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Contre quelques idées reçues, le loup de Michel Pastoureau

Sujet : citation, Moyen-âge, bestiaire médiéval, loup, sorcellerie, diable, préjugés, idées reçues, représentations, anthropologie, histoire médiévale.
Période : de l’antiquité à nos jours
Ouvrage : Le loup : Une histoire culturelle, Michel Pastoureau, Seuil (2018).


« Contrairement à une idée reçue, les affaires de sorcellerie ne concernent pas tant le Moyen-Âge que l’époque moderne : la grande chasse aux sorcières commence, en effet, à l’horizon des années 1430 et va occuper l’Europe pendant trois siècles. Une surenchère à l’orthodoxie pousse désormais l’Église à voir partout des hérétiques, des adorateurs du Diable, des déviants de toutes espèces parmi lesquels de nombreux loups garous. »

Michel Pastoureau, le loup : Une histoire culturelle (2018)


Bonjour à tous,

e n’est pas faute de l’avoir souvent dit mais les idées reçues et les préjugés à l’égard du Moyen Âge ont la dent dure. Aussi, autant vaut-il le répéter, en compagnie, cette fois, d’une citation de l’historien médiéviste Michel Pastoureau : la chasse aux sorcières n’est pas médiévale.

Ce triste épisode, qui ne concerne d’ailleurs pas que des femmes, débute à la toute fin du Moyen Âge pour s’étendre largement dans le temps après lui. De même, on confond souvent l’inquisition médiévale à proprement parler avec cette chasse aux sorcières qui intervient donc plus tard dans le temps.

Jusqu’à récemment, la littérature comme le cinéma ont tendu, en effet, à alimenter la confusion, en promulguant certaines visions fausses d’un monde médiéval où se seraient étendus des bûchers à perte de vue et où l’on aurait brûlé, pour un oui ou pour un non, une quantité effroyable de mécréants, d’hérétiques, voire même de pauvres bougres ou bougresses dénoncés par leur voisin. Redisons-le donc à nouveau avec Michel Pastoureau : aujourd’hui, nous le savons bien, le Moyen Âge n’a pas connu de telles pratiques et encore moins de tels chiffres. Comme nous avons déjà écrit à de nombreuses reprises sur ce sujet, nous vous y renvoyons (1).

Citation de Michel Pastoureau sur la sorcellerie et la chasse au sorcières

Michel Pastoureau à la recherche
des animaux & des couleurs

La citation du jour de Michel Pastoureau sur la chasse aux sorcières est donc tirée de son l’ouvrage sur l’Histoire culturelle du Loup et nous allons en profiter pour vous faire un large détour à son sujet. On le sait, ce chartiste très populaire s’est fait une grande spécialité de l’histoire des symboles et des représentations et notamment des couleurs et des animaux. Ce sont des thèmes qui lui ont été longtemps assez propres et s’il admet volontiers que l’académie leur prêtait une certaine trivialité, il faut reconnaître qu’il a su en faire des sujets aussi sérieux que passionnants. Depuis, ils ont d’ailleurs été réhabilités.

En ce qui concerne son exploration des bestiaires et autres bébêtes qui meublent le monde des hommes médiévaux, nous avons déjà eu l’occasion de parler, ici, de son histoire du taureau de 2020 ou encore de ces procès faits aux animaux. Dans les vastes travaux qu’il a entrepris autour de l’histoire culturelle et symbolique des animaux, son Loup date, quant à lui, de 2018.

Une histoire culturelle du loup


En utilisant sa méthode habituelle, le médiéviste revient, donc, dans ce livre sur l’histoire du loup d’aussi loin qu’il existe des documents à son sujet jusqu’à une période récente. Se faisant, il balaiera les matériaux à sa disposition pour retracer un portrait du loup à la fois chronologique et thématique : mythologie, contes, fables, iconographie, pièces de littérature seront au rendez-vous de ses références.

Le Loup, chronique d’une peur en dents de scie

« À l’époque féodale, dans les campagnes françaises, on a surtout peur du Diable (2), du dragon, de la mesnie Hellequin ou des revenants, mais on n’a plus guère peur du loup. Cette accalmie, hélas ! ne durera pas ; cette peur reviendra avec force moins de deux siècles plus tard. »

Michel Pastoureau (opus cité)

La première chose qui vient en tête quand on pense au loup, c’est souvent la peur qu’il a pu inspirer aux hommes du passé. Cette dernière pourrait nous paraître ancestrale voire même atavique. Pourtant, l’historien nous apprendra que cette dernière est de nature plutôt variable en fonction des époques.

