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Flos Médicinae : de l’usage du vin en médecine avec l’Ecole de Salerne

medecine_medievale_ecole_salerne_science_savant_Regimen_SanitatisSujet : médecine, citations médiévales, école de Salerne,  ouvrage, manuscrit ancien.  vin, médecine préventive.
Période: moyen-âge central (XIe, XIIe siècles)
Titre:  l’Ecole de Salerne (traduction de 1880)
Auteur :  collectif d’auteurs anonymes
Traducteur : Charles Meaux Saint-Marc

Bonjour à tous,

B_lettrine_moyen_age_passionien avant d’être chargé des fortes valeurs religieuses et symboliques chrétiennes qu’on lui connait, depuis l’antiquité grecque et même avant Galien (1), le vin avait trouvé une place de choix dans le champ médicinal. Au delà du simple plaisir gustatif et enivrant qu’on lui trouvait, on lui reconnaissait ainsi des vertus préventives certaines et il pouvait même déjà intervenir plus directement dans certaines préparations médicinales ou même être prescrit, allongé de quelques autres ingrédients, comme une véritable médecine.

Des chemises et des vipères :
deux exemples de vertus « extraordinaires »

ecole_salerne_citation_medecine_medievale_vin_boisson_moyen-age_XIIe-sieclePour l’anecdote, on notera ici deux recettes très anciennes empruntées à Suzanne Colnort-Bodet, dans un article sur les Légendes ou histoire de la Thérapeutique alcoolique (2)  : la première de ces préparations  date du VIe siècle de notre ère et elle est Indiquée par le médecin grec Alexandre de Tralles (525-605).  Elle consistait a faire brûler la chemise d’un malade, avant de faire macérer les cendres ainsi obtenues dans du vin. La boisson miraculeuse enfin prête, le patient devait la descendre en sept prises.

Au siècle antérieur, on trouve encore, sous la plume d’Aetius (395-454), sénateur et généralissime de l’armée impériale romaine plusieurs recettes qui se situent un peu dans le même registre. Pour n’en citer qu’une, il consiste à faire macérer des vipères dans du vin.  pour obtenir une boisson qui pourrait, prétend-on, guérir entre autre l’éléphantiasis. Bien après le haut moyen-âge, cela dit, on se souvient que les vertus médicinales de la vipère continueront d’être reconnues au point de la faire même entrer dans les ingrédients de choix des thériaques les plus prisées.

Du moyen-âge central au tardif : continuité
dans un certain usage médicinal du vin

Pour revenir au vin de manière plus sérieuse, il conservera une place de choix, au sein d’une médecine préventive ou plus curative, durant tout le  moyen-âge. Il sera ainsi incorporé dans nombre de remèdes ou préparation,  sous les formes les plus diverses, comme nous les détaillait, Georges Dilleman en 1969, dans un article sur La   pharmacopée au Moyen Âge (3) 

Pour n’en citer que quelques autres exemples, on se souvient de la place du vin dans la médecine de Hildegarde de Bingen au XIe siècle. Il y a quelque temps, son vin spécialement accommodé pour aider les malades faibles du cœur a même été remis au goût du jour par certains naturopathes, suscitant, semble-t-il, un regain d’intérêt. En dehors des écrits de l’abbesse rhénane, on retrouvera encore le nectar cher a Bacchus dans un nombre conséquent d’autres traités d’hygiène de la période médiévale. Comme autre référence, on pourra mentionner ici l’Antidotaire Nicolai de la fin du XIe et des débuts du XIIe siècle (4). On retrouve, en effet, le vin dans de nombreux remèdes préconisés par l’ouvrage. Il faudrait d’ailleurs dire « les » vins plutôt que « le » vin, tant l’ouvrage se sert de grandes variétés dans les préparations : « vin douz », « vin eigre », « vin chaut », vin blanc, « vin veuz et boille », etc…

ecole_salerne_citation_medecine_medievale_meilleur_vin_moyen-age_flos_medicinae

Plus tard, au XIVe siècle, autant dire presque au crépuscule du monde médiéval, l’usage de la boisson sera même évoqué dans des liste de recommandations ou des recettes ayant pour vocation  de repousser au loin jusqu’à la funeste peste. On trouve notamment ces idées reprises dans quelques textes et poésies d’Eustache Deschamps : ‘bon vin cler recevoir » (Ballade des remèdes contre l’épidémie) « Boire bon vin, nette viande user » (Ballade sur l’épidémie). (5)  

