Sujet : contes moraux, sagesse, poésie morale, poésie persane, citation médiévale. conte persan, patience. jeunesse, Période : moyen-âge central à tardif. Auteur : Mocharrafoddin Saadi (1210-1291), Ouvrage : Gulistan, le jardin des roses.
Bonjour à tous,
our aujourd’hui, voici un nouveau conte persan de MocharrafoddinSaadi. Il est extrait d’un chapitre du Gulistan, qui touche aux choses de la jeunesse et de l’âge.
Un jour, dans l’orgueil de la jeunesse, j’avais marché vite et la nuit venue, j’étais resté épuisé au pied d’un montagne. Un faible vieillard arriva à la suite de la caravane et me dit :
– Pourquoi dors-tu ? Lève-toi, ce n’est pas le lieu de sommeiller »
Je répondis :
– Comment marcherais-je puisque je n’en ai pas la force ? »
– N’as-tu pas appris, repartit-il, que l’on a dit : » Marcher et s’asseoir valent mieux que courir et être rompu. »
Vers : O toi qui désire un gîte, ne te hâte pas, suis mon conseil et apprends la patience : le cheval arabe parcourt deux fois avec promptitude la longueur de la carrière, le chameau marche doucement nuit et jour. »
Mocharrafoddin Saadi (1210-1291), Gulistan, le jardin des roses.
Dans la littérature médiévale occidentale, la vieillesse a bien souvent deux visages. D’un côté, on retrouvera cette figure de l’ancien expérimenté, le sage, l’ermite, le conseiller, quelquefois encore, le vieux chevalier aguerri qui éduque le jeune. De l’autre, plus fréquent, on trouvera l’ancien fatigué que l’oisiveté autant que la faiblesse ou le manque de moyens peut même miner. Il déplorera alors sa jeunesse perdue, on l’a vu avec Michault Taillevent dans son passe-temps, mais on le retrouve aussi chez Eustache Deschamps et d’autres auteurs médiévaux. On pourra pour en citer un autre exemple se souvenir encore ici des regrets de la belle heaulmière de François Villon.
Dans un autre registre, viennent s’ajouter encore des images plus moqueuses et plus satiriques. On trouvera ainsi le vieux pingre, ou encore le vieillard argenté et lubrique qui cherche à marier une jeune fille ou à s’en attirer les faveurs.
Dans une certaine mesure, ces deux visages-là seront présents dans les contes de Saadi sur la jeunesse et sur la vieillesse. L’âge n’y est pas toujours synonyme de sagesse et la figure de l’ancien oscille, chez lui aussi, entre les deux extrêmes, expérience et raison d’un côté et « travers » de l’autre : avarice, pingrerie, vantardise, lubricité, etc… Sur ce dernier aspect, le poète persan mettra même les vers suivants dans la bouche d’une jeune fille pressée par un prétendant bien plus âgé qu’elle : « Si une flèche se fixe dans le côté d’une jeune fille, cela vaut mieux pour elle que la cohabitation d’un vieillard ».
Dans une autre historiette, qui rejoindra la précédente sur le fond moral, on retrouvera, cette fois l’image d’un vieillard auquel on demandera pourquoi il ne prend pas de jeune épouse et qui s’en défendra justement : « Moi qui suis vieux je n’ai aucune inclination pour les vieilles femmes, comment donc la femme qui sera jeune pourra-t-elle éprouver de l’amitié pour moi qui suis vieux? ». Comme celui du conte du jour, cet autre là portait en lui, à l’évidence, quelques graines de sagesse et parlait, à tous le moins d’expérience.
Pour le reste et encore une fois, pour Saadi comme pour les auteurs médiévaux de l’Europe chrétienne, la sagesse n’est pas une qualité intrinsèque et systématique provenant de l’âge. Pardonnez-moi, mais je n’y resiste pas, finalement, il semble bien que tous auraient pu chanter en choeur et d’égale manière avec Brassens que « le temps n’y fait rien à l’affaire« .
Pour en revenir au moyen-âge occidental, au positif ou au négatif, au masculin comme au féminin, la vieillesse n’est, en général, pas une figure centrale de la littérature médiévale et encore moins des romans chevaleresques. Ces derniers restent basés sur des valeurs mettant en scène plutôt la jeunesse, dans l’action, comme dans l’apprentissage ou l’initiation.
