenance de multiples lieux

Dans les cantigas de Santa Maria, le souverain espagnol, aussi pieux que féru de littérature, nous invite à parcourir les différentes routes et lieux de pèlerinages médiévaux dédiés à la Sainte. L’angle choisi est principalement celui des miracles mais le corpus contient également des chants de louanges (quarante-quatre en tout) qui viennent rythmer ce corpus et s’insérer entre les récits miraculeux.

Concernant leurs origines, les récits de miracles des CSM viennent en grand nombre des différentes provinces de l’Espagne médiévale. Toutefois, ils peuvent aussi déborder largement des frontières de la péninsule ibérique. Des histoires venues de l’Europe médiévale, de l’Afrique du nord, et même du Moyen-Orient y sont mentionnées. C’est donc un voyage dans le monde spirituel autant que dans la géographie médiévale et ses pèlerinages qui nous est proposé.

Exemplarité et dévotion à portée de tous

En plus des louanges faites à Marie, l’occasion est aussi donnée à l’auteur des cantigas de sensibiliser son auditoire à l’exemplarité de la foi et aux bénéfices directs que tout sujet peut en retirer, si modeste et humble soit-il. Les miracles des cantigas de Santa Maria sont, en effet, presque tout entiers centrés sur les individus, leurs misères et leur dévotion (grande, absente ou défaillante).

Qu’il suffise au lecteur de feuilleter ces récits ou de découvrir leur traduction. Il se rendra vite compte qu’au delà de leur dimension fantastique, la vocation de ces chants mariaux est d’illustrer, dans les grandes largeurs, à quel point la foi mariale peut soulever des montagnes pour tout un chacun, par delà sa condition et même sa religion.

On notera aussi que ces miracles ont toujours des refrains simples à retenir. En scandant le récit, ils semblent inviter l’audience à la reprise en chœur des louanges à la Sainte et on se prend à imaginer leur usage sur les routes des pèlerinages.

Culte marial et dévotion médiévale à la vierge

Au Moyen Âge central et particulièrement au XIIIe siècle, le culte marial est à la génèse d’un grand nombre de récits de miracles qui nourrissent la foi des pèlerins alors nombreux à se rendre vers les lieux saints édifiés en dévotion à la vierge. Les cantigas reflètent cette grande diversité, autant que cette effervescence et cette ferveur à l’endroit de l’image de la vierge.

La dévotion mariale traversera cette partie du Moyen Âge et la suivante en inspirant les auteurs les plus divers, clercs, religieux, troubadours et trouvères. On fait alors appel à la Sainte pour qu’elle intercède auprès de son fils, le Dieu mort en croix. En plus de sa grande mansuétude et sa grande bonté, on lui prête aussi la capacité d’avoir l’oreille du Christ.

Cet amour suscité par Marie prendra des formes diverses, dans des textes profanes comme religieux. Il héritera quelquefois même de certains éléments de la lyrique courtoise pour devenir le plus pur des amours, celui de la dame inaccessible, la fleur des fleurs idéale que l’on ne pourra jamais prétendre approcher tout à fait.

La cantiga de Santa Maria 47 : ivresse démoniaque & salvation miraculeuse

La partition de la Cantiga de Santa Maria 47 dans le manuscrit médiéval Codice Rico de la Bibliothèque de l'Escurial

Le récit de la Cantiga de Santa Maria 47 est celui d’un miracle. Il y sera question de vin. Pourtant, nous sommes loin, ici, des noces de Cana ou même de la Cantiga 23 sur le même thème. En fait d’usage divin du breuvage ou de changement d’eau en vin, c’est cette fois le démon qui tentera de tirer partie des vertus alcoolisées du jus de la treille.

Un pauvre moine, dévot d’ordinaire, en fera les frais. Emporté par son élan et la ruse du démon, il en boira plus que son compte. Finalement plongé dans un état avancé d’ébriété, il se décidera tout de même à se rendre à l’église. Hélas ! il en faudra plus pour arrêter le démon et le frère subira ses assauts répétés. Ce dernier prendra même diverses formes dans une sorte de défilé dantesque, pour empêcher le dévot de se rendre à l’office. Il faudra alors une invocation fervente de la vierge et une intercession de cette dernière pour secourir le moine égaré.

Un rappel à l’ordre bénédictin pour le moine dévot

L’histoire ne nous dit pas si le moine était bénédictin. Une fois sauvé des griffes du démon par l’intervention de la Sainte, il se verra toutefois rappeler indirectement un des préceptes déjà cher à Saint Benoit pour régler la vie des moines : « Nous lisons que le vin ne convient aucunement aux moines. Pourtant, puisque, de nos jours, on ne peut en persuader les moines, convenons du moins de n’en pas boire jusqu’à satiété, mais modérément, car le vin fait apostasier même les sages.« 

Paroles et enluminures de la CSM 47 dans le manuscrit T1 de la Bibliothéque du monastère de Saint-Laurent de l'Escurial
Les Somptueuses enluminures de la cantiga de Santa Maria 47 dans le codice Rico

Métamorphoses, apparitions démoniaques
et combat au grand jour du bien et du mal

A l’image d’autres récits des cantigas de Santa Maria, le miracle de la CSM 47 met en scène, de manière particulièrement spectaculaire, l’opposition du bien et du mal et leur intervention directe dans le quotidien de l’homme médiéval. Fourbe et tentateur, le malin peut y prendre les formes les plus diverses pour tenter les plus assidus.

