Sujet : légendes arthuriennes, humour, détournement, série télévisée, Kaamelott, Perceval, Franck Pitiot, jeu du Pélican, fan art, livres, bibliothèque imaginaire. Série : Kaamelott, M6; CALT production. Période : Moyen Âge fantastique Auteurde la série : Alexandre Astier
Bonjour à tous,
ous étions très nombreux à l’attendre. Il est vrai que la série Kaamelott d’Alexandre Astier, avait laissé, à ce sujet, de larges zones d’ombres. Aussi, ce n’est pas sans une certaine joie que nous avons le plaisir de vous annoncer la sortie des règles simplifiées du célèbre Jeu du Pélican de Perceval (Franck Pitiot à l’écran). En un peu moins de 10 000 pages, ces trois tomes permettront à tous les amateurs du divertissement originaire du pays de Galles de briller dans les tavernes qui perpétuent la tradition.
Petit rappel sur les règles
« Si vous m’ratez encore une artichette après ça, c’est vraiment qu’vous l’faites exprès. » Perceval
On rappelle que pour jouer au Jeu du Pélican, il suffira de se munir de 120 à 130 d’artichauts. Le vainqueur de la donne devra trier les siens du plus lisse au plus râpeux, non sans avoir tenté, au passage, d’en refourguer 17% à l’occasion du tour de troc. Quant aux annonces, elles sont, dans le jeu d’origine, au nombre de 10, dont, bien sûr, la célèbre Artichette, la Tichette de 21 et la Raitournelle. Sauf dans quelques rares variantes, elle ne dépendent jamais des donnes bissextiles ou asymétriques. Mais n’en dévoilons pas trop, on découvrira toutes les subtilités des règles du Pélican, ainsi que leur simplicité déconcertante, dans ces 9593 pages, d’une grande facilité de lecture, sorties aux Éditions du Doliprane.
Pour information, la sortie du film Kaamelott au cinéma, maintes fois repoussée à cause des mesures anti-covid, vient d’être à nouveau annoncée par Alexandre Astier. Elle est désormais prévu pour le 21 Juillet 2021.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
NB : l’image en-tête d’article est un montage réalisé à partir de deux extraits de l’épisode : « Perceval fait Raitournelle » du livre IV de Kaamelott (2006) – M6 – Calt Production – Alexandre Astier.
Sujet : auteur médiéval, conte moral, Espagne médiévale, littérature médiévale, valeurs chevaleresques, honneur, monde féodal, Europe médiévale. Période : Moyen Âge central ( XIVe siècle) Auteur : Don Juan Manuel (1282-1348) Ouvrage : Le comte Lucanor traduit par Adolphe-Louis de Puibusque (1854)
Bonjour à tous,
ans l’Espagne médiévale du XIVe siècle, Don Juan Manuel de Castille et León, chevalier et seigneur, duc et prince d’Escalona et de Villena, rédige, dans un petit ouvrage, un peu plus de cinquante contes : ces histoires courtes, appelées exemplos dans la version originale du livre en castillan ancien (étymologie proche de la racine latine exemplum qui nous a donné exemple mais surtout, dans le même champ sémantique : exemplarité, exemplaire) portent sur diverses valeurs morales. Au delà, le traité se présente aussi, et d’une certaine manière, comme un guide pour l’action puisque les problèmes qui y sont posés sont souvent très concrets.
Valeurs morales, politiques, stratégiques, humaines, pour les mettre en scène, le noble espagnol s’invente un personnage : le comte Lucanor, noble dont on devine les préoccupations proches de celles de son créateur. L’homme a un serviteur et conseiller du nom de Patronio qu’il ne manque pas d’interroger face à des prises de décision variées. En retour, les enseignements du sage interlocuteur prennent, le plus souvent, la forme d’anecdotes. Elles sont empruntées à diverses sources : exemples issus de la littérature, fables, contes (européens ou importés de destinations plus lointaines), fictions mais encore récits d’inspirations plus historiques.
Comment doit se comporter l’homme, l’homme de bien, le noble seigneur, le chevalier véritable ? Comment doit-il agir ? A qui peut-il se confier ? Comment doit-il défendre ses États ? La finalité du propos est ce qui compte le plus et Lecomte Lucanor de Don Juan Manuel finira par prendre une belle place dans la littérature médiévale castillane du premier tiers du XIVe siècle.