Le mythe moderne du héros en a-t-il hérité ? Sans doute dans de grandes proportions, même s’il est possible qu’avec les glissements de la pyramide des âges et l’allongement de la durée de vie, la fourchette d’âge qui le définit se soit tout de même un peu élargie. Jusqu’à récemment, le cinéma américain, pour ne parler que de lui, nous a d’ailleurs gratifié de quelques productions mettant en scène ses acteurs favoris devenus largement seniors (Sylvester Stallone, Morgan Freeman, Arnold Schwarzenegger, etc…), dans des rôles encore très orientés sur l’action.
En vous souhaitant une belle journée !
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sur ce sujet, on trouvera quelques compléments utiles dans les sources suivantes :
Sujet : poésie, littérature médiévale, poète médiéval, Bourgogne, poète bourguignon, Bourgogne médiévale, poésie réaliste, temps, Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Michault (ou Michaut) Le Caron, dit Taillevent ( 1390/1395 – 1448/1458) Titre : Le passe-temps
Bonjour à tous,
ous parlons aujourd’hui du Passe-temps de Michault le Caron dit Taillevent. C’est un poème assez long, six-cent cinquante et un vers et quatre vingt treize strophes pour être très précis et comme c’est aussi une véritable perle de poésie du XVe siècle, plutôt que d’en livrer quelques extraits épars, ou même de le publier en un seul bloc sans aucune explication, nous avons préféré le prendre dans l’ordre et publier ici les onze premières strophes, en vous fournissant quelques clés de vocabulaire et de lecture.
Œuvre d’anthologie ?
S’il est toujours délicat de souligner une partie d’une œuvre d’un auteur comme la plus importante sans prendre le risque de déprécier tout le reste, on peut à tout le moins constater que le passe-temps est une des poésies de Michault Taillevent qui aura le plus survécu au temps. Disons cela toute proportion gardée car la postérité n’a pas réservé à ce poète médiéval la réputation qu’elle a pu concéder à d’autres et ce poète médiéval est encore aujourd’hui étudié dans un cercle qui concerne tout de même plus des spécialistes de littérature du moyen-âge tardif ou renaissant que le grand public. Il en fut semble-t-il autrement de son temps, d’ailleurs la présence de ce passe temps dans un nombre assez important de manuscrits l’atteste.
Pour mesurer encore le succès de cette poésie auprès de ses contemporains, on apprendra avec Pierre Champion (Histoire poétique du XVe siècle Tome 1, ed 1966) que l’expression « Contempler le passe-temps de Michault » a même été utilisée à l’occasion par certains auteurs, comme une locution proverbiale :
« … Faulte d’argent a tous propos lui fault D’en brief ravoir a tousjours esperance En contemplant le Passe Temps Michault…
Henri Baude . Ballade du gorrier bragard.Pierre Champion(opus cité)
Pierre Chastellain, autre poète du XVe siècle, (proche de Michault et peut-être même disciple de ce dernier?) publiera d’ailleurs entre le passe-temps et avant le testament de Villon, un contre passe-temps en réponse à notre auteur. Cette poésie de Chastellain qui ouvre sur un hommage à Michault et que l’on sait écrite après 1440 et peut-être même autour de 1448, permet d’ailleurs de déduire que le passe-temps dont on ne connait pas la date de publication précise, lui est forcément antérieur, même si c’est sans doute de peu. Sachant que Michault ne semblait plus en fonction à la cour de Bourgogne autour de 1448, on peut supposer qu’il rédigea le passe-temps autour de sa cessation d’activité, après ou même alors qu’il pensait bientôt ne plus l’être.
« En contemplant mon temps passé Et le passe temps de Michaut, J’ay mon temps perdu compassé Duquel a present bien m’y chault. Mais apres, souvent me souppe Ire De temps perdu, dont fort me deulx »
Pierre Chastellain – Le temps perdu.
On dit du passe-temps, et au moins de certaines de ses strophes qu’elles inspirèrent peut-être directement à Villon quelques vers de son testament. Il est vrai que certaines ressemblances sont assez troublantes. Ce sont en tout cas deux oeuvres contemporaines à quelques années près qui approchent magistralement la question du temps mais qui se signent aussi par l’usage du « je » ou d’un « moi » poétique qui soliloque et livre ses douleurs et ses drames tout au long de leur vers. Pierre champion (opus cité) dira même que le passe-temps de Michault est en terme de facture, pratiquement la seule oeuvre que l’on puisse rapprocher de celle de Villon, dans le courant du XVe siècle.
