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Amour courtois : une chanson du Trouvère Jehan de Lescurel

Sujet : musique médiévale, amour courtois, chanson, Ars Nova, trouvère, compositeur médiéval, manuscrit français 146.
Période : Moyen Âge, fin XIIIe, début XIVe s
Titre : « Comment que, pour l’éloignance« 
Auteur : 
Jehannot  de Lescurel ou Jehan) de Lescurel
Ensemble : Syntagma et Alexandre Danilevsky
Album :
Lescurel : Songé .i. songe (2015)

Bonjour à tous,

otre voyage médiéval du jour nous conduit à la fin du Moyen Âge central, pour y découvrir une nouvelle chanson du trouvère Jehan de Lescurel ou Jehannot de Lescurel.

La vie de ce poète et compositeur de la fin du XIIIe et des débuts du XIVe siècle nous est assez peu connue mais il nous a légué une belle œuvre musicale et poétique, trempée d’amour courtois. Elle se compose d’un peu plus de trente pièces annotées musicalement. On les trouve notamment regroupées dans le manuscrit médiéval Français 146 de la BnF, aux côtés d’autres œuvres datées de la fin du XIIIe et de cette période.

L’amour de Loin de Jehan de Lescurel

La chanson médiévale que nous vous proposons de découvrir est dans la lignée du répertoire de Jehan de Lescurel. Elle appartient donc, pleinement, au registre de la lyrique courtoise.

Jehan de Lescurel nous conte sa douleur de l’éloignement mais plus encore l’amour entier et les beaux sentiments que lui inspire sa belle. Bien que physiquement loin d’elle, sa seule évocation suffit à le conforter et à confirmer son amour.

Si la peine est évoquée dans cette jolie pièce courtoise, l’ensemble reste léger et le compositeur médiéval y mêle adroitement tristesse et joie.

Sources manuscrites médiévales

Comme mentionné plus haut, l’œuvre de Jehannot de Lescurel peut être retrouvée dans le manuscrit médiéval Français 146. Cet ouvrage enluminé contient également le Roman de Fauvel de Gervais du Bus, ainsi que la Chronique métrique de Geoffroy de Paris. Ce manuscrit, daté des débuts du XIVe siècle, se trouve actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF. Il peut également être consulté en ligne sur gallica.fr.

Pour la transcription de la chanson du jour en graphie moderne, nous avons repris celle de l’ouvrage « Chansons ballades et rondeaux de Jehannot de Lescurel » (Librairie P. Jannet, Paris, 1855), du chartiste et historien de l’art Anatole de Montaiglon.

L’Ensemble Syntagma & Jehan de Lescurel

Les chansons de Jehan de Lescurel ont été reprises par plusieurs formations de la scène musicale médiévale. Pour la version du jour, nous avons choisi de revenir à la version de l’Ensemble Syntagma. Elle est extraite du livre album « Lescurel : Songé .i. songe – Chansons & Dit enté, Gracieux temps » dont nous vous avons déjà touché un mot (voir article).

Une belle version en musique signée de l’Ensemble Syntagma

Lescurel : Songé .i. songe, le livre album

En plus de l’interprétation talentueuse de Syntagma sous la direction d’Alexandre Danilevsky, ce bel enregistrement de 64 minutes propose un livret très complet pour accompagner le CD. On trouvera aussi sur cette production le Dit Enté de Jehan de Lescurel. C’est assez rare et exclusif pour être souligné.

Pour débusquer cet album, tentez votre chance chez votre disquaire préféré. En ligne, il semble, pour l’instant, épuiser et en attente de réédition. On peut également retrouver certaines pièces de cette production sur la chaîne Youtube de l’ensemble Syntagma.

« Lescurel : Songé .I. Songe », le livre album de Syntagma sous la direction de Alexandre Danilevski

Musiciens ayant participé à cet album

Agnieszka Kowalczyk-Lombardi (voix), Mami Irisawa (voix) Akiro Tachikawa (voix), Thais Ohara (vielle, rebec), Agileu Motta (luth, guiterne), Bernhard Stilz (instruments à vent), Anna Danilevski (flutes, vielle, trompette marine), Jean-Pierre Pinet (flute), Benoît Stasiaczyk (percussions), Alexandre Danilevski (luth, viole de gambe, vielle, cistre)


Comment que, pour l’éloignance
de Jehan de Lescurel en langue d’Oïl


Comment que, pour l’éloignance,
Du très dous pays, où maint
Celle qu’aim sanz decevance,
Ai souffert meschief maint,
L’espoir qu’ai, qu’encore m’aint
La doucette simple et coie,
Fait que mon cuer li remaint
Et que mon cors vit en joie.