Rien n’est pourtant jamais gagner d’avance pour lui non plus et il se trouve confronté plus d’une fois aux forces divines incarnées par Marie. Elle peuvent apparaître, en un éclair, au secours du malheureux pour peu que ce dernier les invoque avec sincérité. Gare alors au démon qu’elle que soit sa ruse ou ses formes ! Face à la Sainte, il ne pèse guère et le voilà rendu à se carapater.

A travers leur déroulement, les récits des cantigas illustrent parfaitement comment le magique peut surgir au détour de n’importe quel virage au Moyen Âge. On pourra repenser à nouveau ici à cette citation de Jacques le Goff sur « ce diable médiéval si peu avare d’apparitions« . Dans ce monde pétri de transcendance, de craintes de fauter comme d’espoirs de salut, le spirituel et le surnaturel ont acquis le droit de s’inviter et de se manifester, à n’importe quel moment, dans le temporel.

Aux sources médiévales de cette cantiga

Pour les sources, partitions et enluminures de cette cantiga, nous nous sommes accompagnés, tout au long de cet article, du très beau Codice Rico de la Bibliothèque Royale du monastère de l’Escurial à Madrid. Ce manuscrit, médiéval daté de 1280 et référencé Ms. T-I-1, contient l’ensemble des cantigas de Santa Maria et leur notation musicale. Vous pouvez le consulter en ligne sur le site digital officiel de la Bibliothèque. Place maintenant, et comme promis, à une belle version en musique avec ArteFactum !

La Cantiga 47 par l’ensemble médiéval ArteFactum

L’ensemble ArteFactum & les cantigas

Nos lecteurs connaissent désormais Artefactum. Formé en 1995, cet ensemble de musiques médiévales andalou a, depuis, fait montre d’un grand talent pour restituer le monde médiéval et ses musiques.

Discographie & programmes

Au terme d’une carrière de prés de 30 ans, la discographie d’ArteFactum est finalement assez sélective et réduite. Elle compte un total de six albums produits au fil des ans. Les sujets sont aussi variés que les danses du Moyen Âge, les chants de troubadours, les Carmina Burana, ou encore les musiques médiévales de pèlerins ou celles autour des fêtes de Noël. Les Cantigas de Santa Maria ont également fourni le thème d’un album relativement précoce dont est tirée la pièce du jour.

Si cette formation de musiques médiévales, n’a pas sorti grandes quantités d’albums, il faut souligner la grande richesse de ses prestations scéniques. Ses programmes dépassent, en effet, de loin les enregistrements studios en terme de thématique. Enfin, si l’ensemble ArteFactum est particulièrement actif sur la scène médiévale espagnole, on peut également le retrouver sur d’autres scènes européennes. Il a même fait voyager sa passion pour les musiques du Moyen Âge jusqu’en Australie ! Pour suivre Artefactum, vous pouvez retrouver son actualité ici (en espagnol et anglais).

En El Scriptorium l’album
un bel hommage aux cantigas d’Alphonse X

En 2006, l’ensemble médiéval partait à la rencontre des cantigas de Santa Maria et quelle rencontre ! Intitulé « En el Scriptorium« , l’album présente onze pièces de haute tenue pour 56 minutes d’écoute.

L'album "En el Scriptorium" de l'ensemble médiéval Arte Factum.

Les arrangement musicaux, autant que les performances vocales font de cet album une vraie réussite. La voix de la chanteuse soprano Mariví Blasco y apporte aussi une vraie note de fraîcheur. Pour le reste, tout y est joyeux, virevoltant, enlevé et ArteFactum signe, à nouveau là, une très belle production.

En el Scriptorium est, pour le moment, annoncé comme épuisé sur le site officiel de l’ensemble musical. En cherchant un peu, vous pourrez peut-être le débusquer au format CD chez votre meilleur disquaire. Dans l’hypothèse contraire, voici un lien utile pour le trouver en ligne au format MP3.

Musiciens ayant participé à cet album

Mariví Blasco (voix), Francisco Orozco (voix et luth), Vicente Gavira (voix), José Manuel Vaquero (vielle à roue, chœur, organetto), Juan Manuel Rubio (santour, viole, harpe médiévale, chœur), Ignacio Gil (flûtes, chalemie, flûte traversière, chœur), Álvaro Garrido (percussions, tambourin, astrabal, tombak, …)


La cantiga de Santa Maria 47
et sa traduction en français moderne

Esta é como Santa María guardou o monge, que o démo quis espantar por lo fazer perder.

Virgen Santa María,
guarda-nos, se te praz,
da gran sabedoría
que eno démo jaz.

Ce chant raconte comment Sainte Marie protégea un moine que le démon voulut effrayer afin qu’il se perde.