Dans un Moyen-âge tardif qui ignore tout de la nature réelle de la pandémie et ses modes de propagation, on mettra en oeuvre, longtemps, les moyens les plus désespérés pour la combattre. La bonne chère et le vin y trouveront bonne place. C’est logique, la santé par la prévention et, en particulier, par l’alimentation est une idée installée de longue date. Près de deux siècles après Eustache Deschamps, en plein coeur du XVIe siècle, Clément Marot nous gratifiera, à son tour, de quelques conseils pour remédier à la peste. L’esprit et les prescriptions n’auront, on le voit, guère changé :

(…)
Buvez des vins délicieux ;

Puis après, entre deux lincieux
Allez reposer vostre tête ;
Continuez un an ou deux,
De trois mois ne mourrez de peste.
Clément Marot – Remède contre la peste (extraits) (6)

Le Vin par l’Ecole de Salerne

P_lettrine_moyen_age_passion-copiaour en revenir au Flos medicinae de l’Ecole de Salerne, il est, on le sait, à ranger dans les traités d’hygiène et de médecine préventive du moyen-âge central, même si son influence a perduré à travers diverses retraductions qui lui furent postérieurs.  Le vin y trouve aussi bon accueil, au delà même du chapitre que l’ouvrage lui consacre et dont nous reproduisons les lignes, ci-dessous.

ecole_salerne_citation_medecine_medievale_regles_vin_effets_traite-hygiene_moyen-ageBien sûr, il ne faut pas s’y tromper, derrière une certaine légèreté de ton et une gracieuse mise en vers, la qualité du vin, le moment de la prise, l’effet recherché (apaisant, préventif, diurétique, « psychologique »,… ) autant que la condition de santé du malade, commandent. Pour les très sérieux savants de Salerne, il ne s’agit pas de rouler sous les tables ou de faire l’apologie de l’excès, mais bien de se situer dans un usage raisonnable et « encadré » de la prise, même si on le voit ici, on prête au vin bien des qualités y compris celles de soulager des tourments amoureux pour peu qu’on y adjoigne quelques pétales de rose.

Ce goût pour les vertus du vin que nous conte le Regimen Sanitatis Salernitanum explique-t-il que, selon certains historiens, nous devions les premières distillations d’alcool réussies à cette même école ? Peut-être. Quoiqu’il en soit, si cette puissante forme chimique, mise au point au Moyen-âge, ne détrôna pas si facilement le vin, elle allait connaître, au fil des siècles et jusqu’à nos jours, de beaux débouchés en pharmacologie, comme en médecine.

Première partie Hygiène – De la Boisson

Le meilleur vin

Le Vin dans les humeurs verse son influence :
Est-il noir? dans le sang il répand l’indolence.
J’estime un vin mûri, dont la chaude liqueur
Fait sauter le bouchon et ravit le buveur.
Quand sa vertu dénote une illustre vieillesse,
De ses dons généreux usons avec sagesse.
Je cherche dans un vin le brillant, la couleur;
J’y cherche plus encore le bouquet, la chaleur;
Je veux qu’il ait du corps, une teinte écarlate,
Que pétillant, mousseux, en écume il éclate.
l’écume le vin se jugera d’abord:
Bon, elle reste au centre, et, mauvais, court au bord.

Effets du bon vin.

