Sujet : poésie morale, poète satirique, poésie médiévale, dits moraux, poésie courte, français moyen, individu, peuple Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Henri Baude (1430-1490) Ouvrage : Les vers de Maître Henri Baude, poète du XVe siècle, M. Jules Quicherat (1856),
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons quelques nouveaux vers issus des Dictz moraulx pour mettre en tapisserie de Henri Baude, poète moral et satirique du Moyen Âge tardif.
Il y est question d’une réflexion morale et même politique sur la difficulté de trouver des solutions, voire même des impasses du particulier au collectif : de l’individu, défiant envers tous, et qui se laisse tourmenter durement, sans savoir à qui s’allier, au peuple dont chacun veut s’approprier un morceau et même plus la substance, la moelle : pauvre vache à lait, silencieuse et docile, laissée dans l’impuissance et qui ne peut même acheter sa propre paix.
CHASCUN LE PARTICULIER (1)
Ne sçay à qui me douloir des griefs faiz Que je soustiens par dure vyolance. Car à nully je ne treuve fiance ; De tous coustez je ne voy que forfaiz.
Je ne sais à qui me plaindre des griefs qu’on me fait Que je supporte par dure violence. Car, en personne, je ne trouve confiance ; De tous côtés je ne vois que forfaits.
LE PEUPLE
Chascun se plainct (et je, peuple, me taiz) Pour despartir ensemble ma substance ; Et d’avoir mieulx n’ay-je point espérance. Je paye tout et ne puis avoir paix.
Chacun se plaint (et moi, peuple, me tait) Pour se partager ma substance ; Et d’avoir mieux je n’ai point d’espérance, Je paye tout et ne peux avoir la paix.
(1) Chascun le particulier : « chaque individu ». Bien que le terme « particulier » ait pu aussi désigner en français ancien le singulier, mais plus étonnamment encore « l’égoïste » (petit dictionnaire de l’ancien français Hilaire van Daele), voire même « le persécuteur » (dictionnaire Godefroy court), dans le moyen français de Baude, l’opposition touche un sens plus moderne et plus proche de nous : l’individu, le particulier en opposition au peuple, au collectif.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : vaux de vire, chansons à boire, poésies satiriques, humour, vaudevire, Vire, Normandie. Période : Moyen Âge tardif, Renaissance Auteur : Jean le Houx (1550-1616), Ollivier Basselin (vers 1400-1450 ?) Sources : Vaux-de-Vire d’Olivier Basselin et Jean Le Houx, PL Jacob (1858). Les Vaudevires Olivier Basselin, Jean le Houx… et Vire, Yvon Davy, Association La Loure – Musiques et Traditions Orales de Normandie, 2017 (consulter en ligne – Lien alternatif téléchargement).
Bonjour à tous,
ans le courant du XVe siècle, en Normandie et plus précisément dans le Calvados, aurait vécu, en la cité de Vire, un poète du nom d’Olivier Basselin. Peu soucieux de chanter l’amour, l’homme aurait laissé, derrière lui, un legs fait d’odes à Bacchus et de chansons à boire, au point même d’avoir donné naissance et des lettres de noblesse à un genre local : le Vaux de Vire ou Vaudevire. Bien sûr, la Normandie ne l’avait pas attendu pour entonner ses premières chansons à boire même si certains auteurs du passé, en plus d’avoir fait de Basselin le créateur des premiers vaudevires, ont, quelquefois généralisé en cherchant à en faire le père des chansons à boire normandes.
Faits ou légendes
A partir de ce là, le médiéviste rigoureux, comme l’amateur d’histoire médiévale, s’efforceront de tout mettre au conditionnel. Dans les manuscrits du XVe siècle, contemporains de Basselin, on ne connait, en effet, aucune sources écrites de ses chansons. Ces dernières ne nous sont « parvenues » que par l’intermédiaire de Jean le Houx. Cet auteur, poète et avocat de Vire les fit éditer, près d’un siècle après la disparition supposée de Basselin. supposément après les avoir transcrites depuis la tradition orale. C’est, en tout cas, ce que l’on a pris pour argent comptant jusqu’au XVIIIe siècle et même un peu plus tard encore.
On en est revenu depuis pour plusieurs raisons que nous exposerons. L’une des premières tombe sous le sens. Plus de 65 chansons ayant traversé le temps, durant un siècle, pour survivre dans la tradition orale ? Même si l’on a admis d’emblée que Jean le Houx avait pu les arranger à sa sauce et les moderniser en terme langagier, cela parait tout de même beaucoup. Sur un tel corpus, il demeure tout de même étonnant qu’aucune pièce n’ait pu être retrouvées dans des manuscrits plus contemporains du XVe. Le Moyen Âge tardif n’est pas le XIIe siècle et un nombre conséquent de manuscrits de ce siècle nous sont parvenus. En dehors de cette absence d’écrits, d’autres raisons viennent encore s’ajouter. Nous les aborderons un peu plus loin mais intéressons-nous d’abord aux sources sur l’auteur lui-même, à défaut d’en trouver sur son oeuvre.
Sur l’existence factuelle d’un Ollivier Basselin ?
Une chanson dédiée à Olivier Basselin dans le Manuscrit de Bayeux ( Français 9346 ) BnF, département des manuscrits
D’un point de vue factuel, il semble tout à plausible qu’un dénommé Ollivier Basselin, originaire de Vire, ait existé dans le courant du XVe siècle. La mort d’une personnage portant son nom est même évoquée dans une chanson du Manuscrit de Bayeux (fr 9346) daté de la fin de ce même siècle (consulter sur Gallica), ainsi que dans d’autres sources de la même période. Cette chanson du Ms fr 9346 apporte du crédit au fait qu’un homme du nom d’Ollivier Basselin aurait été un joyeux buveur, doté d’une certaine notoriété locale. D’après ce texte toujours l’infortuné serait tombé de la main des anglais.
Hellas Ollivier Basselin N’orron point de vos nouvelles Vous ont les Engloys mys à fin.
Vous soulliés gayement chanter Et demener joyeuse vye Et les bons compaignons hanter Par le pays de Normendye.
Jusqu’à Sainct Lo, en Cotentin, En une compaignye moult belle Oncques ne vy tel pellerin.
Les Engloys ont faict desraison Aux compaignons du Vau de Vire, Vous n’orrez plus dire chanson A ceulx qui les soulloient bien dire.
Nous priron Dieu de bon cueur fin, Et la doulce Vierge Marie, Qu’il doint aux Engloys malle fin. Dieu le Père fi les mauldye
Quelques autres sources viendront renforcer cette réputation de joyeux drille de Basselin et son goût pour la boisson. Le personnage semble même s’être taillé une telle réputation dans la tradition qu’il en est devenu un « personnage » haut en couleurs et l’archétype local du buveur. C’est en tout cas ainsi qu’on le retrouve cité dans d’autres chansons de la fin du XVe et du XVIe siècle.
Pour le reste, quelques sources supplémentaires sérieuses mentionnent un Ollivier Basselin en 1405 taxé d’une amende et encore un autre, à 55 ans de là, en 1459. Au vue des dates, ce dernier qui était Maître des œuvres du Roi n’était certainement pas le même que le premier. Quant à d’autres sources sur ce patronyme, il a effectivement existé un Moulin Basselin ou Beusselin à Vire, même si son existence n’est attestée, dans les sources, qu’au milieu du XVIe siècle.
Pour d’autres auteurs plus tardifs, Basselin aurait aussi incarné une forme de résistance normande contre les anglais, dans la période troublée de la guerre de cent ans. Selon cette hypothèse, la compagnie entourant le personnage n’aurait donc pas été qu’une compagnie de buveurs. Alors, boit- sans-soef ou héros résistant ? L’histoire locale hésitera. Pourtant, là encore, si la chanson ci-dessus clame que les anglais ont mis fin à la vie de Basselin, ce qui pourrait peut-être établir une forme d’action résistante, il n’y a pas matière, dans ces quelques vers, sauf à verser dans le lyrisme, à en faire un chef de file et un meneur. Entre flou et certitude, voilà, en tout cas, le peu d’éléments que les faits nous apportent.
Un étrange « air de famille »
Plus d’un siècle après la vie supposée de Basselin, un autre auteur et poète du nom de Jean le Houx (1551-1616) éditait donc des « vaux de vire » du légendaire buveur. Il aurait consigné par écrit de larges restes de tradition orale qui auraient permis de faire parvenir jusqu’à lui les pièces de Basselin. Encore une fois, aucune trace écrite ne subsiste au XVe de chansons ou de poésies attribuées à Basselin ; quand Le Houx édite son ouvrage, nous sommes autour de 1576. Pour comble, l’histoire joue de malchance puisque les traces de son édition originale seront égarés dans un premier temps. Il faudra même attendre près d’un siècle de plus (1660-1670), pour qu’un nouvel éditeur de vire Jean de Cesne ne republie, à son tour, les vaudevires de Jean le Houx, accompagnés de ceux prêtés à Basselin.
Comme de nombreux auteurs du Moyen Âge, c’est dans le courant du XIXe siècle que le nom de Basselin resurgira pour donner lieu à de multiples publications. Auguste Asselin, politique et homme de lettres local, sera parmi les premiers à redonner aux vaux de vire et à l’auteur, de nouvelles lettres de noblesse en publiant en 1811, un grand recueil sur le sujet. Reprenant l’ouvrage de Jean de Cesne, il prendra acte, sans véritablement avoir le moyen de l’établir, ni de le vérifier, du fait que le Houx était bien l’éditeur de l’oeuvre de Basselin. Dans un XIXe siècle, qui s’enflamme pour l’histoire de ses régions, autant que pour leurs racines médiévales, de nombreux auteurs voudront croire en cette origine ancienne du Vaudevire, et en l’authenticité des pièces attribuées à Basselin.
Pourtant, dans ce même siècle friand de débats autant que de méthodologie, certains médiévistes viendront bientôt contester la paternité réelle de ces textes. Faits maigres, sources inexistantes, on fait aussi remarquer de troublantes similitudes de style entre les vaux de vire attribués à Basselin et ceux attribués à Jean Le Houx. Dans ces contradicteurs, on retrouvera notamment Eugène de Beaurepaire, historien chartiste et normand du XIXe siècle (voir Mémoire de la société des antiquaires de Normandie), ainsi que Armand Gasté, historien et homme de lettres, originaire de Vire (1875). A partir du Manuscrit de Caen Ms 0207(photo ci-dessus et ci-contre), les deux auteurs s’évertueront à démontrer que l’ouvrage est, en réalité, le manuscrit original de Jean le Houx. Pour eux, certaines ratures ne trompent pas, il s’agit bien de l’oeuvre tâtonnante d’un auteur qui cherche son style et non point d’un copiste qui retranscrit.
Jean le Houx n’a-t-il fait que moderniser les chansons à boire de Basselin comme on l’admettait déjà depuis plusieurs siècles ? A l’évidence, son langage est proche du français moderne et n’est déjà plus le moyen français du Moyen Âge tardif. A-t-il pu les créer ex nihilo, inspiré, peut-être, par un faisceau de tradition ou une rumeur plutôt que par de véritables sources orales ? Il les a, en tout cas, modelé à ce point à sa main qu’il y a même introduit des éléments autobiographiques.
Face à tant de brouillard et malgré le peu de sources d’époque venues plaider en faveur de l’authenticité des pièces, il fallut bien pourtant que les avis demeurent partagés. La polémique continua même, jusque dans le courant du XXe siècle, selon que l’on désirait vouloir insuffler la vie à cet auteur médiéval dans l’ouvrage de Jean le Houx ou lui ôter. Entre tradition orale, sources présentes mais imprécises, bon vivant et « héros » supposé d’une résistance locale contre l’angloys, la légende, était, il faut le dire, séduisante pour qui se cherchait un passé grandiloquent ou truculent. Sous l’égide d’une histoire partiellement éprise de ses traditions locales, on pourrait presque retrouver là, un peu de l’attachement de la Provence aux grandes envolées littéraires des vitas de ces troubadours. Les faits pourtant ou leur absence ne pardonnent guerre en histoire, et dans les vides qu’ils laissent, les plus sceptiques l’emportent souvent sur les rêveurs . Croire ou ne pas croire, la question se pose quelquefois, même en Histoire. On notera du reste que, dans des sources comme wikipédia ou même pour certains éditeurs, la vie d’Olivier Basselin et son oeuvre continuent d’être présentés comme des faits actés.
De Basselin à Le Houx, dans une complicité mêlée de cousinage local qui s’est nouée d’un siècle à l’autre, on verra sans doute plus l’hommage rendu que le fait littéraire historique authentique. Il en demeure, en tout cas, un genre, qu’on nomme le Vaudevire et qui s’épanche du côté de la satire légère, de l’humour de taverne et de la chanson à boire (à consommer, pour la substance, avec modération). Il en demeure quelques pièces drôles, plus renaissantes que médiévales dans leur langage et que nous partagerons ici, de temps à autre. En voici une première , dont on notera, au passage qu’elle sonne bien plus comme un chant antimilitariste que comme un chant résistant.
La guerre et le vin
Hardy comme un Cesar, je suis à ceste guerre Où l’on combat armé d’un grand pot et d’un verre. Plus tost un coup de vin me perce et m’entre au corps, Qu’un boulet qui cruel rend les gens si tost morts.
Le cliquetis que j’aime est celui des bouteilles, Les pipes, les bereaux (broc, tonneaux ?), pleins de liqueurs vermeilles, Ce sont mes gros canons qui battent sans failler La soif, qui est le fort que je veux assaillir.
Je trouve, quant à moy, que les gens sont bien bestes Qui ne se font plus tost au vin rompre les testes, Qu’aux coups de coutelas en cherchant du renom : Que leur chaut (de chaloir), estant morts, si l’on en parle ou non ?
De trop boire frappée, une teste en reschappe ; Sent bien un peu de mal, lorsque le vent la happe, Mais, quand on a dormy, le mal s’en va soudain A ces grands coups de Mars (Dieu de la guerre), tout remède y est vain.
Il vaut bien mieux cacher son nez dans un grand verre ; Il est mieux asseuré qu’en un casque de guerre. Pour cornette ou guidon, suivre plus tost on doit, Les branches d’hiere ou d’if qui monstrent où l’on boit (1).
Il vaut mieux, près beau feu, boire la muscadelle (cidre), Qu’aller sur un rempart faire la sentinelle. J’aime mieux n’estre point en taverne en defaut Que suivre un capitaine à la bresche, à l’assaut.
Neanmoins, tout excez je n’aime et ne procure ; Je suis beuveur de nom et non pas de nature. Bon vin qui nous fais rire et hanter nos amis, Je te tiendray tousjours ce que je t’ay promis.
(1) Selon PL Jacob cela pourrait être en allusion au Buis (burus, bouchon) qui aurait désigné les tavernes ou cabarets de village
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : poésie médiévale, auteur médiéval, poète, amour courtois, loyal amant, français 9223 Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Blosseville
Titre : j’en ay le dueil Ouvrage : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle de Gaston Raynaud (1889)
Bonjour à tous,
u XVe siècle, la poésie de Blosseville traverse la cour de Charles d’Orléans. Elle n’est pas la seule à le faire ; on se presse alors autour du prince, amateur de lettres et d’art, lui-même grand poète, et, entre concours et jeux poétiques, on vient y exercer sa plume. François Villon, lui-même, fréquentera l’endroit, durant une courte période, et nous en laissera quelques pièces.
A l’image d’autres auteurs et nobles venus s’essayer à la rime auprès de Charles d’Orléans, on retrouve la poésie de Blosseville, notamment dans le MS Français 9223 conservé à la BnF. Daté du XVe siècle, l’ouvrage semble même être copié de la main de notre poète. On y trouve un peu moins de 200 pièces de quarante auteurs différents et c’est, on s’en souvient, un manuscrit dont Gaston Raynaud fit la transcription dans Rondeaux et autres poésies du XVe siècle, en 1889.
Blosseville, entre jeux courtois et poésie distanciée
Inconstance sentimentale, déboires passagers ou simplement jeux littéraires ? Dans ses différentes poésies, notre auteur médiéval se montre tantôt ironique et critique à l’encontre de l’amour courtois, tantôt, on le retrouve s’y prêtant avec talent et même émotion, comme dans ce rondeau du jour. Faut-il alors prendre Blosseville au premier degré ou relativiser son propos, à la lumière des autres pièces ? A juger l’ensemble, le jeu de pendule auquel il se livre, semble plutôt être la marque d’un exercice littéraire ludique et tout en distance. Après tout, on meurt plus d’amour dans les vers des poètes du Moyen Âge qu’on ne le fait dans la réalité et nous sommes de l’avis (qui n’engage que nous), de prendre la poésie de cet auteur du Moyen Âge tardif, plus au sérieux que son contenu.
J’en ay le dueil, Blosseville
J’en ay le dueil, et vous la joye, J’en ay la guerre, et vous la paiz, J’en cours, et vous allez en paiz, J’en ay courroux, qui vous resjoye, Vous en riez, et j’en lermoye, Vous en parlez, et je m’en tais ; J’en ay le dueil, et vous la joye, J’en ay la guerre, et vous la paiz.
Vous vous bangnez, et je me noye, Vous vous faictez, je me deffais, Vous me blasmez, dont ne puis mais, Vous ne voulez, que g’y pourvoye ; J’en ay le dueil, et vous la joye, J’en ay la guerre, et vous la paiz, J’en cours, et vous allez en paiz, J’en ay courroux, qui vous resjoye.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : poésie médiévale, ballade médiévale, moyen-français, poésie réaliste, corpus Villon. Auteur : anonyme,attribuée à François Villon (1431-?1463) Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle. Titre : « Ballade pour ung prisonnier » Ouvrage : Jardin de plaisance et fleur de rethoricque, A Vérard (1502). François Villon, sa vie et ses oeuvres, Antoine Campaux (1859)
Bonjour à tous
ans le courant du XIXe siècle, avec le développement des humanités et du rationalisme, émergent plus que jamais, la volonté de catégoriser, classer mais aussi de mettre en place une véritable méthodologie dans le domaine de l’Histoire. De fait, de nombreux esprits brillants s’attellent alors aux manuscrits et à la systématisation de leur étude, et ce sera, également, un siècle de grands débats autour des auteurs du Moyen Âge et de la littérature médiévale.
Manuscrits, attributions et zones d’ombre
Corollaire de ces travaux variées, mais aussi de la découverte de nouvelles sources, on se pose alors souvent la question d’élargir, ou même quelquefois de restreindre, le corpus des nombreux auteurs médiévaux auxquels on fait face. D’un expert à l’autre, la taille des œuvres prend ainsi plus ou moins « d’élasticité », suivant qu’on en ajoute ou qu’on en retranche des pièces, en accord avec les manuscrits anciens ou même, parfois, contre eux.
On le sait, dans ces derniers, il subsiste toujours des zones d’ombre. A auteur égal, les noms ou leur orthographe peuvent varier sensiblement. En fonction des manuscrits, des pièces identiques peuvent aussi se retrouver attribuées à des auteurs différents. Enfin, certains codex foisonnent de pièces demeurées anonymes. Dans ce vaste flou, on comprend que les chercheurs soient souvent tentés de forger des hypothèses pour essayer de mettre un peu d’ordre ou de faire des rapprochements.
Ajoutons que cet anonymat des pièces n’est pas que l’apanage des codex du Moyen Âge central et de ses siècles les plus reculés. Entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle, on verra, en effet, émerger un certain nombre de recueils, fascicules ou compilations de poésies qui ne mentionneront pas leurs auteurs d’emprunt (La récréation et passe temps des tristes, Fleur de poésie françoyse, etc…). Un peu plus tard, ce phénomène sera même favorisé par l’apparition de l’imprimerie. En recroisant avec d’autres sources historiques, on parviendra alors à réattribuer certaines de ces pièces à leurs auteurs mais d’autres demeureront anonymes et, là encore, on sera tenté, quelquefois, d’y voir l’empreinte d’un poète connu et, à défaut, d’éventuels copieurs ou disciples.
Le corpus de François Villon
Concernant cette « élasticité » des corpus, à l’image d’autres poètes du Moyen Âge, François Villon n’y fera pas exception. La notion d’auteur étant peu fixée durant la période médiévale, et la copie considérée comme un exercice littéraire louable, on peut alors légitimement supposer que le poète a pu faire des émules. Bien sûr, il en va aussi des grands auteurs médiévaux un peu comme les grands peintres : on est toujours, à l’affût et même désireux, de découvrir une pièce nouvelle.
Comme Villon est un auteur du Moyen Âge tardif et donc assez récent, on lui connait, depuis longtemps, une œuvre assez bordée. Dès après sa mort et plus encore après l’invention de l’imprimerie, son legs a aussi fait l’objet de maintes rééditions. Pourtant, depuis le milieu du XVIIIe siècle, un ouvrage est déjà venu semer le doute sur le corpus réel de notre poète médiéval.
Les travaux de Nicolas Lenglet Du fresnoy
Signé de la main de Nicolas Lenglet Du Fresnoy, le MS Paris Arsenal 2948 est un essai inachevé sur l’œuvre de Villon qui élargit, notablement le nombre de pièces pouvant lui être attribuées. Pour étayer ses propos, Lenglet s’appuie sur plusieurs sources, dont une qui nous intéresse particulièrement ici. Il s’agit d’un ouvrage daté du tout début du XVIe siècle et ayant pour titre « Le jardin de plaisance et fleur de rethoricque » (Ms Rothschild 2799).
On trouve, dans ce manuscrit très fourni, certaines pièces que d’autres sources historiques attribuent, par ailleurs, clairement à Villon ; à leur côté, se tiennent d’autres poésies, inédites, demeurées sans auteur, mais qui évoquent suffisamment le style ou la vie de Villon pour que Lenglet Du Fresnoy soit tenté de les rapprocher de ce dernier.
La Ballade pour ung prisonnier dans le jardin de plaisance et la fleur de rethoricque
Un aparté sur l’attribution de l’œuvre : Lenglet Du Fresnoy éclispé par La Monnoye
Pour en dire un mot, sur la question des attributions, l’affaire prend un tour assez cocasse, mais cette fois-ci, du point de vue de l’oeuvre sur l’oeuvre. En effet, une erreur fut faite au XIXe siècle, vraisemblablement par Pierre Jannet : dans ses Œuvres complètes de François Villon (1867), ce dernier attribua les travaux de Lenglet Du Fresnoy à Bernard de la Monnoye et cette erreur a perduré jusqu’à nous. Elle continue même d’être faite régulièrement et on doit à Robert D Peckham de s’être évertué à la déconstruire. Voir Villon Unsung : the Unfinished Edition of Nicolas Lenglet Du Fresnoy, Robert D Peckham, tiré de Breakthrough: Essays and Vignettes in Honor of John A. Rassias, 2007, ed. Melvin B. Yoken. Voir également Le Bulletin de la Société François Villon numéro 31.
Quoiqu’il en soit, pour revenir à nos moutons, autour des années 1742-1744, Nicolas Lenglet Du Fresnoy avait extrait du Jardin de plaisance et fleur de rethoricque de nombreuses pièces, en les attribuant à notre auteur médiéval, au risque même de le faire un peu trop largement. Ce sera, en tout cas, l’avis de certains biographes postérieurs de Villon dont notamment Jean-Henri-Romain Prompsault, au début du XIXe siècle. S’il ne suivra pas son prédécesseur sur toute la ligne, ce dernier conserva, tout de même, une partie des pièces retenues par Lenglet dans ses Œuvres de maistre François Villon, corrigées et augmentées d’après plusieurs manuscrits qui n’étoient pas connues (1835).
Antoine Campaux sur les pas de Lenglet
Vingt-cinq ans après Prompsault, dans son ouvrage François Villon, sa vie et ses œuvres (1859), l’historien et écrivain Antoine Campaux reprendra d’assez près les conclusions de Lenglet sur certaines pièces du Jardin de Plaisance et Fleur de Rhétorique et leur attribution possible à Villon. Voici ce qu’il en dira :
« Plusieurs de ces pièces semblent se rapporter, de la façon la moins équivoque, aux circonstances les plus caractéristiques de la vie du poète, comme à ses amours, à sa prison, à son exil, à sa misère, à son humeur. Quelques-unes présentent, avec certains huitains du Petit et particulièrement du Grand- Testament, des rapports si étroits et parfois même des ressemblances si grandes de fond et de forme ; l’accent enfin de Villon y éclate tellement, que c’est, du moins pour nous, à s’y méprendre. (…) Nous sommes donc persuadés avec Lenglet, qu’un grand nombre de pièces de cette compilation ne peut être que de Villon, ou tout au moins de son école. Elles en ont à nos yeux la marque, et entre autres la franchise du fond et de la forme, assez souvent la richesse de rimes, et parfois ce mélange de tristesse et de gaieté, de comique et de sensibilité qui fait le caractère de l’inspiration de notre poète. » A Campaux – op cité
Pour information, si cet ouvrage vous intéresse, il a été réédité par Hardpress Publishing. Vous pouvez le trouver au lien suivant : François Villon, Sa Vie Et Ses Oeuvres.
L’École de Villon selon Campaux
Bien que largement convaincu de la paternité villonesque d’une majorité des pièces retenues, Campaux prendra la précaution de les rattacher à une « école de Villon », en soumettant la question de leur attribution à la sagacité du lecteur ; à quelques exceptions près, ses commentaires, insérés entre chaque pièce, ne laisseront pourtant guère d’équivoque sur ses propres convictions.
Pour le reste, le médiévisteretiendra dans son Ecole de Villon, autour de 35 rondeaux et ballades, issus du Jardin de Plaisance, qu’il classera en plusieurs catégories : chansons à boire, poésies sur le thème de l’amour, ballades plus directement liées à l’évocation de l’exil, la misère et l’incarcération de Villon. Il dénombrera, enfin, des ballades sur des sujets plus variés et des pièces plus satiriques et politiques. Concernant ces toutes dernières, l’historien tendra, cette fois, à les attribuer plutôt à Henri Baude, qu’il désignera, par ailleurs, comme « un des meilleurs élèves de Villon« .
Aujourd’hui, parmi tous les poésies citées par Campaux, nous avons choisi de vous présenter celle intitulée « Ballade pour ung prisonnier ». Voici ce qu’il nous en disait : « Cette pièce est certainement de Villon, du temps qu’il était dans le cachot de Meung. J’y entends et reconnais les plaintes, les remords, les excuses, les projets de changements de vie, et il faut le dire aussi, les sentiments de vengeance de la première partie du Grand-Testament. »
Nous vous laisserons en juger mais il est vrai qu’à la lecture, on comprend aisément le trouble du médiéviste. Depuis lors, aucun expert n’a pu trancher définitivement sur la question de cette attribution et à date, on n’a trouvé cette pièce dans aucun autre manuscrit d’époque.
Ballade pour ung prisonnier
S’en mes maulx me peusse esjoyr, Tant que tristesse, me fust joye, Par me doulouser et gémir Voulentiers je me complaindroye. Car, s’au plaisir Dieu, hors j’estoye, J’ay espoir qu’au temps advenir A grant honneur venir pourroye, Une fois avant que mourir.
Pourtant s’ay eu moult à souffrir Par fortune, dont je larmoye, Et que n’ay pas pou obtenir, N’avoir ce que je prétendoye, Au temps advenir je vouldroye Voulentiers bon chemin tenir, Pour acquérir honneur et joye, Une fois avant que mourir.
Sans plus loin exemple quérir, Par moy mesme juger pourroye Que meschief nul ne peult fouyr, S’ainsy est qu’advenir luy doye. C’est jeunesse qui tout desvoye, Nul ne s’en doit trop esbahyr. Si juste n’est qui ne fourvoye, Une fois avant que mourir.
ENVOI.
Prince s’aucun povoir avoye Sur ceulx qui me font cy tenir, Voulentiers vengeance en prendroye, Une fois avant que mourir.
Une belle journée à tous.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ces formes.