Honneur contre faiblesse, valeurs guerrières et chevaleresques
Le conte d’aujourd’hui, dénommé exemple XXXVII dans la version originale du livre, traite à la fois d’honneur et de valeurs chevaleresques. On verra notamment que le seigneur prêt à en découdre bec et ongles pour sauver ses Etats, ses gens et son honneur peut entraîner, dans son sillage, les armées qu’on croyait les plus éreintées et démotivées.
C’est le personnage historique de Fernán González (Ferdinand González de Castille) qui sert de référence à notre récit du jour. Nous l’avions déjà croisé dans l’Exemple XVI du comte Lucanor. Sous la plume de Don Juan Manuel, ce comte de Castille du Xe siècle affirmait alors l’importance cruciale de défendre et maintenir sa renommée, sa réputation (fama) de son vivant. Dans le récit XXXVII, le courage du noble et son sens de l’honneur seront à nouveau pris en exemple pour illustrer les valeurs morales du seigneur et guerrier « véritable ».
Fernán González, comte de castille (910-970)
Statue du comte Fernán González, Madrid, Espagne. par Juan de Villanueva Barbales (1681-1765).
Fernán González est, à la fois, un personnage historique et un chevalier castillan devenu légendaire par les œuvres littéraires produites sur lui. A l’image de Roland en France, il est entré dans les récits fondateurs de la péninsule ibérique et en particulier, de la suprématie castillane. De par cette double existence de chair et de vélin, il a pu s’avérer un peu ardu pour l’histoire médiévale, de faire le tri entre hauts faits établis, d’un côté, et inventions littéraires de l’autre. Nous ne nous aventurerons pas dans cette quête. Fort heureusement, un chartiste s’y est attelé et c’est, sous sa gouverne, que nous dirons quelques mots de ce seigneur de l’Espagne médiévale, devenu légendaire.
Un héros castillan entre histoire et légende : dans les pas de Matías Ferrera
Dans une thèse soutenue, en 2017, devant l’Ecole Nationale des Chartes, l’historien Matías Ferrera est parti à la découverte du noble comte castillan du Moyen Âge central. En le rapprochant du personnage ayant inspiré le Cid, mais tout en s’étonnant du peu de renom de Fernán González, le jeune chartiste a tenté de rendre justice à ce héros castillan tout en triant le factuel et l’historique du factice, dans une vaste approche historiographique. Comme indiqué, nous ne ferons ici que suivre très modestement ses pas, en notant au passage que l’excellence de ses travaux lui ont remporté le prix Auguste-Molinier (1).
Eléments historiques et biographiques
Fernán González nait autour de 910 dans une Espagne et une Castille encore divisées entre diverses provinces et couronnes. Fils d’un héros de la Reconquista (Gonzalo Fernández), le jeune Fernán se verra confié la charge des comtés de Burgos, d’Álava et de Castille par le roi de León, Ramiro II. Il est alors âgé d’un peu plus de 20 ans. Dans une Espagne encore sujette aux nombreuses poussées de conquêtes maures, la responsabilité est grande et pour le moins stratégique. Il parviendra pourtant à la tenir, tout au long de sa vie, et, malgré quelques vicissitudes dues à des revirements intempestifs de pouvoir à la couronne de Léon, Fernán González demeurera, au long de sa vie, un vassal plutôt fidèle de ce comté.
Reconquista, alliances croisées et descendance
Durant de longues années, il s’illustrera dans des opérations de Reconquista dont, autour de 938-939, une des plus grande offensive jamais menée contre les chrétiens du nord par le califat de Cordoue. Il en sortira vainqueur aux cotés d’autres nobles espagnols, notamment en participant à la bataille de Simancas qui mit un frein à cette campagne d’envergure de Abd al-Rahman III et à ses grandes ambitions. Les deux décennies suivantes verront s’alterner de courtes périodes de trêve et de nouvelles offensives des califats du sud sur l’Espagne chrétienne ; Fernán González continuera d’y prendre bonne part.
En plus de ses relations vassaliques avec la province de León, Fernán González s’allia aussi, par le truchement du mariage, avec les seigneurs de Pamplona. Ce rapprochement permit d’unifier ce dernier comté et les castillans face aux maures. A sa mort, sa descendance conserva le comté de Castille durant plusieurs générations. Par le jeu des alliances et des héritages, le noble espagnol du Xe siècle deviendra ainsi un des ancêtres de la lignée qui allait consacrer l’union du royaume de Castille et de León dans la première moitié du XIIIe siècle.