Le bon Vin au vieillard rend vigueur de jeunesse;
Au jeune homme un vin plat prête un air de vieillesse.
Le vin pur réjouit le cerveau contristé
Et verse à l’estomac un ferment de gaîté.
Il chasse les vapeurs et les met en déroute,
Des viscères trop pleins il dégage la route,
De l’oreille plus fine aiguise les ressorts,
Donne à l’œil plus d’éclat, plus d’embonpoint au corps
De l’homme plus robuste allonge l’existence,
Et des sens engourdis réveille la puissance.

Danger du vin pour un malade.

Quand ton ami se plaint d’un estomac sensible,
Ne verse pas au mal une coupe nuisible.

Bonne potion.

Si la Sauge ou la Rue en ta coupe est versée,
Vide-la hardiment: ton ivresse est chassée.
Du rosier la fleur jointe à des vins généreux
Affranchira ton coeur du tourment amoureux.

Effets nuisibles du vin nouveau.

Au coeur le Vin nouveau provoque la chaleur,
Mais il monte au cerveau du confiant buveur,
Et de vapeur confuse il étourdit sa tête:
D’urine un flot soudain coule et plus ne s’arrête.
Tout vin, en général, échauffe, appesantit;
D’ivresse plus rapide un vin noir abrutit;
Il charge l’estomac, le trouble, le resserre,
Irrite l’intestin et brûle ce viscère.

Vin doux.

Le Vin doux de l’urine accélère le cours,
Du ventre qu’il dégage arrondit les contours,
Et du foie obstruant les vaisseaux engorgés,
Engendre des calculs dans la bile logés.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.


Sources

(1) Le vin et la médecine dans la Grèce ancienne, Jacques JouannaRevue des Études Grecques  (1996)
(2) Légendes ou histoire de la Thérapeutique alcooliqueSuzanne Colnort-Bodet,  revue de l’histoire de la pharmacie n 187 (1965 )(3) La pharmacopée au Moyen ÂgeGeorges Dillemann
Revue d’histoire de la pharmacie n 200 (1969)
(4) L’Andidotaire Nicolas, deux traductions françaises, Paul Dorveaux (1896),
(5) Poésies morales et historique d’Eustache Deschamps, G.A. Crapelet (1832)
(6) Oeuvres Complètes de Clément Marot, Pierre Jannet (1873)

Médecine médiévale préventive et recettes de cuisine « médicales »

medecine_medievale_ecole_salerne_science_savant_Regimen_SanitatisSujet : médecine, citations médiévales, école de Salerne,  ouvrage, manuscrit ancien.  cuisine, alimentation, médecine préventive.
Période: moyen-âge central (XIe, XIIe siècles)
Titre:  l’Ecole de Salerne (traduction de 1880)
Auteur :  collectif d’auteurs anonymes
Traducteur : Charles Meaux Saint-Marc

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionvant que les livres de recettes et de cuisine n’apparaissent en nombre, une grande partie des ouvrages du moyen-âge central parlant de diététique, d’alimentation et même de recettes se trouvait dans les traités de médecine.

Dans le courant du XIIe siècle, émanent de l’Ecole de Salerne mais différent du Flos Medicinae (que nous continuons de dérouler aujourd’hui ici), on trouve ainsi un ouvrage rédigé par Petrus Musandinus, maître de la célèbre école  italienne : la summula de medecine_medievale_preventive_alimentation_repas_ecole_salerne_extraits_moyen-age_central_XIIepreparatione ciborum et potuum infirmorum.  C’est un traité de préparation de mets et boissons à destination des malades et qui se présente déjà comme un véritable livre de recettes. Nombre de celles qui s’y trouvent décrites proviennent d’ailleurs de la cuisine de l’époque. Dans le même esprit, mais un peu plus tard, en 1300, on retrouvera, entre autres ouvrages, un autre traité latin, tiré de la traduction partielle d’une source arabe du XIe siècle, « le Livre des plats et des condiments » (Liber de ferculis et condimentis).  Quelque temps plus tard on trouvera même une partie de traité médicale consacrée aux sauces Opusculum de saporibus que son auteur avait rédigé à l’attention d’un évêque.  Avouez que de nos jours, on se figurerait assez mal revenir de chez son généraliste avec comme ordonnance, la recette de la meilleure sauce au poivre vert pour le magret.