Sur ces similitudes (et leurs limites) entre le temps dans les deux oeuvres, et leur usage du « Je » poétique, quelques experts de littérature médiévale se sont penchés dans le détail sur le sujet et l’on pourra utilement s’y référer : Poétiques du quinzième siècle – Situation de François Villon et Michault Taillevent, Jean-Claude Mühlethaler (1983) ou encore Villon at Oxford: The Drama of the Text. Proceedings of the Conference Held at St Hilda’s College,Michael Freeman & Jane H. M. Taylor (1996) .
Emergence d’un « je » poétique au XVe siècle
Simple passe-temps comme on pouvait considérer alors la poésie (tout en la prenant très au sérieux), ces vers de Michault autour du temps qui passe et « jamais ne retourne » et qui mettent au coeur de leur poésie ce « Je », sont, selon certains auteurs, dont Robert Deschaux, ( Un poète bourguignon du XVe siècle, Michault Taillevent, 1975),annonciateurs de nouvelles formes poétiques du XVe plus subjectives et plus expressives dont Villon se fera l’un des représentants les plus éclatants.
Ayant dit cela, on se souviendra tout de même, avec Michel Zink que le « Je » n’est pas une invention propre de la poésie du XVe siècle, même s’il fait un peu l’effet d’une exception hors des thèmes amoureux dans les siècles précédents. On n’a pu, en effet, en trouver les traces dans la poésie des goliards, mais aussi chez un Rutebeuf au XIIIe siècle (qu’on a d’ailleurs parfois décrit lui-même comme un, sinon « Le », précurseur dans ce domaine), ou encore, contemporain de ce dernier chez un Colin Muset et, plus tard dans le temps, dans certaines ballades du XIVe siècle signées d’Eustache Deschamps .
Le passe-temps de Michault Taillevent,
oeuvre de maturité
Le temps a passé sur le jeune joueur de farces de la cour de Bourgogne et cette poésie est clairement une oeuvre de la maturité. A l’insouciance de la jeunesse et de ses jeux, vient succéder la peur de la vieillesse, autant que celle, plus angoissante encore de la pauvreté. Sans rente et redoutant les affres de la misère, Michault opposera dans des vers poignants le vieillard pauvre et misérable à celui qui a su prévoir. A qui la faute s’il risque de se retrouver bientôt sans rien ? Il s’en prendra à lui-même et à ce temps qu’il n’a pas su dompter. Dans les strophes que nous publions aujourd’hui, il n’entre pas encore aussi loin dans ses développements et pose le cadre.
Comme la déroute, cette poésie n’est, à l’évidence, pas le résultat d’une commande. Sans dénigrer les autres poésies de Michault, on se prend quelquefois à regretter que ses fonctions et son long office au service de Philippe le Bon, à la cour de Bourgogne ne lui aient donné plus de temps pour laisser voguer sa plume sur des oeuvres plus personnelles du type de celle-ci. Bien sûr, ayant dit cela, il faut encore être juste et souligner la valeur de témoignage historique qu’il nous a laissé à travers ses autres poésies plus proches du pouvoir, de ses fastes et de ses enjeux.
Au niveau compréhension, ce texte en moyen français présente peu de difficultés. On notera que chaque strophe finit par un locution en forme de proverbe.
Je pensoie, n’a pas sept ans, Ainsy qu’on pensse a son affaire Par maniere d’un passe-temps, Ou si come en lieu de riens faire. Mais a renouer & reffaire Trouvay trop en mes pesans fais: A longue voye* (chemin, trajet) pesans fais.
Et quant j’euz bien partout visé, Il m’ala aprez souvenir De la joye du temp(s) passé Et de la douleur advenir, Ou il me convendra venir, Car ainsi va qu’ainsi s’atourne: Temps passé jamais ne retourne.
Com(m)e j’euz maule & empraint (1) Mes faiz & en mon cuer escript, Pensay ainsy que cilz* (comme celui) qui craint Que j’avoye mon preterit*, (passé) jeune de co[u]rps & d’esperit, Gaste*(perdu, gâché), dont fuz tout esperdu: Ou conseil n’a tout est perdu.
Ou futur gisoit l’aventure De ma douleur ou de ma joye. Autre espoir, n’autre couverture, N’autre remede n’y songoye, Fors qu’en penssant mon frain rongoye En la face de mes ans cours: A mal prochain hastif secours. (2)
De ma jeunesse ou meilleur point, Ainsi que ses ans on compasse, Encores ne pensoye point Comment temps s’en va & se passe En peu d’eure & en peu d’espasse, Et la nuit vient aprez le jour: Contre joye a plaisant sejour.