Pour la période qui nous intéresse, si la peur du loup est présente au haut Moyen Âge, à l’entrée dans le Moyen Âge central, elle semble s’atténuer quelque peu selon Michel Pastoureau. Dans la littérature, on trouvera même le loup moqué dans certaines pièces comme le Roman de Renard et le personnage d’Ysangrin. Pour donner un autre exemple, une histoire médiévale nous parle d’un loup qui terrorisait la ville de Gubbio, en Italie. L’animal se laissera pourtant dompté sagement par Saint François d’Assise et son pouvoir légendaire sur les animaux au point de devenir le protecteur de la ville.

Quoi qu’il en soit, à l’entrée du XIVe siècle, la peur du loup refera surface plus nettement pour durer durant 4 à 5 siècles jusqu’au XIXe siècle. A la faveur du climat et des famines, les loups semblent alors s’être s’approcher des hommes et des villes, faisant resurgir de vieilles terreurs. On imagine qu’ils sont aussi en nombre suffisant pour continuer d’inquiéter les campagnes, en faisant de sérieux dégâts dans les troupeaux d’animaux domestiques et chez les brebis.

Un blason pas vraiment doré

Que la peur soit plus ou moins présente, tout au long du Moyen Âge, il n’y aura pourtant guère de trêve pour le loup. L’Eglise et les hommes le pourchasseront et, si la peur oscille, son blason n’est jamais vraiment doré. C’est le moins qu’on puisse dire. Tout le monde semble s’accorder, en effet, sur le fait qu’il faut l’éliminer et des offices de Louvèterie sont créés pour l’abattre. Ainsi, de Charlemagne au XIXe siècle, ces derniers auront pignon sur rue et on rétribuera l’abatage d’un loup contre quelques pièces.

Loup, dans le manuscrit MS M81 ou Worksop Bestiary de la Morgan Library (New York)

Le loup dans les bestiaires médiévaux

Les bestiaires médiévaux, de leur côté, diaboliseront l’animal en lui prêtant les pires défauts : agressif, rusé, tricheur, vorace, lâche… Pire encore, pour le faire détester, il déambule et peut chasser la nuit ; il appartient donc au règne des animaux nocturnes. Pas très net tout ça. Fricoterait-il aussi avec le malin ? Qu’il soit plus ou moins craint, le loup qu’on considère comme un comparse du Diable reste honni, d’autant que l’ange déchu pourra même, à l’occasion, revêtir la peau du prédateur pour passer inaperçu et faire de mauvais tours.

En suivant les pas de Michel Pastoureau, et comme nous le disions plus haut, au Moyen Âge central, la peur et les diableries laisseront toutefois place à la moquerie, et le loup deviendra même dans la littérature et les bestiaires, en plus de tout le reste, stupide, lubrique, pathétique, etc… Bref, on s’autorise alors à se rire de lui. A voir le nombre d’enluminures où il est mis en scène, convoitant des brebis, il n’est pas certain qu’on s’en amuse autant dans les campagnes.

Sabbat, diableries et résurgence de la peur

A la toute fin du Moyen Âge, au moment où la peur du loup reviendra de manière plus marquée, on remettra sa dangerosité et ses supposées accointances diaboliques à l’ordre du jour. Animal de sabbat, il se retrouver alors lié, malgré lui, à la sorcellerie justement durant cette période postmédiévale où la chasse aux sorcières sévira.

Autre diablerie d’époque, si la lycanthropie était bien née au Moyen Âge — on se souvient, par exemple, du Lais de Bisclavret de Marie de France — l’ombre terrifiante des loups garous se voit aussi promouvoir, dans la littérature des XVIe & XVIIe siècle. Ne viendraient-ils pas, eux aussi, se joindre aux bals des suppôts du mal et des sorcières ? Dans ce contexte effrayant, mêlé de superstitions, de cérémonies nocturnes et de fantastique, on comprend mieux comment, à la fin du XVIIIe siècle, le loup, voir son homologue anthropoïde, ont pu se retrouver pointés du doigt : coupables tout désignés de l’histoire de la sanguinaire bête du Gévaudan dont le mystère continue à faire couler beaucoup d’encre.

Un changement après le XIXe siècle ?

Selon Michel Pastoureau, il faudra attendre le XIXe siècle et les découvertes de Pasteur et son vaccin contre la rage pour commencer à voir atténuer un bon nombre de craintes à l’égard du loup. Sans doute les nombreux siècles de chasse et de campagnes contre le prédateur européen avaient-ils aussi réduit, considérablement, le nombre de ses populations.