Au fil du temps les deux genres d’ouvrage, même s’ils partageront les mêmes recettes finiront par se différencier de plus en plus, l’exigence appelant les médecins à être plus précis dans leurs arguments et à détailler un peu mieux les effets de leurs recettes, en prévoyant notamment certains ajustements pour qu’elles assurent une équilibrage satisfaisant des humeurs. Ces traités d’hygiène et de médecine préventive ont-ils contribué à répandre certains usages alimentaires ? Peut-être. Ont-ils entériné plus que devancer certaines moeurs ayant trait à la gastronomie et au goût  ? Sans doute. On se reportera valablement à la source, citée en pied d’article, pour un approche plus complète de ces questions.

Règles générales applicables au repas
du FLos Medicinae ou Regimen Sanitatum

S_lettrine_moyen_age_passion‘il n’a pas pour propos de donner des recettes précises, comme nous avons déjà pu nous en rendre compte ici, le Flos Medicinae côtoie de près le sujet de l’alimentation. Dans la partie plus générique de l’ouvrage qui ne touche pas encore à la liste des plantes et leurs usages, qu’il s’agisse de nourriture, de boissons ou de règles à suivre, le thème demeure central et récurrent. La médecine médiévale n’a d’une manière générale, absolument aucun doute sur le fait que la méthode la plus naturelle et efficace de prévention de la santé résidait dans la qualité des aliments et l’alimentation et dans les règles entourant ces pratiques. On notera d’ailleurs, au passage, dans l’extrait d’aujourd’hui que l’on prêtait tant de crédit et d’importance à la nourriture, la boisson et leurs usages que l’ombre de la peste ou de la lèpre se trouvaient fréquemment associées à certaines mauvaises pratiques. Pour le reste et comme on le constatera, la modération reste toujours au coeur de ce traité médiéval de l’Ecole de Salerne.

Pour parenthèse, à l’heure largement sonnée de la malbouffe, la relation directe entre alimentation et santé est une idée qui ne fait aucun doute pour personne et quand on s’intéresse un peu à certains travaux médicaux sérieux et récents, on sait bien aujourd’hui que l’on ne peut pas manger à l’envie n’importe quelle « préparation » industrielle (en restant poli) et compter, par la suite, sur la médecine et une pastille miracle pour se sauver. Depuis l’après guerre, on peut compter près de soixante ans d’industrialisation extrême de la nourriture, de ses processus de production et avec eux  decole_salerne_citation_medecine_medievale_regles_repas_alimentation_XIIe_moyen-age_central‘introduction en force de la chimie dans nos assiettes. Comparé avec des millénaires d’une toute autre pratique, c’est une durée finalement assez courte pour en mesurer les véritables conséquences même si quelques conclusions claires ont déjà été tirées (graisses, sel et sucre saturés, faible valeur nutritive, obésité, maladies coronariennes, etc.. Le reste demeure quelquefois nébuleux entre les enjeux économiques croisées et un prétexte de « nourrir la planète » (ce qui n’est toujours pas totalement le cas) qui a bien souvent couvert des pratiques débridées à visées uniquement mercantiles. Dans un monde du « à chacun son boulot », nourrir et soigner sont/étaient devenus des pratiques dissociées, phénomène pâlement compensé par l’introduction des « alicaments » (encore du marketing) dans lesquels on ajoute toutes sortes de « compléments » (encore de laboratoires), pour compenser les carences vitaminiques ou nutritives des produits industriels de masse.  Drôle de planète…

Tout cela étant dit et sans aucunement prétendre vous en gâter le plaisir, voici quelques nouveaux vers du Flos Medicinae autour des repas. De fait et pour le clin d’oeil, ces rimes vous inspireront peut-être quelques conseils à l’approche des agapes de fin d’année. Et si vous êtes de ceux qui vous y adonnez, bien décidés à attendre début janvier pour penser aux bonnes résolutions et pour ne rien gâcher de la fête, peut-être céderez-vous tout de même, à l’attrait poétique de leur charme médiéval un peu désuet, mais pas si inepte sur le fond.

