
– Et bien ça.
– Quoi ça?
– Oui, je ne sais pas ce que je ne sais pas. C’est simple!
Citation de Nicolas de Cusa , (1401-1464)
Tirée de la Docte Ignorance.


– Et bien ça.
– Quoi ça?
– Oui, je ne sais pas ce que je ne sais pas. C’est simple!
Citation de Nicolas de Cusa , (1401-1464)
Tirée de la Docte Ignorance.


Média: conférence
Lieu: Ecole des Chartes
Titre: la France et les Français aux temps médiévaux
Conférencier: Philippe Contamine (1932), Historien Médiéviste


Depuis quelques décennies et notamment avec l’avènement de l’Europe « Maastrichtienne » qui est, semble-t’il, une Europe au service du libre marché, des agences de notation et de la finance bien plus qu’au service des peuples ou même des nations, un certain discours entend minimiser, quand ce n’est pas simplement dissoudre, cette idée de « nation » pour des visées qui 
(ci-contre portrait de l’empereur Charlemagne, roi des « francs », Louis-Félix Amiel, 1839)
Au fond, les nations seraient devenues « démodées » et l’on va même volontiers jusqu’à agiter le spectre de la seconde guerre mondiale comme un épouvantail quand il s’agit de prouver combien l’idée est aussi dangereuse que surannée: gommer d’un trait les différences culturelles jusqu’à, pourquoi pas, ignorer ou nier sa propre Histoire serait devenu « moderne » ou « progressiste » autant que « nécessaire » pour un monde meilleur mais, au fond, pourquoi le serait-ce et surtout pour un monde au service de qui et de quoi? Faut-il nécessairement perdre son âme pour faire des alliances économiques? L’idée serait plutôt nouvelle et si vous demandiez à certaines nations du Monde, si elles étaient prêtes à se dissoudre totalement dans le grand tout, – serait-ce pour mieux vendre ou acheter -, je pense que vous vous rendriez vite compte que ce n’est pas du tout d’actualité pour elles.

Bref, tout cela reste tout sauf clair, même si un certain légendaire sens critique « français » semble ne jamais manquer de ressources pour dénigrer ce qui a fait la France, en oubliant quelquefois que son histoire ne commence pas tout à fait au pétainisme. Peut-être l’enseignement de l’Histoire y est-il pour quelque chose? Peut-être nous prenons-nous aussi les pieds dans le tapis de nos propres idéaux humanistes au risque de nous y dissoudre nous-mêmes? Allez savoir…
Je l’ai déjà dit ici mais il me semble utile de le repréciser: l’Histoire est toujours utile pour se comprendre soi-même et c’est même de ce point de vue là une science humaine merveilleuse. On peut, avec elle, se sentir légitimement attaché à l’histoire et à la culture d’un sol sur lequel on est né sans forcément tomber dans l’extrême de la chanson de Brassens et des imbéciles heureux qui sont nés quelque part. Revenue de ses erreurs de jeunesse, l’Ethnologie qui m’a formé se garde bien elle aussi de mettre les cultures en échelleset les embrasse dans leur totalité et leurs richesses mais la question de l’identité culturelle, en l’occurrence nationale, devient toujours plus épineuse quand on tente de démêler quels intérêts elle sert vraiment, qu’il s’agisse de la dénigrer comme de la galvaniser d’ailleurs. En l’espèce quand les vendeurs de salades et de chips commencent à s’en mêler, cela me parait hautement suspicieux.
Quoiqu’il en soit et à ce moment précis, cette conférence vient un peu rééquilibrer le jeu des forces et surtout éclairer nos lanternes. Philippe Contamine nous y confirme, en effet, au cas où nous en doutions, que la nation française n’est pas une vue de l’esprit désuète et, mieux même, en clin d’oeil final, enjoint les politiques d’aujourd’hui d’être avisés et de ne pas l’oublier.

