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Eustache Deschamps: une ballade sur la voie du juste milieu et la médiocrité dorée

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie médiévale, morale, satirique, politique et réaliste, ballade, vieux français
Période : moyen-âge tardif, bas moyen-âge
Auteur : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre : « Benoist de Dieu est qui tient le moien. » ou « Aurea Mediocritas »

Bonjour à tous,

J_lettrine_moyen_age_passion‘espère que ce dimanche d’octobre vous trouve en joie. De notre côté, nous sommes de retour au moyen-âge tardif et nous vous proposons, aujourd’hui, une nouvelle ballade de « Moralitez » tirée de l’oeuvre poétique d’Eustache Deschamps.

eustache_deschamps_morel_poesie_medievale_auteur_bas_moyen-age_ballades_de_moraliteDans la publication des oeuvres de cet auteur du moyen-âge tardif par le marquis de Queux Sainte Hilaire, à la fin du XIXe siècle (1878), cette ballade est titrée: « Eloge de la médiocrité ». Au sens moderne, c’est un titre qui la dessert relativement et, même au delà, puisqu’il pourrait en faire méprendre le sens. La médiocrité dont il s’agit là n’a, en effet, pas le sens large qu’elle a de nos jours, sauf à la débarrasser (à grand peine) d’un certain nombre de connotations péjoratives dont elle a hérité avec le temps. Pour l’appliquer à cette ballade poétique,  il faudrait user de manière restrictive de cette partie de définition qu’en donne le Littré : « État de fortune, position qui tient le milieu entre le haut et le bas dans la société » mais encore partir aux sources de l’étymologie latine et retrouver le sens de « Mediocritas » tel que l’emploie le poète latin Horace, quelques décennies avant notre ère.

Cet autre exemple en provenance du Littré et du XVIIIe siècle vient encore éclairer les valeurs qui sous-tendent  ce mot de médiocrité tel qu’il est compris ici: « Les uns vous semblaient trop habiles, les autres trop ignorants…. vous cherchiez cette médiocrité justement vantée par les sages, [Courier, Lett. à l’Acad. des inscr.] Il y était alors question de « Juste milieu, Modération juste tempérament » et d’une valeur qu’on rangeait même depuis le moyen-âge central et même l’antiquité du côté de la sagesse. 

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Il est donc question avec cette médiocrité de ne pas chercher à s’élever démesurément dans les richesses ou le prestige matériel, pas d’avantage que dans les démonstrations ostentatoires de ses possessions, mais il ne s’agit pas non plus de vivre dans la misère et le dénuement complet. Comme le dit ici Eustache Deschamps, non sans une certaine ironie chrétienne à l’égard de ses contemporains et de leur manque de charité:  « Car povreté est reprouche certaine. Et si n’est homs qui vueille au povre aidier ».(1)

Cette éloge d’une voie du juste milieu « bénie de Dieu lui-même » suivant l’auteur puise d’un côté ses racines dans une conduite sociale et morale à la fois « chrétienne » (mais finalement plutôt « bourgeoise » en ce qu’elle n’est pas celle du dépouillement christique complet des évangiles). De l’autre, elle emprunte aussi à l’antiquité et justement à la poésie d’Horace, poète latin du 1er siècle avant J-C qui, de fait, n’était pas chrétien.

D’Horace à Eustache Deschamps
ou de l’antiquité au moyen-âge tardif

Dans une version antérieure des œuvres d’Eustache Deschamps publiée par Prosper Tarbé en 1849, cette ballade de moralité y est titrée « Aurea Mediocritas« : Médiocrité dorée. Dans l’édition plus tardive du Marquis de Queux de Saint-Hilaire, on la retrouve sous le titre : « éloge de la médiocrité« .

Pour comprendre cette expression et ce titre, il faut aller chercher dans une œuvre antique, celle du poète italien Horace qui, dans ses odes, sous-titrait justement son chapitre VII, dédié à Licinius: « Eloge de la Médiocrité » ou encore (chez d’autres traducteurs): « Qu’il faut se tenir dans la médiocrité et conserver un esprit toujours égal« . Nous en citons le début ici pour que l’on comprenne mieux la référence à laquelle s’attache Eustache Deschamps dans sa poésie  :

poesie_medievale_eustache_deschamps_morel_horace_mediocrite_eclairee_moyen-age_ballade_de_moralité« Pour vivre heureux, Licinius, il ne faut pas toujours voguer en pleine mer, ni aussi par une crainte excessive de la tempête. se tenir trop près du dangereux rivage. Celui qui sait goûter une précieuse médiocrité, se garde, pour sa propre sûreté et pour son repos, d’habiter les réduits de l’avare ou les palais qui attirent l’envie. Les plus hauts pins sont les plus tourmentés par les vents. Les hautes tours sont celles qui s’écroulent avec le plus d’éclat. Enfin c’est sur les plus hautes montagnes que tombe la foudre. »