Vierge Sainte-Marie,
Sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse
Qu’il y a dans le démon.

Ca ele noit’ e día punna de nos meter
per que façamos érro, porque a Déus perder
hajamo-lo téu Fillo, que quis por nós sofrer
na cruz paxôn e mórte, que houvéssemos paz.
Virgen Santa María…

Car de nuit comme de jour, il lutte
Pour que nous commettions des erreurs, qui nous font perdre Dieu
ton fils, qui a voulu pour nous souffrir,
La passion et la mort sur la croix, pour que nous connaissions la paix,

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qui réside dans le démon.

E desto, méus amigos, vos quér’ óra contar
un miragre fremoso, de que fix méu cantar,
como Santa María foi un monge guardar
da tentaçôn do démo, a que do ben despraz.
Virgen Santa María…

Et à propos de cela, mes amis, je veux vous conter à présent,
Un merveilleux miracle, dont j’ai fait mon chant,
Et qui conte comment Sainte Marie garda un moine
De la tentation du démon qui a le Bien en horreur,

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.

Este monj’ ordinnado éra, segund’ oí,
muit’, e mui ben sa orden tiínna, com’ aprendí
mas o démo arteiro o contorvou assí
que o fez na adega bever do vinn’ assaz.
Virgen Santa María…

Ce moine était ordonné, d’après ce que j’ai entendu
Et il suivait la règle avec application, comme j’ai pu l’apprendre
Mais le démon plein de ruse le perturba (contorver /détourner) de telle façon
Que dans le cellier, il lui fit boire du vin en excès.

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.

Pero beved’ estava muit’, o monge quis s’ ir
dereit’ aa eigreja; mas o dém’ a saír
en figura de touro o foi, polo ferir
con séus córnos merjudos, ben como touro faz.
Virgen Santa María…

Bien que passablement ivre, le moine voulut aller
Directement à l’Eglise, mais le démon vint à sa rencontre
Sous la forme d’un taureau, et se précipita sur lui pour le charger
le front baissé et toutes cornes dehors, comme le fait un taureau.

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.

Quand’ esto viu o monge, fèramên s’ espantou
e a Santa María mui de rijo chamou,
que ll’ apareceu lógu’ e o tour’ amẽaçou,
dizendo: “Vai ta vía, muit’ és de mal solaz.”
Virgen Santa María…

Quand le moine vit cela, il en fut terriblement effrayé
Et il appela Sainte Marie avec tant de force
Qu’elle apparut sur le champ et menaça le taureau
En disant : « Passe ton chemin, toi qui n’est que nuisance.


Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.

Pois en figura d’ hóme pareceu-ll’ outra vez,
longu’ e magr’ e veloso e negro come pez;
mas acorreu-lle lógo a Virgen de bon prez,
dizendo: “Fuge, mao, mui peor que rapaz.”
Virgen Santa María…

Puis, le démon apparut cette fois, sous la forme d’un homme,
Mince et tout poilu, noir comme la poix ;
Mais la Vierge de haute valeur, s’en approcha sans tarder
En disant : « Fuis, malin, pire que le pire des laquais »
(1).

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.

Pois entrou na eigreja, ar pareceu-ll’ entôn
o démo en figura de mui bravo leôn;
mas a Virgen mui santa déu-lle con un bastôn,
dizendo: “Tól-t’, astroso, e lógo te desfaz.”
Virgen Santa María…

Puis le moine entra dans l’église et lui apparût alors
Le démon, sous la forme d’un lion furieux.
Mais la vierge très sainte le frappa avec un bâton,
En disant : « Ote toi d’ici, oiseau de mauvais augure
(2) et disparais sur le champ »

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.

Pois que Santa María o séu monj’ acorreu,
como vos hei ja dito, e ll’ o medo tolleu
do démo e do vinno, con que éra sandeu,
disse-ll’: “Hoi mais te guarda e non sejas malvaz.”
Virgen Santa María…

Après que Sainte Marie eut secouru son moine,
Comme je viens de vous le conter, et que sa peur s’en fut
Du démon comme du vin qui l’avaient rendu fou,
Elle lui dit : à partir de maintenant, fais plus attention à toi et ne sois pas méchant.
(3)

Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait,
De la grande ruse qu’il y a dans le démon.


Vous pouvez retrouver ici l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria étudiées et traduites jusqu’à présent.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes :

(1) On trouve en galicien médiéval une forme du mot « rapaz » utilisée, de manière péjorative, pour désigner la rapacité de certains valets, serviteurs. Nous avons donc choisi ici « Laquais ». On trouvera des traductions plus littérales qui prennent comme référence l’oiseau rapace. En langue française, on pourrait peut-être utiliser « vautour » pour raccrocher sur cette idée dépréciative. Concernant les acceptions variées du mot rapace en galicien médiéval, voir ce lien sur l’institut d’études galiciennes de l’Université de Santiago de Compostelle.

(2) Astroso : créature mauvaise, perfide, funeste.

(3) Malvaz : littéralement « méchant ». Ne fais pas le mal, ne commets pas de péchés, comporte toi selon la règle.

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