Règles générales pour tous les repas
du Flos medicinae  ou l’Ecole de Salerne

Un Repas te nuira, s’il n’est dans ton usage:
D’aliments étrangers, fruit, poisson, ou breuvage,
Crains la saveur perfide, et défends ta santé
De l’ivresse fréquente et du vin frelaté.

Boire après chaque mets est un précepte utile,
Auquel applaudira ton estomac docile.
Ne bois jamais sans soif, ne mange pas sans faim:
L’excès en ces deux points enfante un mal certain.

Consulte la raison, et, si tu rrfen veux croire,
Quand tu quittes le bain, souviens-toi de peu boire.
Instruit des soins à prendre, un médecin prudent
Les trace avec méthode, et des écueils défend

Son client rassuré. D’une table modeste,
Convive rarement (la chose est manifeste)
Sortit malade, au lieu qu’un repas somptueux
Attire et médecins et cent maux avec eux.

Ne prends, que pour céder à prière trop forte,
Des mets très-différents, des vins de mainte sorte;
Crains du lait et des vins le mélange odieux:
Sinon, sur toi la lèpre étend son voile affreux.

Avant les mets servis comme en quittant la table,
Lave tes mains selon l’usage respectable.
Nul écart de régime, à moins que ta santé
N’approuve un changement qu’elle-même a dicté

Le malaise suivrait, Hippocrate l’atteste,
Du régime adopté le changement funeste.
Un régime uniforme, excellent médecin,
Surpasse des docteurs l’art et le savoir vain.

Pauvres, de simples mets couvrez la pauvre table,
Le régime est pour vous un repas délectable.
Un superbe festin gâte les estomacs,
Tandis qu’un sommeil pur suit un léger repas.

La santé se conserve avec l’économie;
La lourde gourmandise abrège et rompt la vie.
Un médecin l’a dit: Le sage ne meurt pas,
Qui jamais ne s’assit qu’à modeste repas.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-Âge sous toutes ses formes.

Sources utiles et documentées  :  Cuisine et médecine au Moyen Âge, Bruno Laurioux

Hygiène médiévale & usage du bain avec l’Ecole de Salerne

medecine_medievale_ecole_salerne_science_savant_Regimen_SanitatisSujet : médecine, citations médiévales, école de Salerne, Europe médiévale, moyen-âge, ouvrage, manuscrit ancien. bains, étuves.
Période: moyen-âge central (XIe, XIIe siècles)
Titre:  l’Ecole de Salerne (traduction de 1880)
Auteur :  collectif d’auteurs anonymes
Traducteur : Charles Meaux Saint-Marc

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons aujourd’hui sur le flos médicinae de l’Ecole italienne de Salerne, ce traité versifié en latin autrement connu sous le titre original de « Regimen Sanitatis Salernitanum » et traduit plus laconiquement par « l’Ecole de Salerne », par Charles Meaux Saint-Marc qui nous fit la grâce de l’adapter en français moderne, à la fin du XIXe siècle.

Comme nous l’avions déjà mentionné, cette médecine médiévale venue d’Italie et notamment ce traité d’hygiène et de santé « préventive » traversa une grande partie du moyen-âge central, avec une influence qui dura même jusqu’au moyen-âge tardif. On s’en souvient, dans le courant du XIIIe siècle, l’ouvrage fut aussi repris, arnaud_villeneuve_villanova_medecine_medievale_salerne_regime_sanitatis_salernitanum_commente_XIIIe_moyen-age_centralannoté et « popularisé » (auprès d’une certaine élite aristocratique s’entend) par le célèbre médecin catalan et valencien  Arnaud de Villeneuve ou Arnau de Villanova, enseignant à Montpellier et formé lui-même à Salerne. On retrouvera d’ailleurs des éditions de cet ouvrage publiées jusque dans les siècles suivants (ci-contre, gravure d’un exemplaire de la fin du XVe).