Les chroniques médiévales autour de Fernán González
Les premières chroniques médiévales espagnoles réserveront un sort assez mitigé au rôle historique de Fernán González et à ses faits, suivant leur parti-pris (en faveur des castillans ou d’autres provinces). A l’image de chroniques « historiques » de la même époque sur notre sol, ces récits comporteront souvent une bonne dose d’inventivité et la marque certaine de leurs commanditaires. Parmi eux, les plus élogieux feront déjà de notre personnage, le libérateur de l’emprise de la couronne de León sur la Castille.
Un tournant plus marqué en faveur du comte castillan se fera au milieu du XIIIe siècle avec l’écriture, à San Pedro de Arlanza et de la main d’un moine demeuré anonyme, du Poema de Fernán González (autour de 1250). En s’appuyant de manière partielle sur d’autres textes, cette œuvre entendra mettre clairement en exergue le rôle central et la prédominance de la Castille dans l’histoire de la péninsule, et notamment dans celle de la Reconquista. Son auteur y ancrera le lignage du noble mais aussi son enfance, dans un récit qui pourrait sembler digne du mythe arthurien : enlèvement, élevé dans la forêt par un charbonnier, révélation divine et mystique de son destin pour sauver la Castille de tous ses ennemis intérieurs ou étrangers, … Puis, il en fera, tout à la fois, le grand héros de la Reconquista et le libérateur de la Castille contre les Maures, mais aussi les Navarrais et les Léonais.
Fernán González dans l’exemple XXXVII
Suivant toujours les pas de Matías Ferrera, il faudra attendre encore un peu pour voir la réputation du comte de Castille consolidée dans des œuvres littéraires plus tardives que la geste du milieu du XIIIe siècle. Pour revenir à notre comte Lucanor, à un peu moins d’un siècle de la rédaction du Poema de 1250, Don Juan Manuel sera même un des premiers à remettre l’emphase sur la nature héroïque du comte de Castille du Xe siècle.
Dans cet exemple XXXVII, la bataille de Hacinas à laquelle il est fait allusion l’est, sans doute, en référence à la réécriture de la bataille historique de Simancas, dans lePoema de Fernán González. Quant aux ennemis Navarrois dont Don Juan Manual nous parle, ils semblent eux-aussi provenir de la même source. Bien que chrétien, le royaume de Navarre y apparaît comme un allié des Maures et de leurs intérêts contre la Castille. Après plusieurs grandes batailles, la geste du XIIIe siècle nous explique même que le comte Fernán González serait venu finalement à bout de l’ennemi, en asseyant, pour les temps à venir, la victoire incontestée de la Castille sur le royaume de Navarre. Le conte du jour ne désavouera pas cette version d’une tranquillité durable acquise par la force et le refus de céder un pouce de terrain.
Dans son conte et pour les besoins de l’exemplarité, Don Juan Manuel semble bien avoir fusionné ces deux grands récits du Poema pour les rapprocher dans le temps. Du même coup, on y gagne en dimension dramatique et on y perçoit bien les tensions intérieures de cette Espagne médiévale prise sous le feu de conflits frontaliers entre provinces voisines, guerre de Reconquista et opérations régulières de conquête par les maures.
De la réponse que le comte Fernán González fit aux siens après la victoire de Hacinas
NB : Comme toujours nous ne faisons que retranscrire ici la traduction de Adolphe-Louis de Puibusque de 1854. Elle suit globalement le fil, en prenant tout de même quelques libertés que nous avons souligné notamment sur les morales qui concluent ses petits contes.