Au final, il n’est peut-être pas si facile qu’on le pense, d’effacer d’un simple trait plus de huit cents ans d’histoire. On trouvera sans doute intéressant dans le contexte actuel et avec le peuple anglais qui vient de voter sa sortie de l’Europe d’apprendre aussi ici, que la nation anglaise existe depuis plus longtemps que la France. Cette conscience historique est-elle pour quelque chose dans ce vote, en dehors de la crise sociale et économique qui n’en finit pas de secouer l’Europe et pour laquelle cette dernière a finalement si peu de réponses, ni de solutions à apporter. S’il faut sans doute un peu plus qu’un projet économique de libre échange pour faire une nation, il se pourrait bien que cette loi se vérifie, a fortiori, quand il s’agit de former une confédération.
Pour en dire un mot, Philippe Contamine est historien médiéviste, membre ordinaire de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et encore Commandeur de l’Ordre des Palmes académiques. Agrégé d’Histoire et Agrégé es-Lettres, on lui doit de nombreux ouvrages et publications centrés sur la période médiévale, avec une prédilection 
Nous inaugurons, avec cet article, une nouvelle catégorie sur le site dédiée aux conférences dans l’idée d’y indexer quelques médias et intervenants d’intérêt sur le monde médiéval. C’est un format qui peut être quelquefois un peu ardu mais les plus patients et opiniâtres d’entre vous pourront grâce à de brillants conférenciers comme celui d’aujourd’hui, mieux comprendre le monde médiéval dans sa profondeur. Comme nous ne cessons de le dire, nous nous intéressons au monde médiéval sous toutes ses formes, et dans ce cadre, toute richesse médiatique (sons, musiques, conférences, lectures audio, vidéos, etc) venant l’illustrer, l’étayer, ou le transmettre s’avère pertinente. Ces conférences autour du moyen-âge trouvent donc très naturellement leur place ici.
En vous souhaitant une très belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. »
Publiliue Syrus Ier s. av. J.-C

Période : moyen-âge tardif
Titre : « Guerre mener n’est que damnation », ballade contre la guerre.
Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406)
Bonjour à tous,


Il faut bien comprendre, en remettant cette ballade dans son contexte qu’Eustache Deschamps a lui-même été soldat et a participé à des campagnes. C’est donc de l’intérieur, en homme avisé et visiblement lassé, autant qu’en témoin des conflits sur le terrain, qu’il fait ce plaidoyer contre la guerre. Dans d’autres poésies, on le retrouvera encore s’exprimant sur la misérable condition des soldats, autant que sur les ravages de la guerre sur les petites gens et sur le monde rural. Il s’élèvera notamment dans son Lay de Vérité contre les dégâts des pillages et leur nature immorale en jetant l’opprobre sur ceux qui s’en rendent coupable.
« Vous qui la guerre menez
Vous Dampnez
Quant contre raison prenez
Du peuple communement
Les biens et les rançonnez »
Eustache Deschamps. Extrait du Lay de Vérité

J’ay les estas de ce monde advisser
Et poursuiz du petit jusqu’au grant
Tant que que je suis du poursuir lassez
Et reposer me vueil doresnavant
Mais en trestouz le pire et plus pesant
Pour aame et corps, selon m’entencion
Est guerroier qui va tout detruisant
Guerre mener n’est que dampnacion
Autres estas ont de la labour assez
En seuretë vont leurs corps reposant
Et se vivent de leurs biens amassez
Jusques a fin vont leur aage menant
Et l’un estat va l’autre confortant
Sanz riens ravir, loy et juridicion
Tiennent entr’eulx, dont bien puis dire tant
Guerre mener n’est que dampnacion
Car on y fait les septs pechiez mortelz
Tollir, murdir, l’un va l’autre tuant
Femmes ravir, les temples sont cassez
Loy n’a entr’eulx, le mendre est plus grant
Et l’un voisin va l’autre deffoulant
Corps et aame met a perdiction
Qui guerre suit, aux diables la comment
Guerre mener n’est que dampnacion.
L’ENVOY
Prince, je vueil mener d’or en avant
Estat moien, c’est mon oppinion,
Guerre laissier et vivre en labourant :
Guerre mener n’est que dampnaction.
J’ai les états de ce monde avisé
Et poursuivi du petit jusqu’au grand,
Tant que je suis de poursuivre lassé,
Et reposer me veut dorénavant
Mais entre tout, le pire et le plus pesant;
Pour âme et corps, selon mes conclusions,
Est guerroyer, qui tout va détruisant;
Guerre mener n’est que damnation.
Les autres états ont bien assez à faire
En sûreté vont leurs corps reposant,
Et vivent sur tous leurs biens amassés,
Jusqu’à la fin, vont leurs âges menant:
Et l’un état va l’autre confortant,
Sans rien ravir, loi et juridiction
Tiennent entre eux, dont bien puis dire tant:
Guerre mener n’est que damnation.
Car on y fait les sept péchés mortels,
Voler, meurtrir, l’un va l’autre tuant,
Femmes ravir, les temples sont cassés,
Loi n’a entre eux, le moindre est le plus grand,
Et l’un voisin va l’autre défoulant.
Corps et âme met à perdition
Qui guerre suit; aux diables la comment
Guerre mener n’est que damnation.
Envoi
Prince, je veux mener dorénavant
Etat moyen, c’est mon opinion,
Guerre laisser et vivre en labourant:
Guerre mener n’est que damnation.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes

Titre : le moyenageux
Auteur : Georges Brassens
Période : contemporaine Année : 1966
Album : Supplique pour être enterré à la plage de Sète
Bonjour à tous,


(ci-contre partition de la chanson le moyenâgeux de Brassens, cliquez sur l’image pour ouvrir)
En l’an trentiesme de mon eage,
Que toutes mes hontes j’eu beues,
Ne du tout fol, ne du tout sage.
Nonobstant maintes peines eues,
Lesquelles j’ay toutes receues
Soubz la main Thibault d’Aussigny.
S’evesque il est, seignant les rues,
Qu’il soit le mien je le regny!
François Villon (1431-1463?), le testament (extrait)
Sur les traces de Villon et de ses facéties, autant que de ses amitiés délictueuses, entre quelques clins d’oeil au « Prince » de l’envoi des ballades du Maistre, Brassens fait encore allusion au « trou de la pomme de pin », taverne fameuse de l’époque que le poète médiéval fréquentait et qu’il a mentionné, à plusieurs reprises, dans ses poésies et ses ballades. On retrouve aussi dans cet hommage, l’inévitable spectre du gibet de Montfaucon qui hantait 

Le seul reproche, au demeurant,
Qu’aient pu mériter mes parents,
C’est d’avoir pas joué plus tôt
Le jeu de la bête à deux dos.
Je suis né, même pas bâtard,
Avec cinq siècles de retard.
Pardonnez-moi, Prince, si je
Suis foutrement moyenâgeux.
Ah! que n’ai-je vécu, bon sang!
Entre quatorze et quinze cent.
J’aurais retrouvé mes copains
Au Trou de la Pomme de Pin,
Tous les beaux parleurs de jargon,
Tous les promis de Montfaucon,
Les plus illustres seigneuries
Du royaum’ de truanderie.
Après une franche repue,
J’eusse aimé, toute honte bue,
Aller courir le cotillon
Sur les pas de François Villon,
Troussant la gueuse et la forçant
Au cimetièr’ des Innocents,
Mes amours de ce siècle-ci
N’en aient aucune jalousie…
J’eusse aimé le corps féminin
Des nonnettes et des nonnains
Qui, dans ces jolis temps bénis,
Ne disaient pas toujours » nenni « ,
Qui faisaient le mur du couvent,
Qui, Dieu leur pardonne ! souvent,
Comptaient les baisers, s’il vous plaît,
Avec des grains de chapelet.
Ces p’tit´s sœurs, trouvant qu’à leur goût
Quatre Evangiles c’est pas beaucoup,
Sacrifiaient à un de plus :
L’évangile selon Vénus.
Témoin : l’abbesse de Pourras,
Qui fut, qui reste et restera
La plus glorieuse putain
De moine du quartier Latin.
A la fin, les anges du guet
M’auraient conduit sur le gibet.
Je serais mort, jambes en l’air,
Sur la veuve patibulaire,
En arrosant la mandragore,
L’herbe aux pendus qui revigore,
En bénissant avec les pieds
Les ribaudes apitoyées.
Hélas ! tout ça, c’est des chansons.
Il faut se faire une raison.
Les choux-fleurs poussent à présent
Sur le charnier des Innocents.
Le trou de la Pomme de Pin
N’est plus qu’un bar américain.
Y’ a quelque chose de pourri
Au royaum’ de truanderi’.
Je mourrai pas à Montfaucon,
Mais dans un lit, comme un vrai con
Je mourrai, pas même pendard,
Avec cinq siècles de retard.
Ma dernière parole soit
Quelques vers de Maître François,
Et que j’emporte entre les dents
Un flocon des neiges d’antan…
Ma dernière parole soit
Quelques vers de Maître François…
Pardonnez-moi, Prince, si je
Suis foutrement moyenâgeux.
Près de cinquante ans tout juste après que cette chanson fut révélée au grand public, elle n’a pas pris une ride. Au delà du tribut à Villon, il y a même des fois où l’on se sentirait presque, avec Brassens, foutrement moyenâgeux.
Une excellente journée à tous!
Fred
Pour moyenagepassion.com
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historiques, contemporaines ou imaginaires.