Ainsi, en suivant le fil de l’histoire, le loup de la littérature prendra bientôt une figure plus sympathique : on citera l’histoire de Moogly, l’enfant loup du Livre de la jungle, écrite à la toute fin du XIXe siècle, par Rudyard Kipling ou encore celle de Croc blanc, le demi-loup de Jack London, au tout début du XXe siècle. Un peu plus tard, des loups comme celui de Tex Avery deviendront, à leur tour, plus amusants et complaisants que ceux des siècles précédents. Quand au scouts, ils auront bientôt leurs louveteaux. Mais, alors, en a-t-on fini depuis avec la peur du loup ? Pas si sûr. Tout récemment encore, sa réintroduction a suscité de nombreux débats dans les campagnes qui ne semblent pas toujours se résumer aux seuls risques de prédation sur les troupeaux et les brebis.

Vous pouvez retrouver ce livre de Michel Pastoureau chez votre meilleur libraire. Cet ouvrage est également disponible en ligne au lien suivant.

Enluminure d'un loup, XIIIe siècle, manuscrit médiéval MS 711
Enluminure d’un Loup, MS 711 « De natura animalium« , Bibliothèque de Douai (XIIIe siècle)

Idées reçues et Moyen Âge composite

Du point de vue des préjugés, en tout cas, cette histoire culturelle du Loup aura permis de faire d’une pierre de coup. En plus de remettre à sa place l’idée d’une chasse aux sorcières datée des temps médiévaux, on a pu voir aussi combien l’idée très ancrée d’une peur du loup, fortement attachée à la période médiévale doit être, elle aussi, partiellement revisitée. D’après Michel Pastoureau, l’acmé de cette peur est étroitement lié à l’époque moderne. Dans ce mouvement d’oscillation historique (nous n’avons pas évoqué l’antique légende romaine de la louve qui avait nourri Romulus et Remus mais nous aurions pu), le Moyen Âge central et, pour être plus précis, la période qui court du XIe au XIIIe siècle, semble être relativement épargnée.

Dans un autre registre, on voit aussi combien les 1000 ans que recouvre cette tranche d’histoire que nous désignons sous le nom de Moyen Âge recouvrent des réalités souvent grandement composites et variés.


NOTES

(1) Au sujet de la chasse aux sorcières, voir notamment le thème des sorcières médiévales dans l’ouvrage Sacré Moyen Âge de Martin Blais. Voir aussi la conférence sur la légende noire de l’inquisition médiévale par l’historien Lauren Albaret.
Enfin, sur le thème des sorcières du monde médiéval et son actualité, vous pourrez valablement vous reporter à la grande exposition donnée du KBR Museum de Bruxelles, l’année dernière. On y abordait, en effet, l’image de la femme au Moyen Âge et les racines d’une certaine « mythologie » fantastique ayant pu préfigurer, plus tard, cette image de la sorcière.

(2) Sur la question des superstitions, de la magie et de la peur du diable au Moyen Âge voyez cette citation médiévale de Jacques le Goff.

Voir également nos autres articles sur les livres de Michel Pastoureau :


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : comme vous l’aurez deviné à la lecture de l’article, l’enluminure de l’image d’en-tête provient du même MS M81 ou Worksop Bestiary de la Morgan Library


MUSÉE ANNE DE BEAUJEU : une Grande exposition & un colloque autour d’Anne de France

Musée Anne de Beaujeu

Sujet : Anne de France, exposition, colloque, peintures, arts, sculptures, manuscrits anciens, ducs de Bourbon, Bourbonnais.
Expositions & colloques : Anne de France, Femme de pouvoir, Princesse des Arts
Dates : jusqu’au 18 septembre 2022
Lieu : Musée Anne-de-Beaujeu, 5 Pl. du Colonel Laussedat, 03000 Moulins, Auvergne-Rhône-Alpes

Bonjour à tous,

l y a plus d’un siècle, on inaugurait à Moulins, dans l’Allier, le Musée départemental Anne de Beaujeu (mab). Situé dans un pavillon attenant au prestigieux Château des ducs de Bourbon, l’institution accueille encore, de nos jours, de nombreux visiteurs. Elle leur propose la découverte de collections variées qui lui ont, quelquefois, valu le surnom mérité de « petit Louvre ». L’institution, qui suscite un grand enthousiasme auprès du public, est référencée dans de nombreux guides et elle est même entrée, en 2016, au classement des musées étoilés du guide vert Michelin.