Le comte Lucanor revenait un jour d’une expédition, épuisé de lassitude, souffrant de tout son corps, dépourvu de toute chose ; et avant qu’il pût se reposer, il apprit qu’une nouvelle attaque se préparait. La plupart de ses gens l’exhortèrent à se remettre d’abord de ses fatigues, sauf à aviser ensuite comme bon lui semblerait. Le comte interrogea Patronio sur ce qu’il convenait de résoudre et Patronio lui répondit :
— Seigneur, afin que vous agissiez pour le mieux, apprenez la réponse qui fut faite en pareille occasion par le comte Fernán González à ses compagnons d’armes. Le comte Fernán González vainquit Almanzor à la bataille de Hacinas ; mais il perdit beaucoup de monde dans cette affaire, et tout ceux qui échappèrent à la mort furent comme lui très maltraités ; or, avant qu’ils fussent rétablis, le comte apprit que le roi de Navarre faisait une invasion sur ses domaines, et aussitôt il donna l’ordre aux siens de marcher contre les Navarrais, à quoi ceux-ci répondirent que leurs chevaux étaient harassés et eux aussi ; et que s’ils ne faisaient pas leur devoir comme de coutume, c’est qu’ils étaient dans un état qui les obligeait à prendre du repos et des soins. A ces mots, le comte Fernán González sentit son honneur plus que ses souffrances, et leur dit : « Amis, que nos blessures ne nous empêchent pas de combattre ; les nouvelles nous feront oublier les anciennes ». Et dès que ses compagnons d’armes virent que sans ménagement pour sa personne, il n’était occupé que de ses Etats et de son renom, ils le suivirent et l’aidèrent à remporter une victoire qui assura sa tranquillité pour toujours. — Et vous Seigneur comte Lucanor, si vous avez à cœur de faire ce qu’exige la défense de vos terres, de vos vassaux et de votre honneur, ne tenez aucun compte ni des fatigues, ni des périls, et faites en sorte que le danger qui arrive vous fasse oublier le danger qui est passé. » Le comte Lucanor goûta beaucoup ce conseil, il le suivit et s’en trouva bien. Don Juan Manuel, estimant aussi que l’exemple était bon à retenir, le fit écrire dans ce livre avec deux vers qui disent ceci :
« Regarde pour certain, et redis-toi sans cesse Que l’honneur ne peut vivre où loge la mollesse. »
Note sur la morale de ce conte
Nous nous livrons souvent au petit jeu qui consiste à repartir de la morale originale pour la comparer à la traduction de Adolphe-Louis de Puibusque. Voici donc, dans l’ordre, les deux versions que nous donnent respectivement l’ouvrage du XIVe siècle en castillan ancien, suivie d’une version plus récente en espagnol moderne.
La morale en castillan ancien
« Aquesto tenet çierto, que es verdat provada: que onra et grand vicio non an una morada.« El Conde Lucanor Juan Manuel, Infante de Castilla
La morale en castillan moderne
« Tened esto por cierto, pues es verdad probada: que la holganza y la honra no comparten morada.« Introducción a El Conde Lucanor, Vicedo Juan, Alicante, Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes, 2004.
Holganza : paresse, oisiveté, inaction (voire fainéantise dans certains variations plus péjoratives) est devenue chez Puibusque « la mollesse ». Cela donne un certain « allant » à cette morale mais l’éloigne peut-être un peu de sa nature qu’on pourrait considérer comme plus « naturellement » médiévale. Disant cela, on pense à certaines représentations qui peuvent alors courir au sujet de l’oisiveté ou l’inaction.
La notion d’impossibilité de « compartir morada« , autrement dit « paresse et honneur ne peuvent pas vivre sous le même toit« , se retrouve bien chez l’auteur du XIXe siècle. Pour le reste, il a choisi de mettre l’emphase sur une morale que le lecteur devrait se ressasser pour la garder en tête : « Regarde pour certain, et redis-toi sans cesse » . Une traduction plus littérale donnerait : « Tiens pour vérité, c’est un fait établi ».
En vous souhaitant une excellente journée. Frédéric EFFE. pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
NB : l’image d’en-tête est un travail à partir de deux sources différentes. Le fond est tirée d’une gravure du XIXe siècle. Elle représente un épisode de la bataille de Simancas : l’embuscade d’Alhandega (939) menée contre les troupes de Abd-ar-Rahman III par Ramiro II de Léon. Le portrait de premier plan représente Fernán González. Il est tiré de l’ouvrage : Cronica General de España. Historia Ilustrada y Descriptiva de sus Provincias. Asturias and Leon, (Editée par Ronchi, Vitturi, Grilo, Madrid, 1866).
