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une chanson de Raimbaut de Vaqueiras servie par le talent de Gerard Zuchetto

Sujet : musique, chanson et poésie médiévale, troubadours, cantiga de amigo
Titre : « Altas undas que venez suz la mar »
Auteur : Raimbaut de Vaqueiras (?1150-1207),
Période : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe s
Interprètes : Gérard Zuchetto
Album : Canso viva – Troubadours d’Italie (1996)

Bonjour à tous,

ous repartons, aujourd’hui, entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe à la recherche de l’art des troubadours, en compagnie de Raimbaut de Vaqueiras. La pièce que nous partageons ici nous sera servie par le talent de Gérard Zuchetto. Elle est tirée d’un album consacré aux troubadours d’Italie dont nous dirons aussi un mot.

Si notre auteur médiéval est né, comme son nom l’indique, en Provence et même à Vacqueyras dans la province d’Orange, il a fini par rejoindre, plus tard, le nord de l’Italie et la province de Montferrat, dans le Piémont. A partir du début des années 1190, il y a même passé le reste de sa vie, au service du marquis Boniface de Montferrat (1150-1207) avec lequel Raimbaut partit même à la croisade (la 4eme). C’est d’ailleurs en 1207, au cours de ce grand périple, qu’on perd la trace du chevalier troubadour, en Thessalonique et sur le territoire de l’actuelle Macédoine. On suppose qu’il y périt à la bataille, en même temps que le marquis, en septembre de cette même année.

Des airs troublants de cantiga de amigo

Concernant la chanson du jour, ceux d’entre vous qui connaissent l’œuvre du troubadour Martín Códax ou qui ont, peut-être, lu nos articles à son sujet et à propos des cantigas de amigo, ne pourront qu’être frappés par la similitude entre ces célèbres pièces galaïco-portugaises et la pièce de Raimbaut de Vaqueiras que nous présentons aujourd’hui.

Pour dire un mot des cantigas de amigo, dans ces exercices de style issus de la littérature galaïco-portugaise (Espagne et Portugal médiéval principalement), une jeune fille est, la plupart du temps, mise en scène, dans l’attente de son « ami » (promis, amant) parti au loin, souvent d’ailleurs par delà les mers. « Ô mer, Ô vagues apportez-moi des signes de mon aimé », le thème de l’onde et des vagues est, en tout cas, particulièrement récurrent chez Martín Códax. Autres signes distinctifs des cantigas de amigo, ces poésies sont, en principe, courtes, d’un vocabulaire assez simple et épuré, avec un refrain qui crée la montée en tension et met en exergue la tristesse ou, quelquefois même, l’espoir de la jeune fille de voir son amant revenir.

Or, comme on le verra dans cette chanson « attribuée » à Raimbaut de Vaqueiras, tous les ingrédients y sont. C’est au point même d’avoir soulevé, chez certains érudits, quelques doutes quant à la paternité exclusive du genre des cantigas de amigo à la littérature galaïco-portugaise, d’autant qu’en terme de chronologie, on situe plutôt les auteurs de la péninsule hispano-portugaise au XIIIe siècle, voire dans sa deuxième moitié (cf Lourenço Jugrar ou le Roi Denis du Portugal). Nuançons un peu. On retrouvera encore un peu de l’esprit de ses cantigas de amigo dans les chansons de toile et les choses ne sont donc pas aussi cloisonnées en terme de genre. On peut, également, imaginer que ces objets culturels aient pu circuler en Europe du Sud et en Provence, par le biais des jongleurs galaïco-portugais ou des troubadours et jongleurs provençaux et occitans voyageurs. On sait, d’ailleurs, que Raimbaut de Vaqueiras possédait, lui même, des notions de cette langue qui aurait pu lui en faciliter la compréhension.