Les possibles facteurs de propagations
de la pratique des bains au XIIIe siècle ?

E_lettrine_moyen_age_passionst-ce un hasard si, à partir de ce même XIIIe siècle, les infrastructures publiques liées à l’hygiène, aux étuves et aux bains se multiplient dans de nombreux lieux en Europe, en même temps que se manifeste un engouement grandissant pour les traitements médicinaux par les  eaux curatives et thermales ?

Les traités d’hygiène que le XIIIe semble avoir affectionnés et qui s’y répandent même s’ils visent sans doute plus une classe lettrée y sont-ils pour quelque chose ? Peut-être. Peut-être et plus sûrement participent-ils d’un mouvement général dont ils sont aussi les signes. Dans la continuité du mouvement amorcé au siècle précédent, le XIIIe siècle verra, en effet, émerger et s’affirmer les universités. Elles enseigneront, entre autres disciplines, la médecine; les cursus seront alors longs et spécialisés et la profession de médecin s’affranchira bientôt de l’exercice que les monastères avaient pu en faire dans les siècles précédents. Pour mieux comprendre cette prise d’autonomie de la discipline, il faut encore se souvenir que différents conciles avaient, dans le courant du XIIe siècle, ramené les moines dans le giron d’une médecine de l’âme, plus résolument que dans celle du corps, leur laissant l’usage des simples mais les privant, entre autres, de celui de la chirurgie.

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Miniature issue de Valerius Maximus, Faits et dits mémorables, manuscrit ancien du XVe, (1425) Bnf

Au rang des hypothèses expliquant cet intérêt croissant du XIIIe pour les bains et, participant de la même dynamique,  il faut également ajouter les retours des croisades et la découverte sur le sol moyen et proche-oriental d’une tradition solidement implantée dans ce domaine particulier de l’hygiène corporelle, et se souvenir encore de l’influence des médecines juives et arabes sur la jeune médecine occidentale médiévale. Enfin, pour en avoir une vision juste, il faut sans doute aussi ajouter que même si certaines pratiques, la nudité des corps, leur joyeuse mixité et certains autres plaisirs associés au bain, ne furent, dans certains établissements du sol occidental, sans doute pas pour ravir une partie de la classe religieuse de l’Europe médiévale catholique, (le XVe siècle verra d’ailleurs poindre quelques interdictions) la purification et même la sanctification par l’eau, au coeur du baptême chrétien, ne pouvaient pas non plus tout à fait contredire certains bienfaits du bain.

La marque certaine d’une hygiène collective médiévale mais un inventaire difficile à faire

« N’en déplaise à Michelet *, les hommes du Moyen Âge se baignaient. Ni en Orient, ni en Occident, ils ne négligèrent la toilette et ils usèrent avec profit de l’eau ou de la vapeur d’eau pour prendre des bains. La présence d’étuves dans les villes de France — comme à Paris au XIIIe siècle — le confirme amplement. »
Didier BOISSEUIL, Espace et pratiques du bain au moyen-âge,
Revue Médiévales – Numéro 43

S_lettrine_moyen_age_passioni les médiévistes s’entendent bien aujourd’hui pour affirmer que le moyen-âge central a réservé une place plus importante à l’hygiène corporelle que certaines idées reçues et forgées plus tard ont bien voulu l’affirmer, il demeure intéressant de noter, en suivant le fil de l’article de Didier BOISSEUIL dont nous empruntons ici les premières lignes, combien la modestie « monumentale » des installations de l’occident médiéval dans ce domaine a pu parfois compliquer la tâche de leur identification pour les historiens comme pour les archéologues. Nous ne sommes pas, en effet, face à une culture  comparable à celle du monde musulman et de ses hammams ou même ses installations thermales, ni plus tout à fait dans celle de la civilisation romaine et de ses traditions des bains ou des thermes.