Un petit Louvre au cœur de l’Allier

Collections du Musée Anne de Beaujeu

En terme de périodes historiques et de pièces exposées, les visiteurs trouveront au mab un parcours aussi vaste que riche. Si le Moyen Âge y est représenté, il est loin d’être le seul. Du côté des expositions permanentes, les collections du mab vont de l’égyptologie et de l’archéologie régionale jusqu’à l’art décoratif local et encore de grandes toiles et sculptures du XIXe siècle. Entre le temps des pharaons et le XIXe siècle, le musée présente également l’histoire des Bourbons et des sculptures bourbonnaises allant du Moyen Âge à la renaissance, mais aussi des peintures et sculptures des XVe et XVIe siècles, en provenance d’Allemagne et des Pays Bas.

Les collections de l’institution ne s’arrêtent pas là. Le beau musée Anne de Beaujeu a, en effet, en charge la conservation de près de 20 000 objets et œuvres d’art qu’il dévoile, aux yeux du public, au fil d’expositions plus temporaires. On peut alors y découvrir des pièces d’exception dans des domaines aussi variés que les arts, les arts décoratifs, ou même l’histoire naturelle et la numismatique. Au delà de ses expositions permanentes et temporaires, le musée répond également présent à l’occasion d’événements spéciaux comme les journées nationales du patrimoine ou la nuit des musées. Enfin, dans la veine de ses activités de conservation et de promotion de ses collections, il édite également divers guides, de beaux livres d’art ou des catalogues d’exposition.

L’actualité du Musée Anne de Beaujeu

Côté actualité, un triple événement vous attend, en 2022, au Musée Anne de Beaujeu. Débuté depuis mars dernier, il se poursuivra jusqu’au 18 septembre de cette année et on y célèbre l’anniversaire de la disparition des 500 ans d’Anne de France (1461-1522).

Exposition événement : Anne de France,
Femme de pouvoir, Princesse des Arts

Affiche Exposition colloque sur Anne de France

Le Ministère de la Culture et la région se sont associés au mab pour faire de cette exposition sur Anne de France un événement exceptionnel. Le musée s’est également allié à d’autres établissements de renom et des pièces de haut vol sont venues enrichir momentanément le patrimoine du musée. Elles proviennent d’institutions aussi prestigieuses que Le Louvre, Versailles, Ecouen, la National Gallery et la Wallace Collection.

Comme on le verra, la grande princesse de la fin du Moyen Âge, épouse de Pierre de Bourbon et fille ainée de Louis XI et de Charlotte de Savoie, n’a pas fait que régner sur le duché du Bourbonnais et donner, plus tard, son nom au Musée Anne de Beaujeu. Cette exposition est là pour témoigner de la grandeur d’Anne de France sur les terrains étatiques, comme artistiques. En juin, l’événement se doublera même d’un colloque visant à explorer, de manière plus large encore, l’influence de cette grande dame des XVe et XVIe siècles, sur les arts, comme sur la politique et la société de son temps.

Deux ouvrages pour accompagner l’exposition

Livre bibliographie Anne de France

Pour tout ceux désireux de mieux connaître la personnalité et les faits d’Anne de France, Aubrée David Chapy, docteure et professeure agrégée d’histoire, co-commissaire de l’exposition vient également de faire paraître, aux éditions Passés-composés l’ouvrage « Anne de France, Gouverner au féminin à la Renaissance ». Il s’agit d’une biographie-essai sur la princesse et femme d’Etat de la fin du Moyen Âge. L’historienne qui a fait de la construction du pouvoir au féminin au Moyen âge tardif et à la Renaissance, un de ses sujets de prédilection est aussi une grande spécialiste d’Anne de France. Elle y avait, en effet, déjà consacrée une partie de sa thèse de doctorat, brillamment reçue, en 2014.

A noter également que les deux commissaire de l’exposition, Aubrée David Chapy donc, et Giulia Longo, conservatrice du musée ont également fait paraître le catalogue de l’exposition, sous le titre Anne de France (1522-2022): Femme de pouvoir, princesse des arts. Il est, lui aussi disponible depuis courant mai (voir en ligne).