Sources & débats sur l’attribution

Pour corser un peu l’affaire, les choses se compliquent du point de vue des sources. Un seul manuscrit attribue, en effet, cette pièce à notre auteur provençal. Or, la fiabilité du dit codex n’a pas tardé à être mise en cause et les experts se sont empressés de débattre sur la véritable paternité de cette chanson médiévale. Était-elle véritablement de Raimbaut de Vaqueiras ? Contre la foi du manuscrit, une partie des érudits était enclin à l’attribuer plutôt à Cerveri de Girona, également présent dans le même ouvrage.

Erreur de copiste ? Main un peu légère dans un monde de l’oralité où la notion d’auteur n’était pas encore autant fixée qu’elle finirait par l’être quelques siècles plus tard (pour finir par se diluer, à nouveau, à l’ère de la nova culture et du piratage numérique) ? Dans un article de 2008, le philologue et académicien italien Giuseppe Tavani venait heureusement à notre secours. Ayant étudié de très près la question, il a fini par pencher (à l’image d’une majorité de spécialistes depuis la découverte du manuscrit), en faveur de l’attribution au troubadour de Vaqueyras (1). Nous le suivrons donc sagement sur cette question, tout comme Gérard Zuchetto l’avait fait. Tout cela posé, disons un mot de ce manuscrit médiéval.

Le précieux cançoner Gil ou cançoner Sg

Manuscrit médiéval Cançoner Gil, troubadour Raimbaut de Vaqueiras

Découvert au début du XXe siècle, dans la collection d’un professeur et historien de Zaragoza (Sarragosse), le chansonnier provençal Gil (du nom de l’intéressé Pablo Gil y Gil) est actuellement conservé en la Bibliothèque Nationale de Catalogne, à Barcelone. Avec un total de 285 pièces pour 128 feuillets, ce manuscrit ancien est considéré comme une des pièces les plus précieuses de l’établissement et c’est en tout cas, l’un des plus ancien manuscrit catalan en matière de poésie médiévale.

Dans ce cançoner Gil, on trouve notamment la presque totalité de l’œuvre de Cerverí de Girona, troubadour catalan du XIIIe siècle. Elle y côtoie de nombreuses autres pièces de troubadours provençaux de l’ère classique : Raimbaut de Vaqueiras, Bertran de Born, Guiraut de Bornelh, Arnaut Daniel, Guilhem de Saint Leidier, Bernart de Ventadorn, Pons de Capduelh, Jaufre Rudel, ou encore Guilhem de Berguedan. Viennent s’y ajouter, en fin de manuscrit, des auteurs de l’Ecole de Toulouse comme Joan de Castellnou, Raimon de Cornet, ou Gaston III Foix de Béarn.

Grâce au site Cervantes Virtual, ce manuscrit médiéval, daté du XIVe siècle, est consultable en ligne ici. Pour plus d’information à son sujet, nous vous renvoyons également à l’article très complet de Miriam Cabré et Sadurní Martí dans un numéro de Romania daté de 2010 (2).

L’interprétation de cette chanson médiévale par Gérard Zuchetto

Canso viva – Troubadours d’Italie des XIIe et XIIIe s sous la direction de Gerard Zuchetto

C’est au milieu des années 90 que le célèbre passionné de musiques et poésies anciennes, de musicologie et d’occitan médiéval, Gérard Zuchetto décida de rendre un beau tribut aux troubadours d’Italie du Moyen Âge central, et en particulier ceux des XIIe et XIIIe siècles.

Album de musique médiévale de Gérard Zuchetto

Avec huit pièces pour un peu plus d’une heure d’écoute, l’album Canso Viva présente, aux côtés de Raimbaut de Vaqueiras, des troubadours qui ont peu l’occasion d’être mis à l’honneur dans le répertoire habituel des ensembles médiévaux français : Bonifaci de Castellana, Ramberti de Buvalel, Sordel, Bertran d’Alamanon ou encore Peire de la Mula.