Hors des infrastructures publiques inventoriées et mises à jour, qui, encore une fois, se multiplient dans le courant de ce XIIIe siècle, on peut encore trouver les traces documentaires ou archéologiques d’installations élaborées (étuves, bains, faisant appel à de la tuyauterie, certains modes de chauffage de l’eau, de la ecole_salerne_medecine_medievale_enluminure_bain_hygiene_etuve_moyen-age_centralvapeur, etc ) dans des habitats « luxueux » et aristocratiques, même si,  là encore, la taille autant que l’ingénierie des installations peuvent rendre la tâche de l’identification difficile. Que dire alors quand ce type de demeure ne comporte que de simples lieux dédiés à de modestes bains, au cuvier ? Dans ce contexte, on le comprend bien, faire un panorama exhaustif du sujet et des pratiques  relève,  de la gageure.

Dans son ouvrage: Les temps de l’eau: la cité, l’eau et les techniques : nord de la France, André GUILLERME, admet, lui aussi, les signes clairs au XIIIe siècle de l’émergence d’une hygiène publique (sans doute réservée, nous dit-il, avec quelques précautions, à une certaine aristocratie) mais il relève bien à son tour, la nature problématique de « l’inventorisation » :

« Au vrai, il est difficile d’apprécier l’hygiène domestique du citadin du XIIIe siècle. On en est réduit à relever ça et là quelques mentions de « bassines » et de « cuviaux » dans les testaments des riches marchands ou la présence de baigneurs dans les miniatures.« 
André GUILLERME (opus cité)

Hygiène de classes & pratiques sociales au moment du bain

codex_manesse_bain_hygiene_medecine_medievale_ecolle_salerneMiniature tirée du codex Manesse, Manessische Handschrift XIVe, 1310-1340

Si, dans le courant du XIIIe siècle, les infrastructures publiques ou les installations dans les habitats nobles ou aristocratiques attestent d’un goût indéniable pour la pratique du bain (avec ou sans  vapeur), on ne peut donc pas pour autant réduire l’hygiène corporelle de l’homme médiéval à la seule présence de ses dernières. Là encore, la division sociale commande et pour autant que les valeurs d’hygiène puissent être partagées, les classes ont chacune leur lieu et leur façon de la mettre en pratique. En dehors des espaces privatifs des habitations seigneuriales et aristocratiques, et concernant les installations publiques, leurs tarifs semblent, en effet, les réserver à une classe relativement aisée de citadins et peut-être, à une classe un peu plus modeste, de manière occasionnelle. Pour les classes les plus démunies, en milieu urbain comme en milieu rural, il reste encore les fontaines, les rivières, ou les points d’eau qui peuvent encore fournir l’occasion du bain et, à défaut d’un bain chaud ou à la vapeur, il fallait bien savoir se contenter d’une toilette au baquet.  

Tout cela étant dit, répétons-le une fois de plus pour être bien certain que cela soit acquis, la présence notable des installations publiques en milieu urbanisé, autant que l’engouement pour les eaux thermales et les traités d’hygiène faisant mention des bienfaits du bain, restent les signes indéniables d’une hygiène corporelle présente et importante dans le courant du moyen-âge central. Pour faire un peu la nique au siècle des lumières, notons que ce type d’infrastructures, finira par se raréfier autour du XVIe siècle dénotant bien cette fois-ci, en pleine Renaissance, d’une baisse notable de l’hygiène publique.

La médecine de Salerne au temps des bains

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour abonder dans le sens d’une hygiène médiévale bien plus prégnante qu’on avait pu l’avancer, on notera l’insistance que mettait déjà l’école de Salerne sur le bain, quelques siècles déjà avant le XIIIe siècle. Nous sommes toujours ici dans les préceptes d’hygiène généraux du Flos Medicinae mais avant même de lui dédier les vers que nous vous présentons aujourd’hui sur le sujet, le bain était déjà mentionné à d’autres reprises en début d’ouvrage, marquant bien l’importance que le collectif des médecins médiévaux de Salerne accordait à la propreté corporelle dans la prévention des maladies.