Par ramembrer sa semblance
Me sens d’amer si ataint
Que mon cuer d’autre plaisance
N’a, ne de grief se plaint.
Le desir que me remaint,
— Dex, si qu’à lesir la voie —
Fait que mon cuer li remaint
Et que mon cors vit en joie.

Souvent sens grief et pesance
Que mon cuer que liés soit faint,
Par ce c’on ait connoissance
De quel mal le vis ai taint,
Ne qui la belle est, qui craint,
Pour qui Amours, où que soie,
Fait que mon cuer li remaint
Et que mon cors vit en joie.

Traduction en français actuel

Bien que par l’éloignement
Du très doux pays où se trouve
Celle que j’aime sans détour (tromperie)
J’ai souffert maints déboires (infortune)
L’espoir que j’ai qu’elle m’aime encore,
La douce simple et tranquille,
Fait que mon cœur lui est acquis
Et que mon corps vit en joie.

En me souvenant de son visage,
Je me sens si profondément amoureux
Que mon cœur ne cherche d’autres plaisirs,
Et ne se plaint de rien.
Le désir que j’en conserve (qu’il m’en reste)
— Dieu, de sorte que s’il m’est permis de la voir —
Fait que mon cœur lui demeure
Et que mon corps vit en joie.

Je ressens souvent peine et accablement
Quand mon cœur feint d’être en joie
Car personne ne sait vraiment
Quel est ce mal qui assombrit (teint) mon visage
Ni qui est la belle qui m’inspire tant de crainte,
Et pour qui, Amours, où que je me trouve
Fait que mon cœur lui demeure
Et que mon corps vit en joie.


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Amour Courtois : une Belle Cantiga de Amor du roi Denis 1er

Sujet : troubadour, lyrique courtoise, galaïco-portugais, poésie, chanson médiévale, cantigas de amor, musique médiévale, amour courtois.
Période : Moyen Âge central, XIIIe, XIVe siècle
Titre : O que vos nunca cuidei a dizer
Auteur : Denis 1er du Portugal (1261-1325)
Interprète : Ensemble Capella de Ministrers
Album : Regina ( 2023)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons un voyage en direction du Portugal médiéval. Entre les XIIIe et XIVe siècles, le roi Denis 1er s’adonne à la courtoisie et à l’art du trobar. Son genre de prédilection : les cantigas de amigo et les cantigas de amor alors très en vogue dans la péninsule. La langue est celle privilégiée alors par la littérature espagnole autant que portugaise : le galaïco-portugais. Pas de panique toutefois. Bien entendu, nous vous en fournirons la traduction en français actuel.

Un roi poète et troubadour

Dans la péninsule ibérique du Moyen Âge central, le souverain Denis 1er du Portugal appartient à cette classe de rois troubadours, intellectuels et poètes dans la lignée d’un Alphonse X ou d’un Thibaut de Champagne. Au delà de ses talents de poète, Denis 1er a également laissé la réputation d’un roi soucieux de gestion, de réforme agricole et du bon soin de ses sujets (voir notre biographie du Denis 1er du Portugal roi troubadour et laboureur )

Un leg poétique abondant

Les registres des cantigas attribuent pas moins de 137 pièces au roi poète portugais. Si l’on est loin des productions d’un Alphonse X de Castille, cela demeure une œuvre de belle taille. On y retrouve plus de 50 cantigas de amigo et quelques 73 cantigas de amor. Elles sont complétées par quelques chansons d’escárnio et de maldizer, ainsi que trois pastourelles.

La chanson médiévale que nous vous proposons, aujourd’hui, appartient au registre des cantigas de amor du roi Denis. Pour redire un mot de leurs différences, dans les cantigas de Amigo, le poète met en scène le plus souvent, une belle dans l’attente de son cher et tendre (voir Martin Codax, ou Lourenço Juglar). Ce genre évoque plus directement ce que nous connaissons sous le nom de chansons de toile.

Les cantigas de amor sont, quant à elle, plus proches des codes de la lyrique courtoise tels que les pratiquent les troubadours occitans ou les trouvères du nord de France. Le poète, loyal amant, déclare son amour et ses peines à la dame et se tient à sa merci.