Saluée par la scène médiévale, on retrouvera également cette production, 20 ans après sa sortie, en 2016, dans les coups de cœur des bibliothécaires de Paris, ce qui prouve bien que la qualité en matière de musique ancienne et de vinification, c’est un peu la même chose. Si vous désirez acquérir ce bel album (de garde) ou obtenir plus d’informations à son sujet, on peut le trouver encore à la distribution sous forme CD. A commander chez votre libraire ou même, bien sûr, en ligne. Voici un lien utile à cet effet : Canso Viva de Gerard Zuchetto .

Membres ayant participé à cet album :

Gérard Zuchetto (Chant, direction, composition et arrangements et direction musicale), Guy Robert (luth, harpe), Patrice Brient (citole, rebec), Jacques Khoudir (percussions).

La Tròba, une anthologie chantée
sur l’art des troubadours

Anthologie des troubadours du Moyen Âge

A l’approche de Noël, nous nous permettons aussi de vous rappeler la disponibilité de la Tròba, grande œuvre de Gérard Zuchetto et son Troubadours Art Ensemble.

A ce jour, cette Anthologie chantée des troubadours n’a absolument aucun équivalent musical et artistique dans le monde. Avec 5 grands coffrets thématiques pour un total de 22 Cd’s, ce témoignage unique de l’art médiéval occitan présente 248 pièces en provenance directe du Moyen Âge (notre troubadour du jour est approché dans le coffret numéro 3). Près de 50 musiciens et chanteurs sont également invités sur l’ensemble de cette fresque musicale et chaque coffret vient avec ses livrets complets en français et occitan pour ne rien perdre de ce patrimoine.

Pour plus d’informations, nous vous invitons à consulter télécharger la brochure complète de la Troba en pdf ici .


« Altas ondas que venez suz la mar »
les paroles de Raimbaut de Vaqueiras

.
Altas undas que venez suz la mar,
que fay lo vent çay e lay demenar,
de mun amic sabez novas comtar,
qui lay passet? No lo vei retornar!
Et oy Deu, d’amor!
Ad hora.m dona joi et ad hora dolor!

Hautes vagues qui venez sur la mer
Que le vent fait, ça et là, s’agiter,
De mon ami qui a traversé par delà la mer

Saurez-vous me conter des nouvelles ? Je ne le vois pas revenir !
Et oh, Dieu, pour cet amour (à cause de)!
Parfois, j’ai de la joie et, parfois, de la douleur !

Oy, aura dulza, qui vens dever lai
un mun amic dorm e sejorn’ e jai,
del dolz aleyn un beure m’aporta.y!
La bocha obre, per gran desir qu’en ai.
Et oy Deu, d’amor!
Ad hora.m dona joi e ad hora dolor!

Oh! Douce brise qui vient de là-bas
Où mon ami dort, réside et repose,
Apporte-moi ici une effluve de son doux haleine
Ma bouche s’ouvre, du grand désir que j’en ai
Et oh, Dieu, pour cet amour !
Parfois, j’ai de la joie et, parfois, de la douleur !

Mal amar fai vassal d’estran païs,
car en plor tornan e sos jocs e sos ris.
Ja nun cudey mun amic me trays,
qu’eu li doney ço que d’amor me quis.
Et oy Deu, d’amor!
Ad hora.m dona joi e ad hora dolor!

Il est douloureux d’aimer un chevalier* d’un pays étranger,
Car, et ses jeux et ses rires, se changent en pleurs
Jamais je n’aurais pensé que mon ami me trahirait
Puisque je lui ai donné l’amour qu’il m’a demandé
Et oh, Dieu, pour cet amour!
Parfois, j’ai de la joie et, parfois, de la douleur !

*vassal, jeune homme, guerrier


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Voir également l’article de Gerard Zuchetto au sujet de Guillaume IX d’Aquitaine, premier des troubadours

(1) Giuseppe Tavani, Raimbaut de Vaqueiras « Altas undas que venez suz la mar«  (BdT 392.5a), Lecturae tropatorum 1, 2008

(2) « Le Chansonnier Sg au carrefour occitano-catalan » de Miriam Cabré et Sadurní Martí (Institut de Universität Llengua i de Cultura Girona Catalan, Romania 2010, Persée).