Sujet : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, alba, troubadour, manuscrit médiéval, occitan, oc, amour courtois Période : Moyen Âge central, XIIe et XIIIe s Auteur : Guiraut de Bornelh, Giraut de Borneil (?1138-?1215) Titre : Reis gloriosInterprète : Simone Sorini
Bonjour à tous,
ous repartons, aujourd’hui, au Moyen Âge central et en pays d’oc avec le troubadour Guiraut de Bornelh. Nous nous pencherons même sur une de ses chansons courtoises parmi les plus connues. Il s’agit d’un Alba et elle a pour titre Reis Glorios.
L’aube chez les troubadours occitans
L’aube est un moment de la journée et un thème prisé dans la lyrique courtoise des troubadours occitans. Ainsi, on retrouve l’alba, l’aubade (ou quelquefois même simplement « l’aube ») chez les plus grands d’entre eux et elle est même devenue un genre à part entière. Dans ces textes et chansons, cette transition entre mystères de la nuit, d’un côté et lumière d’un nouveau jour, de l’autre est souvent ce moment qui vient séparer les amants.
Récits d’amours souvent secrètes et interdites, on peut quelquefois y retrouver la présence d’un guetteur, venu alerter les amants ou invoqué comme le témoin complice de leurs escapades. Autour de la même période que la chanson de Guiraut de Bornelh, on pense notamment à la jolie pièce de Raimbaut de Vaqueiras. Nous ne l’avons pas encore présentée ici mais on peut la retrouver dans notre roman « Frères devant Dieu ou La tentation de l’alchimiste« . En voici un extrait :
Gaita be, gaiteta del chastel, Quan la re que plus m’es bon e bel Ai a me trosqu’a l’alba. E.l jornz ve e non l’apel! Joc novel Mi tol l’alba, L’alba, oi l’alba
(…) Domn’, adeu que non puis mais estar; Malgrat meu me.n coven ad annar. Mais tan greu m’es de l’alba, Que tan leu la vei levar; Enganar Nos vol l’alba, L’alba, oi l’alba
Guette bien, Guetteur du château Quand la chose qui m’est la plus chère et la plus belle en ce monde Est mienne jusqu’à l’Aube. Et déjà le jour vient sans que je l’appelle ! Un Jeu nouveau Que me ravit (ravir, ôter) l’aube, L’aube, oui l’aube!
(…) Dame, adieu je ne puis rester d’avantage, Malgré moi, il me faut partir. Mais cette aube m’attriste tant Que je vois se lever si promptement, Cette aube qui veut se jouer de nous L’aube, oui l’aube.
Aux siècles qui succéderont ceux des troubadours, le genre de l’aubade finira par évoluer vers des thématiques assez hétérogènes. Ainsi, l’aube n’y sera plus seulement ce moment redouté des amants courtois. Du côté de l’Espagne du Moyen Âge tardif, elle pourra même les unir quelquefois (voir « Ami, venez à l’aube »). L’aubade prendra encore des formes si diverses (religieuses par exemple) que certains médiévalistes et romanistes finiront par se demander s’il est encore opportun de la classer comme une variation sur le thème de la courtoisie (1).
Reis Glorios de Guiraut de Bornelh dans le manuscrit médiéval Français 22543, dit chansonnier La Vallière de la BnF (datation XIVe s). contenu : pièces et chansons annotées de troubadours
Comme on le verra, l’alba de Guiraut de Bornelh, qu’on peut situer dans les premières du genre, met en scène une séparation mais sa compréhension ne se livre pas si facilement, même une fois traduite. Cette difficulté est, cela dit, le charme et l’apanage de nombreuses chansons de troubadours occitans du Moyen Âge, quand bien même ils ne se réclament pas du trobar clus.
Simone Sorini, tenor, musicien et cantor al liuto
« Rei Glorios » la belle version de Simone Sorini
Nous partageons ici la belle interprétation de Rei Glorios par le chanteur ténor et multi-instrumentiste Simone Sorini. La réputation de cet artiste italien n’est plus à faire sur la scène des musiques anciennes. Au fil de sa carrière, il s’est spécialisé dans un répertoire qui va du Moyen Âge à la Renaissance avec même des incursions vers des rivages plus folks et traditionnels. Sur la partie plus médiévale, on se souvient de l’avoir vu collaborer avec de nombreux autres formations dont Micrologus ou même encore des ensembles français comme Les Musiciens de Saint-Julien and Vox Cantoris.