A celle heure que je vous compte Le temps joieusement passoye. Je ne tenoye de riens compte, A nulle chose ne pensoye, Ou pend file & ou pend soye Qu’on fait aux champs, qu’on fait aux bours: Cuer lyet* (joyeux) ne songe que tambours.
Je n’estoye mort ne målades, Ne fortune ne me troubloit. Je faisoye ditz & ballades, Et le temps mes doulz ans m’embloit*, (me déroba) Et a celle heure me sembloit Qu’il ne me fauldroit jamais rien: De maison neufve viel merrien*. (vieilles planches, vieux bois)
Comme cil quy jeunesse mayne, Pour le temps qui si me plaisoit, Ung moys ne m’estoit pas sepmaine, Ung an qu’un mois ne me faisoit. Mon cuer en riens ne meffaisoit Qu’a maintenir joyeusete: Tousdiz* (toujours) n’est pas joieux este.
Ainsy jeunesse me maintint, Et quant j’euz beaucoup sejourne, Dedens la sienne ma main tint Et dit qu’estoit a ce jour ne Le bien ou j’estoye adjourne.(dans lequel je me tenais) Elle me bailla ce lardon* (raillerie, moquerie): Jeune poucins de peu lardon. (3)
Neantmoins tousjours com(m)e dessus Mon fait en jeu s’entretenoit. Point ne cuidoie estre decus, D’enviellir ne me souvenoit; Et jour aloit, et jour venoit, Et le jour se passoit tousdiz: Quant bergier dort, loup vient tousdiz.
Ainsi dont en jeunesse estoye, Sans tenir rigle ne compas, Et le temps par mes ans hastoye* (de hâter), Que je ne m’en guettoye pas. (guetter. sans que j’y prête attention) Viellesse m’attendoit au pas Ou elle avoit mis son embusche: Qui de joye ist* (de eissir, issir : sortir) en dueil trebusche.
(1) Mouillé et imprégner : remis en mémoire, repasser en revue (2) Quand le mal/la maladie est proche, il faut se hâter d’agir (3) La jeunesse manque d’expérience ou est insouciante,
Sujet : poésie médiévale, poésie réaliste, auteur médiéval, littérature médiévale. Auteur : François Villon (1431-?1463) Titre : Le grand testament (extrait) Période : moyen-âge tardif, XVe siècle. Ouvrages : diverses oeuvres de Villon, PL Jacob (1854) , JHR Prompsault (1832), Villon & Rabelais, Louis Thuasne (1911)
Bonjour à tous,
ous vous proposons aujourd’hui un nouvel extrait commenté du Grand Testament de François Villon. A ce point de l’oeuvre, le brillant poète du XVe a loué les dames du temps jadis, mais encore ses Seigneurs et, suite à sa ballade qui scande « Autant en emporte ly vens« , il prolonge ses réflexions sur la mort et le temps qui passe. Testament oblige, il nous régale ici de quelques strophes profondes sur ces mêmes thèmes qui offrent une belle ouverture à la ballade des regrets de la belle Heaulmière, qui suivra.
En virtuose accompli, Villon continue d’édifier l’incomparable trésor qu’il légua à la poésie à travers les âges, en usant de son verbe unique et faisant resurgir devant nous les plus belles merveilles de la langue française du XVe siècle.
Avant d’avancer et du point de vue des méthodes, précisons que nous croisons ici des recherches de vocabulaire à l’aide de dictionnaires anciens (Godefroy et Hilaire Van Daele notamment), avec plusieurs notes ou commentaires d’oeuvres diverses du grand maître de poésie médiévale (dont vous trouverez les références en tête d’article). Comme point de départ, je dois avouer que j’affectionne particulièrement la version très richement commentée de PL Jacob. Cet article lui doit beaucoup.
Fragments poétiques du grand testament
de Maistre François Villon
XLII
Puys que papes, roys, filz de roys, Et conceuz en ventres de roynes, Sont enseveliz, mortz et froidz, En aultruy mains passent les resnes; Moy, pauvre mercerot de Renes, Mourray-je pas ? Ouy, se Dieu plaist : Mais que j’aye faict mes estrenes (1) Honneste mort ne me desplaist.
XLIII
Ce monde n’est perpétuel, Quoy que pense riche pillart Tous sommes soubz le coup mortel. Ce confort prent pauvre vieillart, Lequel d’estre plaisant raillart* (moqueur) Eut le bruyt, lorsque jeune estoit; Qu’on tiendroit à fol et paillart*(gueux, méprisable, coquin), Se, vieil, à railler se mettoit.