Un grand colloque sur Anne de France

Comme indiqué plus haut, d’ici quelques semaines, un colloque viendra s’ajouter à l’exposition pour honorer Anne de France et son leg. Il aura lieu les vendredi 17 et samedi 18 juin 2022, au théâtre de Moulins et aura pour titre : « Autour d’Anne de France. Enjeux politiques et artistiques dans l’Europe des années 1500.« 

Colloque autour d'Anne de France et pouvoir féminin médiéval

Du point de vue du programme, la qualité des invités est à la mesure des ambitions de l’événement. Ils seront, en effet, près de 20 universitaires, conservateurs et spécialistes venus des plus prestigieuses universités et institutions françaises ou étrangères pour parler d’Anne de France, de livres et des arts bourbonnais contemporains de la Princesse. Un journée entière de ce colloque sera également dédié au pouvoir conjugué au féminin durant ces même siècles, du Moyen âge tardif et à la Renaissance.

Pour nous qui nous nous sommes déjà avancé en partie sur ces thématiques de l’empreinte des femmes dans l’histoire de France (voir le cycle sur les grandes dames de la guerre de cent ans), ce programme s’annonce d’excellente faction. On y trouvera du savoir de qualité librement dispensé puisque l’entrée est libre et sans réservation.

Voir le programme détaillé de ce colloque

De prestigieux manuscrits de la BnF

Exposition manuscrits anciens BnF - Collection ducs de Bourgogne

Pour ajouter à ces deux événements, une seconde exposition débutera le 18 juin et se poursuivra, elle aussi, jusqu’au 18 septembre 2022. Le public aura l’opportunité d’y découvrir de prestigieux manuscrits de la BnF sur le thème « Trésors enluminés des ducs et duchesses de Bourbon ». Nous restons donc dans le thème.

D’autres conférences et visites guidées autour de ces expositions animeront la vie du musée durant les mois à venir. Pour le détail de ses programmes et des horaires, voir le site officiel du Musée Anne de Beaujeu.


Ajoutons, pour conclure, que ceux qui ne s’y sont jamais rendus au musée Anne de Beaujeu de Moulin pourront profiter de leur présence sur place, pour effectuer une visité guidée du château des ducs de Bourbon.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : le portrait d’Anne de France sur l’image d’en-tête est extraite du superbe Triptyque du Maître de Moulins de la cathédrale Notre-Dame-de-l’Annonciation de Moulins . Il a vraisemblablement été réalisé par le peintre Jean Hey entre la toute fin du XVe et le début du XVIe siècle. Les autres photos de l’article proviennent du Musée Anne de Beaujeu.


J-5 : le musée de CLuny en route vers un nouveau Moyen Âge

Réouverture du musée de Cluny

Sujet : événement, monde médiéval, musée, collections, réouverture officielle, restauration, rénovation,
Période : De l’antiquité au Moyen Âge tardif
Lieu : Musée National du Moyen Âge,
Musée de Cluny, Paris.
Dates : Réouverture officielle le 12 mai 2022
Adresse : 28 rue Du Sommerard, Paris 5
Tél : 01 53 73 78 00 – 01 53 73 78 16

Bonjour à tous,

‘est une excellente nouvelle pour les amateurs de découverte culturelle et d’histoire, autant que pour les passionnés de monde médiéval qui l’attendaient depuis longtemps. A Paris, le grand Musée National du Moyen Âge aka le Musée de Cluny est en passe de rouvrir ses portes au grand public, après 10 longues années de restauration et un projet des plus ambitieux. L’ouverture officielle aura lieu le jeudi 12 mai 2022 et nous sommes donc, au moment de cet article, à moins de cinq jours de cet événement incontournable.

Un renouveau sous le signe de l’accessibilité

La nouvelle entrée du musée de Cluny

C’est donc chose faite. Les grands travaux effectués au musée du Moyen Âge, auxquels était étroitement associé le ministère de la culture, se sont officiellement achevés après quelques retards dus à la crise sanitaire. Au menu de ce chantier chiffré à plus de 20 millions d’euros, il n’était pas simplement question de mettre un léger coup de plumeau sur les superbes collections du musée mais plutôt de deux défis de taille et d’égale importance : restaurer en profondeur les intérieurs et permettre à l’institution de mieux valoriser son patrimoine. Autre défi tout aussi ambitieux en terme d’enjeu, rendre accessible le musée et ses bâtiments classés aux personnes à mobilité réduite. Comme on le verra, au sortir de cette grande opération de rénovation, cette notion d’accessibilité s’est vu notablement élargie, de sa dimension pratique initiale, à bien d’autres aspects qui font, désormais, du musée un espace plus ouvert, plus visible mais aussi plus lisible pour tous les publics. Petit tour de ce musée de Cluny nouvelle génération.