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Encore une fois, tout cela n’évoque en rien la médiocrité au sens où nous l’entendons, mais bien plus la mesure, la voie médiane, dans la possession comme (et peut-être même surtout) dans le paraître. Finalement, le vers le plus proche de l’esprit original semble encore celui qui est scandé régulièrement par Eustache Deschamps dans cette poésie : « Benoist de Dieu est qui tient le moien. »  (Béni de Dieu est qui tient le moyen). Nous sommes au moyen-âge la référence à l’antiquité est réintégrée dans un corpus, autant qu’une représentation du monde, chrétiens.

Vers une interprétation historique

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Eustache Deschamps au coeur des jeux de cour et de pouvoir de son temps

I_lettrine_moyen_age_passion copial faut se souvenir, en lisant Eustache Deschamps, qu’étant issu de petite noblesse et ayant officié une grande partie de sa vie à la cour des rois (cour qu’il finira d’ailleurs par exécrer et déserter), la grande majorité de ses ballades s’adresse aux nobles et aux puissants qu’il y côtoie. De par sa situation, le poète médiéval se trouve également au milieu des enjeux poesie_medievale_eustache_deschamps_morel_charles_VI_folie_moyen-age_ballade_de_moralitéde pouvoir ou, à tout le moins, les observent.

Dans son ouvrage Oeuvres inédites de Eustache Deschamps, Prosper Tarbé interprète cette ballade à la lumière du contexte historique de l’année 1392 durant laquelle Eustache Deschamps l’aurait écrite. Cette année là, le roi Charles VI déjà affaibli par son état de santé se trouve frappé d’une crise de démence (enluminure ci-dessus Charles VII et son médecin 1470, bnF). S’en suivront des jeux de pouvoirs entre les Ducs de Bourgogne et de Berry pour chasser les favoris du prince et les priver de leurs places comme de leur pensions (op cité).  Dès lors, les jeux politiques ne cesseront de faire changer de mains le pouvoir et Tarbé voit donc également dans certaines lignes de cette poésie d’Eustache Deschamps, la leçon qu’il en tire pour aviser les puissants, comme ceux tombés en disgrâce, de la sagesse qu’il y a à se tenir dans la fraîcheur de l’ombre, plutôt que dans les lieux élevés et exposés du pouvoir où l’on peut tout perdre d’un instant à l’autre.

Pour conclure, il faut encore ajouter que ce thème du juste milieu, illustré parfaitement ici, est récurrent chez Eustache Deschamps et même à ce point central qu’une thèse lui a été consacrée: voir Miren Lacassagne, « Rhétorique et poétique de la médiocrité chez Eustache Deschamps ».

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Ballade d’Eustache Deschamps
en vieux-français du XVe siècle

Ou hault sommet de la haulte montaigne
Ne fait pas bon maison édifier,
Que li grant vens ne la gaste (dévaste) et souspraingne; (surprenne)
Ne ou bas lieu ne la doit pas lier :
Car par eaues pourroit amolier  ( mouiller)
Le fondement et périr le merrien* ; (bois de construction)
Nulz ne se doit ne hault ne bas fier :
Benoist de Dieu est qui tient le moien.

Es grans estaz est haulte honeur mondaine
Qu’Envie tend par son vent trebuchier; 
Et la s’endort chascuns en gloire vaine,
Mais en ce cas chiet honeur de legier ;
Du hault en bas le convient abaissier.
Et lors languist quant il dechiet du sien ;
c Telz haulz estas sont de foible mortier : 
Benoist de Dieu est qui tient le moien.

Ou lieu trop bas qui est assis en plaine
Ne se doit nulz tenir pour mendier.
Car povreté est reprouche certaine.
Et si n’est homs qui vueille au povre aidier;
Fay ta maison en un petit rochier
Ne hault ne bas, et la vivras tu bien :
En tous estas vueil dire et enseignier :
Benoist de Dieu est qui tient le moien,

En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

(1) On peut sans trop de risque parler d’ironie sur cette question, connaissant d’autres ballades du poète du XIVe siècle sur la cupidité et le manque de charité de ses contemporains – bourgeois, nobles et gens de pouvoir qui sont les gens auxquels il s’adresse principalement dans ses poésies, à l’égard des pauvres ou des petites gens.