Les chemins tortueux de l’amour courtois

Dans la cantiga de amor du jour, Denis 1er s’adonnera à cet exercice d’amour courtois dans des formes qui nous sont familières. On y retrouvera notamment les thèmes de la douleur du loyal amant, son désarroi et son serment d’allégeance envers celle à qui il destine ses vers.

Le roi poète ouvrira son cœur à sa belle et, du même coup, occasion, sa grande tristesse. Il aura même une confession à lui faire. Son amour pour elle est si grand qu’il en est lui-même terrifié. Se voyant littéralement mourir pour elle et pour se soustraire à ce désarroi, il a même laissé entendre à la dame qu’il en aimait une autre. Mais ce n’était qu’un mensonge inspiré par sa grande crainte face à son amour véritable et la dame peut être rassurée ; il n’éprouve rien pour cette fausse rivale qu’il a peut-être même inventé. Quand on vous disait que c’était tortueux !

A présent, pourtant, si la dame (l’élue, la vraie, la seule) veut tuer le troubadour, qu’elle le fasse. Le roi poète en éprouvera même du soulagement et le prendra comme un acte de miséricorde. Que la dame le tue pour mettre fin à ses tourments amoureux et, si elle souhaite le rejeter, qu’elle le tue une deuxième fois car le peu de temps qu’il lui reste à vivre ne sera plus d’aucune valeur sans elle. Bref, comme aurait dit Johnny : l’amur fu quoi !

Aux sources médiévales de cette cantiga

On peut retrouver cette chanson d’amour médiévale du roi Denis du Portugal dans le Cancioneiro Colocci-Brancuti  connu également sous le nom de Cancioneiro da Biblioteca Nacional. Ce manuscrit du XVIe siècle (issu vraisemblablement d’un original du XIVe) contient un très large répertoire de chansons galaïco-portugaises du Moyen Âge central. Il est actuellement conservé à la Bibliothèque Nationale Portugaise à Lisbonne (voir en ligne).

Le Cancioneiro da Vaticana, autre chansonnier célèbre pour ses pièces galaïco-portugaises, la présente également. Enfin quelques traces en subsistent dans le Parchemin Sharrer.

O que vos nunca cuidei a dizer, la cantiga de Amor du roi Denis dans le Cancioneiro Colocci-Brancuti 

La Capella de Ministrers à la restitution
du patrimoine musical espagnol

Pour découvrir cette pièce en musique, nous vous proposons la version qu’en donnait l’ensemble la Capella de Ministrers, en 2023, dans son album Regina.

Un très bel album de la Capella de Ministrers dédié aux reines d’Aragon.

Depuis sa formation en 1987, l’ensemble la Capella de Ministrers n’a cessé d’afficher sa volonté de restauration et de restitution du patrimoine musical espagnole. Sous la direction de Carles Magraner, la formation a ainsi eu l’occasion d’explorer le répertoire des musiques de la péninsule ibérique, du Moyen Âge au XIXe siècle. Sa longue carrière lui a forgé une solide réputation sur la scène des musiques anciennes espagnoles mais pas seulement. La Capella de Ministrers s’est en effet produit, en concert, dans de nombreux autres pays en Europe et dans le monde.

La formation de Carles Magraner a aujourd’hui à son actif une discographie de 70 albums. Ses productions originales sont devenues incontournables pour qui s’intéresse au patrimoine musical et historique espagnol. Les albums consacrés à la période médiévale et renaissante y sont largement représentés. Nous vous proposons de vous rendre sur leur site officiel (en anglais ou espagnol) pour les découvrir.

L'ensemble de musiques anciennes et médiévales Capella de Ministrers

Regina : les musiques du temps des reines d’Aragon

Regina : musiques médiévales à la cour des reines d'Aragon - Capella Ministrers (album, 2023)

Sous la direction de Carles Magraner, cet album de la Capella de Ministrers part à la découverte de l’ambiance musicale à la cour des reines d’Aragon. La période part de 1235 et s’étend jusqu’au Moyen Age tardif et aux débuts du XVIe siècle. On peut y retrouver dix-huit pièces et chansons médiévales dans des langues aussi diverses que l’oïl, le galaïco-portugais mais encore la latin ou l’italien. C’est à Éléonore de Portugal qu’est dédiée la chanson courtoise de Denis 1er que nous étudions aujourd’hui.

Cet album étant récent, vous le trouverez sans peine chez votre meilleure disquaire. Il est également disponible au format CD ou dématérialisé en ligne. Voici un lien utile à cet effet.