De l’accueil aux aménagements

extrait des collections du musée du Moyen Âge (1)

Commençons par la visibilité extérieure de l’institution et son attractivité. Elles ont été, toutes deux, grandement améliorées par l’ouverture d’un nouveau bâtiment d’accueil moderne, esthétique et fonctionnel, le long du boulevard Saint-Michel. Conçu par l’architecte Bernard Desmoulin, cet édifice très réussi vient s’intégrer, harmonieusement, au reste des bâtis historiques de l’institution, tout en permettant de recentraliser l’ensemble des services utiles au public : guichet, orientation, boutique,…

Sur le thème de l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite, dans un ensemble de bâtiments historiques classés et qui présentait de multiples niveaux, le défi était aussi noble à relever que techniquement complexe. Mission réussie sur ce point important du cahier des charges. Au sortir des travaux, tout à été mis aux normes : on a élargi certains passages et installé des rampes. On a également fait la place à des cages d’ascenseurs flambant neufs. Enfin, le niveau de certaines pièces a même été rehaussé pour se plier à ses nouvelles exigences d’accueil. L’institution peut donc, désormais, ouvrir ses portes et ses collections aux personnes à mobilité réduite. Elles bénéficieront, dès à présent, de l’accès mais aussi de toutes les grandes nouveautés qui attendent les futurs visiteurs du musée.

Le Moyen Âge autrement

extrait des collections du musée du Moyen Âge (2)

Dans un documentaire récent posté sur Viadeo par l’Oppic (Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la Culture en charge de la maîtrise d’œuvre du chantier), Séverine Lepage, médiéviste et directrice du musée de Cluny depuis 2019, parlait également des grandes ambitions de cette rénovation en terme d’accessibilité intellectuelle. Sur ce versant des travaux, l’enjeu était ouvertement affiché d’accompagner les publics les plus larges dans une découverte plus compréhensive du Moyen Âge.

Pour atteindre cet objectif, on a refondu totalement le parcours des visites et la présentation des collections. Fini le regroupement par thématique, comme on l’avait voulu en 1956, l’itinéraire sera désormais chronologique. Les visiteurs seront ainsi guidés de l’antiquité gallo-romaine, en partant du frigidarium des thermes de Lutèce, jusqu’aux collections les plus représentatives du Moyen Âge tardif, dans un beau voyage à travers les temps médiévaux. Bien sûr, durant leur expédition, ils ne manqueront pas de découvrir la célèbre tapisserie de la Dame à la Licorne, véritable fleuron du musée, au milieu de nombreux autres trésors d’époque.

Regard, scénographie, que la lumière soit !

extrait des collections du musée du Moyen Âge (3)

Notons enfin qu’au titre de cette restauration en profondeur du musée national du Moyen Âge, on a également dégagé les ouvrants des édifices pour laisser entrer la lumière. La mode des longs tunnels muséographiques n’est plus. Ce parcours plus lumineux permet de mettre mieux en valeur les bâtiments historiques qui hébergent les collections, tout en favorisant la découverte de certaines œuvres sous un jour plus naturel.

Dans l’esprit d’une expérience enrichie pas seulement par l’intellect, mais aussi par la sensibilité et le regard, une attention particulière a été portée sur la mise en espace des collections. Cet agencement savant s’est porté autant sur la recherche de l’émotion esthétique que sur la volonté de favoriser une meilleure compréhension des mondes médiévaux traversés et de leur sensibilité. Lumière, scénographie, itinéraire, mise en espace, dans cette nouvelle version du musée médiéval parisien, tout a été soigneusement pensé pour ravir, séduire et, parfois, même surprendre le visiteur.

Un Moyen Âge nouvelle génération ?

Alors « un Moyen Âge nouvelle génération » comme le dit la communication du musée annonçant sa réouverture ? Plus certainement encore, ce qui vous y attend, à partir du 12 mai, c’est un musée résolument tourné vers le XXI siècle, après une rénovation comme l’établissement n’en avait jamais connue depuis son ouverture, en 1843. Alors, courez-y si vous êtes sur Paris ou si vous y passez. Avec son nouveau visage, le musée de Cluny pourrait bien devenir, dès 2022, l’un des plus en vue de la capitale mais ce n’est pas l’unique raison : 1600 œuvres, 2600 m2 d’exposition, et plus de 1000 ans d’histoire n’y attendent que vous. Cerise sur le gâteau, le 12 mai, les entrées devraient être exceptionnellement gratuites. Retrouvez tous les détails et infos sur le site officiel du musée national du Moyen Âge.