« Etre mu de l’intérieur », la vie selon Maître Eckhart

moyen-age_chretien_mystique_chrétienne_maitre_eckhart« Il n’y a rien que l’on désire autant que vivre. Qu’est-ce que vivre ? C’est être mû de l’intérieur, par sa propre impulsion. Ce qui est mû de l’extérieur ne vit pas… Nous pouvons et nous devons oeuvrer par nos propres forces, de l’intérieur. »

Citation médiévale  de Maître Eckhart (1260-1328), Théologien, philosophe et grand mystique chrétien dominicain du moyen-âge. Sagesse médiévale et mystique chrétienne.

L’esprit libre selon la mystique de maître Eckhart

moyen-age_chretien_mystique_chrétienne_maitre_eckhart« Un esprit libre est celui qui n’est troublé par rien et n’est attaché à rien, qui n’a lié le meilleur de lui-même à aucun mode et ne songe en rien à ce qui est sien. »
Citation médiévale  de Maître Eckhart
 (1260-1328), Théologien, philosophe et grand mystique chrétien dominicain du moyen-âge.

Citation médiévale, sagesse médiévale et mystique chrétienne.

Le chemin de la vie par François Pétrarque

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« Combien est épineux le chemin de la vie, et combien alpestre et dure est la montée que l’homme doit parcourir pour arriver à une véritable valeur ! »

François Pétrarque (1304-1374)

E_lettrine_moyen_age_passionrudit, poète, diplomate, homme de science, historien et humaniste florentin du XIVe siècle, François Pétrarque est reconnu, encore à ce jour, comme un de plus grands auteurs italiens du moyen-âge avec Dante. Considéré encore comme un des pères de l’humanisme, on lui prête une influence durable sur la poésie romantique et moderne occidentale, mais, au delà, sur les valeurs morales et politiques des siècles suivants.

« C’est pourquoi également l’art qui exprime avec le plus de rigueur et de perfection les sentiments et les aspirations les plus constants et les plus élevés de l’homme passe nécessairement par Pétrarque, de Bembo à Michel-Ange et à Ronsard, de Góngora et Milton à Klopstock, de Shelley et Heine à Leopardi, Heredia et D’Annunzio. »
Vittore BRANCA – Universalis – Pétrarque

Laure, l'amour, femme faite poésie, auquel que Petrarque renoncera pour sa foi et son ascèse, Miniature du Canzionere, XVe, bibliothèque de Venise
Laure, l’amour, femme faite poésie par Petrarque, Miniature du Canzionere, XVe, bibliothèque de Venise

A_lettrine_moyen_age_passionyant grandi en Provence, amoureux du Vaucluse et des sources de la Sorgue qui longtemps l’inspireront, Petrarque connaîtra aussi la vie bruyante d’Avignon, siège des papes d’alors. Plus tard, il finira par rentrer en Italie pour y passer le reste de sa vie.

citations_medievales_moyen-age_poesie_monde_medieval_petrarqueInfluencé par les confessions de Saint Augustin à l’âge de trente ans, son chemin se fraiera, dés lors, entre une foi chrétienne profonde et une ascèse à laquelle il aspire mais  que sa nature de bon vivant semble le condamner à ne pas pouvoir toujours atteindre. Ainsi, il encensera les périodes de solitude et de retraites méditatives mais les alternera aussi avec des périodes plus mondaines. Ambitieux, mais aussi apprécié et reconnu de son temps, il acceptera également un certain nombre de missions politiques et diplomatiques, après être retourné définitivement sur le sol italien.

Sur son chemin de vie « alpestre », comme il le décrit lui-même dans cette citation, sa foi triomphera pourtant et il sera considéré comme un poète profondément chrétien ayant même oeuvré pour le renouveau des valeurs chrétiennes et classiques de l’Italie du XIVe siècles et les quelques disciples d’Averroès qui, sur le tard, le prendront à partie en moquant ses croyances n’y pourront rien changé. Au delà de tout cela, il restera, quoiqu’il en soit, considéré comme un des plus grands érudits, poète de son temps, un auteur de grand talent et un homme à l’humanisme profond.

Une belle journée!
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.