Musiciens ayant participé à cet album

Èlia Casanova (voix), Beatriz Lafont (voix), Carles Magraner (vièle, viole de gambe et direction), Fernando Marín (viole de gambe), Robert Cases (vihuela, luth, guitare & harpe), Silke Gwendonyn Schulze (chalemie et dulcimer), Eduard Navarro (luth, citole, cornemuse & chalemie), Pau Ballester (percussions).


O que vos nunca cuidei a dizer,
Cantigas de Amor en Galaîco-portugais

O que vos nunca cuidei a dizer,
com gram coita, senhor, vo-lo direi,
porque me vejo já por vós morrer;
ca sabedes que nunca vos falei
de como me matava voss’amor;
ca sabe Deus bem que doutra senhor,
que eu nom havia, mi vos chamei.

E todo aquesto mi fez fazer
o mui gram medo que eu de vós hei
e des i por vos dar a entender
que por outra morria – de que hei,
bem sabedes, mui pequeno pavor;
e des oimais, fremosa mia senhor,
se me matardes, bem vo-lo busquei.

E creede que haverei prazer
de me matardes, pois eu certo sei
que esso pouco que hei de viver
que nẽum prazer nunca veerei;
e porque sõo desto sabedor,
se mi quiserdes dar morte, senhor,
por gram mercee vo-lo [eu] terrei.

Cette cantiga du roi denis en français actuel

Ce que je n’avais jamais pensé vous dire,
Avec grand peine, dame, je vous le dirai,
Car je me vois mourir pour vous ;
Et parce que vous savez que jamais je ne vous ai dit
A quel point votre amour me tue
Et vous savez bien que d’aucune autre que vous
Jamais je ne craignit ni ne craindrais rien
(1).

Et tout cela me fit sentir
La très grande crainte que j’ai de vous
Et à cause de cela, je vous donnai à comprendre
Que pour une autre je mourrai – Et pour laquelle,
Vous le savez bien, je ne crains rien
(2),
Et désormais, ma belle dame,
Si vous me tuez, je l’aurais bien cherché.

Et croyez bien que j’éprouverais du soulagement
Si vous le faisiez, car, assurément,
Du peu de temps qu’il me reste à vivre,
Je ne retirerai aucun plaisir;
Et je suis bien certain que
Si vous souhaitiez me donner la mort, ma mie,
Je le prendrais pour un grand acte de miséricorde.

(1) autrement dit, il n’en aime aucune autre susceptible de le faire mourir d’amour et de lui faire éprouver autant de crainte.
(2) Il n’éprouve pas de sentiment pour cette autre femme.


En vous souhaitant une belle journée.

Fréderic EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Citation médiévale : Amitié contre Richesse dans le Roman de la Rose

citation-medievale-litterature-poesie-moyen-age

Sujet : citation médiévale, amitié, richesse, poésie médiévale, littérature médiévale, langue d’oïl.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Ouvrage : le Roman de la Rose (1235-1280)
Auteurs :  Guillaume de Lorris, Jean de Meung

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous voguons vers le Moyen Âge central et le XIIIe siècle pour y découvrir une citation médiévale issue du Roman de la Rose. On la doit à Jean Clopinel, plus connu comme Jean de Meung. Ce dernier poursuivit l’ouvrage de 4000 vers que Guillaume de Lorris avait laissé inachevé en l’allongeant de nombreux vers et de sa verve satirique.

Amitié contre richesse ? Dans cette citation, Jean de Meung aura vite fait de trancher entre possession et vrais amis. Il délivrera même une variation sur un proverbe qu’on trouve également citer dans les Proverbes au vilain : Verus amicus omni praestantior auro : « Un véritable ami est plus précieux que l’or » et, en l’occurrence, qu’une ceinture pleine de deniers.

Amitié et richesse dans le nom de la rose, une citation médiévale de Jean de Meung

La citation en langue d’oïl

« Et por ce que nule richesce
A valor d’ami ne s’adresce,
N’el ne porroit si haut ataindre,
Que valor d’ami ne fust graindre,
Qu’adès vault miex amis en voie;
Que ne font derniers en corroie. »

Et sa traduction en français actuel

« Car il n’est de richesse ici-bas
Qui surpasse la valeur d’un ami,
Ni ne pourrait monter aussi haut
Que la valeur d’un ami serait encore plus grande,
Car toujours il vaut mieux un ami avec soi
Qu’une ceinture garnie de deniers.
« 

Le Roman de la Rose, Jean de Meung.