XLIV
Or luy convient-il mendier, Car à ce force le contraint. Regrette huy sa mort, et hier Tristesse son cueur si estrainct : Souvent, se n’estoit Dieu, qu’il crainct , Il feroit un horrible faict. Si advient qu’en ce Dieu enfrainct, Et que luy-mesmes se deffaict.(2)
XLV
Car, s’en jeunesse il fut plaisant, Ores plus rien ne dit qui plaise. Tousjours vieil synge est desplaisant : Moue ne faict qui ne desplaise S’il se taist, afin qu’il complaise, Il est tenu pour fol recreu* (fatigué, vaincu) S’il parle, on luy dit qu’il se taise, Et qu’en son prunier n’a pas creu.(3)
XLVI
Aussi, ces pauvres femmelettes, Qui vieilles sont et n’ont de quoy Quand voyent jeunes pucellettes En admenez et en requoy, (4) Lors demandent à Dieu pourquoy Si tost nasquirent, n’a quel droit? Nostre Seigneur s’en taist tout coy Car, au tanser, il le perdroit. (5)
François Villon (1431-?1463)
Notes
(1) Il se compare ici à un pauvre marchand de Rennes. Il faut comprendre un miséreux, ou (dans le champ argotique) un « gueux ». Peut-être Dieu décidera-t-il de le faire mourir, mais il ne s’en plaint pas, pourvu qu’il ait pris un peu de bon temps. L’étrenne était l’aumône faite au pauvre mais aussi le premier achat fait à un marchand, soit la vente qui « sauvait » sa journée ou lui adoucissait pour le dire trivialement.
(2) Il commettrait un crime ou un délit pour ne plus avoir à mendier s’il ne craignait Dieu et si, en enfreignant les lois de ce dernier, il n’était conscient de se faire du tort à lui-même.
(3)« Et qu’en son prunier n’a pas creu » Dans ses oeuvres complètes de VillonP.L Jacob propose l’interprétation suivante : « Cette expression proverbiale nous paroît signifier qu’il ne parle pas de son crû, qu’il répète les paroles des autres ». Elle me semble plus évocatriced’une métaphore autour de l’arbre, de sa croissance et peut-être même du fruit. Ie : on explique au vieillard que ses paroles sont stériles et ne portent aucun fruit, autrement dit rien d’utile dont on puisse s’inspirer et qui puisse élever.
(4) En admenez et en requoy, Ce ver semble avoir été sujet à des « traductions » ou « écritures » diverses en fonction des imprimeurs et des éditeurs de Villon. D’un point de vue littéral. on admet généralement que « Admenez » serait un erreur de copiste et doit être plutôt lu comme « Endemenez ». On trouve ce terme traduit dans le Dictionnaire de l’ancien français Godefroy (version courte) comme : « léger, écervelé qui ne peut pas tenir en place. » En Requoy (requoi ou recoi) signifie « en cachette, à part, en secret ». Concernant l’ensemble de cette expression « En admenez et en requoy »,Prompsault (1832-35) lui donne comme sens : « prenant leur plaisir en cachette avec des jeunes garçons ». Il suit ainsi les pas de Marot qui a préféré noter ce ver : « Emprunter elles à Requoi », autrement dit « qui se donnent en cachette ». Bref si nous ne passons pas à côté d’une expression d’époque ou d’une référence à tiroir dont Villon a le secret, il s’agit sans doute là d’exprimer quelque chose qui a trait à des comportements ou des moeurs « légères » et cachottières, ou secrètes.
(5) Ces femmes devenues vieilles qui n’ont plus les attraits de la jeunesse et de la séduction, voyant les jeunes filles s’ébattre et s’adonner aux plaisirs de leur âge, les envient. Elles demandent alors à Dieu pourquoi elles naquirent avant elles et par quelle injustice (quel droit), mais lui se tient coi car il ne pourrait sortir victorieux d’un débat sur la question. On notera avec Louis Thuasne(« Villon et Rabelais ») que cette interrogation renvoie à celle que posait déjà la vielle du roman de la rose :
« Dieu ! en quel soucy me mettoyent
Les beaulx dons que faillis m’estoyent!
Et ce que laissé leur estoit,
En quel torment me remettoit, Lasse ! pourquoi si tost nasqui ?
A qui me dois-je plaindre ? A qui
Fors à vous, filz que j’ai tant chier »
En vous souhaitant une très belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.