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Trois dizains courtois de Melin de Sainct-Gelays

Couverture des oeuvres de Melin Saint Gelay

Sujet :  poésies courtes,  dizain, moyen français, courtoisie, amour courtois, sentiment amoureux, désir.
Période :  XVIe s, renaissance, hiver du Moyen Âge
Auteur  :  Mellin de Sainct-Gelays ou Melin (de) Saint- Gelais (1491-1558)
Ouvrage : Œuvres complètes de de Mellin de S. Gelais par Prosper Blanchemain (1873)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous invitons à un voyage au moment de l’hiver du Moyen Âge et en terres renaissantes. Nous y découvrirons trois jolis dizains courtois tirés des Œuvres complètes de Mellin de S. Gelais telles que le poète et éditeur français Jean-Baptiste Prosper Blanchemain les fit paraître en 1873.

Jeux amoureux, séduction & art littéraire

Ce sont donc trois variations sur le sentiment amoureux auxquels Melin s’adonnerai ici. A quelles dames ces poésies sont-elles destinées? Difficile de le savoir. Dans sa biographie du poète, Prosper Blanchemain nous explique que Melin tendait à ne pas laisser de traces écrites des vers qu’il écrivait, notamment ceux qu’il réservait aux dames afin de pouvoir en conserver la fraîcheur en diverses occasions.

On mesure bien, du même coup, la distance qu’il y a pu avoir, dès l’inauguration de l’amour courtois médiéval, entre le pur exercice littéraire et poétique, les rituels de séduction et la durabilité des sentiments ou même leur sincérité. Plus loin, on apprend encore que Saint Gelais, proche de François 1er et de Clément Marot, était devenu « favori des dames et doté par elle » pour ses grands talents versificateurs comprend-on. Joaquim du Bellay parlera, en faisant un jeu de mots sur le prénom Melin de « ses vers emmiéllés« . Savant, lettré, de bonne éducation, jouant du luth et sachant chanter, Melin était aussi doté d’esprit, de style, de répartie et d’humour. Il n’en fallut guère plus pour assurer son succès auprès des rois, des seigneurs et de leur cour.

L’éditeur français a dédié 3 tomes aux œuvres complètes de Melin de Sainct Gelays. Pour vous proposer ces trois dizains, nous avons butiné dans chacun de ses ouvrages. Le moyen français du poète du XVIe siècle n’offrant pas de difficultés particulières, ces trois pièces devraient pouvoir être comprises sans nécessité de les traduire.


Dizain (Tome 1 des œuvres complètes)

Poésie médiévale : dizain de Melin Saint Gelais (1)


Si comme espoir je n’ay de guerison,
De tost mourir j’aurois ferme esperance,
J’estimerois liberté ma prison,
Et desespoir me seroi esperance.
Mais quand de mort j’ai le plus d’apparence,
Lors plus en vous apparoist de beauté ;
Dont malgré moy et votre cruauté
Pour plus vous voir Amour me tient en vie.
O cas étrange, ô grande nouveauté !
Vivre d’un mal qui de mort donne envie.


Dizain (Tome 2 des œuvres complètes)

Poésie médiévale : dizain de Melin Saint Gelais (2)


S’il est ainsy qu’une meule tant dure
Et tant pesante et forte a remuer
L’on voit soudain de sa façon muer
Par l’eau qui est de tant foible nature,
J’espère donc enfin vaincre et tuer
Le despoir que j’ai de mon desir ;
Car nonobstant que vous preniez plaisir
A me tenir, cruelle, si durs termes,
Je vous feray ou tourner, ou choisir
D’estre noyée à force de mes lermes.


Dizain (Tome 3 des œuvres complètes)

Poésie médiévale : dizain de Melin Saint Gelais (3)


La liberté, qu’avecques tant de peine
J’avois tasché si long-temps à ravoir,
Ayant de vous une faveur soudain
Je vy du tout oster de mon pouvoir,
Sans esperer que j’y peusse pourvoir
Pour mal passé dont trop il me souvienne ;
Mais, s’il m’en doit mal venir, si advienne !
Vous et le ciel en serez à blasmer :
Vous d’avoir faict semblant d’estre tant mienne,
Luy m’ayant faict si subjet à aimer.