NB : sur l’image d’en-tête, l’enluminure qui tient compagnie à Gerard Zuchetto est tiré du Ms Français 854 conservé à la BNF. Nous l’avons un peu retouchée et rafraîchie mais elle correspond bien à notre troubadour du jour Raimbaut de Vaqueiras.

serons-nous les barbares du monde de demain ?

Sujet : citations, Moyen Âge, philosophie, idées reçues, barbarie, modernité. Martin Blais (1924-2018)

Citation illustrée sur le Moyen Âge de Martin Blais

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons une citation de l’écrivain, philosophe et enseignant canadien Martin Blais. Titulaire d’un double doctorat en philosophie et en sciences médiévales, cet éminent professeur des universités québécoises (Université de Laval) nous a légué de nombreux articles et ouvrages de philosophie dont un nombre important au sujet de Thomas D’aquin dont il s’était fait une spécialité.

Sacré Moyen Âge ! de Martin Blais

Entre les nombreuses contributions de Martin Blais, on trouve son livre Sacrée Moyen Âge ! Dans cet ouvrage daté de 1997, assez court et très agréable à lire, le chercheur et intellectuel québécois fait la chasse, à sa manière, à quelques idées reçues autour du Moyen Âge. Plus proche de l’essai que de la thèse et sans méthodologie systématique, il y adopte le parti-pris de l’exploration libre.

Livre Sacré Moyen Âge de Martin Blais

Dix-huit sujets d’origine médiévale et en but aux préjugés sont ainsi à l’honneur, pour un peu moins de 150 pages au total. On en trouve de familiers : le travail au Moyen Âge, les troubadours, la technologie et les inventions, l’hygiène et les bains, les universités, … Mais l’auteur passe aussi par des thèmes plus originaux ou qu’il éclaire sous un autre jour. On citera pêle-mêle les métiers féminins, l’histoire d’Héloïse et Abelard, les prisons « auberges », ce qu’il nomme lui-même la « pornocratie » pontificale, et encore un inévitable détour par Thomas d’Aquin.

Ce livre a été réédité par la  Bibliothèque québécoise  en 2002. Vous pourrez donc le trouver disponible à la commande chez votre meilleur libraire ou à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations : Sacré Moyen Age !

Réalités médiévales contre barbarie moderne

La citation du jour est tirée de l’introduction de l’ouvrage. Comme de nombreux médiévistes ou chercheurs l’ont fait avant lui et le feront encore après lui, Martin Blais ne peut s’empêcher d’y mettre en balance la barbarie du monde moderne avec celle qu’on adresse, en permanence, au Moyen Âge (moins souvent par raison que par ignorance).

« La réputation que la Renaissance a faite aux gens du Moyen Âge nous attend sans doute à un tournant de l’histoire. Dans un millénaire, quand on parlera de nos camps de concentration, de nos écoles de torture, de notre cruauté unique dans l’histoire, de nos guerres atroces, de nos millions de miséreux — même dans les pays riches —, on se demandera quels barbares nous étions. Soljenitsyne est moins patient que moi : « Dans cent ans, on se moquera de nous comme de sauvages. » René Dubos avance la même opinion : « La vue technologique qui domine le monde actuel […] apparaîtra à nos descendants comme une période de barbarie. » C’est donc sans la moindre arrogance, avec humilité même, que nous allons nous approcher du Moyen Âge. »

Martin Blais – Citation extraite de Sacré Moyen Âge (1997)

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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« Toute maladie me nuit » une Ballade d’Eustache Deschamps, à l’automne de sa vie

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, maladie, vieillesse, ballade médiévale
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle
Auteur  :   Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :   « Toute Maladie me nuit»
Ouvrage  :  Œuvres    complètes d’Eustache Deschamps, Tome VIII,   Marquis de Queux de Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)

Bonjour à tous,

ntre la moitié du XIVe et le tout début du XVe siècle, l’officier de cour, juriste et poète Eustache Deschamps écrit sur à peu près tout : l’art de versifier, sa didactique mais surtout plus de 1000 ballades sur la vie, la mort, la morale, les maux et les mœurs de son temps.