Dans cet extrait de concert, on le retrouve sur une performance uniquement vocale mais, entre autres instruments, il est aussi joueur de luth et s’inscrit dans la tradition des « cantore al liuto ». De Pétrarque aux siècles suivants, cette tradition des « chanteurs au luth » a désigné, dans la péninsule italienne, des compositeurs s’accompagnant de l’instrument pour faire partager leurs chansons et leurs pièces poétiques.
Directeur du Narnia Cantores, Simone Sorini a également à son arc des études de musicologie. Elles se sont engagées avec des recherches poussées sur la musique du Duché de Montefeltro au Moyen Âge tardif. Il a particulièrement illustré ce travail au sein de l’Ensemble Bella Gerit qu’il a aussi fondé. Cette curiosité et ses recherches ne sont pas arrêtées là. Elles l’ont conduit à mettre en place de nombreux projets originaux, au long d’une discographie de plus de 30 albums dont certains salués et même primés pas la scène médiévale.
« Rei glorios » en occitan médiéval et sa traduction en français moderne
Reis glorios, veray lums e clartatz, totz poderos, Senher, si a vos platz, al mieu compaynh sias fizels aiuda, qu’ieu non lo vi pus la nuech fo venguda, et ades sera l’alba.
Roi glorieux, lumière et clarté véritable, Seigneur tout puissant, s’il te plait, Sois une aide fidèle pour mon compagnon Que je n’ai pas vu depuis le crépuscule Car bientôt l’aube viendra.
Bel companho, si dormetz o velhatz, non durmas pus, senher, si a vos platz; qu’en aurien vey l’estela creguda c’adus lo jorn, qu’ieu l’ay ben conguda; et ades sera l’alba.
Beau (bon) compagnon, que tu dormes ou tu veilles, Ne dors plus, Seigneur, si cela te plaît, Que, vers l’Orient, tu vois l’étoile Qui annonce le jour, elle que je connais si bien Et bientôt l’aube viendra.
Bel companho, en chantant vos apel; non durmas pus, qu’ieu aug chanter l’auzel que vay queren lo jorn per lo bosctie, et ay paor quel gilos vos assatie; et ades sera l’alba.
Beaucompagnon, je t’appelle en chantant; Ne dors plus, car j’ai entendu l’oiseau chanter Pour annoncer le jour dans la forêt, Et j’ai peur que la jalousie ne t’assaille ; Et bientôt l’aube viendra.
Bel companho, pos mi parti de vos yeu nom durmi nim muoc de ginlhos, ans pregieu Dieu, lo filh Santa Maria, queus mi rendes per lial companhia; et ades sera l’alba.
Beau compagnon, depuis que je me suis séparée de toi, Je n’ai pas dormi et me suis tenu agenouillée Priant Dieu, le fils de Sainte Marie, Pour que tu reviennes en ma loyale compagnie : Et bientôt l’aube viendra.
Bel companho, issetz al fenestrel et esgardaz las ensenhas del sel. Conoysiret sieu soy fizel messatie. Si non o faytz, vostres er lo dampnatie; et ades sera l’alba.
Beau compagnon, sors à la fenêtre Et contemple les signes du ciel, Tu sauras si je suis une fidèle messagère. Si tu ne le fais pas, la souffrance sera tienne : Et bientôt l’aube viendra.
Bel companho, la foras al peiro me preiavatz qu’ieu no fos dormilhos, enans velhes tota nueg tro ad dia. Ara nous platz mos chans ni ma paria; et ades sera l’alba.
Beau compagnon, où que te conduisent tes pas Tu m’as demandé de ne pas m’endormir Mais de veiller nuit et jour Désormais, ni mes chants ni ma compagnie ne te plaisent Et bientôt l’aube viendra.
Bel dos companh, tan soy en ric sojorn qu’ieu no volgra mays fos l’alba ni jorn; car la genser que anca nasques de mayre tenc et abras, per qu’ieu non prezi gaire lo fol gilos ni l’alba.
Belle et douce amie, je me sens si bien (en si riche séjour) Que je ne voudrais plus jamais que l’aube ni le jour n’arrive; Car je tiens et j’embrassela plus belle créature jamais née d’une mère, Et pour cela je n’accorde pas d’importance, Ni au fou jaloux, ni à l’aube.