On ne se lasse pas de trouver certaines similitudes entre certaines pièces légères de Sainct Gelays et d’autres de son ami Clément Marot. Du reste, quelquefois certaines attributions se sont croisées et même Prosper Blanchemain laisse planer un doute sur certaines pièces (issues de son tome 3 notamment). Les deux poètes sont de la même période. Tous deux sont assez prolifiques. Ils ont aussi un certain goût pour l’école italienne et leur plume rivalise d’esprit et de finesse. A l’occasion, elle sait se faire également plus humoristique, satirique ou grivoise. C’est d’ailleurs l’apanage d’une certaine poésie de cette période (voir aussi notre article sur la Fleur de poésie françoyse).

Il faut noter que, tandis que Marot paiera cher ses écarts de conduite, Melin de Sainct Gelays se tiendra plus sage et plus discret. Résistant aux sirènes de la réforme, il se fera même aumonier et continuera de rester dans les eaux de sainteté de François 1er et des puissants. De son côté, l’infortuné poète de Cahors paiera de son exil ses inimitiés comme ses faux pas (revoir sa biographie). Malgré ses ennuis et sa déroute, Melin lui resta toujours fidèle en amitié.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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NB : l’image d’en-tête est tirée d’un portrait du poète Melin Sainct-Gelays effectué par l’un de ses contemporains, le peintre et portraitiste François Clouet (1520-1572). Il fait partie des collections du Musée de Condé.

TREIZAIN : Amours déçues pour Melin De Saint Gelais

Sujet :  poésies courtes,  poésie de cour, treizain, moyen français, courtoisie, manuscrit ancien.
Période :   XVIe, renaissance, hiver du Moyen Âge
Auteur  :  Mellin Sainct-Gelays ou Melin (de) Saint- Gelais (1491-1558)
Ouvrage  :    Œuvres complètes de Mellin Sainct-Gelays  par Proper Blanchemain, T2 (1873)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous piochons dans le legs du poète de cour Melin de Saint-Gelais pour en tirer un joli treizain sentimental, mâtiné de déception. Dans ses œuvres complètes au sujet de l’auteur renaissant (op cité), Prosper Blanchemain constatait son incapacité à vraiment déchiffrer cette poésie. Il est vrai que Melin y laissait quelques flottements.


Définition : en poésie, un « treizain » désigne une strophe ou même un poème complet de 13 vers. Dans cette acception, ce mot demeure désormais assez peu usité et hors du contexte de la versification, ses autres sens l’ont emporté : 1/monnaie du Moyen Âge ou dans certaines régions, 2/série de pièces offertes par le futur marié à sa promise au moment des épousailles.


Treizain de Mellin de Sainct Gelays illustré
T

Cour, jeux courtois et courtoisie ?

On ne connait pas la destinataire de cet treizain et, si Melin de Saint Gelais n’y livre pas quantité de détails, on peut tout de même avancer quelques commentaires. Sur le fond, on retrouve notre poète en amant ou prétendant piqué au vif par une dame qu’il a, semble-t-il, longtemps courtisée (ou peut-être même fréquentée) sans parvenir à susciter chez elle l’intérêt souhaité. Il se sent même assez clairement instrumentalisé, puisque voulant la toucher par ses vers, il fait le constat de n’être parvenu qu’à la flatter, se faisant, malgré lui, la voix du miroir de la fable (« miroir miroir dis moi qui est la plus belle« ).

S’il plane, dans cette poésie, comme un parfum de rupture, on ne peut s’empêcher de lire entre les lignes, la survivance d’une certaine forme de courtoisie (sous réserve de s’entendre sur les définitions). i.e. Le poète, en position basse, a envoyé, sans relâche, ses vers en direction de la dame pour la conquérir, attendant en retour un assentiment ou une réciprocité qui n’est pas venue. Si on peut supposer que non, on ne peut vraiment savoir si l’amour a déjà été ou non consommé. Rien n’est clair, non plus, sur le statut de la dame ou ses éventuels engagements. Nous ne sommes donc plus, ici, dans la définition stricte de l’Amour courtois médiéval cher à Gaston Paris, mais la posture, la façon de courtiser qu’on peut y déchiffrer, ont des résonnances courtoises.