Des états d’âme et des valeurs de l’auteur médiéval à ses goûts, ses plaisirs ou ses frustrations, en allant jusqu’à des choses plus factuelles, tous les sujets y passent. Malgré quelques belles envolées sur l’ensemble de son œuvre et une belle maîtrise du moyen-français, on s’accordera sur le fait qu’Eustache a plus marqué les esprits par le volume de son legs que par son style. De fait, à plus de 600 ans de là, de nombreux érudits, historiens ou romanistes, s’appuient encore sur toute ou partie de ses témoignages pour approcher cette période du Moyen Âge.

Douleurs, petite santé et misères de l’âge

Poésie d'Eustache Deschamps dans le Manuscrit médiéval Ms NAF 6221
Ms NAF 6221, BnF, Dept des Manuscrits

La ballade que nous avons choisie aujourd’hui a pour thème les âges de la vie et notamment certains désagréments liés à la vieillesse (1). Eustache a vécu suffisamment longtemps, pour les expérimenter : misère, recul social, déliquescence de l’état général et santé en perdition. Comme il nous l’explique dans cette ballade tardive, sa jeunesse est déjà loin et « Toute maladie lui nuit« .

Cette poésie, qui vient à point dans le contexte de l’actualité, nous fournit l’occasion d’adresser une pensée à tous nos anciens et à tous ceux dont la santé est particulièrement fragilisée et qui pourront se sentir concernés. Qu’ils se protègent avec raison et prennent bien soin d’eux en cette rentrée hivernale et en ces nouveaux temps de confinement.

Aux sources médiévales de cette ballade

On peut retrouver cette ballade dans le Manuscrit Français 840 que nous avons déjà mentionné à de nombreuses reprises. Pour varier, nous vous parlerons ici du Manuscrit Fr NAF 6221 (ancienne collection Barrois, cote 523). L’abréviation NAF correspond au fond des Nouvelles Acquisitions Françaises de la BnF. Ouvert en 1863, celui-ci comprend désormais plus de 29 000 volumes et documents (de quoi ravir ou perdre un archiviste). A ce jour, moins de 1% de cette collection a été numérisé mais, par chance, le NAF 6221 en fait partie (vous pouvez le consulter en ligne ici). Ce codex plutôt sobre (photo ci-dessus), contient près de 154 pièces entre lais, ballades, rondeaux et serventois, dont un peu moins de la moitié (71) sont de Eustache Deschamps.

Une Ballade médiévale d'Eustache Deschamps sur la maladie

Balade de doloir pour jeunesse qui s’en va ailleurs

J’ay perdu doulz apvril et may,
Printemps, esté, toute verdure;
Yver, janvier de tous poins ay
Garniz d’annoy et de froidure.
Dieux scet que ma vieillesce endure
De froit et reume jour et nuit,
De fleume
(flegme), de toux et d’ordure:
Toute maladie me nuit.

Pour mon costé crie: “Hahay!”
Maintefois et a l’aventure
Une migrayne ou chief aray
(avoir).
Autrefoiz ou ventre estorture
Ou en l’estomac grief pointure
(forte douleur).
Aucune fois le cuer me cuit;
Autre heure tousse a desmesure:
Toute maladie me nuit.

Tant qu’en lit me degecteray (degeter : agiter, tourmenter)
Si qu’il n’y remaint
(remanoir : demeurer, rester) couverture.
La crampe d’autre part aray
Ou le mal des dens me court sure
Ou les goutes me font morsure.
Quelque part ou ventre me bruit;
Toudis
(toujours) ay medecin ou cure:
Toute maladie me nuit.