Sources manuscrites médiévales

Enluminure du ms 9576 du KBR Museum et citation médiévale du jour dans ce même manuscrit médiéval

Il existe de très nombreux manuscrits médiévaux de ce best-seller médiéval que fut le Roman de la Rose. Nous vous présentons ici le feuillet du jour tel qu’on le trouve dans le ms 9576 du KBR Museum. En prime vous trouverez aussi l’enluminure de la première page de ce beau manuscrit ancien. Cet ouvrage daté du courant du XIVe siècle, a été enluminé par Richard de Montbaston. Il peut être consulter en ligne sur le site du grand musée bibliothèque de Bruxelles.

Voir d’autres extraits du Roman de la Rose :

En vous souhaitant une belle journée

Fred
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Amour courtois, un trouvère entreprenant pour une belle pas facile à séduire

Sujet : vieux-français, poésie médiévale, poésie courtoise, amour courtois, trouvères, langue d’oïl, salut d’amour, loyal amant, fine amor, complainte d’amour.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur : anonyme
Titre : Douce bel, bon jor vous doinst
Ouvrage : Manuscrit médiéval Français 837 de la BnF.

Bonjour à tous,

os pérégrinations médiévales du jour nous ramènent, à nouveau, au Moyen Âge central et au temps de l’amour courtois. Nous y découvrirons un nouveau Salut d’amour.
Ces pièces courtoises, dont peu de traces ont subsisté, se retrouvent dans la poésie médiévale des XIIe et XIIIe siècles. Elles apparaissent d’abord chez les troubadours occitans. Puis, comme beaucoup d’autres formes poétiques de la Provence médiévale, elles seront adoptées par les trouvères du nord de France.

La complainte amoureuse d’un trouvère empressé

"Douce Bel", poésie courtoise médiévale et une enluminure du Codex Manesse

La pièce du jour a ceci d’original que l’auteur met en scène à la fois le salut de l’amoureux et la réponse de la demoiselle. Le prétendant souscrit à tous les codes de la lyrique courtoise et de la fine amor (fin’amor). Il souffre. Il est « dolent » et se tient à la merci de la demoiselle. Il lui sera loyal jusqu’à la mort, etc… Bien entendu, il ne tarira pas d’éloges sur les qualités et la valeurs de la dame. Lui accordera-t-elle pour autant ses grâces ?

Loin de se laisser séduire par le trouvère, la belle le mettra au pied du mur avec beaucoup de répartie. Sans l’éconduire, ni lui céder, elle raillera même sa prétendue souffrance et sa volonté de se sacrifier ou de mourir pour elle. Apparemment, le trouvère est allé un peu vite en besogne et la réponse de la demoiselle lui fournira l’occasion de recevoir une leçon de courtoisie.

Exercice littéraire contre retour au réel

Un certain humour se dégage de cet échange qui prend un peu de distance par rapport à la lyrique courtoise. La demoiselle oppose, en effet, à l’exercice poétique, un rappel direct au réel. C’est à la fois : « arrête de faire le lourdaud et d’en faire des tonnes » et « pas si vite, l’ami ! »

Autrement dit, il ne suffit pas d’une complainte enflammée et d’un loyal amant se disant prêt à se sacrifier pour s’attirer les faveurs d’une belle. Même avec une poésie flatteuse et bien menée, il en faut un peu plus pour faire tourner la tête d’une demoiselle de caractère. Celle du jour en a et si elle ne ferme pas la porte au trouvère, elle en exigera largement plus avant de tomber, plus tard peut-être, en pamoison. Au delà des formes de l’approche et de l’excès d’empressement du trouvère, valeurs morales, caractère, noblesse, réputation et statut social seront au programme de cette « recette » de la séduction courtoise.

Aux sources manuscrites de cette poésie médiévale

Pour la présentation des sources de cette poésie, nous revenons au Ms Français 837 de la BnF. Ce riche manuscrit médiéval daté de la dernière partie du XIIIe siècle nous propose pas moins de 249 œuvres d’auteurs divers entre fabliaux, contes, poésies et textes variés. A noter que Rutebeuf y tient une belle place avec 31 pièces signées de sa plume.

La poésie courtoise du jour dans le très riche MS français 837 de la BnF.

Dans le premier tiers du XIXe siècle, Achille Jubinal avait extrait de nombreuses pièces de ce manuscrit médiéval dont deux saluts d’amour (voir Jongleurs & Trouvères,  1835). Trois décennies plus tard, le philologue et chartiste Paul Meyer regroupait, à son tour, d’autres saluts d’Amours en langue d’oïl dans une parution de l’Ecole des Chartes (1). C’est sur cette dernière publication que nous nous sommes appuyés pour vous proposer la transcription de la poésie du jour, en graphie moderne.