Quant à la chute (magistrale) avec cette « ignorance » que le poète s’inflige contre la « cruauté » qu’il prête à la dame, on pourrait y lire plusieurs choses. Fait elle allusion à la naïveté du poète d’avoir cru pouvoir conquérir sa muse, à son méjugement pour avoir pensé qu’elle franchirait la distance et se laisserait toucher par ses avances ? Ou, peut-être encore, se réfère-t-il à l’ignorance dans laquelle lui-même était tenu de certains engagements existants de la dame ou de certaines dispositions d’esprit de cette dernière (déjà perdantes) à son encontre ? Dans tous les cas, loin des jeux courtois, l’auteur ne semble pas disposé à se comporter en loyal amant docile, prompt à endurer toujours plus. La muse pourra garder les textes et s’y mirer à loisir. Il reprend ses engagements. Et dans un ultime sursaut, il se libère de sa « prison d’amour » sur les plans poétique, épistolaire et factuel. Un peu de discrétion sur toute l’affaire, voilà tout ce qu’il attend d’elle.

Sources manuscrites historiques

Melin de Saint-Gelais - manuscrit médiéval ancien

On pourra retrouver cette poésie dans le manuscrit Français 885, conservé à la Bibliothèque Nationale de France. Daté de la deuxième moitié du XVIe siècle, cet ouvrage, plutôt sobre, contient des poésies de Melin de Saint-Gelais, sur un total de 240 feuillets (à consulter en ligne ici). Il s’agit vraisemblablement d’une copie d’un autre manuscrit : le Vaticane Ms. Reg. Lat. 1493.

La poésie du jour se trouve, vers la fin du BN Fr 885 (fol 218). Dans son ouvrage de 1873, Prosper Blanchemain l’a classée au côté d’un vingtaine d’autres pièces inédites de Saint Gelais tirées de ce même manuscrit. Du point de vue stylistique, ce treizain est rondement mené par Melin et son sens de la chute, ici en miroir, entre cruauté et ignorance, le fait littéralement décoller. Au contraire de certains textes plus anciens et plus ardus, le moyen-français du XVIe siècle gomme les distances avec notre français moderne et cette accessibilité permet à cette poésie de toucher efficacement au but, même si elle conserve ses mystères.


Melin en poète amoureux brûlé à son propre feu

Voyant mon feu tant d’estés et d’hyvers
Continuer et de plus en plus croistre,
J’avois conclu de brusler tous mes vers
Pour ne les veoir plus heureus que le maistre
(lui-même),
Et leur doner par espreuve à cognoistre
Ce qu’ils n’ont sceu de moy vous exprimer.

Mais, vous taschant à moy seul enflammer
Et estimant en eux vos beaultez vivres,
Les avés mis pres de vous à délivre.

Gardés-les donc puis qu’il vous plait, madame,
Sans leur donner d’autruy la privauté,
Car, s’ils sont v(e)us, nous deus en aurons blasme,
Moy d’ignorance et vous de cruauté.

Treizain – Melin de Saint Gelais


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Esprit & humour de cour : une Sélection de Quatrains de MeLin Saint-Gelais

Sujet :  poésies courtes,  poésie de cour, humour, quatrains, poésie satirique, moyen français
Période :  XVIe, renaissance, hiver du Moyen Âge
Auteur  :  Mellin Sainct-Gelays ou Melin (de) Saint- Gelais (1491-1558)
Ouvrage  :  Recueil des plus belles pieces des poëtes françois depuis Villon jusqu’à Bensérade T1, Cie des librairies (1752) et Œuvres complètes de Mellin Sainct-Gelays par Proper Blanchemain (1873)

Bonjour à tous

ous revenons, aujourd’hui, à la poésie de Melin de Saint Gelays, plus renaissante que médiévale, sans doute, du point de vue des chronologies classiques. En l’occurrence, ce sont quelques quatrains non dénués d’humour que nous vous invitons à découvrir, quatre poésies à la fois courtes et enlevées qui permettront encore de mesurer l’esprit de ce talentueux poète de cour du XVIe siècle.