Indéniablement, pour eux, le bain est une affaire sérieuse que l’on doit entourer de certaines précautions; ils lui préféreront même dans certains cas, la saignée qu’ils ont décidément grand coeur de promouvoir. Ajoutons enfin qu’ils mentionnent encore ici (et ce n’est pas non plus la première fois), le « commerce amoureux », entendez charnel, affirmant bien la distance et une certaine liberté prise à l’égard des préceptes ascétiques catholiques, par nature, pas très prompts à promouvoir ouvertement de tels plaisirs.

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De l’Usage des Bains, De Usu Balneorum

Veux-tu, robuste, atteindre à la verte vieillesse.
Des préceptes suivants pratique la sagesse:
Ne va pas boire à jeun quand tu descends du lit;
Que ton front découvert redoute un froid subit
Ou d’un soleil ardent l’atteinte meurtrière.
Une fraîche blessure, une fièvre, un ulcère,
Douleur de tète ou d’yeux, l’estomac irrité
Ou vide d’aliments, l’air pesant de l’été,
Te prescriront de bains un entier sacrifice.
Cherche dans la saignée un prompt et sûr office.

Le bain, après la table, épaissit, mais avant
Il amaigrit le corps; sec, il est échauffant,
Mais humide il engraisse. Au sortir de la table,
Pour l’estomac rempli le bain si redoutable,
Quand les mets sont passés, n’a rien de dangereux.
Le repos après bain ou commerce amoureux,
De peur d’épuisement, doit toujours se prescrire.
Si tu tiens à tes yeux, garde-toi lors d’écrire;
Garde-toi bien encor (le conseil en est sain)
De boire ou de manger, dès que tu sors du bain.
Eau de mer pour le corps est âcre et desséchante;
Eau de lotion, froide; eau de fleuve, astringente.
Ne siège pas longtemps au bain chaud apprêté,
Untel contact, du corps accroît l’humidité.

l’Ecole de Salerne (traduction de 1880)

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Variations graphiques autour du « régime » suivant les mois, par l’Ecole de Salerne

medecine_medievale_ecole_salerne_science_savant_Regimen_SanitatisSujet :  médecine, citations médiévales, école de Salerne, Europe médiévale, moyen-âge,  manuscrit ancien,  saignée.  calendrier
Période: moyen-âge central (XIe, XIIe siècles)
Titre:  l’Ecole de Salerne (traduction de 1880)
Auteur :  collectif d’auteurs anonymes
Traducteur : Charles Meaux Saint-Marc

A_lettrine_moyen_age_passion la faveur du nouvel extrait du Flos Medicinae sur le régime au mois le mois de l’Ecole médicinale de Salerne que nous vous présentions dans l’article précédent, nous vous proposons un peu de variations graphiques autour de ce « calendrier ».

Même si les documents que l’on utilise au moyen-âge sont loin d’être tous de beaux manuscrits reliés ou même des codex, ornés de somptueuses lettrines et d’enluminures, cet art y demeure omniprésent et le monde médiéval nous a légué en témoignage de nombreuses et précieuses illustrations. Pour ceux qui auront noté les efforts que nous développons sur la partie graphique du site pour agrémenter nos articles, c’est, bien sûr, un peu de cette idée et de cette ambiance visuelle que nous tentons de recréer, pour rendre la lecture plus agréable et plus immersive de la période aussi.

Ce « calendrier » visuel du régime au mois le mois nous donne encore l’occasion de célébrer la rubrique « Médecine médiévale » que, vous l’aurez peut-être remarqué, nous venons d’ajouter comme une rubrique à part entière dans le menu catégoriel de gauche. Au fil du temps, nous y ajouterons tous les articles concernant ce sujet et  sans doute même (nous y travaillons) un « herbier » médiéval.

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En vous souhaitant une très belle journée !

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.