Douce be, bon jor vous doinst
Le Salut d’amour d’un trouvère & sa réponse

NB : à l’habitude, nous vous proposons quelques clefs de vocabulaire pour mieux comprendre cette poésie en vieux français.

Douce bel, bon jor vous doinst
Li sainz Espirs, qui vous pardoinst
Les maus que vous me fetes trere.
Se vous m’elegiez mon afere
Et mon mehaing
(souffrance, blessure) et ma dolor
Mar vi onques
(par malheur je ne vis jamais)
votre valor (vertu, mérite)
Ne vostre biauté qui m’a mort
(touché, atteint)
Se de vous n’ai prochain confort
(aide, consolation).
Confortez moi d’aucune rien,
Douce bele, si ferez bien.

Frans cuers, je vous en pri merci
(pitié, miséricorde)
Por Dieu qui onques ne menti
Et qui soufri la trahison
Que Judas fist par mesprison.
S’aiez pitié de vostre amant
Qui por vous sueffre paine grant,
Et ferai tant com je vivrai
Ne ja ne m’en repentirai.

A ma complainte metrai fin.
Que Diex qui de l’eve
(eau) fist vin
Vous doinst vie, santé et joie,
Et que voz cuers au mien s’otroie,
Et me gardez ceste escripture,
Que Diex vous doinst bone aventure,
Si que de moi vous souvendra
Ne ja mes cuers n’en mentira.
Por Dieu ! bele, merci aiez
De moi et si me renvoiez
Vostre bon et vostre talent
(désir, envie).
Diex vous deffende de torment !

Ci parole la demoisele :

Je ne sai por qui vous avez
Cel mal de qoi si vous dolez
(lamentez, plaigniez).
Tant vous remant je bien et di
Se vous morez, que monte à mi
(en quoi y serais-je lié) ?
De vo mort ne m’est lait
(funeste) ne bel ;
Bien maschiez le putain lordel
(vous savez bien faire le sot, l’idiot);
Je croi que vous me cuidiez
(croyez) beste;
Trop vous plaingniez de saine teste,
N’estes mie
(aucunement) si angoisseus
Com vous maschiez le dolereus
(vous feignez d’être malheureux).

Cist
(ces) salut vous coustent petit
Et moi refont peu de porfit.
Tant vous di je bien et descuevre
Je ne les met de riens à oevre,
Ainz di que vous fetes folie
De ce que me clamez amie ;
Si ne sai pas se je vous aim,
Je n’aurai le cuer de mon sain
Armé si l’aurai esprové,
Vrai et fin et loial trové.

Quar amanz doit estre loiaus
Et deboneres comme aigniaus,
Et douz et simples que coulons (colombes)
Et hardiz de cuer de lyons.
Ne doit estre de chose clere
Ne beobanciere
(arrogant, orgueilleux) ne mentere
Ne borderes ne mesdisanz
Ne orguillex ne despisanz
(dédaigneux),
Mes ausi bien que quens
(comtes) ou rois
Soit de cuer larges et cortois,
Fame
(reconnu, réputé) par tout aime et boneure.

Ainsi puet venir au deseure
(triompher).
M’amor, biau douz, sanz longue broie
(sans délai, sans marchander)
Ne vous escondi ne otroie
(ne vous refuse, ni vous octroie),
Mes selonc ce que vous ferez
De ma part chier tenez serez ;
Adonc (Alors) aurez m’amor conquise
Ce sachiez vous tout sans faintise.
Dusqu’adonc n’ere vostre amie,
Quar ne sai se par blangerie
(flatterie)
Me saluez ou par buffois
(raillerie)
Tant que vous eüssiez foi de moi.

« Chanson va-t-en et se li di :
Qui por m’amor
Sueffre dolore
Mes amis bien l’emploie
Hastivement
A doubles .c.
Li doublerai sa joie. »

Explicit complainte d’amors.


Retrouvez d’autres saluts d’amours en vieux français et leur traduction ici :

En vous souhaitant une belle journée
Fred
Pour moyenagepassion.com
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Notes

(1) Le salut d’amour dans les littératures provençale et française, Paul Meyer, Bibliothèque de l’Ecoles des Chartes (1867)

NB : sur l’illustration de la poésie, vous aurez reconnu une enluminure empruntée au célèbre Codex Manesse.