Qu’est ce qu’un quatrain ?

Un quatrain désigne une poésie complète ou même une strophe composée de quatre vers. Le nombre de pieds de chaque vers importe peu, ce qui compte c’est de ne pas dépasser ce nombre de 4 vers par strophe.

Du point de vue des règles applicables aux rimes, le quatrain est également assez souple. En général, quand il désigne un poème composé d’une seule strophe, comme dans les exemples ci dessous, on s’attend à des sonorités homogènes, aux moins par pair, quelque soit leur dispositions dans la strophe. Comme dans les exemples ci-dessous et la plupart du temps, ces rimes sont croisées (ABAB) ou embrasséesg (ABBA).

Quand un poème plus long est composé de quatrains, les possibilités de rimes peuvent s’étendre pour se croiser de manière plus complexe. Par sa nature sa taille réduite, le quatrain constitue une des plus petites strophes en poésie française, au dessus du distique (deux pieds de vers) et du tercet (trois pieds). Notons que le sonnet (également très apprécié de Melin de Saint-Gelais qui s’en est fait une spécialité) ouvre sur deux quatrains suivi de deux tercets.

L’art du quatrain pour vanter ou moquer : un peu de style dans un monde de brutes

Le quatrain, compris comme un poème à part entière, est un art en soi et Melin de Saint-Gelais est un de ceux qui le maîtrise. S’ils peuvent toujours être tournés en éloge à une dame ou un prince, quand elles se font plus satiriques, certaines des pièces de notre auteur, la première notamment, pourraient presque évoquer, par leur mordant, ce qu’on nomme désormais, dans un anglicisme à la mode, des « punchlines ».

Par leur nature courte, ce type d’exercice satirique pourrait même rappeler le format imposé par twitter mais avec, sans doute, plus de style. D’ailleurs, pour un peu, on se prendrait à rêver d’une journée « quatrain » imposée sur twitter (et même d’autres réseaux) pour ajouter un peu de finesse à ce qu’on voit usuellement passer dans les commentaires. Une façon de dire : si votre intention est d’être piquant, mettez-y au moins un peu d’élégance et faites quelques efforts de style. La méchanceté crasse et gratuite n’est jamais que l’apanage dérisoire des imbéciles. Même si, empressons nous de le dire, le moins dont elle est besoin est que les censeurs politiques ou même privés s’en mêlent avec d’affreuses lois Avia pour tout régimenter.

Sources anciennes et modernes

Du point des vue des sources, pour avoir un vision complète de l’oeuvre de Saint-Gelais, on se penchera favorablement sur les 3 tomes que Prosper Blanchemain dédia à son oeuvre complète dans le courant du XIXe (opus cité en tête d’article). Quant aux sources anciennes, on pourra se rapporter au manuscrit Français 842 (B.N. fr. 842) conservé à la BnF. Ce recueil de poésies, daté du XVIe siècle, comprend, en effet, un nombre important de pièces de Melin de Saint-Gelais (dont celles qui suivent) aux côtés d’autres auteurs de ce même siècle.

Quatre quatrains de Melin de Saint-Gelais

Nb : dans les manuscrits originaux, ces quatrains de Saint-Gelais ne sont pas titrés. Les titres ci-dessous ne sont donc pas d’époque, ni de l’auteur mais de votre serviteur.

Narcisse

On dit que tu es amoureux,
Mais que c’est de ta fantaisie :
S’il est vrai, tu es bien heureux ;
Nul ne te porte jalousie.

Volage

Mon naturel me contrainct de l’aimer
Et ses vertus m’invitent à le faire ;
Mais si elle veut à tant d’autres complaire
Que ne scay qui sienne la peut nommer.

Séducteur

Ne tardez plus à consentir,
Ni à tel ami satisfaire :
Vaut mieux faire et se repentir,
Que se repentir et rien faire.

Courtois (présomptueux)

Pour gaigner en paradis lieu
Sans aller jeusner aux déserts,
Seulement vous fault servir Dieu
D’aussi bon cœur que je vous sers.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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