En vous souhaitant une excellente journée.

Frederic Effe
pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

« Douce dame, grez et grâces… » une chanson courtoise du trouvère Gace Brulé

enluminure médiévale troubadour

Sujet : musique médiévale, chanson médiévale,  poésie, amour courtois, trouvère, vieux-français,  fine amant, fine amor, chansonnier du Roy, manuscrit ancien
Période :  XIIe s,  XIIIe s, Moyen Âge central
Titre: Douce dame, grez et grâces vos rent 
Auteur :  Gace Brûlé  (1160/70 -1215)
Interprète :  Ensemble Gilles Binchois.
Album: Les Escholiers de Paris (Alba, 1992)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous invitons à la découverte d’une nouvelle chanson médiévale de Gace Brûlé (Gace Brulé, Gaces Brullez). Entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle, ce trouvère et chevalier a produit une œuvre abondante qui n’a pas manqué d’inspirer des auteurs de sa génération et même de la suivante, comme Thibaut de Champagne. Sa poésie s’épanouit, principalement, dans le registre de la lyrique courtoise et la pièce que nous vous proposons d’étudier, aujourd’hui, n’y déroge pas.

L’exercice de courtoisie d’un trouvère épris

Chanson annotée de Gace Brulé dans un Manuscrit médiéval

La chanson du jour annonce le thème de l’amour courtois dès ses premiers vers : Douce dame, grez et grâces vos rent. Gace chante pour obtenir un signe favorable de la belle qu’il convoite. Comme il nous l’expliquera, s’il aime cette dernière trop fort ou trop haut, il ne faut pas l’en blâmer. Le seul coupable c’est « amour », le grand maître des horloges émotionnelles et sentimentales. Et puis, comment pourrait-il en être autrement ? La dame est si belle, si gracieuse et emplie de bienfaits que le loyal amant mourrait plutôt que de s’en séparer. Il ne lui reste donc plus qu’à patienter, implorer merci et que cette dernière le prenne en pitié. C’est un classique de la lyrique courtoise.

Comme on le verra, dans les deux dernières strophes de sa chanson, Gace Brulé s’adresse à deux personnages : Gilet et Renalt qu’on retrouve, par ailleurs, mentionnés en d’autres endroits de son œuvre. Ici, il les fustige tous deux d’avoir tourné le dos à « amour » que l’on est enclin à comprendre comme l’exercice de la poésie courtoise. Si quelques érudits se sont perdus en conjectures sur l’identité réelle de ces deux hommes, rien d’évident ne semble en être ressorti. Il a pu s’agir de poètes de l’entourage du trouvère ayant délaissé la plume, peut être au profit des croisades. Selon Gaston Paris, il pourrait s’agir de Hugon et Gautier de Saint-Denis (voir Les chansons de Gace Brulé, Gédéon Huet,1902).

Sources manuscrites médiévales

On peut retrouver cette chanson du trouvère Gace Brûlé dans un nombre important de manuscrits médiévaux. Dans l’image du dessus, vous la retrouverez, avec sa partition annotée, telle qu’elle se présente dans le Ms Français 844 de la BnF, encore connu sous le nom de chansonnier ou manuscrit du roy. De manière non exhaustive, on pourrait encore citer le Français 845 (utilisé pour l’image d’en-tête), le français 20050 dit Chansonnier de Saint-Germain-des-Prés ou même encore le Chansonnier Cangé ou Ms Français 846.

Pour sa retranscription en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur l’ouvrage de Gédéon Huet (op cité). Ci-dessous, nous vous proposons de la découvrir en musique avec une version polyphonique originale de l’Ensemble Gilles de Binchois.

Gilles Binchois & Les Escholiers de Paris

En 1992, l’Ensemble Gilles Binchois, sous la houlette de Dominique Vellard, proposait au public son album : Les Escholiers de Paris, Motets, Chansons et Estampies du XIIIe siècle. Avec 20 pièces présentées, pour un peu plus de soixante minutes de durée, cette production fut largement saluée par la scène des musiques anciennes et médiévales.

Les Escholiers de Paris - Album de musique médiévale

Comme l’indique le sous-titre de cet album qui rend hommage au Paris étudiant et fourmillant du XIIIe siècle, l’ensemble médiéval et son directeur ont fait le choix d’y proposer un nombre important de motets et de pièces polyphoniques. On y trouvera des pièces anonymes du codex de Montpellier, mais aussi des chansons d’auteurs comme Thibaut de Champagne, Gillebert de Berneville, et, bien sûr, Gace Brulé. Ils y côtoient quelques danses et estampies enlevées. S’y est ajouté le parti-pris original de reprendre à plusieurs voix, quelques chansons monophoniques de cette période. C’est le cas de celle du jour, revisitée ainsi pour le plus grand plaisir du public (voir notre article précédent sur cet album).