Pour revenir sur l’interprétation de cette chanson de Guiraut, veuillez noter que vous pourrez en retrouver une autre version dans le concert de Gérard Zuchetto et son Troubadour Art Ensemble donné en 2010, à l’université de Stanford.
En vous souhaitant une excellente journée. Fred pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : poésie satirique, morale, poésie médiévale, poète breton, devoirs des princes, miroirs des princes, poésie politique, auteur médiéval. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491) Manuscrit ancien : MS français 24314 BnF Ouvrage : Les lunettes des Princes par Olivier de Gourcuff, Société des Bibliophiles bretons (1891).
Bonjour à tous,
ous avons déjà partagé ici quelques extraits des Lunettes des Princes de Jehan Meschinot. Au XVe siècle, cet ouvrage versifié du poète breton se présente comme un véritable miroir des princes, soit un manuel sur les devoirs politiques des puissants et à leur usage.
Aujourd’hui, nous avons décidé de vous faire découvrir un nouvel extrait de ce texte médiéval. Il est un peu plus long que le précédent mais il est si riche que nous ne nous sommes pas résolus à le couper. Loin de la vision d’un pouvoir inconditionnel et arbitraire souvent mise en avant au sujet de l’exercice politique au Moyen Âge, on découvrira, sous la plume de l’auteur médiéval, une conception bien plus exigeante et équilibrée .
Principe d’égalité et obligations politiques
Dans cet extrait, qu’on pourrait juger d’une grande modernité, on verra à quel point Meschinot adresse, sans ménagement, les obligations du pouvoir central envers son peuple et la nécessité impérieuse de les respecter. Sans concession, ni condescendance, il se dressera aussi à la hauteur des princes et des rois, en jetant clairement les bases d’une égalité entre gens du simple et puissants.
Cette revendication prendra appui sur plusieurs constats : égalité dans la matière dont nous sommes tous faits, égalité devant la nature temporelle et évanescente de nos existences, égalité encore devant la vacuité du superflu et de l’avoir. La quantité de biens et de possessions ne modifient pas la donne ; la prévalence du spirituel et la nécessité d’un certain détachement du monde matériel sont en filigrane. Dans la même continuité, la voie moyenne ou la « médiocrité dorée » chère à Eustache Deschamps, ne sont pas très loin. Elles résonnent entre les vers de l’auteur breton : « Ung cheval suffist à la fois au roy, une robe, ung hostel ».
Mauvais conseillers, princes abusifs, une condamnation sans appel des corrompus
Sans surprise, chez Meschinot, le fond de cette égalité entre les hommes (que nous crions encore si fort aujourd’hui et qui est inscrite dans nos Droits fondamentaux) est, bien sûr, résolument chrétien. C’est dans ces valeurs qu’elle s’enracine. Plus loin, il l’énoncera d’ailleurs clairement : si Dieu a voulu séparer les petits des grands ce n’est pas pour conférer quelque supériorité à ces derniers et encore moins pour leurs profits, mais plutôt pour leur confier l’immense responsabilité de maintenir justice et raison. On trouvera encore cette idée que ce sont l’action, la morale et la capacité à faire le bien qui définissent la « valeur » humaine, pas le statut.
Hélas, contre la volonté divine et par la nature des hommes :« Bien souvent tout ne va pas droit ». Conseillers abusifs, princes complaisants ou complices, aux dérives du pouvoir trop fréquemment constatées, notre poète opposera la condamnation sans appel de toutes formes de corruption. Point de salut pour les contrevenants, ils seront voués à la honte et la damnation. On le voit, l’attente d’un pouvoir politique probe, juste et qui soit un véritable modèle d’exemplarité, si souvent désespérément ressassée, elle aussi, dans notre modernité, ne date pas d’aujourd’hui. Elle s’exprimera pleinement ici, chez l’auteur médiéval.
« Aymer sa nation » pour gouverner
Au passage, nous sommes au Moyen Âge mais on retrouvera également, dans ces vers, l’idée de « nation » qui n’est pas née, elle non plus, au XIXe siècle (voir à ce sujet la conférence sur la France et les Français de Philippe Contamine). Le poète médiéval nous expliquera même que pour exercer correctement son devoir politique et ne pas se laisser aller aux vents de toutes les corruptions : « On doyt aymer sa nation ». Là encore, c’est une idée qu’on a vu souvent remise au centre des débats dans les commentaires d’actualité récents sur l’action politique et, dans un contexte croissant d’opposition entre souverainistes d’un côté, et européistes, progressistes ou mondialistes de l’autre.