L’envoi

Prince, de santé je vous jure
Que moult s’afoiblist ma nature
Pour maint grief mal qui me destruit.
Vieillesce m’est perverse et dure,
Ne je ne scay comment je dure:
Toute maladie me nuit.


Pour élargir, au delà de l’œuvre d’Eustache Deschamps, on notera que le thème de la vieillesse a été largement traité au Moyen Âge et ce, par de nombreux auteurs. On ne manquera pas de citer ici le superbe Passe-temps de Michaut Le Caron dit Taillevent.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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(1) Sur ce même thème de la vieillesse et chez Eustache Deschamps, voir aussi Pardonnez-moy car je m’en vois en blobes, Que m’est il mieulx de quanque je vi onques ? ou encore II n’est chose qui ne viengne a sa fin.

NB : la miniature en tête d’article provient du manuscrit de Bartholomaeus Anglicus (XIIIe s) : De proprietatibus rerum ou Livre des proprietés des choses (édition datée du XVe)

Guillaume de Baskerville n’est plus : RIP Sir Sean Connery

Bonjour à tous,

e James Bond à Guillaume de Baskerville, en passant par Jimmy Malone, dans Les Incorruptibles, Henry Jones, le père d’Indiana dans Les Aventuriers de l’Arche Perdue et tant d’autres rôles, Sir Thomas Sean Connery , véritable monument du cinéma vient de nous quitter.

Né en 1930, avec une carrière débutée à l’aube des années 60, l’acteur natif d’Edimbourg, à la fois irlandais et écossais par ses origines, avait fini par se forger une légende dans le monde du cinéma. Traits d’esprit, humour et classe très british ou même plutôt très scottish, il s’était aussi signalé pour ses engagements en faveur de l’indépendance de l’Ecosse ; une prise de partie qui n’empêchera pas la reine Élisabeth II d’Angleterre de l’anoblir aux débuts des années 2000, en le faisant Knight Bachelor.

Sean Connery, Guillaume de Baskerville

En 1986, dans l’adaptation sur grand écran par Jean-Jacques Annaud, du Nom de la Rose de Umberto Eco, il avait donné vie au personnage de Guillaume de Baskerville. Au cœur de l’intrigue, ce moine franciscain charismatique, adepte avant l’heure de méthodes d’investigation à la Sherlock Holmes, s’y trouvait en butte à une inquisition aveugle et punitive (voir la légende noire de l’inquisition médiévale). La grande prestation de Sean Connery dans ce rôle de fiction lui vaudra, d’ailleurs, plusieurs nominations en tant que meilleur acteur : German Film Awards, 1987 et Bafta Awards, 1988.

Pour citer quelques autres de ses rôles, toujours du côté du monde médiéval, on l’avait encore vu incarner des personnages comme Richard Cœur de Lion dans le Robin des Bois de Kevin Reynolds en 1991 ou même le Roi Arthur dans un Lancelot de 95, signé Jerry Zucker. En 1984, dans L’épée du vaillant de Stephen Weeks, il avait également tenu le rôle du chevalier vert faisant face à Gauvain dans un film adapté du roman arthurien Sire Gauvain et le Chevalier vert de Gawain Poet (XIVe s) et pour finir on retiendra encore son interprétation de Robin des Bois dans l’excellent La Rose et la Flèche  de Richard Lester , en 1974.

Couvert de prix et de nominations, Sean Connery a eu l’occasion de jouer dans quelques 70 films et a même mis la main à la patte en tant que producteur dans une dizaine de longs métrages. Grâce à son charisme indéniable autant que ses choix judicieux, il aura même réussi à rendre culte, jusqu’à ses moindres apparitions à l’écran. Il s’est éteint, cette nuit, dans son sommeil, à l’âge de 90 ans. Qu’il repose en paix.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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