Cet album de musique médiévale a été réédité depuis sa sortie. On peut encore le trouver chez tout bon disquaire mais aussi à la vente en ligne, au format CD comme au format mp3. Voici un lien utile pour plus d’informations : Les Escholiers de Paris, Ensemble Gilles Binchois, l’album.

Artistes ayant participé à cet album

Emmanuel Bonnardot (voix, rebec, vièle), Randall Cook (vièle, chalemie, recorder), Pierre Hamon (flute, cornemuses, percussion), Anne-Marie Lablaude (voix, percussion), Brigitte Lesne (voix, harpe, percussion), Susanne Norin (voix), Dominique Vellard (voix, cistre, direction), Willem de Waal (voix),


Douce dame, grez et grâces vos rent
en langue d’oïl avec aide à la traduction

Note sur la traduction : pour percer les mystères de la langue d’oïl de Gace Brulé, nous avons fait le choix, cette fois, de vous fournir plutôt quelques clefs de vocabulaire en français actuel. Pour le reste, ce sera donc à vous de jouer.

I
Douce dame, grez et grâces vos rent.
Quant il vos plaist que je soie envoisiez
* (content) ;
Atendu ai vostre comandement,
Si chanterai por vos joianz et liez
* (gaité),
Et, s’il vos plaist, de moi merci aiez.
En tel guise vos en praigne pitiez
Qu’il ne vos poist
* (pèse) se j’aim si hautement.

II
Je sai de voir
* (vraiment) que resons me defent
Si haute amor se vos ne l’otroiez;
Mais haut et bas sont d’un contenement
* (contenance),
Qu’amor les a a son talent jugiez;
Siens est li bas qui por li est hauciez.
Et siens li hauz qui s’en est abaissiez;
Qu’a son voloir les monte et les descent.

III
Je ne di pas que nus aint
* (aime) bassement.
Puis que d’amor est sorpris
* (désireux) et liiez* (joyeux) ,
Honorer doit la joie qu’il atent,
S’il estoit rois, et ele ert
* (de estre, était) a ses piez.
Mais je sui, las, sor toz autres puiez
* (élevé),
De hautement amer
(aimer) a mort jugiez* (condamner à mort);
Mes moût muert bel qui fait tel hardement.
(1)

IV
Par Dieu, dame, l’amors de vos m’esprent
* (éprendre, embraser),
Qui m’occira, se vos ne m’en aidiez.
El ne fait mes qu’a son comandement,
Si li ert bel se por li m’ociez
* (de occire).
Et s’endroit vos
* (quant à vous) est vaincue pitiez,
Moie ert la perte, et vostres li péchiez,
Que dou partir de vos n’i a nient.
(2)

V
Fine biauté plesant et cors très gent
* (gracieux, joli)
Vos dona Dieus, dont il soit merciez.
Nus ne porroit loer si finement
Voz granz valors con vos les mostreriez,
En touz bienfèz et en toz biens proisiez
* (de proisier : prisées, estimées);
Et s’il vos plaist honorez n’essaussiez
* (ni élever ou exhalter)
N’iert ja a droit qui d’amor ne l’atent
(3).

VI
Chantez, Renalt, ki antan amïez ;
Or m’est avis que vos en retraiez
* (retirez).
Se del partir estes apareilliez
* (vous vous apprêtez),
Ja onques Deus oan
(désormais) ne vos ament.


VII

Par Dieu, Gilet, faus amanz desloiez* (faux amant déloyal),
Qui d’amor s’est partiz
* (séparé) et esloigniez,
Vaut assez plus qu’uns autres enragiez ;
Chastoiez
en vos* (réprimandez-vous en) et l’autre dolent* (s’en afflige).

(1) Mais il meurt de fort belle manière celui qui le fait si hardiment.
(2) Car il n’y a aucun moyen de se séparer de vous
(3) Il n’est jamais juste celui qui ne l’attend de l’amour.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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NB : Sur l’image d’en-tête, en arrière plan de la photo de Dominique Vellard, vous pourrez voir la page du manuscrit Ms Français 845 où l’on peut trouver cette même chanson de Gace Brulé. Cet ouvrage du XIIIe siècle est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF et consultable en ligne sur Gallica.