Pour conclure cette courte analyse, on ne manquera pas de noter la grande richesse stylistique de Meschinot. On retrouve chez lui cette façon de jouer savamment avec les mots et les rimes, propre aux rhétoriciens dont il était particulièrement virtuose.
Les lunettes de Princes (extrait) Dans le moyen-français de Jehan Meschinot
Or visons l’entrée et la fin De l’empereur et d’ung porchier. L’ung n’est pas composé d’or fin, L’autre de ce qu’a le porc chier. Tous deux sont, pour au vray toucher, D’une mes me matiere faictz.
On congnoist les bons aux biens faitz. Se j’ay maison pour ma demeure, Bon lict, cheval, vivre, vesture, Le roy n’a vaillant une mure Enplus que moy selon nature. On luy faict honneur, c’est droicture ; Mais il meurt sans emporter rien. Peu vault le tresor terrien.
Ung cheval suffist à la fois Au roy, une robe, ung hostel; S’il menge et s’il boyt, je le fais Aussi bien que luy, j’ay los tel. La mort me prent, il est mortel. Je vais devant, il vient aprés. Nous sommes egaulx à peu près.
A cent ans d’icy je m’attens Estre aussi riche que le roy. J’attendray, ce n’est pas long temps : Lors serons de pareil arroy. Se je seuffre quelque desroy, Entre deulx il fault endurer. Malheur ne peut tousjours durer.
Quant au corps, gueres d’avantage Ne voy d’ung prince aux plus petis. Des aulcuns s’en vont devant aage A la mort, povres et chetifz; Aultres suyvent leurs apetis Pour aucun temps, et puis se meurent. Nos oeuvres sans plus nous demeurent.
Au milieu gist la difference, Car ès deux boutz n’y en a point. Le gran du petit differe en ce, Car Dieu l’a voulu en ce point Ordonner, pour tenir en point Justice, paix, equité, droit. Bien souvent tout ne va pas droit.
S’ung prince a conseil qui l’abuse, Et ne scet ou veult y pourveoir, C’est ung poulcin prins à la buse Qu’on ne peut secourir, pourveoir. L’entendement est faict pour veoir Et discerner vertus de vice. Profès ne doit sembler novisse.
Conseiller qu’on nomme preudhome Se trop à soy enrichir tend, Tost est corrompu, car prou done, Et peu au bien publicque entend. Mais sçavez vous qu’il en attend Enfin honte et dampnation? On doyt aymer sa nation.
Le prince est gouverneur et chief Des membres de corps pollitique; Ce seroit bien dolent meschief S’il devenoit paraliticque, Ou voulsist tenir voye oblicque A l’estat pourquoy il est faict. Tout se pert, fors que le bien faict.
Seigneurs, pas n’estes d’autre aloy Que le povre peuple commun. Faictes vous subjectz à la loy, Car certes vous mourrez comme ung Des plus petis, ne bien aulcun Pour vray ne vous en gardera. Chascun son ame à garder a.
Mais quant ung prince fait devoir D’ouvrer en sa vacauation, Selon sa puissance et sçavoir, Laissant toute vacauation Et mauvaise appliccation, On ne le peult trop konnorer. Le prince est fait pour labourer
Nompas du labour corporel, Ainsi que les gens de villaige, Mais gouvernant son temporel Loyaulment, sans aulcun pillaige. Avoir ne doibt le cueur vollaige, Soit attrempé, nect, chaste et sobre. La fin des pecheurs est opprobre.
Se pape, empereur, roys et ducz Aymoient bonté en tous endroitz, Telz ont esté et sont perdus Par non tenir les chemins drois Qui congnoistroient vertus et drois En prenant à eulx exemplaire. Plus doit que folie sens plaire.
NB : sur l’image d’en-tête, vous trouverez à gauche le feuillet du manuscrit 24314 où commence cet extrait (datation de l’ouvrage, courant XVe siècle). Sur la droite, il s’agit de la même page, sur une édition de 1527 des Lunettes des Princes par Nicole Vostre. Les deux manuscrits sont en ligne sur Gallica.fr
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes